I - ENTREE EN MATIERES
En dépit de
l’étendue de nos programmes, et en raison même de la multiplicité des matières,
la lecture est la base et le but de l’organisation scolaire. On peut dire, en
effet, qu’un élève qui sait lire est un élève sauvé, parce qu’il est capable de
puiser dans les livres, d’abord les exercices nécessaires à une bonne
organisation pédagogique, ensuite des lectures précisant les notions reçues du
maître.
II - IMPORTANCE DE LA LECTURE EXPRESSIVE
A - IMPORTANCE PEDAGOGIQUE
La lecture a un
double but :
1) Déchiffrer
les signes, émettre les sons correspondants
Ce but est
facilement atteint, puisqu’il constitue la tâche des méthodes de lecture, aussi
nombreuses que variées. L’enfant doit arriver rapidement à la lecture courante
; cela n’implique pas le besoin de lui apprendre à lire de bonne heure, mais
cela veut dire que, lorsqu’il a commencé à émettre les sons, on doit le faire
progresser rapidement.
2) Apprendre à
traduire les nuances de la pensée et les mouvements du cœur
Ce deuxième but
est plus difficile à atteindre, car apprendre à bien lire, n’est pas chose
commode. Mais à quoi bon la diction ? Voudrions-nous faire de nos élèves des
pensionnaires de la Comédie Française ? Voudrions-nous leur apprendre à
déclamer ? Non, le vrai but n’est pas là ; en exigeant une bonne diction, nous
voulons simplement faire aimer la lecture au lecteur, ainsi qu’à son entourage.
Mettre de
l’expression dans la lecture, c’est analyser la phrase, c’est chercher le mot
important, c’est amener l’enfant à faire une gymnastique de l’esprit, qui
mettra la vie dans la classe ; et si cet effort se continue et s’exerce dans
toutes les leçons, on constatera une activité intellectuelle générale.
D’ailleurs, les qualités
de la lecture constituent un élément d’appréciation de l’élève et de la classe.
Une mauvaise lecture faite sur un ton monotone dénote un tempérament mou et
apathique ; une lecture forte, accentuée, modulée, révèle une nature vive,
sensible, capable de s’émouvoir sous l’action d’une pensée noble ou d’un
sentiment délicat. (Remarque Blog : impression de naturalisme contredit immédiatement dans le paragraphe suivant. L'homme peut acquérir une nature par l'habitude, cf. Aristote)
Et comme la classe
est en partie l’œuvre du maître, une bonne lecture dénotera que le maître sait
lui-même apporter la vie dans ses leçons, et qu’il sait répandre dans la
classe, cette chaleur communicative qui fait vibrer tous les cœurs à l’unisson.
Au point de vue du
Français, la lecture n’est-elle pas la meilleure leçon de littérature ?
L’enfant cherche à mettre en relief l’idée essentielle ; il essaie de trouver
les procédés de composition de l’auteur, il accentue le mot pittoresque, il
analyse les phrases et distingue la nature et l’importance des propositions ;
en un mot, il est en perpétuel commerce avec l’idée de l’auteur. Comment
ferait-il mieux ce travail que par la lecture ?
LES OBJECTIONS
On a fait deux
objections à l’emploi de la lecture, telle que nous venons de la décrire :
a) L’enfant qui
lit bien s’expose au ridicule ; il soulève les éclats de rire de ses camarades.
Nous dirons simplement que ceci est dû à ce que les enfants ne sont pas
habitués eux-mêmes à lire avec intelligence. On pourra remédier à ces
manifestations bruyantes en faisant comprendre ce que ces dernières ont de
regrettable, et en donnant l’habitude de la lecture expressive.
b) Le déchiffrage
difficile : l’effort fait par l’enfant pour trouver l’intonation diminue
d’autant l’effort à faire pour déchiffrer les caractères du livre ; la lecture
devient alors plus difficile et elle perd en netteté.
Cette objection
n’a pas sa raison d’être, car plus l’enfant comprend, plus il lit bien ; c’est
le sens qui crée l’intonation : plus il paraît important aux yeux de l’enfant,
plus celui-ci s’efforce de le mettre en relief, et l’on peut dire que
l’intonation dérive de la compréhension.
Donc, au point de
vue pédagogique, la lecture a une valeur éducative incontestable.
B - IMPORTANCE SOCIALE
LA LECTURE ET LE
CITOYEN
Celui qui n’a pas
été un lecteur assidu durant sa jeunesse ne lira guère plus tard; il ne
s’intéressera pas aux affaires de son pays, puisqu’il ne saura pas ce que l’on
y fait. Il ne sera pas un bon électeur puisqu’il ne connaîtra pas le travail de
son représentant. Il ne travaillera pas enfin à améliorer le sort de sa patrie,
puisqu’il ignorera ses besoins et ses intérêts.
