Nos rapports avec
nos semblables nous mettent dans l’obligation de leur communiquer nos pensées,
nos sentiments. Apprendre à classer nos idées, et à les présenter dans un
certain ordre, à faire connaître les diverses nuances de nos pensées, tel est
le but de la composition française.
Elle est, pour
l’éducation de la pensée, la plus féconde discipline intellectuelle.
« C’est l’exercice capital et complet de l’intelligence. » (Jules
Payot)
I
– Différence entre Composition et Rédaction
On confond trop souvent
la rédaction avec la C. F. Si les deux exercices sont connexes et se complètent
mutuellement, ils n’en sont pas moins très différents.
Dans la rédaction,
soit qu’on demande à l’élève de parler d’un sujet qui lui est familier ou d’un
fait dont il a été témoin et dont toutes les circonstances lui sont par
conséquent connues, soit surtout qu’on lui donne à reproduire une leçon
quelconque du programme que le maître a développée précédemment dans un ordre
méthodique, l’effort se borne presque à habiller, pour ainsi dire, chaque idée,
à lui donner une forme correcte, construite d’après les règles grammaticales,
en veillant à la précision et à l’exactitude des termes employés.
Dans la
composition française, il y a plus à faire : le sujet est plus abstrait. L’élève,
avant de rédiger, doit trouver toutes les idées qui s’y rattachent de près ou
de loin, en faire la sélection, les classer dans un ordre logique et donner à
chacune l’importance qui convient, suivant qu’elle est principale ou
secondaire.
L’élève, enfin,
doit faire œuvre d’invention d’abord, de composition ensuite, et terminer par
la rédaction proprement dite. On voit, d’après cela, que la C. F. est
difficilement accessible aux enfants, et qu’on ne peut l’aborder que dans la
deuxième année du Cours Moyen. Il est une autre raison qui explique
l’insuffisance des élèves pour la C. F. : les maîtres manquent de méthode.
C’est surtout pour cet exercice qu’il faut appliquer le principe de Spencer :
« il faut aller du simple au composé. »
II - Phases
de la composition française
Afin de mieux
comprendre ce que doit être la C. F. à l’école primaire, examinons d’abord ses
trois étapes successives. Ancrées au plus profond de la rhétorique, elles
constituent respectivement la reprise des trois parties majeures de
l’éloquence, définie comme science de bien parler, à savoir :
- 1) l’invention, ou recherche des idées ;
-
2) la disposition, ou classement des idées
dans un ordre convenable ;
-
3) l’élocution, ou art d’expliquer
clairement et correctement les idées.
" INVENTIO "
La C. F. ne peut
être abordée sans une préparation lointaine. Les mots étant les matériaux qui
servent à exprimer les pensées, il est évident que l’enfant aura d’autant plus
de facilité pour rendre ce qu’il veut dire sous la forme la plus exacte, la
plus complète, la plus heureuse, qu’il disposera de matériaux plus abondants.
Mais, pour enrichir le vocabulaire de l’enfant, il faut d’abord, et c’est la
base fondamentale, lui donner des idées générales, car les mots sont inséparables
des idées.
L’enfant ne
retient les noms que des choses dont il a pris connaissance ; celui-là dispose
d’autant plus de mots qu’il a conçu plus d’idées. Mais, ces idées, nous ne
devons pas les lui apprendre, nous devons les lui faire trouver. Spencer l’a
d’ailleurs bien dit dans son livre De
l’éducation intellectuelle : « Il faut apprendre le moins possible et
faire trouver le plus possible. » Et de là, nous comprenons facilement
l’importance des leçons de choses et des exercices de vocabulaire, qui, en
enrichissant le langage de l’enfant, étendent son horizon intellectuel.
