12 octobre 2012

Les fractions ordinaires - Chapitre 11

Jean Macé,
CHAPITRE XI
LES FRACTIONS ORDINAIRES

En ce moment, on vit rentrer le grand laquais avec son plateau, sur lequel il y avait deux autres galettes.
— Bonne idée ! dit en riant le monarque, qui se sentait en belle humeur. Voici de quoi faire encore une division !
Oscar se leva précipitamment.
— Papa, s’écria-t-il, nous connaissons déjà la division de 2 par 8. Je voudrais bien voir la division de 2 par 3. Si tu faisais partager ces deux galettes-là entre nous trois?
— Comme tu voudras, mon bijou. Je suis bien aise de voir que tu aimes à t’instruire. Allons, chère petite, essayons cette division-là.
Pinchinette réfléchit, et, contre son habitude, elle parut inquiète.
Avec votre permission, rire, dit-elle enfin, j’essayerai la division sur une seule galette. Si elle ne réussit pas, nous verrons à faire autrement avec l’autre.
Elle prit donc une galette qu’elle coupa en dix morceaux. Elle donna trois morceaux au roi, trois à la reine, trois au petit prince, ce qui faisait neuf. Il lui en resta un.


Ce morceau coupé à son tour en dix autres, les trois personnes royales en eurent encore trois chacune. Il en resta encore un.

— Voilà ce que je craignais, s’écria-t-elle. Nous pourrions couper comme cela jusqu’à demain matin : il nous restera toujours un morceau.
Tenez, voilà notre division sur le tableau. Et laissant les galettes pour prendre la craie, elle écrivit :

— Trois dixièmes, trois centièmes, trois millièmes, trois dix-millième ! ... Nous n’en verrons jamais la fin. Il faut trouver autre chose.
— Un mot, avant d’aller plus loin, interrompit le roi. Pourquoi as-tu mis là un zéro avant ta virgule?
--- La virgule doit venir après le rang des unités, et nous n’avons pas d’unités au quotient, puisque 1, chiffre d’unité au dividende, ne contient pas le diviseur 3. Il fallait un zéro pour remplir la place vide. Vous savez bien que c’est le métier du zéro.
— C’est juste. Mais cela ne nous aide pas sortir de notre division. Comment vas-tu te tirer de là, ma pauvre fille?
— Ah bien! je suis bonne! fit tout à coup Pinchinette avec un petit éclat de rire qu’elle ne put réprimer à temps. Je vais chercher bien loin ce qui est tout près.
Et reprenant son couteau, elle partagea la seconde galette en trois morceaux.
— Voilà! dit-elle. Vous en aurez chacun un tiers.
— SI c’est là toute ton invention, je l’aurais bien trouvée moi-même. Avec une galette, c’est bien facile! Mais si tu avais eu les deux, comment aurais-tu fait?
— Je les aurais coupées toutes les deux en trois morceaux, et vous auriez en chacun deux tiers.
— Tiens, tiens, tiens! Mais à ce compte-là nous aurions bien pu en faire autant tout à l’heure avec notre division par 8?
— Votre Majesté a bien raison. On peut achever comme cela toutes les divisions, quels que soient le reste et le diviseur.
Supposons, par exemple, qu’on partage 11 galettes entre 6 personnes.
En 11, 6 est contenu une fois, et il reste 5.
On partage chacune des 5 galettes en autant de morceaux qu’il y a de personnes, c’est-à-dire en 6; et chacune des personnes prend autant de morceaux qu’il y avait de galettes, c’est-à-dire 5.
Tenez, voici comment j’écrirais cette division-là :
Comme vous le voyez, cette fraction-là n’est autre chose que le reste de la division qu’on écrit en haut, et le diviseur qu’on écrit en bas.
Le 5, qui est en haut, indique combien chaque personne a de morceaux. Je l’appellerai le numérateur. En latin, numerare veut dire compter. Il indique le compte des morceaux.
Le 6, qui est en bas, indique en combien de morceaux chaque galette a été partagée. Je l’appellerai le dénominateur. En latin, denominare veut dire nommer. Il indique le nom des morceaux, si ce sont des demis, des tiers, des quarts, des cinquièmes, etc.
Ici nous avons des sixièmes, et voilà notre quotient :
Une galette et cinq sixièmes.
Ce sera la part de chacune des six personnes.
— Dans ce cas-là, dit le roi, qui écoutait de toutes ses forces, au lieu d’avoir 25 centièmes de pomme pour mes 2 tocars, j’en aurais 2 huitièmes. J’aime mieux cela. Les morceaux sont plus gros, et il me semble que j’y ai plus de profit.
— C’est absolument la même chose, reprit Pinchinette.
Dans le premier cas, la pomme est partagée en 100 morceaux, et vous en avez 25.
Dans le second cas, elle est partagée en 8 morceaux, et vous en avez 2.
25 est le quart de 100. 2 est le quart de 8. D’une façon comme de l’autre, c’est toujours le quart d’une pomme que vous avez.
— Vois-tu maman, dit là-dessus Oscar à la reine, tout à l’heure sur les deux galettes je n’avais qu’un quart de galette, et cette fois, sur une seule, j’ai eu un tiers. Tu vois bien que, même avec ta part, je n’avais pas encore mon compte, car cela m’a fait deux quarts, et j’aurais eu deux tiers.
— Tu n’y as pas perdu beaucoup, cher petit. La différence n’est pas bien grande.
Mademoiselle Pinchinette, continua la reine en s’adressant à la petite fille, pourriez-vous nous dire quelle est la différence entre deux tiers et deux quarts?
— C’est une soustraction que vous me demandez-là, madame. Laissez-moi y réfléchir un instant.
Pour y voir plus clair, je veux écrire d’abord les deux fractions.
 
