1 juillet 2011

Elizabeth Nuyts : L'Ecole des Illusionnistes

     Comment la France, berceau des Lumières, peut-elle avoir actuellement 40 % d'illettrés ? L'auteur qui s'est spécialisée dans l'aide aux personnes en difficultés d'apprentissage, a maintenant consacré trente ans de recherches à cette question. Son ouvrage, très documenté, est le produit d'un va-et-vient constant entre études de cas, pédagogie et biologie. Il nous démontre, preuves à l'appui, les dangers des méthodes illusionnistes progressivement mises en place depuis le plan Langevin/Wallon.
     Nos cerveaux [...] sont amputés par la nouvelle lecture globale, rebaptisée semi-globale, qui est maintenant de surcroît silencieuse dès le cours préparatoire et rapide dès le CE1. Or, la pédagogie visuelle dont ces méthodes de lecture relèvent, a investi peu à peu la plupart des bastions de notre enseignement. Boudant les fonctions du cerveau conscient (analyse, temps, logique verbale), elle privilégie désormais la forme, l'analogie et l'intuition. Tous les apprentissages fondamentaux (écoute, lecture, expression écrite, grammaire) ont été remaniés. La forme a détrôné le fond, les repères temporels et personnels ont disparu. Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, troubles de la mémoire, mal-être, mauvaise perception de soi et des autres, absence de repères, violence, sont les conséquences de cet enseignement. L'homme nouveau ainsi créé de toutes pièces est dangereusement dépendant.
     Heureusement, de même qu'en biologie la lésion d'un organe en éclaire les fonctions, de même ici, les multiples carences que la pédagogie du cerveau intuitif a induites, nous ont permis de comprendre le cheminement qu'il aurait fallu suivre. Ce livre n'est donc pas qu'un cri d'alarme. Il nous prouve, en grande partie déjà, que le développement psycho-cognitif de l'immense majorité de nos enfants est à notre portée, à condition que, tournant le dos aux théories irréalistes, nous prenions le chemin du bon sens. Il s'adresse aux parents, aux éducateurs, aux scientifiques et à tous les hommes épris de liberté et d'humanisme. (Quatrième de couverture)

1) Commentaires et recensions

 É. Nuyts, L’École des illusionnistes, 2e éd., Mauguio, impr. Graphic, 2002 (1re éd. : 2000) - 20 €

Chercheur en pédagogie, l’auteur nous livre ici une magistrale vulgarisation scientifique des processus en jeu dans l’apprentissage de la langue et un vif pamphlet contre la nouvelle pédagogie du « cerveau droit ». Sa grande force est de proposer une théorie cohérente du développement des capacités visuelles, auditives et kinesthésiques chez l’enfant ; sa faiblesse, de reprendre le mythe du complot : les organismes de formation pédagogique qui défendent la lecture globale et rapide ne sont pas délégués par on ne sait quel pouvoir à l’abrutissement des nouvelles générations. Leur si piètre grammaire n’a pas de si hautes visées. L’auteur détaille en effet, dans les explications tantôt formalistes, tantôt fonctionnelles et tantôt génératives des manuels scolaires, le sort réservé au verbe, noyau de la phrase. Faut-il oublier le verbe comme expression d’un état ou d’une action pour l’identifier comme mot de forme très variable, sans relation au temps ni au sujet ? Faut-il taire le bon vieux C.O.D. de la phrase Sujet-Verbe-Complément pour en faire le « groupe nominal » du « groupe verbal » de la phrase Groupe nominal sujet-Groupe verbal sans ajouter du sens à cette évolution ? La recherche grammaticale a, de fait, adopté ce vocabulaire mais à un certain niveau de raisonnement, pas forcément utile ni accessible au niveau primaire, et à condition d’assortir ces considérations de la distinction, ô combien sémantique, sujet / prédicat (i. e. ce que l’on sait déjà au début de la phrase, ce que l’on apprend au cours de la phrase). Faut-il aborder la voix par le mécanisme de transformation active et passive au prix d’absurdité ou du moins de maladresse : si l’on voit le cheval, alors *le cheval est vu par (l’)on ? Et si je mange du sucre, alors du sucre est mangé par moi ? Le lecteur appréciera la description tragi-comique des errements de l’enseignement primaire, dont le rôle est de répondre au désir de lire, d’apprendre, de comprendre. Répondre à cette quête du sens et la susciter sera la meilleure façon d’endiguer dyslexie et illettrisme.