" DISPOSITIO "
Il ne suffit pas
de donner à l’enfant de nombreuses idées, il faut encore lui donner la notion
de l’ordre et du goût. Pour cela, l’exemple du maître est fort efficace. Non
seulement toutes les leçons seront faites d’après un plan logique et clair,
mais encore l’ordre matériel sera scrupuleusement observé. Faisons en sorte que
tous les objets de la classe soient rangés avec goût et symétrie, que les
cahiers soient d’une propreté irréprochable et contiennent des devoirs bien
disposés. En outre, des gravures bien faites sont capables de donner aux tout
petits la notion de l’ordre et du goût.
Pour les grands
élèves, l’éducateur peut demander dans quel ordre il convient de disposer
différentes idées, et il donne les raisons pour lesquelles il faut commencer
par celle-ci, terminer par celle-là, interposer entre elles, dans un ordre
déterminé, les autres idées qui ont été reconnues propres à rentrer dans le
devoir. Cet exercice trouvera surtout une grande application dans les leçons de
lecture expliquée, où le maître pourra donner facilement aux enfants la
charpente du morceau choisi.
" ELOCUTIO "
Les idées étant
cherchées et groupées, il faut encore les exprimer clairement et correctement.
C’est là la troisième phase de la C. F. : l’élocution. L’étude de la langue est
surtout pénible et difficile dans les campagnes, où les enfants ne connaissent
d’autres langues que le patois. L’instituteur doit commencer par bannir
complètement ce dialecte de l’école, et s’efforcer de faire parler l’enfant
autant que possible. C’est un des avantages, et non le moindre, de la méthode
socratique que de forcer les enfants à parler. Ils ne répondent pas
volontiers aux questions qui leur sont posées ; plus généralement encore, leurs
réponses sont vagues, et leur langage incorrect – raison de plus pour combattre
ce mutisme, complice commode d’une fâcheuse indifférence – et pour leur donner
l’habitude de s’exprimer avec précision et correction, ne nous contentons pas
de réponses monosyllabiques ou trop brèves, exigeons des phrases complètes.
De là, à la
composition proprement dite, il y a loin assurément. Mais, dès ce moment, la
difficulté fondamentale sera vaincue, car dans ce travail purement oral encore,
l’enfant aura commencé à se faire une idée des éléments d’une pensée et des
formes qui donnent à la pensée son expression. Il aura fait effort, il aura réfléchi
pour trouver et rendre une observation, un sentiment.
Mais, pour donner
à l’enfant une conception exacte des éléments de la phrase, il faut surtout
faire des analyses
grammaticales et logiques, et de nombreux exercices de vocabulaire. Si
beaucoup d’élèves ne savent pas composer des phrases entières, c’est parce
qu’on a négligé ces exercices, qui sont la base fondamentale de l’élocution.
Et enfin, pour que
cet enseignement ne soit pas trop aride et de forme trop spéciale,
complétons-le de nombreuses
lectures, faites par le maître ou librement consenties par l’élève. Sur les
textes, on rencontre des expressions figurées, parfois des finesses, des
allusions, des rapports à établir avec les idées antérieurement exprimées. Et
tout cela est fort précieux pour le langage de nos enfants. Enfin, la lecture
est excellente parce qu’elle nous amène à l’usage du dictionnaire. L’enfant
doit en effet chercher la signification de tous les mots nouveaux qu’il trouve
sur son livre.
III -
L’enseignement direct de la C. F.
Nous avons vu
combien la C. F. est complexe et difficile, puisque, avant même d’exprimer ce
que l’on veut dire, il faut d’abord l’imaginer et le coordonner. Aussi les
enfants ont besoin d’être dirigés pas à pas, d’où la nécessité d’une bonne
méthode.
1) Pour la
section enfantine : c’est-à-dire
pour les enfants de 5 à 7 ans, nous nous bornerons d’abord à l’étude du mot.
Nous ferons de nombreux exercices oraux, où nous inviterons l’enfant à
s’observer lui-même. Plus tard, nous passerons à l’observation des objets qui
l’entourent (mobilier scolaire ou gravures claires), et nous lui ferons des
phrases orales fort courtes. Nous pouvons même donner aux tout petits la notion
du classement. Dans les diverses leçons, nous pouvons faire grouper bon nombre
d’objets, d’après leurs dimensions, leur poids ou leur volume.
