17 septembre 2011

L’ESPRIT D’OBSERVATION, M. Baby



NATURE DE L’OBSERVATION
Qu’est-ce que l’esprit d’observation ? C’est une habitude intellectuelle qui nous porte à rechercher attentivement la nature et les usages des objets qui tombent sous nos sens. 
Observer, ce n’est pas se contenter de voir, d’écouter ; ces actes sont dépourvus de volonté ; ils restent souvent à l’état de sensations, d’actes inconscients. Il y a, en effet, une différence entre regarder et voir, entre entendre et écouter ; regarder et écouter sont des actes de perception consciente.

Il ne faut pas se contenter d’accumuler des sensations ; il faut chercher la corrélation qui existe entre la forme et les usages d’un objet, entre les causes et les conséquences d’un phénomène ; chercher la relation entre la composition, la structure d’un être, et les services qu’on en attend.


LA RELATION
Il ne faut pas se contenter d’accumuler des sensations ; il faut chercher la corrélation qui existe entre la forme et les usages d’un objet, entre les causes et les conséquences d’un phénomène ; chercher la relation entre la composition, la structure d’un être, et les services qu’on en attend.
Observer, c’est recueillir les impressions que fournissent les objets, mais c’est, de plus, chercher les relations de cause à effet. L’observation véritable a, par suite, une double valeur : une valeur pratique, et une valeur éducative, puisqu’elle sollicite, provoque l’effort.
Cette habitude de l’observation ainsi comprise donne le goût, la passion de l’activité qui pousse à rechercher les vérités, à scruter les lois de la nature.

Cette habitude de l’observation ainsi comprise donne le goût, la passion de l’activité qui pousse à rechercher les vérités, à scruter les lois de la nature.


LE PRINCIPE

Le principe d’observation est le principe même de l’esprit scientifique. Les grands inventeurs furent surtout des observateurs de génie. Le génie est une longue patience, a dit Buffon.

Cet esprit d’observation porte ensuite ses investigations dans le domaine des idées ; il devient l’esprit critique, qui met en garde contre les préjugés, libère l’esprit, devient indispensable, au point de vue social, dans une démocratie où les citoyens doivent étudier les idées qu’on veut leur imposer.

Le génie a une longue patience (Buffon)

  
OBSERVATION ET IMAGINATION
L’esprit d’observation fournit à la curiosité de l’enfant les éléments nécessaires à son développement intellectuel. Il faut ajouter, d’ailleurs, que l’esprit d’observation ne peut nuire à l’imagination ; elle la discipline seulement.

On en trouve un exemple dans La Fontaine, qui a puisé dans la nature la source de la poésie. Les grands poètes ont été surtout des observateurs ingénieux. L’imagination puise dans l’observation les éléments nécessaires pour ne pas devenir " la folle du logis ". 

L’imagination méthodique se distingue de la rêverie, de la chimère.

A tous les points de vue :
  • discipline de l’imagination,
  • formation du raisonnement,
  • acquisition de connaissances,
l’observation est très féconde en résultats. D’ailleurs, jusqu’au jour où nous recevons les enfants à l’école, ils n’ont cessé d’observer ; il importe de ménager la transition. 
Le Loup et l'Agneau
La Cigale et la Fourmi


OBSERVATION ET PROFESSION

Au point de vue du perfectionnement professionnel, l’observation rend d’inappréciables services.

Pour l’agriculteur, il importe de rechercher le rapport entre les procédés et le rendement. Il en est de même pour l’industriel.

Au point de vue social, si les législateurs n’observaient pas les modifications économiques d’un peuple, et ses tendances, ils ne pourraient faire des lois favorables aux intérêts de ce peuple.

En classe, il est indispensable d’observer les individualités pour donner aux procédés la souplesse nécessaire.

L’enseignement scientifique est celui qui fournit le terrain le plus fertile en observations.

I - ENSEIGNEMENT DES SCIENCES

Cet enseignement se fait surtout par les leçons de choses. Ces leçons doivent avoir pour premier caractère d’être faites par les choses. Il faut montrer les choses dont on parle ; il ne faut donc pas se contenter du livre sur lequel on lit, ou fait lire la leçon ; ce procédé ne peut pas donner de résultats, car il n’existe point d’activité de l’esprit et ne provoque point l’observation.

Chaque école doit avoir son musée. Ce musée ne doit pas avoir une allure trop scientifique, ni présenter des classifications trop savantes ; les objets doivent s’y trouver disposés dans la suite où les leçons doivent être faites.