     Rendons-nous bien compte de notre affaire.
Avec deux fractions qui auraient le même dénominateur, la soustraction serait bientôt faite. On retrancherait le numérateur de la plus faible du numérateur de la plus forte. Et de même, si l’on voulait additionner. On n’aurait qu’à réunir ensemble les numérateurs. C’est ce que vient de faire tout naturellement Son Altesse le prince Oscar. Il a vu tout de suite qu’un quart et un quart, cela fait deux quarts; qu’un tiers et un tiers, cela fait deux tiers.
Mais pour faire ces deux opérations-là, il est indispensable que les fractions aient le même dénominateur. On ne peut pas plus soustraire 2 quarts de 2 tiers, qu’on ne peut additionner ensemble 3 pommes et 6 chiens. Que ce soit des tiers, des quarts, des chiens, des pommes, il faut toujours opérer sur des choses de même nature.
Nous voilà donc forcés de réduire 2/3 et 2/4 au même dénominateur, sans rien changer, bien entendu, à la valeur de chaque fraction. Comment faire ?
Elle regarda quelques instants ses deux fractions; puis se frappant joyeusement la tête :
— J’ai trouvé, dit-elle. Il s’agissait seulement de faire attention à deux choses.
D’abord il est bien clair que si je multiplie à la fois le numérateur et le dénominateur d’une fraction par un nombre quelconque, 4 par exemple, elle ne changera pas de valeur, puisque d’une part j’aurai 4 fois plus de parties, et que de l’autre elles seront 4 fois plus petites, l’unité se trouvant partagée en un nombre de parties 4 fois plus grand.
Faisons cette opération-là sur 2/3 ; nous aurons 8/12 qui représente exactement la même quantité.
Vous devez vous rappeler ensuite qu’il a été convenu, quand on vous a montré la multiplication, que 3 multiplié par 4, et 4 multiplié par 3, cela revenait absolument au même, et qu’on avait nécessairement le même produit.
Multiplions maintenant de la même manière les deux parties de 2/4 par 3, nous aurons 6/12 qui a exactement la même valeur.
Qu’avons-nous fait là ?
Nous avons multiplié les deux nombres de chaque fraction par le dénominateur de l’autre, 2 et 3 par 4, 2 et 4 par 3. De cette façon-là les deux dénominateurs ont été multipliés deux fois l’un par l’autre, et l’on devait avoir nécessairement deux fois le même produit.
C’est bien aussi ce qui est arrivé.
Au lieu de 2/3 et 2/4 qu’on ne pouvait soustraire l’un de l’autre, nous avons maintenant 8/12 et 6/12 avec lesquels la soustraction est bien facile.
Retranchons 6 de 8, il reste 2.
Malgré votre générosité; madame, Son Altesse le prince Oscar a perdu deux douzièmes de galette à la division que j’avais proposée.
— Deux douzièmes, c’est beaucoup ! murmura le prince Oscar.
— C’est un sixième. Nous pouvons nous servir ici de la division, comme tout à l’heure de la multiplication. En divisant les deux nombres, ou, si vous voulez, les deux termes d’une fraction par le même nombre, nous n’en changeons pas la valeur.
Ainsi 1/6, qui représente 2 et 12 divisés chacun par 2, a juste la valeur de 2/12.
En effet, au lieu de deux morceaux de galette, nous n’en avons plus qu’un, c’est vrai; mais aussi la galette, au lieu d’être coupée en douze, n’est plus coupée qu’en six, et il est bien évident que notre nouveau morceau vaut les deux anciens, puisque si l’on coupait chacun des six morceaux en deux, cela en ferait douze. Un sixième vaut donc deux douzièmes.
Oscar, qui se dépêchait d’achever sa dernière bouchée de galette, fit signe de la tête qu’il avait compris, et il tirait déjà la robe de sa maman pour se faire emmener.