2) Au cours
élémentaire : la phrase sera
exclusivement étudiée. On habituera l’enfant à s’observer lui-même, à se servir
méthodiquement de ses sens pour étudier, d’abord les objets qui l’entourent,
ensuite les êtres vivants et les manifestations de la vie chez ces êtres. Nous
continuerons, en même temps, de donner, d’une façon plus précise, la notion du
classement.
3) Au cours
moyen : les ressources du
vocabulaire s’enrichissant avec celles de l’esprit, l’enfant passera aisément
de la proposition simple à une proposition plus complexe, puis à la liaison de
deux propositions. Nous obtiendrons déjà des phrases assez complexes et, peu à
peu, nous arrivons à la composition du paragraphe.
Le paragraphe est le développement d’une
même idée en plusieurs phrases (ex. composer un paragraphe sur l’origine de la
table d’école). Et ce n’est qu’après avoir donné aux élèves une idée exacte de
ce que doit être le paragraphe, que nous arrivons à la C. F. proprement
dite.
Le sujet donné
sera accompagné d’un canevas indiquant, avec des numéros, les idées à
développer, c’est-à-dire les paragraphes à faire. Ce canevas sera composé par
les élèves eux-mêmes sous la direction du maître, dans un exercice oral
préalable. Tous les élèves doivent participer à cette rédaction orale. Par de
nombreuses questions, ils sont amenés à donner chacun une idée, que l’éducateur
approuve ou rejette. Chaque idée acceptée est notée au tableau noir. Les élèves
rédigent ensuite un brouillon.
Cette méthode est
excellente, sans doute, car elle met bien les élèves en possession de leur
sujet. Mais il est à craindre que les devoirs n’aient plus un caractère
original. Il faut donner à l’enfant assez d’initiative pour l’inviter à
s’interroger lui-même, et dire ce qu’il pense au sujet des êtres et des choses
observées.
Qu’il fasse part
des sentiments qui s’éveillent en lui, des résolutions qu’il prend, il
parviendra ainsi à lire dans sa conscience, et à fournir un devoir sincère. Il
va sans dire que cette préparation du sujet, qui, au début, l’embrasse tout
entier, devient progressivement moins détaillée. Peu à peu, les élèves doivent
substituer à des idées trouvées des idées qui leur seront propres, car il faut
mettre en œuvre leur personnalité.
IV - Choix
et gradation des sujets
Les sujets à
donner ne peuvent être pris au hasard : ils doivent être gradués, et, par
conséquent, soigneusement choisis. Nous donnerons d’abord des sujets faisant
appel à
(1) la mémoire,
(2) l’observation directe, (3) l’observation indirecte, (4) l’imagination.
Il faut exclure
les proverbes pour lesquels les élèves ont des idées vagues et atrocement
banales.
V - La
correction
Il nous reste
maintenant à nous occuper de la correction des devoirs, qui doit se faire en
dehors des heures de classe. Il faut entendre par là l’examen que doit faire le
maître du travail de chaque élève. Cet examen se traduira par une appréciation
sommaire, visant le fond et la forme, ainsi que par une note chiffrée. Mais cet
examen n’exclut pas la correction en classe, en présence des élèves ; au
contraire, il le prépare et doit servir à la rendre plus fructueuse.
Ne corrigeons pas
nous-mêmes les fautes contenues dans la C.F., fautes de grammaire,
d’orthographe ou de ponctuation. Signalons-les simplement : l’élève, devant
faire un nouvel effort pour les corriger, fournira un travail meilleur.
Ajoutons qu’il ne
faut pas faire trop de corrections.
Attachons-nous un
jour aux fautes d’orthographe, le jour suivant, aux fautes de français.
La rédaction ainsi
corrigée sera recopiée. L’instituteur, ayant pris connaissance de tous les
devoirs des élèves, a noté les lacunes, les inutilités qui s’y trouvent ; il a
remarqué les défauts d’ordre, les constructions ou les tours de phrase vicieux,
l’impropriété de certains termes employés, les fautes d’orthographe. Il écrit
les principales au tableau noir, sans en nommer l’auteur, de manière à attirer
l’attention des fautifs, et de toute la classe en général. Enfin, un devoir
sera écrit au tableau noir, et toute la classe participera à la correction.
