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21 septembre 2011

LA COMPOSITION FRANCAISE A L’ECOLE PRIMAIRE


Nos rapports avec nos semblables nous mettent dans l’obligation de leur communiquer nos pensées, nos sentiments. Apprendre à classer nos idées, et à les présenter dans un certain ordre, à faire connaître les diverses nuances de nos pensées, tel est le but de la composition française.
Elle est, pour l’éducation de la pensée, la plus féconde discipline intellectuelle. « C’est l’exercice capital et complet de l’intelligence. » (Jules Payot)

I – Différence entre Composition et Rédaction
On confond trop souvent la rédaction avec la C. F. Si les deux exercices sont connexes et se complètent mutuellement, ils n’en sont pas moins très différents.
Dans la rédaction, soit qu’on demande à l’élève de parler d’un sujet qui lui est familier ou d’un fait dont il a été témoin et dont toutes les circonstances lui sont par conséquent connues, soit surtout qu’on lui donne à reproduire une leçon quelconque du programme que le maître a développée précédemment dans un ordre méthodique, l’effort se borne presque à habiller, pour ainsi dire, chaque idée, à lui donner une forme correcte, construite d’après les règles grammaticales, en veillant à la précision et à l’exactitude des termes employés.
Dans la composition française, il y a plus à faire : le sujet est plus abstrait. L’élève, avant de rédiger, doit trouver toutes les idées qui s’y rattachent de près ou de loin, en faire la sélection, les classer dans un ordre logique et donner à chacune l’importance qui convient, suivant qu’elle est principale ou secondaire.
L’élève, enfin, doit faire œuvre d’invention d’abord, de composition ensuite, et terminer par la rédaction proprement dite. On voit, d’après cela, que la C. F. est difficilement accessible aux enfants, et qu’on ne peut l’aborder que dans la deuxième année du Cours Moyen. Il est une autre raison qui explique l’insuffisance des élèves pour la C. F. : les maîtres manquent de méthode. C’est surtout pour cet exercice qu’il faut appliquer le principe de Spencer : « il faut aller du simple au composé. »

II - Phases de la composition française
Afin de mieux comprendre ce que doit être la C. F. à l’école primaire, examinons d’abord ses trois étapes successives. Ancrées au plus profond de la rhétorique, elles constituent respectivement la reprise des trois parties majeures de l’éloquence, définie comme science de bien parler, à savoir :
-        1) l’invention, ou recherche des idées ;
-          2) la disposition, ou classement des idées dans un ordre convenable ;
-          3) l’élocution, ou art d’expliquer clairement et correctement les idées.

" INVENTIO "
La C. F. ne peut être abordée sans une préparation lointaine. Les mots étant les matériaux qui servent à exprimer les pensées, il est évident que l’enfant aura d’autant plus de facilité pour rendre ce qu’il veut dire sous la forme la plus exacte, la plus complète, la plus heureuse, qu’il disposera de matériaux plus abondants. Mais, pour enrichir le vocabulaire de l’enfant, il faut d’abord, et c’est la base fondamentale, lui donner des idées générales, car les mots sont inséparables des idées.
L’enfant ne retient les noms que des choses dont il a pris connaissance ; celui-là dispose d’autant plus de mots qu’il a conçu plus d’idées. Mais, ces idées, nous ne devons pas les lui apprendre, nous devons les lui faire trouver. Spencer l’a d’ailleurs bien dit dans son livre De l’éducation intellectuelle : « Il faut apprendre le moins possible et faire trouver le plus possible. » Et de là, nous comprenons facilement l’importance des leçons de choses et des exercices de vocabulaire, qui, en enrichissant le langage de l’enfant, étendent son horizon intellectuel.

" DISPOSITIO "
Il ne suffit pas de donner à l’enfant de nombreuses idées, il faut encore lui donner la notion de l’ordre et du goût. Pour cela, l’exemple du maître est fort efficace. Non seulement toutes les leçons seront faites d’après un plan logique et clair, mais encore l’ordre matériel sera scrupuleusement observé. Faisons en sorte que tous les objets de la classe soient rangés avec goût et symétrie, que les cahiers soient d’une propreté irréprochable et contiennent des devoirs bien disposés. En outre, des gravures bien faites sont capables de donner aux tout petits la notion de l’ordre et du goût.
Pour les grands élèves, l’éducateur peut demander dans quel ordre il convient de disposer différentes idées, et il donne les raisons pour lesquelles il faut commencer par celle-ci, terminer par celle-là, interposer entre elles, dans un ordre déterminé, les autres idées qui ont été reconnues propres à rentrer dans le devoir. Cet exercice trouvera surtout une grande application dans les leçons de lecture expliquée, où le maître pourra donner facilement aux enfants la charpente du morceau choisi. 