— Attendez un moment, dit Pinchinette, en vous parlant de multiplication et de division, je viens de m’apercevoir d’une chose.
Pour multiplier une fraction par un nombre, supposons 3, on peut indifféremment multiplier son numérateur, ou diviser son dénominateur par 3.
Dans le premier cas, on a 3 fois plus de parties ; dans le second, elles deviennent 3 fois plus grandes.
Pour diviser une fraction par 3, il est également indifférent de diviser son numérateur, ou de multiplier son dénominateur par 3.
Dans le premier cas, on a 3 fois moins de parties ; dans le second, elles deviennent 3 fois plus petites.
Je crois qu’il est bon d’en prendre note. Cela pourra nous servir par la suite.
— Votre Majesté désire-t-elle que nous cherchions autre chose? continua Pinchinette en se tournant du côté du roi qui commençait à bâiller.
— Non, chère petite, répondit-il en se secouant un peu. À chaque jour suffit sa peine. Je trouve que c’est assez pour aujourd’hui. Nous savons maintenant ce que c’est que ces fractions. Le reste viendra plus tard, au fur et à mesure que nous en aurons besoin.
Là-dessus il se leva, car il se sentait les jambes tout engourdies par une aussi longue séance, et toute l’assemblée en fit autant.
La reine vint embrasser Pinchinette qui se vit entourée en un clin d’œil par tous les courtisans, chacun l’accablant de tant de compliments qu’elle en était devenue toute rouge, et ne savait plus quelle contenance garder. Le roi, voyant son embarras, la prit par la main, et l’emmena dans une embrasure de fenêtre, où personne n’osa le suivre.
— Écoute, mon enfant, lui dit-il du ton le plus paternel, je te dois une récompense pour tout ce que tu viens de nous apprendre. Quelle place veux-tu à ma cour? Parle, tu peux choisir; et si tu en demandes une qui n’existe pas, on la fera pour toi.
— Sire, je n’en demande aucune, répondit Pinchinette. Je suis trop heureuse chez ma marraine. Mais si vous voulez me faire bien plaisir, rendez-moi mes deux frères que vous avez fait habiller si drôlement. Je les connais; ils n’ont pas la tête forte; ils finiraient par la perdre au milieu de tout ce monde-là.
Heureusement pour la hardie petite fille que personne n’avait pu l’entendre, car je ne sais pas trop ce qui aurait pu se passer. L’admiration, et même un certain respect qu’elle inspirait au roi, la protégèrent aussi contre la bouffée de colère qui lui était montée au nez.
— Tous ces gens d’esprit sont les mêmes, grommela-t-il dans sa barbe. Ils sont d’une fierté qui est vraiment ridicule.
Puis, prenant son parti en brave :
— Emmène tes frères, mon enfant, continua-t-il d’une voix radoucie. Puisque tu ne veux pas d’autre récompense, je ferai mettre une belle page pour toi dans l’histoire de mon règne. Tu peux y compter.
Pinchinette partit donc avec ses frères, et la page qu’on lui avait promise lui fut donnée assurément. Par grand malheur toute l’histoire du règne a été perdue depuis, si bien qu’on ne sait plus même le nom du roi : c’est pour cela que. jusqu’à présent vous n’aviez jamais entendu parler de Pinchinette, la plus spirituelle petite fille qui ait jamais existé. Voyez à quoi elle se serait exposée si elle avait travaillé pour la gloire ! Mais comme elle ne demandait qu’à faire plaisir et à être utile aux autres, elle a eu bien sûr la récompense qu’elle voulait, et nous ne la plaindrons pas.


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