Aussi est-il du
devoir de tous les maîtres de faire aimer la lecture aux enfants. Ce n’est qu’à
ce prix que l’œuvre de l’école, qui doit se perpétuer dans toutes les époques
de la vie d’un homme, sera bien remplie.
LA LECTURE EN
FAMILLE
Il faut aussi
recommander les lectures familiales, le soir à la maison.
N’est-ce pas un
beau tableau que celui qui représente la mère assise au coin du feu,
travaillant à son ouvrage de couture (sic), l’aîné lisant un journal ou un livre à la
lueur blafarde d’une lampe, et excitant la curiosité de ses jeunes frères, qui
écoutent pensifs, et les observations du père, qui veut connaître, expliquer ou
critiquer ?
(remarque blog : on veillera à ne pas se laisser détourner de l'idée essentielle du paragraphe par la représentation discriminante des rôles sociaux. Le principal n'est pas là.)
On peut ainsi
introduire le besoin de lire dans la maison, et amener les parents à demander
souvent, ou une page d’histoire, ou un morceau du livre de lecture. On peut
avoir une entière confiance en ces lectures, car elles produisent plus
d’effets, dans les cœurs des parents et du citoyen lui-même, que tous les
discours et théories propagandistes servis souvent à tout propos et à tout
hasard.
En un mot, un
lecteur bien formé à l’école est celui qui peut répandre le mieux dans sa
famille les idées saines et morales.
III - LES PROCEDES EMPLOYES
La diction comprend
:
A - L’ARTICULATION
Une bonne
articulation est relativement facile à obtenir, car peu de défauts
d’articulation résistent à l’habitude de marteler les syllabes ; on doit
l’exiger à tout instant, dans les causeries, les récitations, comme dans la lecture.
Elle a d’ailleurs
une influence incontestable sur l’orthographe. Faites prendre à un enfant
l’habitude d’accentuer une syllabe, de la mettre en relief, il l’écrira
facilement. Par suite, le mot entier ne pêchera que par l’absence d’une lettre
finale, vite mise à sa place par une leçon sur quelques règles d’accord.
B - LA PONCTUATION
En ce qui concerne
la ponctuation, bien marquer les arrêts nécessaires en lisant, accorder à
chacun leur véritable durée, constitue la meilleure leçon de ponctuation écrite.
C - L’INTONATION
Au point de vue de
l’intonation, il est bon de distinguer trois choses :
1) Le diapason :
il ne doit être ni trop bas, ni trop élevé, car, dans les deux cas, il fatigue
le maître, et rend la classe, ou monotone, ou bruyante. Comme il est de notre
devoir de ménager nos cordes vocales, il est bon de prendre le diapason de la
conversation ordinaire.
2) Les
inflexions orthographiques : elles sont utiles pour marquer les signes de
ponctuation. Elles ont le défaut d’être trop mécaniques ; et en général, on ne
s’applique pas assez pour accentuer les interrogations et les exclamations.
3) Les
inflexions dues au sens : elles dépendent du sens du morceau et du
tempérament de l’élève.
Il faut assurer
l’intelligence du texte par l’habitude de chercher derrière le mot, le sens mis
par l’auteur, et cela, dès le début. On trouve dans les premières pages du
livre, des mots que l’enfant peut comprendre, on lui en fait voir le sens, et
on l’intéresse.
Exemple : s’il
s’agit du mot Emile, l’élocution de syllabes seules, isolées, ne signifie rien
; tandis que l’élocution du mot entier montre bien qu’il s’agit d’un individu.
L’enfant le voit, et s’intéresse à ce qu’il lit.
Ce mot lu ainsi ne
paraîtra pas isolé, si dans une phrase comme celle-ci : " Emile fume
", les deux mots sont lus sans arrêt, il sera alors question d’un fait
facilement compréhensible, et la lecture sera intelligente. L’enfant arrivera
peut être à lire par cœur certains mots, mais l’effort pour déchiffrer aura été
fait.
IV - CHOIX DU LIVRE
Il faut bien
choisir, à ce point de vue, le livre de lecture ; trop souvent, l’élève, en
sortant de la méthode, se trouve en présence de textes trop difficiles, et cela
diminue le plaisir que la lecture lui procure.
Il est bon de
changer de livre tous les ans, la Caisse des écoles en est le moyen. Le livre
ne doit pas présenter des allures encyclopédiques, il doit avoir un caractère
anecdotique, représenter de petits faits, raconter des historiettes familières
et courtes, être illustré de nombreuses gravures.