" ELOCUTIO "
Les idées étant cherchées et groupées, il faut encore les exprimer clairement et correctement. C’est là la troisième phase de la C. F. : l’élocution. L’étude de la langue est surtout pénible et difficile dans les campagnes, où les enfants ne connaissent d’autres langues que le patois. L’instituteur doit commencer par bannir complètement ce dialecte de l’école, et s’efforcer de faire parler l’enfant autant que possible. C’est un des avantages, et non le moindre, de la méthode socratique que de forcer les enfants à parler. Ils ne répondent pas volontiers aux questions qui leur sont posées ; plus généralement encore, leurs réponses sont vagues, et leur langage incorrect – raison de plus pour combattre ce mutisme, complice commode d’une fâcheuse indifférence – et pour leur donner l’habitude de s’exprimer avec précision et correction, ne nous contentons pas de réponses monosyllabiques ou trop brèves, exigeons des phrases complètes.
De là, à la composition proprement dite, il y a loin assurément. Mais, dès ce moment, la difficulté fondamentale sera vaincue, car dans ce travail purement oral encore, l’enfant aura commencé à se faire une idée des éléments d’une pensée et des formes qui donnent à la pensée son expression. Il aura fait effort, il aura réfléchi pour trouver et rendre une observation, un sentiment.
Mais, pour donner à l’enfant une conception exacte des éléments de la phrase, il faut surtout faire des analyses grammaticales et logiques, et de nombreux exercices de vocabulaire. Si beaucoup d’élèves ne savent pas composer des phrases entières, c’est parce qu’on a négligé ces exercices, qui sont la base fondamentale de l’élocution.
Et enfin, pour que cet enseignement ne soit pas trop aride et de forme trop spéciale, complétons-le de nombreuses lectures, faites par le maître ou librement consenties par l’élève. Sur les textes, on rencontre des expressions figurées, parfois des finesses, des allusions, des rapports à établir avec les idées antérieurement exprimées. Et tout cela est fort précieux pour le langage de nos enfants. Enfin, la lecture est excellente parce qu’elle nous amène à l’usage du dictionnaire. L’enfant doit en effet chercher la signification de tous les mots nouveaux qu’il trouve sur son livre.


III - L’enseignement direct de la C. F.
Nous avons vu combien la C. F. est complexe et difficile, puisque, avant même d’exprimer ce que l’on veut dire, il faut d’abord l’imaginer et le coordonner. Aussi les enfants ont besoin d’être dirigés pas à pas, d’où la nécessité d’une bonne méthode.


1) Pour la section enfantine : c’est-à-dire pour les enfants de 5 à 7 ans, nous nous bornerons d’abord à l’étude du mot. Nous ferons de nombreux exercices oraux, où nous inviterons l’enfant à s’observer lui-même. Plus tard, nous passerons à l’observation des objets qui l’entourent (mobilier scolaire ou gravures claires), et nous lui ferons des phrases orales fort courtes. Nous pouvons même donner aux tout petits la notion du classement. Dans les diverses leçons, nous pouvons faire grouper bon nombre d’objets, d’après leurs dimensions, leur poids ou leur volume.


2) Au cours élémentaire : la phrase sera exclusivement étudiée. On habituera l’enfant à s’observer lui-même, à se servir méthodiquement de ses sens pour étudier, d’abord les objets qui l’entourent, ensuite les êtres vivants et les manifestations de la vie chez ces êtres. Nous continuerons, en même temps, de donner, d’une façon plus précise, la notion du classement.


3) Au cours moyen : les ressources du vocabulaire s’enrichissant avec celles de l’esprit, l’enfant passera aisément de la proposition simple à une proposition plus complexe, puis à la liaison de deux propositions. Nous obtiendrons déjà des phrases assez complexes et, peu à peu, nous arrivons à la composition du paragraphe. 


Le paragraphe est le développement d’une même idée en plusieurs phrases (ex. composer un paragraphe sur l’origine de la table d’école). Et ce n’est qu’après avoir donné aux élèves une idée exacte de ce que doit être le paragraphe, que nous arrivons à la C. F. proprement dite. 


Le sujet donné sera accompagné d’un canevas indiquant, avec des numéros, les idées à développer, c’est-à-dire les paragraphes à faire. Ce canevas sera composé par les élèves eux-mêmes sous la direction du maître, dans un exercice oral préalable. Tous les élèves doivent participer à cette rédaction orale. Par de nombreuses questions, ils sont amenés à donner chacun une idée, que l’éducateur approuve ou rejette. Chaque idée acceptée est notée au tableau noir. Les élèves rédigent ensuite un brouillon.


Cette méthode est excellente, sans doute, car elle met bien les élèves en possession de leur sujet. Mais il est à craindre que les devoirs n’aient plus un caractère original. Il faut donner à l’enfant assez d’initiative pour l’inviter à s’interroger lui-même, et dire ce qu’il pense au sujet des êtres et des choses observées.


Qu’il fasse part des sentiments qui s’éveillent en lui, des résolutions qu’il prend, il parviendra ainsi à lire dans sa conscience, et à fournir un devoir sincère. Il va sans dire que cette préparation du sujet, qui, au début, l’embrasse tout entier, devient progressivement moins détaillée. Peu à peu, les élèves doivent substituer à des idées trouvées des idées qui leur seront propres, car il faut mettre en œuvre leur personnalité.