Source : R. Vaissermann, « Élisabeth Nuyts, L’École des illusionnistes », Défense de la langue française (D.L.F.), n° 208, avril-juin 2003, p. 59


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Commentaires clients sur Amazon.fr :
C. Nanche : Intéressant, consternant, il bouscule !!!
Un livre que tous les enseignants devraient avoir lu... ainsi que les parents!
Ou comment l'apprentissage prôné depuis au moins 30 ans fabrique des dyslexiques, compromet la lecture véritable, l'analyse, etc.
Terrifiant, mais l'auteur donne aussi des clés pour faire autrement...

Denis Jaisson : L'individu est-il un sujet ou un objet ?
Quel est le dessein des inventeurs des nouvelles pédagogies ? Question essentielle puisqu'elle détermine l'action de gens comme Philippe Meirieu, directeur de l'IUFM de Lyon, conseiller de ministres complices d'un gouvernement à l'autre, et chantre du "pédagogisme". Forte de son étude de ces pédagogies - on a refusé de donner à l'auteur les programmes des IUFM par les voies officielles - forte du constat des dégâts culturels, sociaux et psychologiques que font celles-ci, forte aussi de son expérience de rééducatrice, Elisabeth Nuyts répond à cette question dans son livre, et de manière implicite sur la base de son constat, et par un jugement personnel pertinent des intentions cachées des "pédagogistes". Ceux-ci d'après elle visent plus loin que l'efficacité éducative, ou plutôt ils orientent leur action suivant la réponse qu'ils ont donnée à la question suivante: "l'individu de la société que nous voulons construire en commençant par le plus jeune âge, sera-t-il un sujet ou un objet ?"

Le projet de construction des pédagogistes est en rupture avec la conception de l'Homme de notre civilisation chrétienne. "Au commencement était le Verbe" (Prologue de l'Evangile de Saint-Jean) c'est-à-dire la parole raisonnante. La parole sonore et la parole pensée - la pensée tout court - sont liées dans notre culture au point qu'un même mot - raisonner - est utilisé pour parler, ou de l'effet sonore, ou de l'action de faire un raisonnement. Or, comme Elisabeth Nuyts le dénonce dans son livre, on apprend aux apprentis instituteurs dans les IUFM à empêcher l'enfant pendant la lecture en classe de verbaliser - précisons "de manière sonore" - de labialiser silencieusement même. Comme Madame Nuyts l'a constaté, cette contrainte - contre-poids coercitif de la dictature du spontané ? - a un effet destructeur sur les plans intellectuel et affectif. Ainsi travaille "la fabrique du crétin" décrite par Brighelli. Il est, Dieu merci, de jeunes instituteurs comme de plus anciens qui sur le terrain prennent leurs distances avec l'enseignement insipide et pervers qu'on leur a dispensé en IUFM... 


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"L'ECOLE DES ILLUSIONNISTES"
d' Elisabeth Nuyts
Yann Le Coz


Madame Elisabeth Nuyts dénonce un mal qu'elle connaît bien pour le fréquenter de près. Elle observe, décortique, dissèque, analyse. Elle triture, tripote, en prend toutes les dimensions. Formulant des hypothèses, elle les vérifie, les confronte à des faits probants, au point qu'elle met en exergue les causes profondes des ratés et désastres que tout un chacun peut observer. Sa démarche est scientifique, argumentée et prouvée par la recension des situations et des cas multiples auxquels elle a été confrontée. Le lecteur en arrive à comprendre des situations connues : ce livre rend intelligent, car la tâche de madame Nuyts ne se borne pas à souligner et à expliquer les causes du mal, elle indique remèdes et parades à apporter et nous exhorte à les mettre en œuvre. Les deux facettes de son travail entrainent le lecteur dans le combat qu'elle mène.

[...] Lire la suite .

2) L’Ecole des illusionnistes - TABLE DES MATIERES

Introduction : Apprenez-nous à réfléchir !

