"Dans tout apprentissage, qu’il s’agisse d’orthographe,
de musique, de mathématiques, de sport ou de toute autre activité dans
laquelle on souhaite devenir performant, il est indispensable de
multiplier les exercices identiques et de s’entraîner avec une très
grande régularité, à des intervalles de temps espacés d’une courte
durée. Aucune performance n’échappe à cette règle, quelles que soient
les capacités individuelles de chacun."
Ghislaine Wettstein-Badour,
Bien parler, bien lire, bien écrire (Donnez toutes les chances à votre enfant), Eyrolles, 2006, pp. 152-155
Les
critères d’une pédagogie optimisée de l’orthographe
Les difficultés d’acquisition de l’orthographe
touchent une très grande majorité des enfants de primaire mais également un pourcentage
très élevé d’élèves au collège et au lycée, voire dans l’enseignement
supérieur, et d’adultes. Les parents sont en général très perturbés par ce
problème : ils ne comprennent pas comment un enfant qui ne peut transcrire
correctement sa pensée par écrit pourra espérer suivre ultérieurement une
scolarité et réussir dans sa vie professionnelle. Leur réaction est légitime
car un jour viendra où cette incapacité à maîtriser l’écrit constituera un obstacle
majeur qui empêchera l’élève de réussir le projet qu’il s’est fixé.
Heureusement, aucune situation n’est irréversible en
ce domaine, mais le travail pour triompher de ce handicap risque de devoir être
fourni à un moment où l’adolescent ou le jeune adulte devra utiliser toutes ses
ressources pour atteindre ses objectifs. Le bon sens voudrait que cet
apprentissage de base qu’est l’apprentissage de l’orthographe soit, après celui
de la lecture et de l’écriture, une priorité de l’enseignement primaire. L’absence
de prise en compte des exigences du fonctionnement cérébral dans l’apprentissage
de la lecture et de l’écriture conduit aux mêmes aberrations dans l’apprentissage
de l’orthographe.
Pourtant, la
restitution de l’oral à l’écrit, qui est un apprentissage difficile, peut être
considérablement facilitée par la connaissance de quelques points fondamentaux
dont nous résumerons les éléments essentiels, lesquels permettent d’élaborer
une méthode optimisée de l’apprentissage de l’orthographe.
Venu du grec, le mot orthographe signifie « écrire correctement ». Cela ne se limite pas
à la qualité du graphisme mais inclut la maîtrise des règles qui régissent l’écriture
des mots en fonction de leur nature et de leur rôle dans la phrase, ainsi que
celles qui sont le reflet de l’usage de la langue et de son évolution au cours
du temps.
Un certain nombre de procédés facilitent
considérablement l’acquisition de l’orthographe.
Connaître le code alphabétique de la langue
Avant d’entrer dans les complexités de la grammaire,
il est indispensable de pouvoir écrire correctement les mots qui s’écrivent «
comme ils se prononcent ». L’indispensable maîtrise du code alphabétique de la
langue est la première connaissance nécessaire pour transcrire la langue orale
par écrit.
L’apprentissage explicite, qui limite les possibilités
de confusions dans l’équivalence entre phonèmes et graphèmes, est une garantie
de succès pour poser ces premières briques de l’apprentissage orthographique.
Savoir qu’il faut mettre « ss » entre deux voyelles
pour écrire le son « s » et un seul pour traduire « z » est une connaissance orthographique
qui est liée à l’apprentissage de la lecture. Il en est de même pour le son « g
» qui s’écrira avec un « u » dans « guitare », seule solution possible pour
faire correspondre, dans ce mot, sons et graphismes.
Cette première base n’est malheureusement pas toujours
assimilée, même chez les élèves en fin de primaire ou en collège !
Le rôle de l’épellation
Pour reproduire ce que l’on entend ou les sons que l’on
se représente mentalement, il faut d’abord savoir les écouter et les différencier
les uns des autres. Les dysorthographiques ont pratiquement tous éprouvé, lors
de l’apprentissage de la lecture, des difficultés pour comprendre les liens qui
unissent les sons aux graphismes. A l’âge de l’apprentissage de l’orthographe,
l’épellation constitue le meilleur moyen pour parvenir à combler ce déficit.