IV - Choix et gradation des sujets

Les sujets à donner ne peuvent être pris au hasard : ils doivent être gradués, et, par conséquent, soigneusement choisis. Nous donnerons d’abord des sujets faisant appel à
(1) la mémoire, (2) l’observation directe, (3) l’observation indirecte, (4) l’imagination.
Il faut exclure les proverbes pour lesquels les élèves ont des idées vagues et atrocement banales.

 V - La correction

Il nous reste maintenant à nous occuper de la correction des devoirs, qui doit se faire en dehors des heures de classe. Il faut entendre par là l’examen que doit faire le maître du travail de chaque élève. Cet examen se traduira par une appréciation sommaire, visant le fond et la forme, ainsi que par une note chiffrée. Mais cet examen n’exclut pas la correction en classe, en présence des élèves ; au contraire, il le prépare et doit servir à la rendre plus fructueuse.

Ne corrigeons pas nous-mêmes les fautes contenues dans la C.F., fautes de grammaire, d’orthographe ou de ponctuation. Signalons-les simplement : l’élève, devant faire un nouvel effort pour les corriger, fournira un travail meilleur.
Ajoutons qu’il ne faut pas faire trop de corrections. 

Attachons-nous un jour aux fautes d’orthographe, le jour suivant, aux fautes de français.
La rédaction ainsi corrigée sera recopiée. L’instituteur, ayant pris connaissance de tous les devoirs des élèves, a noté les lacunes, les inutilités qui s’y trouvent ; il a remarqué les défauts d’ordre, les constructions ou les tours de phrase vicieux, l’impropriété de certains termes employés, les fautes d’orthographe. Il écrit les principales au tableau noir, sans en nommer l’auteur, de manière à attirer l’attention des fautifs, et de toute la classe en général. Enfin, un devoir sera écrit au tableau noir, et toute la classe participera à la correction.

Conclusions
Ainsi entendus, les exercices de composition contribueront à fortifier les plus solides qualités de l’esprit, à donner à l’enfant une conscience ferme et claire de soi-même, de ce qu’il sent et de ce qu’il pense, de ce qu’il a appris, de ses penchants et de ses devoirs. C’est à ces conditions que ces exercices peuvent être un des instruments d’éducation les plus sûrs et les plus puissants.

Récapitulons : 
1) La C. F. est l’exercice capital et complet de l’intelligence. Son but est d’habituer les élèves à exprimer correctement et clairement les idées qui naîtront, pour eux, des besoins et des circonstances de la vie journalière.
2) Tous les exercices de l’école peuvent et doivent préparer aux trois étapes de la C. F. :
  • invention : acquisition d’idées par tous les enseignements de l’école ;
  • disposition : donner aux enfants la notion et le goût de l’ordre ;
  • élocution : langage correct du maître et des élèves, goût de la lecture libre, analyse intelligente, exercices de vocabulaire et de conjugaison, explication des mots de la lecture, usage bien compris du dictionnaire.
3) La C. F. proprement dite ne peut être abordée utilement qu’au cours moyen.
  • Avec les élèves de la section enfantine, on fera principalement l’étude des mots (enfant lui-même, objets, gravures). Tous les exercices seront oraux.
  • Au cours élémentaire, on s’en tiendra à l’étude de la phrase. Les exercices seront tantôt oraux, tantôt écrits, avec prédominance de ces derniers.
  • Au cours moyen, on étudiera d’abord le paragraphe, qui est le développement logique, en plusieurs phrases, d’une seule idée ou d’un seul sentiment.
On abordera ensuite la C. F., qui est l’assemblage de plusieurs paragraphes. La recherche des idées et le plan seront, au début, faits en commun, avec la collaboration du maître. L’usage du brouillon est recommandé avant la rédaction du travail définitif.
4) Les sujets devront être gradués, et pris dans l’expérience des enfants. Ils pourront faire appel, soit à la mémoire, soit à l’observation directe ou indirecte, soit à l’imagination.
5) Les devoirs de C. F. seront toujours corrigés en dehors de la classe, et il en sera rendu compte en classe.
Pour la correction individuelle, au cours moyen, les fautes seront seulement soulignées, et les élèves auront à procéder eux-mêmes à la correction.
On procéder de même pour la correction collective, au tableau noir.
La correction de chaque devoir signalera, non seulement les passages défectueux, mais encore les passages à recommander, au point de vue du style et des idées. Elle se terminera par une appréciation sommaire, visant le fond et la forme, ainsi que par une note chiffrée.
M. Cabois - Inspecteur primaire

D'autres conférences sur le site de M. Mézailles, instituteur dans la région de Lourdes. Je vous recommande vivement de faire un petit tour sur sa page: Pédagogie et Scolarité à Lourdes au début du XXèmesiècle
  LES CONFERENCES DANS LEUR TEXTE :
ou ici sur le blog L'esprit d'observation 
ou ici sur le blog  La lecture expressive
18/10/1910: le calcul mental
18/10/1912: l'histoire
10/11/1913: la dictée
18/10/1920: l'hygiène
27/10/1921: le travail manuel
17/10/1925: l'orthographe
18/10/1926: la grammaire
26/10/1929: la réforme (b)
26/10/1929: l'école rurale


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