I- Troubles scolaires et premiers contacts avec le mot écrit
  • Un constat étonnant
  • Dyslexie, espace et temps
  • Questions sur l’échec
II- Rôle de la parole chez l’auditif et le kinesthésique
  • Parole et perceptions (éveil de la conscience chez l’enfant – recueil, analyse, et identification des données perçues par les sens – mode cognitif et canal d’accès à la perception consciente – quand les informations sensorielles n’atteignent pas la conscience – l’épanouissement – le raisonnement)
  • Parole et coordination sensori-motrice (la simple manipulation – le dessin – lecture et écriture – l’ordinateur – les tests psychotechniques)
  • Parole et construction psychologique
  • Parole, biologie et pédagogie
III- Spécialisation hémisphérique et pédagogie
  • Cerveau droit, cerveau gauche (hémisphère droit, analogique et intuitif – hémisphère gauche, analytique et verbal)
  • Complémentarité des deux cerveaux
  • Dominance hémisphérique
  • Cerveau et apprentissage de la lecture
IV- Du décodage au sens : les étapes à parcourir
  • L’évocation
  • Ecriture et oralisation (écriture, oralisation et intégration du rapport signe/son)
  • La syllabation (nécessaire à la compréhension – à la maîtrise de l’orthographe – à la cohérence de l’écriture)
  • L’analyse et la reformulation
V- Pensée langagière et nouvelle pédagogie
  • Importance des premiers circuits neuronaux mis en place
  • Rôle de l’articulation
  • La subvocalisation, ou pensée langagière (sa nécessité, sa mise en place)
  • Les théories nouvelles
  • Résultat de cet apprentissage silencieux
VI- Apprentissage de la lecture chez les CP-CE1 proposé par les IUFM
  • Notes des stagiaires (tri d’écrits – reconnaissance formelle des mots – du mot entendu au mot vu – globalement perçus dans les deux cas – constitution d’un capital de mots/images à mémoriser par visualisation – constitution de dossiers de rangement – lecture silencieuse – investigation sur le texte lu silencieusement – écoute du texte lu et expliqué par le maître : travail de logique et de mémorisation à partir de cette écoute – lecture silencieuse de l’enfant pour y reconnaître les éléments perçus lors de cette écoute – apprentissage de l’intonation à partir de repères formels et non sémantiques – accès au sens littéral).
  • Conséquences de cet apprentissage (non-discrimination visuelle ou auditive – reconnaissance visuelle au lieu de décodage – conséquences de l’inadéquation des premiers circuits d’apprentissage – relation entre pensée et vocabulaire intégré – lecture globale et idéogramme – les dissociations imposées – dévalorisation de la communication verbale – pourquoi les enseignants ne se rendent pas compte des ravages de la méthode).
VII- Apprentissage de la lecture rapide
  • Lecture de mots en colonnes
  • Entraînement aux saccades occulaires (les saccades – le par-cœur en lieu et place de l’analyse – la guerre à la labialisation)
  • Entraînement à la reconnaissance de mots
  • Développement de la rapidité d’exploration d’un texte
  • Renforcement des comportements d’anticipation
  • Séries de QCM chronométrés
  • Conclusion
VIII- Analyse méthodique des manuels de français du primaire
  • Les conjugaisons (le temps – le présent – le  passé composé – le verbe avoir – le verbe être)
  • La grammaire (nature des mots – accords – fonction des mots – orthographe grammaticale)
  • Conséquences de cette grammaire fonctionnelle (mise à l’écart des littéraires en puissance – destruction du raisonnement inductif – disparition de l’esprit d’analyse – non-être)
  • Lecture suivie
  • Travail de l’expression et ses penseurs (G. Racle, Dr. Lozanov)
  • Analyse du résumé du B.O. de mars 1995
  • Depuis 1995, quoi de neuf ?
IX- Conséquences de la lecture rapide précoce, et autres activités anti-naturelles
  • La lecture rapide précoce (mécanisme mis en place au moment du test de lecture rapide – blocage)
  • La synthèse précoce sans analyse préalable (son danger – conséquences et mode cognitif du lecteur)
  • Les tests d’évaluation de la lecture
  • L’élève-ordinateur
  • Autres activités dangereuses (dans notre enseignement – au bureau – dans la vie)
X- Nécessité de l’analyse : traitement conscient et traitement inconscient des informations lues
  • Les méthodes traditionnelles (le décodage : balancement entre encodage et rappel – le questionnement ou analyse de texte – exemple d’analyse de texte au primaire – au secondaire)
  • Résultat de l’intériorisation du long travail d’analyse et de synthèse des méthodes traditionnelles
  • Intériorisation des méthodes globales-silencieuses-et-rapides et de la grammaire fonctionnelle (au primaire – au secondaire)
XI- Dyslexie et biologie
  • Le constat (défaut de discrimination – difficulté d’accéder au sens de la lecture – incapacité à syllaber et troubles de la mémoire auditive)
  • Les anomalies incriminées (circuits improprement connectés – troubles du transfert de l’information entre les deux hémisphères)
  • Conclusions de ces chercheurs (origine génétique de la dyslexie – anomalie de la maturation du cerveau – les solutions proposées)
XII- Méthode de prévention des troubles visuels et auditifs divulgués par le CRDP de Grenoble
  • Les troubles visuels (détection – rééducation)
  • Les troubles auditifs (détection – tests de perception dans le bruit – enregistrement des otoémissions acoustiques – rééducation)
XIII- Les troubles induits par la pédagogie du cerveau droit
  • Perception consciente, parole, analyse, temps et volonté
  • Le mal de vivre
  • La cassure
XIV- L’évolution de l’homme nouveau
  • Constat
  • Le New Age (le fil conducteur – analyse cartésienne et approche normative du Tao – conscience collective et irresponsabilité de l’individu)
  • La refonte de l’enseignement
  • L’hypno-pédagogie
  • Le logiciel humain (le remaniement des programmes – la manipulation de nos enseignants – le matériel – origine de l’hypno-pédagogie – genèse de sa mise en place)
  • Les raisons de son inertie (le morcellement – la mise à l’écart des enfants en échec – création de structures nouvelles – les formations d’adultes)
  • Comment éviter cette transformation de la conscience
XV- Symptômes, précautions et parades
  • Exemples d’exercices facilitant le transfert des informations
  • Précautions à observer (le clivage – le conditionnement)
  • Parades (fortifier notre cerveau gauche – se défendre contre toute intrusion éventuelle)
  • Et pour redresser la barre ?
Glossaire / Bibliographie /Annexes

