Quelques sauvegardes pour plus tard...
La mosquée Al-Nouri de Mossoul, emblème de la ville mais
aussi des djihadistes
La perspective de voir les forces irakiennes parader dans la
mosquée a pu paraître insupportable aux yeux de l’EI, qui a détruit le monument
mercredi soir.
LE MONDE | 22.06.2017 à 15h39 • Mis à jour le 22.06.2017 à
17h32 |
Par Madjid Zerrouky
En réduisant en poussière la mosquée Al-Nouri et son célèbre
minaret incliné datant du XIIe siècle, l’organisation Etat islamique (EI), qui
avait certainement miné le monument, aura non seulement détruit un édifice qui
a « traversé toutes les guerres et toutes les invasions », selon la formule
d’un historien mossouliote, mais également effacer une partie de ses propres
références. C’est notamment là que l’autoproclamé calife Abou Bakr Al-Baghdadi
avait fait son unique apparition publique, le 4 juillet 2014.
Un choix qui ne doit rien au hasard : d’Al-Qaida à l’Etat
islamique, du Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, le père fondateur du djihad
irakien des années 2000 aujourd’hui vénéré par l’EI, à Al-Baghdadi, bien des
chemins mènent à Mossoul et à sa célèbre mosquée.
Plus que la chute de la ville, la perspective de voir les
forces irakiennes parader dans la mosquée Al-Nouri, d’où elles auraient pu
décréter Mossoul libéré, a pu paraître insupportable aux yeux de l’EI, car elle
aurait également signifié l’enterrement symbolique du grand dessein
d’Al-Zarkaoui. Le Jordanien, qui souhaitait faire de l’Irak le point de départ
d’une offensive djihadiste qui emporterait les Etats de la région, avait érigé
au rang de mythe fondateur la reconquête musulmane du XIIe siècle face aux
croisés – les Occidentaux d’aujourd’hui étant pour les djihadistes les croisés
d’hier.
Parmi les figures de cette reconquête : Saladin et, avant
lui, Noureddine Al-Zinki, qui, peu de temps avant sa mort, ordonna la
construction de la mosquée Al-Nouri à Mossoul en 1171.
Dans une biographie consacrée à Abou Moussab Al-Zarkaoui,
Saif Al-Adel, ancien émir par intérim d’Al-Qaida entre la mort d’Oussama Ben
Laden et l’intronisation d’Ayman Al-Zawahiri, avait pointé en juin 2009
l’attrait qu’exerçait Mossoul sur le Jordanien : « Il était fasciné par
Noureddine Al-Zinki, un leader islamique distingué qui a dirigé la campagne de
libération des terres musulmanes. Une campagne qui a été menée jusqu’à la
victoire par Salah-Al-Din Al-Ayyubi [Saladin]. Abou Moussab demandait toujours
s’il y avait des ouvrages disponibles qui avaient été consacrés à Noureddine
Al-Zinki et à Saladin. Je pense que les livres qu’il a lus sur Al-Zinki, qui a
lancé sa campagne à partir de Mossoul, ont influencé son choix de s’établir en
Irak après la chute de l’émirat islamique d’Afghanistan [le régime des talibans
en 2001]. »
Né à Tikrit, à 200 kilomètres de Mossoul, Saladin, qui
reprit Jérusalem aux Francs en 1187, est lui aussi un personnage récurrent de
la propagande de l’EI, qui le célèbre en puisant notamment dans des références
a priori bien éloignées des canons théologiques du mouvement : Hollywood et le
film Kingdom of Heaven, réalisé en 2004 par Ridley Scott, dont l’EI a repris à
de nombreuses longues séquences pour les insérer dans ses vidéos de propagande.
Entre 2004 et 2008, au plus fort de l’insurrection
anti-américaine en Irak, une grande partie de Mossoul va passer sous le
contrôle de facto d’une rébellion à dominante djihadiste qui donnera naissance
à l’EI quelques années plus tard.
C’est dire si le lieu choisi par Abou Bakr Al-Baghdadi pour
son sermon du 4 juillet 2014 était symbolique. Il annonçait ainsi, tel un
Al-Zinki ou un Saladin contemporain, l’imminence d’une réunification de Mossoul
et d’Alep sous la bannière de son nouveau califat et parachevait le récent
projet d’Al-Zarkaoui, la fonction de calife en plus. En attendant de prendre
Bagdad, l’ancienne capitale du califat abbasside et cible ultime de l’EI, lors
de son offensive de l’été 2014.
L’Etat islamique fait exploser la mosquée Al-Nouri, emblème
historique de Mossoul
Les troupes irakiennes rencontrent une résistance acharnée
des djihadistes, retranchés dans le dédale de ruelles de la vieille ville.
LE MONDE | 22.06.2017 à 06h48 • Mis à jour le 22.06.2017 à
15h22 |
Par Hélène Sallon (Mossoul, Irak, envoyée spéciale)
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Un emblème historique est parti en fumée : la mosquée
Al-Nouri, du XIIe siècle, avec son célèbre minaret incliné, a été détruite,
mercredi 21 juin au soir, à Mossoul. Les forces antiterroristes irakiennes
venaient d’atteindre le dernier immeuble faisant face à la mosquée, au cœur de
la vieille ville. Une rue – cinquante petits mètres – les séparait du site où
le « calife » autoproclamé de l’organisation Etat islamique (EI), Abou Bakr
Al-Baghdadi, avait fait son unique apparition publique le 4 juillet 2014.
