Méthodes
de lecture : halte aux intimidations idéologiques !
par
Rachel Boutonnet
(Le
Figaro,
04/09/2006)
Je
suis maîtresse d'école primaire depuis septembre 2000. Après deux
CP et quatre CE 1, je retrouve un CP en cette rentrée. Je m'apprête
à y enseigner la lecture par une méthode alphabétique, comme
je l'ai fait dans chacun de mes deux CP précédents, ainsi que
chaque fois que j'ai eu à rattraper le retard en lecture d'un de mes
élèves de CE 1. Le support de cet enseignement est un livre dont la
première édition remonte à 1906, et qui connaît depuis des années
un franc succès de librairie : la «Méthode Boscher», ou La
Journée des tout-petits (Belin, 1984).
Les
leçons portent d'abord sur les voyelles et les consonnes simples.
Elles enseignent le son des lettres et entraînent à pratiquer la
combinatoire l'accrochage consonne/voyelle introduisant au bout de
quelques pages des mots et des phrases. Suivent les voyelles doubles,
puis les consonnes doubles, avant les voyelles et les consonnes
triples, et enfin celles qui s'écrivent avec quatre lettres. Le
livre s'achève, au bout d'une cinquantaine de leçons, avec l'étude
des lettres muettes et les marques du pluriel.
En
suivant cette progression rigoureuse, alliée à une pratique
quotidienne d'écriture, de copie et de dictée, les élèves sont
capables, au bout de quelques mois, de lire des textes courts. En fin
de CP, ils peuvent lire tout ce qui se présente à eux. Certes, leur
lecture n'est pas encore fluide, mais si on continue à les exercer,
elle le deviendra progressivement au cours des quatre années
suivantes, et ils parviendront à une lecture à haute voix
expressive ainsi qu'à une lecture silencieuse rapide.
Je
n'ai jamais appliqué de méthodes dites «mixtes» ou
«idéovisuelles», qui ont supplanté à partir des années 1970,
les méthodes alphabétiques. Ces méthodes commencent
l'apprentissage de la lecture par une phase «globale» pendant
laquelle les élèves sont entraînés à reconnaître et à
mémoriser des mots, uniquement à partir de leur silhouette, avant
de travailler sur les lettres et sur la combinatoire.
Il
m'a toujours semblé absurde de commencer la lecture parce qu'elle
n'est pas une reconnaissance globale de mots. J'ai constaté par la
suite que quand la phase globale de la méthode mixte est trop longue
ce qui est souvent le cas , les élèves ont du mal à se
défaire du geste qui consiste à reconnaître, à deviner ou à
déduire un mot comme on leur apprend à le faire dans la «phase
globale», et pratiquent très difficilement la lecture alphabétique,
d'autant plus si cette dernière a été trop peu pratiquée, et de
surcroît selon une progression chaotique, comme en présentent de
nombreux de manuels de lecture à méthode mixte.
Non
contentes de former des mauvais lecteurs et d'occasionner des
troubles s'apparentant à des dyslexies graves, ces méthodes
entraînent chez un grand nombre d'élèves des dysorthographies
tenaces. Le choix d'appliquer avec mes élèves une méthode
alphabétique plutôt qu'une autre relève d'un principe affirmé dès
la fondation de l'instruction publique, celui de la liberté
pédagogique, qui exige de l'enseignant des résultats, le laissant
libre de choisir ses méthodes. Il se trouve que mes élèves ont
correctement appris à lire dans mes classes. Alors que tout aurait
dû me conduire à faire état publiquement de mes choix
pédagogiques, j'ai pourtant, au cours de mes premières années
d'enseignement, caché à ma hiérarchie la manière dont
j'enseignais la lecture. Depuis les années 1970, la pratique des
méthodes dites mixtes ou «idéo-visuelles» est imposée aux
instituteurs par tous les canaux de l'institution, toute autre
pratique devenant passible de remontrances voire de sanctions. Or
l'imposition d'une méthode par l'intimidation me semble encore plus
grave que sa simple existence.
Car
c'est bien parce que l'apprentissage de la lecture est devenu une
question idéologique aux mains de théoriciens dogmatiques que la
méthode alphabétique a pratiquement disparu des classes de l'école
primaire et que l'école produit tant de non-lecteurs tous les ans.
On peut parier que si le principe de la liberté pédagogique était
respecté, et que si discuter des méthodes était possible, on
verrait refleurir dans les classes des méthodes efficaces.
Je
me prononce donc beaucoup moins contre les méthodes à départ
global qui peuvent rester efficaces si les enseignants font un
travail précis et intensif sur la lecture alphabétique que pour
que les méthodes alphabétiques, et pour qu'elles soient
effectivement et non seulement théoriquement, comme c'est le cas
aujourd'hui, autorisées.
J'aurais
aimé que Gilles de Robien comprenne le problème de cette façon et
rédige en ce sens sa circulaire de février 2006. Mais cette
dernière, interdisant les méthodes globales sans faire de nuances,
commet la maladresse de porter atteinte au principe de la liberté
pédagogique, et risque, par les réactions indignées qu'elle
suscite, d'être contre-productive.
M.de
Robien aurait dû se contenter de rappeler que le choix d'une méthode
de lecture, notamment alphabétique, relève de la liberté
pédagogique et qu'aucun enseignant ne pouvait être sanctionné pour
ses choix pour peu que les résultats obtenus soient satisfaisants.
En ce qui concerne les méthodes mixtes, il aurait suffi qu'il
rappelle les dangers d'une phase globale prolongée trop longtemps et
l'importance d'un travail intensif et rigoureux sur les lettres et la
combinatoire.
Cependant,
cette circulaire inhabile aura au moins eu le grand mérite de faire
renaître le débat sur la question de la lecture et de redonner à
la méthode alphabétique une autorisation officielle. Les effets ne
peuvent manquer de suivre : les enseignants partisans d'une méthode
alphabétique, hier tremblants de s'exprimer, vont pouvoir exposer
leurs arguments au grand jour, et peut-être convaincre autour d'eux,
tandis qu'une partie de ceux qui hésitaient, par peur des
représailles, à l'adopter se sentiront enfin libres de se lancer.
Il
ne faut pourtant pas compter que cessent totalement, à partir de
cette rentrée, les intimidations de la part des partisans des
méthodes «mixtes». Tandis que certains formateurs, conseillers
pédagogiques ou inspecteurs se contenteront de relayer la circulaire
sans prendre parti, ceux d'entre eux qui, depuis trente ans, se sont
engagés dans la bataille pour la méthode mixte et contre la méthode
alphabétique, et qui doivent parfois leur carrière au fait d'avoir
défendu ces positions, ne se laisseront pas menacer leur pouvoir
aussi facilement. La preuve en est la brochure diffusée à cinq cent
mille exemplaires une première ! cette rentrée par divers
syndicats, véritable manifeste en faveur des méthodes «mixtes» et
contre les méthodes alphabétiques.
On
ne lève pas un lièvre sans provoquer d'effervescence. Si la guerre
des méthodes était gelée depuis trente ans par les partisans des
méthodes «mixtes» qui contraignaient leurs adversaires au silence,
elle vient aujourd'hui, grâce à la circulaire Robien, de commencer
réellement. Les «assiégés» peuvent se montrer virulents et prêts
à un long combat.
Par
Rachel Boutonnet, professeur des écoles, membre du groupement de
réflexion interdisciplinaire sur les programmes, et auteur
du Journal d'une institutrice clandestine et de Pourquoi et
comment j'enseigne le b.a.ba (Ramsay).
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