INTRODUCTION

Elisabeth Nuyts, L’Ecole des illusionnistes, site Savoir apprendre, 4ème édition, 2008.

« Madame, apprenez-nous à réfléchir ! » m’avait demandé l’un de mes élèves de terminale, à la suite d’une explication de texte de M. L. King qui les avait particulièrement marqués. J’avais été interloquée. Je pensais à l’époque qu’un être intelligent ne pouvait faire autrement que de réfléchir. Pouvait-on apprendre à réfléchir, ce qui revenait à dire apprendre à devenir intelligent ? Ne recevait-on pas plutôt, à la naissance, un type d’intelligence, ou un autre ? Cette capacité est si diverse, pensais-je alors, que ceux qui ne peuvent réfléchir en classe pourront développer leurs dons, en dehors de leur scolarité, dans des domaines différents, autres que purement intellectuels. Persuadée donc qu’il n’était pas en mon pouvoir de répondre à une telle attente, j’avais balayé la question d’un petit sourire surpris, et quelque peu gêné. Depuis, j’ai compris mon erreur.

         Découvrant, plus tard, hors du Lycée, la détresse de ceux qui, plus ou moins éjectés du train scolaire, voulaient le rattraper en marche, je me suis spécialisée peu à peu dans l’aide aux personnes en difficulté d’apprentissage. Celles auxquelles justement on n’avait pas suffisamment appris à réfléchir. J’ai commencé par des adolescents, puis j’ai élargi mon éventail vers le haut, jusqu’à la soixantaine, et vers le bas, la maternelle ; j’ai également travaillé avec des enseignants, notamment dans des écoles primaires où j’avais été appelée pour faire travailler des enfants en échec de lecture. J’ai suivi, pour ce faire, de multiples formations, toutes autonomes. Cela ne me suffisant pas, j’ai alors demandé à une personne indépendante[1] de superviser mon travail pendant neuf années. C’est ainsi que depuis une vingtaine d’années, par souci d’efficacité, j’ai pris l’habitude de tout noter pendant mes cours : les activités elles-mêmes, bien sûr, mais aussi les réactions de l’élève ou du stagiaire, les conséquences cognitives et/ou comportementales de mon travail, ainsi que celles du travail de l’école ou des stages de formation des enseignants. De palier en palier, sans négliger les rechutes, j’ai alors pu comprendre au fil du temps et de l’analyse de mes notes, les différentes étapes à respecter pour aider des personnes de tout âge à retrouver, ou même le plus souvent à découvrir, le chemin de l’autonomie cognitive.

