* si l'homme
doit ou non préférer la sécurité et la vie accompagnées de l'ignorance, un mode
de vie bas et de mauvaises actions —
* s'il y a ou
non une différence entre l'existence et la vie de l'homme lorsqu'il mène un tel mode
de vie, et son existence et sa vie, non en tant qu'homme, mais en tant qu'animal et en
tant que pire qu'un animal.
* S'il y a une
différence entre la mort et la non-existence de l'homme, son existence accompagnée
d'ignorance et le fait de mener ce mode de vie inférieur, et le fait
d'être un animal
et pire qu'un animal.
* S'il est
préférable de
mener une vie de bête et pire que la vie d'une bête, ou de mourir.
* Si, lorsqu'un homme en arrive
à désespérer de pouvoir vivre le reste de ses jours en conformité avec le mode de vie
vertueux et la philosophie, et qu'il sait qu'à la fin de ses jours sa survie dépendra du fait
qu'il mène un mode de vie bestial ou un mode de vie par lequel il deviendra pire
qu'une bête, il doit mener une telle existence et la préférer ou s'il ne doit pas regarder la mort
comme préférable.
* Et si, lorsqu'il
a besoin d'être modéré ou courageux ou de posséder toute autre vertu, et que ni cette vertu, cette modération, ni
ce courage ne sont vraie vertu, ni modération ni courage mais seulement tenus
pour être tels, l'homme doit préférer la vie ou s'il doit préférer la mort.
Il
rechercha ces choses en deux de ses livres ; le premier est la Protestation
de Socrate devant les Athéniens, et
le second est son livre connu sous le titre de Phédon
(kâlan).
Il expliqua que l'on doit préférer la mort à une telle
vie et qu'une telle vie conduit seulement à l'une de deux conditions : l'accomplissement,
soit d'activités uniquement bestiales, soit d'activités pires que bestiales. Car il n'y a pas de différence entre
<voir> un homme qui possède la bestialité la plus achevée et qui
accomplit les activités les plus parfaites de ce genre, et supposer qu'il est
mort et transformé en une bête de cette forme. Ainsi, il n'y a pas de différence entre un homme qui agit comme un poisson, et
un poisson revêtu de l'apparence d'un homme : sa seule vertu est sa forme humaine et le fait qu'il agit comme un
poisson parfait. Il n'y a aucune
différence non plus entre le fait d'avoir une forme de poisson, d'agir comme un
poisson et néanmoins de bien calculer ses actions comme un homme. Car en tout
cela il ne possède pas
d'humanité si ce n'est dans la
mesure où le calcul, par lequel il accomplit bien l'activité de cette bête, est le calcul d'un homme. Il expliqua que plus il
accomplit parfaitement l'activité
de la bête, plus il est éloigné
d'être humain ; si les activités de cette bête venaient d'un corps animé quelconque ayant la forme de cette bête
ainsi que le calcul de l'homme au
sujet de ces activités, ces
activités ne seraient que l'activité la plus parfaite qui puisse procéder de cette bête - d'autant plus parfaitement et
efficacement le corps
animé accomplit les activités de cette bête, d'autant plus il s'éloigne de l'humanité.
Par conséquent, il vit que le temps et la vie de
quiconque ne cherche pas ne sont pas ceux d'un être humain, et
qu'il ne doit pas se soucier de mourir et préférer la mort à
la vie à l'exemple de ce que fit Socrate. Car lorsqu'il sut qu'il ne pourrait survivre sans
se conformer à de fausses
opinions et sans mener un mode de
vie bas, il préféra la mort à la vie. Cela fit voir clairement que si l'homme partage les opinions et les modes de
vie des citoyens de ces nations
et de ces cités, ou de celles
qui leur ressemblent, sa vie ne sera pas celle d'un être humain ; et s'il souhaite s'écarter de leurs voies et s'en isoler pour rechercher la
perfection, il mènera une existence misérable. Il est très improbable qu'il
puisse parvenir à ce qu'il souhaite. Car il sera nécessairement exposé à deux sorts,
ou bien la mort, ou bien la privation de la perfection.