Une boîte contiendra le matériel de chaque leçon de choses, qui se trouvera ainsi toute préparée. Il est alors difficile de placer les objets suivant leur valeur, suivant leur classification scientifique, mais ce n’est pas là le but à poursuivre ; il faut adopter la classification par leçon de choses.

Dans les écoles à plusieurs maîtres, il paraît utile qu’il n’y ait qu’un musée, que chacun contribuerait à former. Lorsqu’un objet manque, on le remplace par une gravure.

Dans l’étude de l’Histoire Naturelle, il faut toujours indiquer la place des organes dont il est question. Il faut porter à l’école certains organes : cœur, poumons, etc., qu’on étudiera sur place.

A propos de la Botanique, il faut faire observer les différentes parties de la fleur ; il faut enseigner par la nature, non par le livre, pour que l’enseignement ait une valeur éducative et réellement pratique.

En ce qui concerne la Physique et la Chimie, il est recommandé aux jeunes maîtres de se procurer un petit matériel scientifique. On a été frappé par ce que les expériences faites ont parfois de mesquin.

Il faut chercher à conduire les enfants dans les usines pour y constater, par exemple, les phénomènes électriques les plus importants. On ira, de même, étudier la botanique chez un fleuriste. On mettra toujours à profit les ressources de la localité, de la région.

Les promenades scolaires doivent se doubler d’un caractère utilitaire ; elles doivent avoir un but d’observations scientifiques. Qu’elles deviennent donc plus fréquentes, avec un but d’observations directes : botaniques, géographiques, bien préparées.


II - ENSEIGNEMENT DU DESSIN

Le dessin est une des matières qui se prêtent le plus à l’observation. Il doit avoir pour but d’enseigner à bien voir les lignes d’un objet, d’un site ; c’est donc proscrire la reproduction d’un dessin tracé au tableau ; ce dessin ne forme pas l’œil, à peine forme-t-il le goût et la main.

Il faut prendre comme modèle de dessin les objets qu’on a sous la main ; il faut mettre à profit le goût des enfants à dessiner des objets. On établira donc une liste graduée des objets que l’on fera dessiner dans le courant de l’année.

On fera aussi dessiner des êtres vivants, en quelques traits d’une façon sommaire ; cela habitue les enfants à voir, à observer.
Il faut remarquer que ces principes s’appliquent surtout au dessin chez les débutants. Les tracés plutôt géométriques étant réservés pour plus tard, au cours moyen.

III - ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE
On peut faire quelques observations dans la région : ruines historiques, souvenirs de l’époque féodale. On ne met pas assez à contribution l’histoire locale : la hutte du pâtre donne l’idée de la demeure gauloise ; la charrette du roulier donne l’idée du chariot des rois fainéants.

A ces observations locales, on rattache les grands faits d’histoire nationale, qu’elles expliquent.

On n’use pas suffisamment de gravures. La leçon, chez les tout petits, devrait être exclusivement une explication de gravures. On ajoute ensuite la lecture d’un texte. Il faut aussi se servir de cartes historiques.

IV - ENSEIGNEMENT DE LA GEOGRAPHIE
Il se prête beaucoup aux exercices d’observation, qui seront très nombreux dans la région que l’on habite. Ces observations locales expliqueront les lois générales.

On fera remarquer, par exemple, que les grandes villes se trouvent au débouché de plusieurs vallées ; que les vignes sont dans les régions où les pluies sont peu abondantes et le soleil assez chaud. On citera l’altitude de la localité, de certaines hauteurs voisines ; ces données serviront de termes de comparaison pour les altitudes plus élevées, celle du Mont- Blanc, par exemple.

On donnera une idée de l’importance d’une ville, d’un fleuve, en les comparant à une ville, à un fleuve connus.

D’une manière générale, la géographie locale doit fournir des éléments concrets, qui serviront de termes de comparaison pour l’étude des régions inconnues. On emploiera très souvent des gravures destinées à caractériser telle ou telle région.

V - ENSEIGNEMENT DE LA COMPOSITION FRANÇAISE
Il faut distinguer trois catégories de sujets :
a) descriptions ;
b) narrations ;
c) commentaires d’idées, développement de proverbes.
Il faut faire décrire à l’enfant ce qu’il a sous les yeux ; on lui fera décrire la salle de classe, non une salle quelconque, mais celle où il vit ; cela lui apprendra à voir, à observer, et à être sincère. 
L’enfant doit voir d’abord les lignes générales du sujet les plus importantes ; de là, il descendra aux détails, aux parties secondaires. Pour examiner ces détails, il devra suivre les indications du maître, et rendre les sensations dans l’ordre où il les aura perçues.
Il faut donc procéder à l’éducation des sens, par des exercices d’observation directe et des exercices de langage. On distingue quatre séries d’observations :
- observations par la vue ;
- observation d’objets absents ;
- observation d’images ;
- descriptions.
Ce n’est pas là toute la Composition française, mais elle doit commencer par là; elle s’étendra ensuite.