Pratiquée depuis des siècles, individuellement ou collectivement,
l’épellation concourt à faire prendre conscience des suites de lettres dans les
mots. Cette technique, dont des études neurologiques récentes viennent de
montrer l’efficacité dans l’apprentissage de l’orthographe, permet à la fois de
faciliter l’apprentissage de l’orthographe et de fluidifier une lecture encore
hésitante. Elle est pourtant rarement utilisée en classe actuellement.
Faciliter l’apprentissage des règles orthographiques en les classant par catégories
Certaines aires cérébrales sont spécialisées dans le
traitement et la mémorisation des mots en fonction de leur rôle grammatical
dans la phrase (verbes, noms communs, noms propres, etc.). Ce traitement de l’information,
présent dans la langue orale, l’est également dans la langue écrite. Mais la
plupart des spécialistes de cette question s’accordent à dire que la complexité
de la mise en œuvre de l’orthographe est telle qu’elle nécessite, pour aboutir
au résultat escompté, l’intervention d’un très vaste réseau de neurones interconnectés,
dont ces aires font partie. Les éléments de ce réseau sont reliés de telle
manière que chaque neurone est en relation avec tous les autres neurones du
réseau. Chacun d’eux bénéficie donc du travail de l’ensemble du réseau, réseau
qu’il fait à son tour profiter de son propre travail. On comprend dès lors que
la moindre erreur qui se glisse à un niveau quelconque du réseau constitue une perturbation
à laquelle il faut trouver une solution. Si le réseau dispose d’éléments
suffisants pour régler le problème, la solution est trouvée. Dans les cas où
les notions erronées sont trop nombreuses et les difficultés trop importantes,
les problèmes posés deviennent insolubles.
La mise en mémoire se fait par catégorisation.
Le classement des données dans le réseau et dans les
aires qui le composent s’opère par catégories : verbes, noms propres, noms
communs, adjectifs, mots de liaison, etc. Il est bien évident qu’il est plus
simple de reconnaître ces catégories par apprentissage explicite que de
découvrir peu à peu par soi-même les différents groupes de mots et leur
fonction, comme c’est le cas lorsqu’on ne propose pas aux élèves de véritables
leçons de grammaire.
La catégorisation des mots implique de savoir
reconnaître le rôle de chacun dans la phrase écrite, comme il est nécessaire de
le faire dans la langue orale. Mais la difficulté dans l’écrit dépasse de beaucoup
la prise de conscience du rôle du mot dans le langage oral car la fonction du
mot dans la phrase modifie souvent la manière de 1’écrire.
Là encore, et peut-être plus que partout ailleurs, l’apprentissage
explicite de la fonction grammaticale de chaque mot est une nécessité
incontournable pour permettre d’aboutir à une reconnaissance rapide de ce rôle
qui conditionnera la forme orthographique du mot.
L’analyse grammaticale est un des piliers fondamentaux
de l’orthographe : c’est d’elle que découle le choix orthographique qui
correspond à la situation analysée.
On pourrait nous rétorquer que si la catégorisation
des mots est simple, celle des règles de grammaire l’est beaucoup moins. Ce
serait mal connaître la structure de notre langue. En effet, elle conserve de
ses origines latines une rigueur qui en facilite l’accès à l’hémisphère gauche
et répond bien à son besoin de logique. Le rôle d’une bonne pédagogie consiste
donc à mettre en évidence tout ce qui peut être catégorisé et analysé sous
forme de règles qui fournissent une solution généralisable au plus grand nombre
possible de situations orthographiques. Quant aux exceptions, l’étude de la
langue montre qu’elles sont d’autant plus limitées qu’on aura su dégager le
plus grand nombre possible de règles générales.
Automatiser les savoirs
Pour pouvoir disposer d’une orthographe de bonne
qualité, il ne suffit pas d’en connaître les règles, il faut aussi pouvoir en automatiser
l’usage. Parmi les enfants qui ont appris des règles de grammaire et de
conjugaison, beaucoup les récitent oralement mais sont incapables de les
appliquer lorsqu’ils écrivent ou n’y parviennent que de manière irrégulière.