         Réfléchir s’apprenait donc, et c’était merveilleusement épanouissant. Ce fut pour moi une heureuse découverte que de constater que, de l’enfance à la soixantaine, l’homme pouvait toujours apprendre à percevoir des données sensorielles, à les analyser, les comprendre, les mémoriser.

         Bien évidemment, j’ai été très heureuse de pouvoir puiser de l’aide dans des ouvrages de grands pédagogues, de psychologues, ou de neurologues, que je remercie ici. Je me suis volontairement fixé toutefois deux impératifs : ne jamais sortir du cadre du développement cognitif, et ne garder de mes lectures et de mes formations que ce qui s’avérait efficace avec mes élèves. Cette liberté pédagogique m’a permis de comprendre peu à peu comment se construisait la mémoire autonome du texte lu, gage de notre liberté de pensée, et comment pouvait se construire chez certains, hors thérapie, l’accès à la conscience. 

         Séduite par les découvertes d’A. de La Garanderie, exposées dans ses Profils pédagogiques, j’avais essayé dès les années 80, avec beaucoup de difficulté au début, de différencier les types d’enfants que je recevais. Puisque tous les individus ne réagissaient pas de la même manière à la même pédagogie, j’avais mis au point des exercices variés portant sur la mémoire – visuelle, gestuelle et auditive – des raisonnements variés – explications analytiques ou exercices de substitution – des exercices de situation dans l’espace mais aussi dans le temps. J’observais, j’analysais, j’essayais de choisir les activités en fonction de l’enfant et de son niveau de réflexion. Je repérais ses blocages, en cherchais l’origine, et m’employais patiemment à déverrouiller les nœuds. Je travaillais à construire ce qui lui restait à développer, plus encore que ce qui lui restait à apprendre. Je notais tout, j’en induisais des hypothèses de travail que je vérifiais les cours suivants. Je collais le plus possible au réel. C’est de lui que je partais, à lui que je revenais sans cesse. 

         Et un matin de 92, tout à coup, je compris. Si, comme l’affirmait A. de La Garanderie, et comme me le prouvaient en effet 12 années d’expérience dans ce domaine, les uns accédaient à la connaissance par la vue, les autres par le toucher, et les troisièmes par l’ouïe, alors, il était fondamental pour le devenir socio-professionnel et l’épanouissement personnel de chacun, d’accéder aux grands apprentissages de base – lecture, écriture et calcul – d’une manière qui puisse convenir à son propre mode cognitif. Or depuis la mise en place des méthodes visuelles – globales et semi-globales – apprendre à lire est singulièrement devenu l’apanage des visuels, de ceux qui peuvent acquérir une mémoire visuelle phénoménale lorsqu’ils la travaillent. Lire se réduirait-il désormais à une question de mémoire visuelle ? Par ailleurs, pourquoi était-ce devenu difficile d’accès à ces êtres analytiques que sont les auditifs et les kinesthésiques ?

         Mon expérience me prouvait en effet tous les jours que c’était eux que l’échec touchait tout particulièrement, à un stade ou à un autre de leur scolarité, donc plus ou moins gravement. Comment pouvaient-ils ainsi être mis sur la touche, non pas en fonction de leurs capacités intellectuelles, mais en fonction de leur mémoire visuelle ? Qu’est-ce qui, dans ces nouvelles méthodes handicapait ces êtres analytiques, eux qui, avec les pédagogies traditionnelles, devenaient sans problèmes des littéraires ou des scientifiques des sciences de l’observation ?