Par
conséquent, il lui devint clair qu'il faut une autre cité et une autre nation, différentes des cités et des nations existant en ce
temps-là. Par conséquent, il lui fallut rechercher ce qui distingue cette cité. Il commença par rechercher
ce qu'est la vraie justice, comment elle doit être et comment elle doit être
appliquée. Comme il menait cette recherche, il vit qu'il lui fallait examiner
la justice généralement reçue et appliquée dans les cités.
texte modifié dans la mise en forme (passages mis en gras et retours à la ligne avec *), extrait de La Philosophie de Platon, d'Al-Farabi, traduit par Olivier Sedeyn et Nassim Lévy, éditions Allia, 2002
“Le Platon de Fârâbî présente Platon comme un homme qui eut à découvrir entièrement par lui-même la signification même de la philosophie. Il ne présente pas tant le Platon historique que le philosophe typique, lequel, une fois parvenu à la maturité de l’esprit, ‘comme un homme qui marche seul et dans les ténèbres’, doit prendre un nouveau départ et suivre son propre chemin quelle que soit l’importance de l’assistance qu’il a reçue de ses maîtres et leur talent. Par ce fait même, Fârâbî se révèle un vrai platonicien.” (Leo Strauss)
La Philosophie de Platon est un texte clef de la philosophie
islamique médiévale. Il permet de découvrir un pan méconnu de
l’histoire des idées : la résonance qu’eut, dans le monde musulman, la
philosophie platonicienne et aristotélicienne. Al-Fârâbî nous offre
ainsi une image de Platon déroutante pour un lecteur occidental. Il
s'attache principalement à l'aspect politique de sa philosophie, et la
façon dont celle-ci propose une conception du bonheur qui peut rejoindre
celle du philosophe musulman.
NOTICE "AL-FARABI", par Olivier Sedeyn et Nassim Levy
On ne connaît que peu de choses de la vie d'Abû Nasr
Muhammad Ibn Muhammad Ibn Tarahân Ibn Usalug Al-Fârâbi,
et les renseignements biographiques qui nous sont fournis par ses disciples et
successeurs sont bien souvent soumis à caution. Selon l'avis courant, il est né
vers 87o (259 de l'hégire) dans un petit village du district de Fârâb. Sa
famille, d'ascendance perse, avait migré depuis plusieurs générations dans
cette région de l'actuel Turkestan, et son père avait suivi la carrière
militaire jusqu'au grade de général. Après des études à Fârâb et Bukhara, il
part pour Baghdâd poursuivre sa formation intellectuelle. Il étudie, officie
comme Qadi (juge) puis enseigne dans
la capitale abbasside durant de longues années (env. 901-941) et accomplit
plusieurs voyages dans l'Empire byzantin pour compléter ses recherches
linguistiques et philosophiques. Suite à l'accélération du démembrement de
l'empire musulman et à la dégradation de la situation à Baghdâd même, il part
en Egypte puis en Syrie, pays dans lequel il demeurera jusqu'à sa mort en
96o/339.
Ne sont parvenus jusqu'à nous qu'une centaine
d'ouvrages attribués à Al-Fârâbî,
dont la majorité est consacrée à la logique (monographies, commentaires et
paraphrases de traités d'Aristote et des aristotéliciens). Le reste de sa production porte
sur des questions de métaphysique, d'éthique, de science politique, de
sociologie, de médecine et même de musicologie — musicien accompli, on lui doit
le Kitâb al-Mûsîqâ al-Kabir ("Grand
livre de la Musique"), l'invention d'instruments et le perfectionnement du
système de notation musicale. Son œuvre encyclopédique et l'importance de ses
travaux philosophiques lui ont valu d'être connu de la postérité comme le
"Deuxième
Maître" (al-Mou'allinz al-Thanz),
le premier étant Aristote.
Le
développement de la pensée théologique et philosophique en pays d'Islam au
Moyen Age s'est avant toute chose appuyé sur la traduction, l'étude et le
commentaire des textes grecs et hellénistiques. Au milieu du Xe
siècle, les érudits arabes disposaient de traductions de la totalité du Corpus Aristotelicum, de bon nombre de
commentaires de l'école aristotélicienne, de quelques dialogues de Platon
(parmi lesquels, de manière assurée, figuraient Le Timée, La République et
Les Lois), d'extraits des Ennéades de Plotin, plus connus sous le
titre de Théologie d'Aristote, ainsi
que de nombreux textes apocryphes attribués à Aristote ou Platon. Ces
traductions se fondaient sur le texte original grec ou sur des traductions en
syriaque. De très bonne qualité, elles ont été utilisées jusqu'à nos jours pour
corriger ou compléter certains textes grecs douteux ou perdus.
La Philosophie de Platon constitue la
partie centrale d'une trilogie intitulée Philosophie
de Platon et d'Aristote, dans
laquelle elle est encadrée par L'Obtention
du bonheur et La Philosophie d'Aristote. En 1936
paraît à Paris La Place d'al-Fârâbî dans
l'école philosophique musulmane d'Ibrahim Madkour, première étude moderne
consacrée aux travaux philosophiques d'Al-Fârâbî.
