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3 novembre 2013

"Je suis toujours maîtresse d'école". Une réflexion sur la "refondation", par Catherine Huby.


"Je suis toujours maîtresse d'école". Une réflexion sur la "refondation" , par Catherine Huby (forum Neoprofs)

Par Catherine HUBY, Professeur des Ecoles, directrice de l’école primaire publique de Saint Pantaléon les Vignes, membre du CA du GRIP*, syndiquée au Snudi-FO-Drôme.

Des journées trop longues

L’an dernier, quand on a commencé à nous expliquer que les élèves français avaient des journées trop longues et qu’il convenait d’étaler sur quatre journées et demie les heures de classe pour les faire finir plus tôt, nous, les instits, nous avons tiré une première fois la sonnette d’alarme.

Pour nous, il était évident que, même si on ne nous faisait plus faire que 2 h 22 min de classe par jour, réparties sur les 365 jours de l’année - j’ai compté, ça colle - nos élèves continueraient pour certains d’entre eux à vivre de 7 heures 30 le matin à 19 heures le soir en collectivité, dans les locaux scolaires ou ceux d’un centre de loisirs, tout simplement parce que leurs familles n’étaient pas disponibles pour les déposer plus tard et les récupérer plus tôt.

De mauvais pressentiments

Quand on nous a ajouté que ce n’était pas grave car les communes allaient organiser des ateliers ludico-artistico-sportifs qui délasseraient nos petits élèves du dur labeur intellectuel auquel nous les soumettions, nous avons encore été nombreux à protester.

Nous pressentions que nombreuses seraient les communes qui ne pourraient organiser ces ateliers, pour des raisons financières, organisationnelles ou tout simplement par impossibilité à recruter de la main-d’œuvre qualifiée dans un secteur proche de l’école pour des durées aussi limitées. Même si nous ressentions parfois dans nos écoles la fatigue de nos élèves en fin d’après-midi, nous ne voyions pas comment cet éparpillement des enfants dans des « clubs » ayant lieu dans leurs classes mêmes, mais avec un autre personnel, allait les détendre mieux et plus que les activités ludico-artistico-sportives que nous organisions nous-mêmes, avec nos propres élèves, dans nos propres classes, afin de satisfaire aux exigences des programmes scolaires.

Nous pressentions aussi que nos maires n’étaient pas tous des spécialistes de l’enfance et qu’ils auraient sans doute beaucoup de mal à sélectionner de vraies activités enrichissantes, prévues sur un rythme compatible avec les rythmes enfantins, avec du personnel formé à programmer sur le long terme un véritable projet pédagogique : 36 semaines de macramé, c’est très long… et je ne parle pas des 36 semaines de bénévolat auxquelles se sont inscrites des mamies amatrices de maquillage festif ! Sans compter les activités de repli à prévoir s’il pleut, s’il neige, s’il gèle à pierre fendre ou tout simplement si ce coquin de soleil éteint ses derniers feux vers 17 h, comme il a l’habitude de le faire tous les ans depuis ma naissance dans ma région entre le 1er décembre et le 31 janvier…

Nous pressentions aussi que, même si nos élèves sont pour la plupart très gentils et très bien élevés, leur faire une petite place dans nos classes en notre absence, sous la houlette d’un animateur qui ne les connaît pas, risquait parfois de poser quelques petits problèmes de cohabitation. Un cahier qui tombe d’un bureau, une peinture qui n’a pas fini de sécher à 15 h 15, un texte commencé au tableau à finir le lendemain, un affichage qui se décolle un peu, c’est tentant pour un groupe d’enfants, même très bien élevés et très bien encadrés… Sans compter que cela complique le travail du pauvre animateur qui lui aussi a besoin d’un espace consacré à son propre travail.

Nous pressentions, et ça, cela pourrait bien tourner à l’avantage de l’École et de sa véritable Refondation, que les parents ne seraient pas dupes bien longtemps. Même si certains, l’an dernier, s’étaient laissé charmer par les annonces mirobolantes où les cours de guitare à cheval sur un poney concurrençaient les sorties en Optimist dans le Vieux Port ou bien l’apprentissage accéléré du mandarin en six semaines chrono ! Ils se rendraient bien vite compte que non, finalement, la qualité n’était pas au rendez-vous. Ils en viendraient même à regretter les Professeurs des Écoles qui, même s’ils avaient leurs défauts, avaient aussi le mérite de remplir un cahier d’appel, de compter leurs ouailles avant de les faire monter dans le car et de prévoir qu’un jour de pluie, il ne convient pas de prolonger au-delà d’une certaine limite une récréation dans un préau bruyant au sol rendu glissant par 300 paires de pieds d’enfants surexcités !