VI - ENSEIGNEMENT DE L’ARITHMETIQUE
Il permet aussi de faire très souvent appel à l’esprit d’observation des élèves ; il ne sera pas purement théorique ; il sera toujours concret.
Des manuels actuels et récents reprenant l'enseignement de l'arithmétique concrète :
Compter, calculer au CP de Pascal Dupré (Grip-éditions)
Compter, calculer au CE1 de P. Dupré et C. Huby (Grip-éditions)

Voir aussi le blog de classe de Jean-Pierre Picandet.
Voir La pédagogie oubliée.

CONCLUSION 

M. l’Inspecteur termine en rappelant cette affirmation : " La France a besoin d’un grand bain de réalisme ". Il importe, en effet, de se tenir près des réalités.

FIN

M. BABY - Inspecteur Primaire. Conférence donnée le 18/10/1905

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D'autres conférences sur le site de M. Mézailles, instituteur dans la région de Lourdes : 

Je vous recommande vivement de faire un petit tour sur sa page : 
 
  LES CONFERENCES DANS LEUR TEXTE :
18/10/1905: l'esprit d'observation
18/10/1906: la lecture expressive
18/10/1906: sylviculture et pastoralisme
18/10/1907: l'action éducative et morale
12/10/1909: la composition française
18/10/1910: le calcul mental
18/10/1911: les sciences physico-naturelles
18/10/1912: l'histoire
10/11/1913: la dictée
04/02/1920: le programme de sciences
18/10/1920: l'hygiène
27/10/1921: le travail manuel
17/10/1925: l'orthographe
18/10/1926: la grammaire
26/10/1929: la réforme (b)
26/10/1929: l'école rurale

L'OBSERVATION DEPEND DE LA THEORIE : 
Ce qu'on voit dépend de facteurs psychiques tels que les attentes, la culture, les connaissances préalables, etc., comme l'illustre aussi l'exemple des visages cachés dans les feuillages dans les dessins d'enfants : on voit le visage quand on l'a trouvé là où on ne voyait auparavant que des arbres et des feuilles, alors que l'image rétinienne est pourtant toujours la même. Le cas des clichés radiologiques obscurs au non-initié ou des images dans un télescope est encore plus significatif, car il montre qu'on doit même apprendre à voir. 
         Il faut donc, dans le domaine de la science, distinguer soigneusement observation et expérience, même un inductiviste comme d'Alembert effectue cette distinction : l'observation est stérile si elle est la simple constatation d'un donné sensoriel : l'expérience "ne se borne pas à écouter la nature, elle l'interroge et la presse"[10], elle est une investigation active fondée sur la position préalable de problèmes, sur la formulation d'hypothèses théoriques qui sont les solutions anticipées et conditionnelles des problèmes posés. Dans le domaine de la perception commune comme dans celui de la science on peut donc dire que la théorie précède l'expérience, contrairement à ce qu'affirme l'inductivisme ; les énoncés d'observation ne sont pas la base de la connaissance scientifique ni le fondement d'inductions explicatives, ils sont toujours formulés dans le langage d'une théorie – quelle que soit celle-ci, scientifique, commune ou métaphysique. Chalmers donne ici des exemples  intéressants : l'énoncé d'observation commun "le gaz ne veut pas s'allumer" suppose un contenu théorique implicite important (l'existence de gaz, substances découvertes seulement au 18ème siècle, et celle de gaz inflammables)[11]. Si on veut par ailleurs établir de façon rigoureuse l'énoncé empirique suivant : "ceci est un morceau de craie", on doit montrer qu'il s'agit de carbonate de calcium qui produit, si on le met en contact avec de l'acide chlorhydrique, un gaz qui est du dioxyde de carbone, car il trouble l'eau de chaux. On voit donc que plus un énoncé d'observation doit être établi, plus le contenu théorique mis à contribution est important, et l'énoncé d'observation est lui-même déjà imprégné de théorie.

source :

Existe-t-il une méthode inductive en pédagogie ?



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