         Pour analyser, il faut décomposer, expliquer, parler. PARLER ! Ce fut pour moi le point de départ de toute une série d’interrogations qui me permirent peu à peu, en partant d’observations concrètes, de comprendre le rôle essentiel de la parole. Essentiel au niveau du recueil des données, de leur intégration, de leur compréhension, de leur mémorisation. Essentiel même au niveau de la conscience de soi et des autres. L’homme est fondamentalement un être du verbe : on ne peut le lui confisquer sans dommage.
         Qui parle de confisquer la parole aux enfants, me direz-vous ? Jamais éducation n’a été plus permissive ! Comment peut-on soutenir qu’on la lui confisque en classe, alors que nos écoles n’ont jamais été aussi bruyantes ! Certes, ce n’est un secret pour personne qu’on y fait maintenant beaucoup de bruit, beaucoup trop pour pouvoir se concentrer, mais pour ce qui est des grands apprentissages, ils ont tous été progressivement, sans qu’on y prenne garde, dissociés de la parole. Désormais, dans un très grand nombre d’écoles primaires, l’enfant apprend à lire silencieusement, il écrit bouche close, il écrit sans se dicter la moindre chose. Il entend, certes, mais il ne sait plus analyser ce qu’il entend, d’où ses difficultés de concentration. Il ne s’entend plus dans sa tête lorsqu’il lit, il ne s’entend plus lorsqu’il écrit, il ne s’entend presque plus lorsqu’il pense. Etant souvent devenu muet dans sa tête, il n’a plus guère de mots pour penser : il va donc emprunter les mots ou les pensées des autres, parler et penser par stéréotypes.

         Etre muet dans sa tête ! Comment cela est-il possible pour tant d’enfants maintenant ? Les experts des Sciences de l’Education ont décidé que désormais tous nos enfants penseraient par flashs. Or jusqu’ici, l’immense majorité des Occidentaux pensait essentiellement avec des mots. Mon accompagnement de plus de 900 personnes tout au long d’une ou de plusieurs années scolaires, m’a prouvé que pour chacune, la parole intérieure redécouverte avait été salvatrice, véhicule de pensée, porteuse d’équilibre et d’autonomie. Sans cette parole, certains se traînent, sans volonté propre ; d’autres fanfaronnent, premiers de classes, dans des exercices d’où, au fil des aménagements de programmes, on a enlevé peu à peu toute découverte analytique. Comment peut-on travailler sans analyse ? Celle-ci n’est-elle pas nécessaire à la compréhension et à la mémorisation à long terme ? Pourrait-on travailler sans comprendre ou sans mémoriser de façon autonome ? Quels sont donc les rapports entre la vue, la parole, l’écriture, la compréhension et la mémorisation à long terme ? Pourrait-on travailler sans comprendre ou sans mémoriser de façon autonome ? Quels sont les rapports entre la vue, la parole, l’écriture, la compréhension, l’analyse, la mémoire, la logique et le cerveau ? C’est ce que j’ai cherché à comprendre tout au long de mes recherches. 

         C’est à partir des prestations de mes élèves et stagiaires et de leurs raisonnements, que j’ai compris le rôle de la parole et de l’analyse dans le développement de la pensée de certains individus, celui de leur mémoire, de leur logique, et même de leur conscience. Et d’une analyse à l’autre, de celles de mes observations, à celles des manuels scolaires récents, j’ai été amené à compulser des ouvrages sur la biologie du cerveau. Les informations que j’y ai trouvées corroboraient mes observations sur le terrain, mais, par contre, elles infirmaient très nettement les nouvelles théories des Sciences de l’Education véhiculées par nos organismes de formation pédagogique. J’ai alors compris peu à peu le drame de nos jeunes, la crise de notre enseignement, et celle de notre société. Notre civilisation est en péril parce qu’elle traverse une crise sans précédent du verbe. Et celle-ci démarre à la maternelle. C’est là, lors des premiers contacts de l’enfant avec le mot écrit, que se construisent certaines dyslexies et dysorthographies, là que se dessinent des avenirs chaotiques, si personne ne vient y porter remède. Là que ceux de nos enfants qui le peuvent apprennent à deviner le texte au lieu de l’analyser, à devenir liseurs, comme des mécaniques bien rodées, et non lecteurs, comme des êtres pensant, libres de découvrir ce que bon leur semble tout au long de leur vie. Là que notre société se construit, ou bien se démantèle.

         Au fil de mes recherches, j’ai donc compris que c’était bien à l’homme, aux parents bien sûr, mais surtout aux formateurs des enseignants, que revenait la lourde responsabilité de développer, ou de laisser en friches, voire de bloquer, l’intelligence de nos enfants. N’est-ce pas l’éducation nationale en effet qui s’occupe de nos enfants de trois à seize ans minimum ? L’homme se mécanise si l’on ne développe pas sa raison, si décriée actuellement, son sens de la chronologie fine, disparu de nos manuels scolaires en même temps que celui de l’analyse. L’expérience montre que c’est à partir de ces composantes – temps, analyse, et raisonnement verbal – qu’il va pouvoir s’humaniser, devenir responsable, pleinement conscient d’être.