En 1943 est publié à Londres le texte arabe de la Philosophie de Platon accompagné d'une traduction latine. Léo
Strauss consacre deux ans plus tard une étude au Platon d'AlFârâbî (Léo
Strauss, Le Platon de Fârâbî, Paris, Editions
Allia, 2002). Muhsin Mahdi, également auteur de La Cité vertueuse d'Alfarabi (Albin Michel) et de l'article
consacré à Al-Fârâbî dans l'Histoire
de la philosophie politique dirigée par Léo Strauss et Joseph Cropsey
(P.U.F., 1994), propose en 1969 une traduction anglaise de l'intégralité de la
trilogie sous le titre Alfarabi's
Philosophy of Plato and Aristotle (Cornell Paperbacks, New York), à
partir de laquelle a été établie la traduction française publiée dans le numéro
67 de la revue Philosophie en
septembre 2000. Notre édition est la première à proposer une traduction établie
à partir du texte arabe.
VOIR AUSSI :
VOIR AUSSI :
Al-Farabi, le Second Maître
Devenir le Centre Culturel & Scientifique du Monde : l'exemple du monde musulman au Moyen-Age
Pour commencer à étudier la philosophie médiévale, par Leo Strauss
"Car chaque être est fait pour atteindre la perfection ultime qu'il
est susceptible d'atteindre conformément à sa place dans l'ordre de
l'être. La perfection spécifique de l'homme est appelée le bonheur
suprême."
Dans ce texte composé de 64 paragraphes, Al-Fârâbî recherche quelles
sont les choses qui permettent aux nations et à leurs habitants
d’atteindre le bonheur terrestre et le bonheur suprême dans la vie à
venir. De façon rationnelle, il décrit les différentes étapes qui mènent
peu à peu jusqu’au plus haut stade de la félicité. Ses conseils
s’adressent aux gouvernants mais aussi au simple citoyen et dessinent
ainsi un modèle de cité idéale. C’est, avec quelques siècles d’avance,
un véritable humanisme qui se met ici en place, fait de tolérance et de
foi en la raison, et visant à concilier bien public et bonheur
individuel.
|
Le Platon de Fârâbî,Leo Strauss
“Le Platon de Fârâbî s’occupe essentiellement du bonheur et en
particulier de la relation de la philosophie avec le bonheur ; et dans
la mesure où le bonheur est le sujet de la science politique, nous
pouvons dire que son Platon est essentiellement une recherche politique.
Dans le cadre de cette philosophie politique, le Platon de Fârâbî
examine entre autres choses le caractère essentiel de la philosophie :
afin d’établir le rapport entre la philosophie et le bonheur, il lui
faut établir en premier lieu ce qu’est la philosophie elle-même.”
Cette étude inédite resitue le commentaire de Platon par Al-Fârâbî
dans son contexte culturel et philosophique, le Moyen Âge musulman.
Familier aussi bien de la philosophie arabe qu’occidentale, Leo Strauss
offre une lecture lumineuse de ce traité et met au jour le matérialisme
caché d’Al-Fârâbî. Au-delà de ce cas particulier, ce livre pose les
questions essentielles du bonheur, du pouvoir et de la démocratie en
général.
|
Prof. Dr. Mubahat TÜRKER - KÜYEL
Bibliographie Al-Farabi (2002) arabe, anglais, français
The Political Writings
Selected Aphorisms and Other Texts
Translated by
Alfarabi was
among the first to explore the tensions between the philosophy of classical Greece and that
of Islam, as well as of religion generally. His writings, extraordinary in
their breadth and deep learning, have had a profound impact on Islamic and
Jewish philosophy. This volume presents four of Alfarabi's most important
texts, making his political thought available to classicists, medievalists, and
scholars of religion and Byzantine and Middle Eastern studies.
In
a clear prose translation by Charles E. Butterworth, these treatises provide a
valuable introduction to the teachings of Alfarabi and to the development of
Islamic political philosophy. All of these texts are based on new Arabic
editions. Two—The Book of Religion and
Harmonization of the Two Opinions of the
Two Sages, Plato the Divine and Aristotle—appear in English for the first
time. The translations of the other two works—Selected Aphorisms and chapter five of the Enumeration of the Sciences—differ markedly from those previously
known to English-language readers.
Butterworth
situates each essay in its historical, literary, and philosophical context. His
notes help the reader follow Alfarabi's text and identify persons, places, and
events. English-Arabic and Arabic-English glossaries of terms further assist
the reader.
Philosophy of Plato and Aristotle
Translated by
Muhsin Mahdi
Foreword by
Charles Butterworth, Thomas L. Pangle
This long-awaited reissue of the 1969 Cornell edition of Alfarabi's Philosophy of Plato and Aristotle contains Muhsin Mahdi's substantial original introduction and a new foreword by Charles E. Butterworth and Thomas L. Pangle. The three parts of the book, "Attainment of Happiness," "Philosophy of Plato," and "Philosophy of Aristotle," provide a philosophical foundation for Alfarabi's political works.
http://www.cornellpress.cornell.edu/book/?GCOI=80140100127630
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