Conclusions
Ainsi entendus,
les exercices de composition contribueront à fortifier les plus solides
qualités de l’esprit, à donner à l’enfant une conscience ferme et claire de
soi-même, de ce qu’il sent et de ce qu’il pense, de ce qu’il a appris, de ses
penchants et de ses devoirs. C’est à ces conditions que ces exercices peuvent
être un des instruments d’éducation les plus sûrs et les plus puissants.
Récapitulons :
1) La C. F. est
l’exercice capital et complet de l’intelligence. Son but est d’habituer les
élèves à exprimer correctement et clairement les idées qui naîtront, pour eux,
des besoins et des circonstances de la vie journalière.
2) Tous les
exercices de l’école peuvent et doivent préparer aux trois étapes de la C.
F. :
- invention : acquisition d’idées par tous les enseignements de l’école ;
- disposition : donner aux enfants la notion et le goût de l’ordre ;
- élocution : langage correct du maître et des élèves, goût de la lecture libre, analyse intelligente, exercices de vocabulaire et de conjugaison, explication des mots de la lecture, usage bien compris du dictionnaire.
3) La C. F.
proprement dite ne peut être abordée utilement qu’au cours moyen.
- Avec les élèves de la section enfantine, on fera principalement l’étude des mots (enfant lui-même, objets, gravures). Tous les exercices seront oraux.
- Au cours élémentaire, on s’en tiendra à l’étude de la phrase. Les exercices seront tantôt oraux, tantôt écrits, avec prédominance de ces derniers.
- Au cours moyen, on étudiera d’abord le paragraphe, qui est le développement logique, en plusieurs phrases, d’une seule idée ou d’un seul sentiment.
On abordera
ensuite la C. F., qui est l’assemblage de plusieurs paragraphes. La recherche
des idées et le plan seront, au début, faits en commun, avec la collaboration
du maître. L’usage du brouillon est recommandé avant la rédaction du travail
définitif.
4) Les sujets
devront être gradués, et pris dans l’expérience des enfants. Ils pourront faire
appel, soit à la mémoire, soit à l’observation directe ou indirecte, soit à
l’imagination.
5) Les devoirs de
C. F. seront toujours corrigés en dehors de la classe, et il en sera rendu
compte en classe.
Pour la correction
individuelle, au cours moyen, les fautes seront seulement soulignées, et les
élèves auront à procéder eux-mêmes à la correction.
On procéder de
même pour la correction collective, au tableau noir.
La correction de
chaque devoir signalera, non seulement les passages défectueux, mais encore les
passages à recommander, au point de vue du style et des idées. Elle se
terminera par une appréciation sommaire, visant le fond et la forme, ainsi que
par une note chiffrée.
M.
Cabois - Inspecteur primaire
D'autres
conférences sur le site de M. Mézailles, instituteur dans la région de Lourdes.
Je vous recommande vivement de faire un petit tour sur sa page: Pédagogie et Scolarité à
Lourdes au début du XXèmesiècle
LES CONFERENCES DANS LEUR TEXTE
:
18/10/1905: l'esprit
d'observation
ou ici sur le blog L'esprit
d'observation
18/10/1906: la lecture expressive
ou ici
sur le blog La
lecture expressive
18/10/1906: sylviculture et
pastoralisme
18/10/1907: l'action
éducative et morale
12/10/1909: la composition
française
18/10/1910: le calcul mental
18/10/1911: les sciences
physico-naturelles
18/10/1912: l'histoire
10/11/1913: la dictée
04/02/1920: le programme
de sciences
18/10/1920: l'hygiène
27/10/1921: le travail
manuel
17/10/1925: l'orthographe
18/10/1926: la grammaire
26/10/1929: la réforme (b)
26/10/1929: l'école rurale
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