         Aboutissement de vingt ans de recherches sur le terrain, cet ouvrage, étayé par de nombreuses analyses de cas, et de multiples preuves scientifiques, débouche progressivement sur une réalité stupéfiante à laquelle peu d’entre nous sont préparés. Chacun sait pourtant que notre société est en crise, que la violence et les sectes s’y multiplient, qu’un homme nouveau au profil impressionnant d’indifférence se développe sous nos yeux ébahis, mais l’origine de ce recul de l’humanisme est difficile à discerner pour qui n’a pas poussé, d’une main curieuse et indépendante, les lourdes portes de nos écoles. On nous parle de plus en plus de conditionnement, de gens sous influence, voire de mutation de l’homme en cette fin de siècle. Mais sait-on réellement comment de telles transformations peuvent éventuellement se mettre en place, et par quels canaux ? Comment l’homme peut y être préparé dès l’enfance, et conditionné par la suite ? C’est de cela aussi que mon livre va vous entretenir, pas à pas, comme je l’ai découvert moi-même, en aidant des personnes à se restructurer, et en analysant la pédagogie de leurs apprentissages scolaires. Il est à lire progressivement car il vous donnera, en même temps que des preuves, des techniques de restructuration. C’est en effet parce que j’ai pu  découvrir certains remèdes aux maux dont souffraient mes élèves et stagiaires, que j’ai pu comprendre l’origine du mal. Suivant à peu près les progressions de mes recherches, ce livre a la logique d’une démonstration, qui va du plus évident au plus caché. Puisque, dans le domaine pédagogique, je n’affirme rien sans l’avoir démontré au préalable, le lecteur aura tout intérêt à respecter l’ordre des chapitres, même s’il peut sauter ceux qui, plus techniques, sont marqués d’un astérisque. Toutefois, étant donné les procédés mis actuellement en œuvre dans notre société, non seulement au niveau de l’éducation, mais aussi de l’information, quel qu’en soit le canal, il est très vivement conseillé de lire la totalité de cet ouvrage avant de s’en ouvrir à son entourage.

         Il s’adresse aux enseignants, bien sûr, et aux rééducateurs qui, comme moi, ont la passion de l’éducation, le désir d’éveiller chez chacun la curiosité du monde et le plaisir d’apprendre. Il s’adresse également aux parents d’enfants en difficulté qui, après avoir dépensé des trésors de patience, sont peut-être tentés de baisser les bras. Ils pourront enfin se déculpabiliser, et aider leurs enfants à surmonter un échec que la pédagogie nouvelle leur a imposé en faisant fi des contraintes biologiques du cheminement de la pensée autonome. Il s’adresse enfin à tous les humanistes épris de justice et de liberté : mieux percevoir certains chemins d’accès à la connaissance, à la maîtrise du temps, à la mémoire autonome, à la conscience[2], c’est maîtriser notre avenir, et se protéger du Meilleur des mondes déjà en marche.

Site Nuyts & Vaillé : Savoir apprendre ("Dyslexies", "Dysorthographies", "Dyscalculies")

 

Elizabeth Vaillé-Nuyts

- La Grammaire structurante (Nuyts) : table des matières

- Violence & illettrisme (Vaillé)

- Nuyts : Dyslexie, Dyscalculie, Dysorthographie

- Nuyts : Comment vont-ils penser ?

- Enseignement et liberté : Dossier méthode de lecture



[1] Docteur en psychologie, cognitiviste et docteur en éthique
[2] La conscience : ce mot recouvre une réalité si vaste et encore si mystérieuse, qu’il nous faut préciser sous quel angle nous allons l’aborder. Nous nous limiterons ici aux trois points qui nous paraissent essentiels dans notre travail : l’entrée des informations sensorielles (où la perception consciente s’oppose à la sensation brute), le traitement de ces données (où la conscience se différencie de l’intuition), et l’accès à la conscience de soi (qui est la construction de l’identité propre).

1 commentaire:

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