Quant à la
question : "Peut-on se passer du livre de lecture ?", nous répondons : non, parce
que les autres livres n’ont pas le caractère littéraire du premier ; on n’y
trouve pas ces morceaux émouvants qui remuent l’élève, et le mettent en
parfaite communion avec l’idée de l’auteur.
V - L’APPROFONDISSEMENT DE LA METHODE
Nous devons donc
amener l’enfant à bien lire, et à lui faire aimer la lecture. Il ne faut pas
que le moindre mot échappe à son intelligence, et pour cela, nous devons lui
faire répéter les phrases mal lues, après les lui avoir nous-mêmes relues.
Quand, après avoir
donné toutes les explications que comporte un morceau, nous n’aurons pas le
temps suffisant pour obtenir une lecture intelligente, nous n’hésiterons pas à
consacrer la séance suivante à la lecture exclusive du même morceau, afin que
l’élève puisse s’en pénétrer d’une façon complète.
Nous ferons aussi
un usage fréquent des dialogues, qui constituent une préparation très heureuse
à la lecture expressive.
Nous ne ferons
réciter un morceau que lorsqu’il aura été lu d’une façon parfaite ; enfin, nous
exercerons l’élève à faire des lectures hebdomadaires à ses camarades ; il sera
alors dans des conditions très favorables pour essayer son talent de lecteur.
Nous ne tolèrerons
jamais un ton monotone dans la conversation ; nous ne verrons plus alors des
enfants causant avec vivacité sur les choses extérieures à l’enseignement, et
prenant ensuite un ton chantonnant et ennuyeux, sitôt qu’ils ont à répondre sur
des questions concernant la classe.
RESUME DU DEVELOPPEMENT
1) Il n’y a pas de
bonne lecture sans lecture expressive.
2) La lecture
expressive est de la plus haute importance au double point de vue scolaire et
social.
3) Pour obtenir
une bonne lecture expressive, il faut se préoccuper de la ponctuation verbale,
de l’articulation et de la diction.
4) On arrive à la
lecture expressive par les procédés suivants :
- Dès les premiers exercices de lecture, faire goûter à l’enfant un plaisir intellectuel, en appelant son attention sur le sens des mots lus.
- Faire prononcer sur un ton naturel les mots, les propositions, les phrases de la méthode.
- Employer le même procédé dans la lecture de tous les textes, en ne tolérant une diction chantonnante dans aucune causerie, ni dans aucune lecture, quelle qu’elle soit.
- Choisir des livres simples, et dans ces livres des morceaux à portée de l’enfant.
- Consacrer, si c’est nécessaire, des séances spéciales à la lecture expressive d’un morceau bien compris.
- Faire apprendre des dialogues.
- Habituer les élèves du C.M. à faire des lectures hebdomadaires.
- Ne faire apprendre un morceau par cœur que lorsqu’il est lu d’une façon irréprochable.
FIN
M. BABY -
Inspecteur Primaire. Conférence donnée le 18/10/1906
Je vous recommande vivement de faire un petit tour sur sa page :
ou ici sur le blog L'esprit d'observation
18/10/1906: la lecture expressive
18/10/1906: sylviculture et pastoralisme
18/10/1907: l'action éducative et morale
12/10/1909: la composition française
ou ici sur le blog :
18/10/1910: le calcul mental
18/10/1911: les sciences physico-naturelles
18/10/1912: l'histoire
10/11/1913: la dictée
04/02/1920: le programme de sciences
18/10/1920: l'hygiène
27/10/1921: le travail manuel
17/10/1925: l'orthographe
18/10/1926: la grammaire
26/10/1929: la réforme (b)
26/10/1929: l'école rurale
---------------------------------------------------
D'autres conférences sur le site de M. Mézailles, instituteur dans la région de Lourdes :
D'autres conférences sur le site de M. Mézailles, instituteur dans la région de Lourdes :
Je vous recommande vivement de faire un petit tour sur sa page :
LES CONFERENCES DANS LEUR TEXTE :
18/10/1905: l'esprit d'observationou ici sur le blog L'esprit d'observation
18/10/1906: la lecture expressive
18/10/1906: sylviculture et pastoralisme
18/10/1907: l'action éducative et morale
12/10/1909: la composition française
ou ici sur le blog :
18/10/1910: le calcul mental
18/10/1911: les sciences physico-naturelles
18/10/1912: l'histoire
10/11/1913: la dictée
04/02/1920: le programme de sciences
18/10/1920: l'hygiène
27/10/1921: le travail manuel
17/10/1925: l'orthographe
18/10/1926: la grammaire
26/10/1929: la réforme (b)
26/10/1929: l'école rurale
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