Nous avons même été quelques-uns, et je faisais partie de ceux-là[1], à récriminer contre le « recentrage sur les fondamentaux » que préconisait notre Ministre. Nous étions maîtres et maîtresses d’école et nous tenions à garder toutes les matières inscrites aux programmes de l’Éducation Nationale ! Pas question de nous transformer en répétiteurs de français et de mathématiques cinq matinées par semaine et de n’avoir plus pour tout le reste que neuf heures réparties en quatre courts après-midis ! Nous voulions que nos leçons d’histoire, de géographie et de sciences mais aussi nos séances d’éducation physique et sportive, de musique et d’arts visuels restent au service les unes des autres et puissent aussi souvent que possible servir de liant pour faire prendre la mayonnaise des progrès de nos élèves en français et en mathématiques…

Et je crois même que nous avions supputé que pour nos tout-petits de maternelle, ceux qui passent encore une partie de l’après-midi à dormir, ceux qui ont besoin d’un référent unique qui les fasse passer à leur rythme de la « douce chaleur de la famille » au monde moins feutré de l’école, ce serait très difficile et sans doute très déstabilisant… Et encore une fois bingo !

État des lieux très mitigé après sept semaines d’expérimentation

Cette prémonition-là, je me serais bien passée de la voir se réaliser ! Je suis encore et toujours maîtresse d’école et même si le monde moins feutré que j’organise est aussi moins doux et moins chaud qu’une famille, il n’empêche que j’étais émue aux larmes quand j’ai vu ce reportage où un ASEM parisienne retirait les petites couvertures des lits d’enfants endormis pour que la sensation de fraîcheur les réveille ! Et je me suis encore émue lorsque ces petits bouts pleuraient, ne comprenant pas pourquoi « Maîtresse » les avait fait lever puisqu’ensuite elle les poussait hors du nid à la suite d’animatrices sans doute dévouées et chaleureuses, mais qui n’étaient pas « Maîtresse » !

Quant aux élèves de Grande Section qu’on voyait ensuite pratiquer le chant grâce à une animatrice et à son piano électronique, cela ne m’a en aucun cas bluffée comme le présentateur du JT ! J’ai bénéficié du même service, toutes les fins d’après-midis, en l’an de grâce 1962, lorsque j’étais enfant à l’école maternelle du Centre, à Saint Cloud (Seine et Oise) ! Le piano était juste remplacé par un guide-chant et l’animatrice par une institutrice titulaire formée à l’École Normale d’Institutrices de … Alors franchement, ne me faites pas rire ! Vos activités de fin de soirée, on sait bien qu’elles n’ont de ludico-artistico-sportifs que le chiffre que l’on inscrit à la fin du mois sur le bulletin de paie de leurs animateurs et le titre du bailleur de fonds qui les rémunère…

Un peu partout, des voix s’élèvent. Ce sont les voix des expérimentateurs eux-mêmes, des parents, des enfants, des animateurs, des maires, des directeurs d’école, des syndicats d’enseignants. La mise en place est difficile, les enfants n’y trouvent pas leur compte, les familles non plus. Les animateurs se désespèrent, ils reconnaissent leurs limites et demandent à ce qu’on les aide. Des maires reculent, d’autres demandent un nouveau report, d’autres enfin cherchent à savoir comment ils pourraient carrément se dispenser d’appliquer une réforme qui leur paraît mauvaise. Des directeurs d’école, embarqués dans le bateau plus ou moins de force, écrivent à leurs supérieurs pour leur faire un bilan sans appel de ce qui se passe chez eux, dans leurs écoles. Enfin, la plupart des syndicats appellent à remettre la copie sur la table et à tout suspendre.

RE - fonder l’école vraiment

Si nos élèves ont besoin de quelque chose, c’est de temps construit, sous la houlette d’un référent qui les connaît, de temps riche et varié qui mettra les disciplines scolaires au service les unes des autres.