Comment faut-il procéder pour automatiser l’usage des connaissances ?
Le but visé est atteint quand l’intégration, dans l’écriture,
des règles nées de l’usage et de la structuration grammaticale de la langue est
suffisamment imprimée dans les circuits cérébraux pour que ceux-ci puissent les
mobiliser efficacement et rapidement.
Eric Kandel nous a appris que plus on se rapproche de
la situation qui a permis la mise en mémoire d’une connaissance, plus celle-ci
est mobilisée rapidement par le cerveau. Ce chercheur a remarquablement
démontré que la répétition, à intervalles rapprochés, de la donnée que l’on
veut mettre en mémoire raccourcit le temps de traitement de l’information, en
permettant aux circuits neuronaux de se connecter plus facilement. Cela est dû
au fait que chaque passage de l’information dans un circuit y laisse une trace
qui permet aux neurones de se connecter de plus en plus vite lorsqu’ils seront
à nouveau en présence de cette information. C’est la raison pour laquelle, dans
tout apprentissage, qu’il s’agisse d’orthographe, de musique, de mathématiques,
de sport ou de toute autre activité dans laquelle on souhaite devenir
performant, il est indispensable de multiplier les exercices identiques et de s’entraîner
avec une très grande régularité, à des intervalles de temps espacés d’une
courte durée. Aucune performance n’échappe à cette règle, quelles que soient
les capacités individuelles de chacun.
En orthographe, la mise en place de la catégorisation
passe par la nécessité, pour identifier chaque mot, de l’analyser en se posant
toute une série de questions qui permettent de mettre en évidence sa nature,
son genre, son nombre, sa fonction dans la phrase, etc. Si l’on veut que ce
mécanisme devienne très performant, il faut que les questions posées le soient
toujours sous une forme identique, afin que le cerveau se retrouve à chaque
fois dans les conditions qui ont laissé dans ses neurones les traces qui
permettront l’installation de l’automatisation. C’est ce qui arrive au sujet
qui maîtrise parfaitement l’orthographe. Il exécute ce travail de
questionnement sur chaque mot qu’il écrit, le plus souvent sans s’en rendre
compte, car les opérations intellectuelles qu’il effectue sont trop rapides
pour qu’il ait la possibilité d’en prendre conscience.
Une pédagogie optimisée de l’orthographe doit donc
mettre le sujet qui apprend en situation d’acquérir ces automatismes, qui lui
laisseront alors la liberté de concentrer son attention sur la qualité
littéraire de son texte sans avoir à se préoccuper à tout moment de la manière
d’écrire les mots qu’il utilise.
La tendance actuelle des pédagogies modernes non
directives, d’où tout effet de répétition est banni afin que l’enfant «
construise lui-même son savoir », en orthographe comme en lecture, est aux
antipodes des attentes du cerveau. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner
des difficultés que rencontrent enfants et adolescents pour acquérir ces
savoirs qu’une bonne pédagogie scolaire devrait leur permettre de maîtriser en
fin de primaire ou au plus tard en collège. La réalité étant loin de ce schéma,
les parents se trouvent donc très souvent dans l’obligation de prendre la
décision d’aider leurs enfants pour leur éviter des échecs qui leur fermeront
les portes de la réussite, quelle que soit la voie qu’ils choisissent sur le
plan professionnel.
Nous allons donc maintenant envisager les solutions
concrètes qui s’offrent aux familles qui veulent aider leurs enfants aux divers
stades de leur scolarité.
Chapitre 10 –
Comment aider un enfant en difficulté dans l’apprentissage de l’écrit, en
fonction de son âge et de son niveau
Ghislaine Wettstein-Badour,
Bien parler, bien lire, bien écrire (Donnez toutes les chances à votre enfant), Eyrolles, 2006, pp. 152-155
Bien parler, bien lire, bien écrire (Donnez toutes les chances à votre enfant), Eyrolles, 2006, pp. 152-155
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