Guerre de communiqués
Les généraux et les commandants irakiens étaient réunis pour
préparer cette bataille tant attendue depuis le début des combats, fin 2016,
dans la grande métropole du nord de l’Irak. Elle devait marquer l’effondrement
symbolique du califat de l’EI. La nouvelle leur est parvenue peu après 22
heures. Les images, prises par un drone de la coalition, sont sans appel : la
mosquée, avec son célèbre minaret, surnommé « Al-Hadba » (« la bossue ») par
les Mossouliotes, a été réduite en poussière. L’édifice et son voisinage ont
été littéralement rasés, ce qui suggère le déclenchement – voulu ou accidentel
– simultané d’explosifs. Les alertes s’étaient multipliées récemment, qui
évoquaient la possibilité que la zone eût été minée.
« Daech a commis un nouveau crime historique en faisant
exploser la mosquée Al-Nouri et la Hadba », s’est empressé de communiquer le
responsable de l’offensive de Mossoul, le général Abdoulamir Yarallah,
devançant les accusations de l’EI. Par la voix de son agence de propagande
Aamaq, le groupe djihadiste a imputé la responsabilité de ces destructions à
l’aviation américaine. « Cette nouvelle destruction creuse les blessures d’une
société déjà affectée par une tragédie humanitaire sans précédent », a commenté
jeudi la directrice générale de l’Unesco.
Lire aussi : Les forces irakiennes ont lancé l’assaut sur
la vieille ville de Mossoul
Les responsables de la coalition anti-EI ont dû multiplier
les démentis pour tenter de désamorcer une polémique à même de fédérer la
colère de millions de musulmans sunnites, au moment même où ils célébraient la
nuit du destin, au cours de laquelle, selon la tradition, l’ange Gabriel a
révélé le Coran au prophète Mahomet.
« Nous n’avons pas conduit de frappes dans cette zone à ce
moment-là », a expliqué le colonel Ryan Dillon, porte-parole de la coalition. «
Je peux vous assurer que ce n’est pas une frappe. La mosquée Al-Nouri fait
partie des sites désignés par le premier ministre irakien comme ne pouvant pas
être ciblés. Même si quinze combattants de Daech s’y trouvent, nous ne pouvons
pas opérer sur ce secteur », a abondé auprès du Monde une source au sein de la
coalition.
Réactions indignées
Les images de la mosquée détruite ont fait le tour de la
Toile, suscitant des réactions indignées. « Elle a traversé toutes les guerres
et toutes les invasions, pour être détruite par l’EI… L’EI a tout simplement
détruit Mossoul aujourd’hui », a réagi sur Twitter le blogueur anonyme Mosul
Eye, un historien mossouliote indépendant.
Du haut de ses 45 mètres, le minaret penché, décoré de
motifs géométriques, était le symbole de la ville, imprimé sur les billets de
10 000 dinars irakiens, et le seul vestige de la mosquée construite en 1172 par
Noureddine Al-Zinki, l’unificateur de la Syrie et une figure de la résistance
aux croisades, contre lesquelles il fut le premier à déclarer le djihad. Le
reste du site avait été reconstruit en 1942 après sa destruction.
La grande mosquée Al-Nouri, avec son minaret penché, vue
depuis une position avancée des forces spéciales irakiennes, à Mossoul (Irak),
le 19 juin.
Après avoir conquis Mossoul en juin 2014, les djihadistes de
l’EI avaient envisagé de détruire Al-Hadba, comme de nombreux édifices
historiques ou religieux de la ville, jugés « idolâtres ». Les habitants les en
avaient empêchés en formant une chaîne humaine. Un drapeau noir flottant à son
sommet, le minaret est devenu un symbole de leur règne.
« L’Etat islamique les a détruits par fierté »
Début juin 2017, les djihadistes avaient fait évacuer le
site et ses environs pour préparer l’ultime bataille, selon les témoignages
d’habitants. Les archéologues craignaient ces combats destructeurs autour de la
mosquée Al-Nouri et notamment d’Al-Hadba, déjà menacée d’écroulement. Et ce
d’autant plus que l’EI n’a jamais hésité à utiliser les mosquées à des fins
militaires lors des précédentes batailles urbaines en Irak ou en Syrie, y
aménageant des positions de tir ou y entreposant des munitions.
Lire aussi : Les damnés de Mossoul
« L’EI l’a détruite par fierté. Abou Bakr Al-Baghdadi a été
le premier chef djihadiste à faire un discours public et médiatisé dans un lieu
aussi symbolique. Daech ne voulait pas voir les forces irakiennes reconquérir
la mosquée et y parader », analyse le colonel Arkan.
La destruction du site ôte aux forces irakiennes le lieu
emblématique où elles entendaient acter leur victoire à Mossoul. Mais, pour le
premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, sa destruction n’en est pas moins «
une déclaration officielle de défaite » du groupe djihadiste.
La bataille se poursuit pour les différentes forces
irakiennes à l’offensive. « On va pouvoir reprendre le reste de la vieille
ville sans courir », poursuit le colonel Arkan. Depuis que l’assaut final a été
déclenché sur la vieille ville, le 18 juin, les troupes font face à une
résistance acharnée de la part des quelques centaines de djihadistes retranchés
dans ce dédale de ruelles et de passages, truffé de pièges explosifs, où
pourraient encore se trouver, selon les Nations unies, près de 100 000 civils.
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