Et si cette réforme est mauvaise, c’est qu’elle n’a pas su rendre aux élèves le temps qui leur avait été volé cinq ans plus tôt. Jusque là, ils avaient 26 heures de classe par semaine. Ce temps était déjà un peu court et déjà désorganisé et « flottant » depuis qu’on leur avait volé une heure du samedi pour la donner à des instituteurs qui souvent ne la réclamaient pas. Cela les avait privés d’un samedi sur trois et avait rendu ces journées-là équivoques : temps scolaire ou temps de loisirs ?

Le ver était ainsi entré dans le fruit et avait conforté les familles dans l’idée que l’école était une garderie qu’il importait de conserver lorsqu’on en avait besoin mais qu’on pouvait oublier quand on avait mieux à faire.

Il aurait fallu RE - fonder l’École et on l’a DÉ - foncée un peu plus !

Il aurait fallu prendre à bras le corps le problème de ces enfants levés tôt et couchés tard, on a caché la poussière sous le tapis en les inscrivant au maquillage festif et au macramé !

Il aurait fallu prendre le temps de chercher pourquoi nos élèves étaient épuisés, pourquoi nos petits bouts de maternelle n’arrivaient pas, en trois à quatre années de classe, à parler, écouter, sentir, observer, manipuler objets et instruments scripteurs suffisamment bien pour entrer au CP confiants, pourquoi les méthodes qu’on nous propose obstinément depuis plus de trente ans n’avaient pas tenu les promesses que nous avaient faites leurs concepteurs, pourquoi ce temps enlevé avait précipité les plus fragiles d’entre eux dans un échec scolaire encore plus profond, malgré le cautère sur une jambe de bois que constituait l’Aide Personnalisée.

Il aurait fallu avoir le courage de ramer à contre-courant et d’avouer que cette réforme n’était en aucun cas guidée par un quelconque « intérêt de l’enfant » et que la preuve en était que, dès le début, on avait demandé aux spécialistes de l’enfance en collectivité, les professeurs des écoles, de se taire et de laisser parler ceux qui n’avaient jamais vécu ne serait-ce qu’une année scolaire dans une école. Les « spécialistes », c’étaient ceux qui n’avaient jamais été responsables d’une classe de vingt à trente enfants auxquels ils auraient dû fournir une éducation complète. Les « spécialistes » n’avaient jamais lu les programmes et faisaient semblant d’ignorer que la lecture y côtoyait l’écoute musicale, que le chant y voisinait avec les mathématiques, que les mathématiques y amenaient à la lecture de cartes, la lecture de cartes au dessin, le dessin à l’écriture et l’écriture à la lecture en passant par l’apprentissage de la vie en société et tout ce qui l’accompagne.

À défaut d’empêcher qu’on réveille des petits enfants de trois ans pour les envoyer jouer aux légos de force, cela aurait au moins eu le mérite d’être honnête !

Abrogation !

Quant à ce décret en lui-même dont la souplesse devait tout permettre, pour les petits de maternelle, pour leurs grands frères et grandes sœurs d’élémentaire, actuellement comme l’an dernier, le vrai courage serait de l’abroger.

Le deuxième courage serait d’arrêter d’annualiser une partie du temps des Professeurs des Écoles et de rendre les 108 heures volées aux élèves et à leur enseignement afin qu’ils bénéficient à nouveau de 27 heures de classe par semaine.

Et le troisième courage serait de revaloriser cette profession à la hauteur des services qu’elle rend au pays tout entier, tant en lui donnant des salaires décents (voir la place de la France dans l’échelle des rémunérations des enseignants du Primaire dans les pays développés) qu’en lui fournissant une formation professionnelle complète et dénuée de parti-pris.

Un quatrième tout petit courage serait d’ouvrir plus grand la porte des expérimentations, même mal perçues par les concepteurs des trente à quarante dernières années, de les aider à proposer des formations, de publier leurs résultats et d’oser prendre les décisions qui s’imposeraient d’elles-mêmes…

[1] Voir http://education.blog.lemonde.fr/2013/02/14/mon-metier-a-moi-cest-maitresse-decole/

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D'autres textes de Catherine Huby : voir ici.

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