23 avril 2012

L'orthographe, comment faire ? - quelques conseils par Ghislaine Wettstein-Badour

"Dans tout apprentissage, qu’il s’agisse d’orthographe, de musique, de mathématiques, de sport ou de toute autre activité dans laquelle on souhaite devenir performant, il est indispensable de multiplier les exercices identiques et de s’entraîner avec une très grande régularité, à des intervalles de temps espacés d’une courte durée. Aucune performance n’échappe à cette règle, quelles que soient les capacités individuelles de chacun."

Ghislaine Wettstein-Badour 

Bien parler, bien lire, bien écrire (Donnez toutes les chances à votre enfant), Eyrolles, 2006, pp. 152-155

 Les critères d’une pédagogie optimisée de l’orthographe



Les difficultés d’acquisition de l’orthographe touchent une très grande majorité des enfants de primaire mais également un pourcentage très élevé d’élèves au collège et au lycée, voire dans l’enseignement supérieur, et d’adultes. Les parents sont en général très perturbés par ce problème : ils ne comprennent pas comment un enfant qui ne peut transcrire correctement sa pensée par écrit pourra espérer suivre ultérieurement une scolarité et réussir dans sa vie professionnelle. Leur réaction est légitime car un jour viendra où cette incapacité à maîtriser l’écrit constituera un obstacle majeur qui empêchera l’élève de réussir le projet qu’il s’est fixé.
Heureusement, aucune situation n’est irréversible en ce domaine, mais le travail pour triompher de ce handicap risque de devoir être fourni à un moment où l’adolescent ou le jeune adulte devra utiliser toutes ses ressources pour atteindre ses objectifs. Le bon sens voudrait que cet apprentissage de base qu’est l’apprentissage de l’orthographe soit, après celui de la lecture et de l’écriture, une priorité de l’enseignement primaire. L’absence de prise en compte des exigences du fonctionnement cérébral dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture conduit aux mêmes aberrations dans l’apprentissage de l’orthographe.
Pourtant, la restitution de l’oral à l’écrit, qui est un apprentissage difficile, peut être considérablement facilitée par la connaissance de quelques points fondamentaux dont nous résumerons les éléments essentiels, lesquels permettent d’élaborer une méthode optimisée de l’apprentissage de l’orthographe.
Venu du grec, le mot orthographe signifie « écrire correctement ». Cela ne se limite pas à la qualité du graphisme mais inclut la maîtrise des règles qui régissent l’écriture des mots en fonction de leur nature et de leur rôle dans la phrase, ainsi que celles qui sont le reflet de l’usage de la langue et de son évolution au cours du temps.
Un certain nombre de procédés facilitent considérablement l’acquisition de l’orthographe.

Connaître le code alphabétique de la langue

Avant d’entrer dans les complexités de la grammaire, il est indispensable de pouvoir écrire correctement les mots qui s’écrivent « comme ils se prononcent ». L’indispensable maîtrise du code alphabétique de la langue est la première connaissance nécessaire pour transcrire la langue orale par écrit.
L’apprentissage explicite, qui limite les possibilités de confusions dans l’équivalence entre phonèmes et graphèmes, est une garantie de succès pour poser ces premières briques de l’apprentissage orthographique.
Savoir qu’il faut mettre « ss » entre deux voyelles pour écrire le son « s » et un seul pour traduire « z » est une connaissance orthographique qui est liée à l’apprentissage de la lecture. Il en est de même pour le son « g » qui s’écrira avec un « u » dans « guitare », seule solution possible pour faire correspondre, dans ce mot, sons et graphismes.
Cette première base n’est malheureusement pas toujours assimilée, même chez les élèves en fin de primaire ou en collège !

Le rôle de l’épellation

Pour reproduire ce que l’on entend ou les sons que l’on se représente mentalement, il faut d’abord savoir les écouter et les différencier les uns des autres. Les dysorthographiques ont pratiquement tous éprouvé, lors de l’apprentissage de la lecture, des difficultés pour comprendre les liens qui unissent les sons aux graphismes. A l’âge de l’apprentissage de l’orthographe, l’épellation constitue le meilleur moyen pour parvenir à combler ce déficit.
Pratiquée depuis des siècles, individuellement ou collectivement, l’épellation concourt à faire prendre conscience des suites de lettres dans les mots. Cette technique, dont des études neurologiques récentes viennent de montrer l’efficacité dans l’apprentissage de l’orthographe, permet à la fois de faciliter l’apprentissage de l’orthographe et de fluidifier une lecture encore hésitante. Elle est pourtant rarement utilisée en classe actuellement.

Faciliter l’apprentissage des règles orthographiques en les classant par catégories

Certaines aires cérébrales sont spécialisées dans le traitement et la mémorisation des mots en fonction de leur rôle grammatical dans la phrase (verbes, noms communs, noms propres, etc.). Ce traitement de l’information, présent dans la langue orale, l’est également dans la langue écrite. Mais la plupart des spécialistes de cette question s’accordent à dire que la complexité de la mise en œuvre de l’orthographe est telle qu’elle nécessite, pour aboutir au résultat escompté, l’intervention d’un très vaste réseau de neurones interconnectés, dont ces aires font partie. Les éléments de ce réseau sont reliés de telle manière que chaque neurone est en relation avec tous les autres neurones du réseau. Chacun d’eux bénéficie donc du travail de l’ensemble du réseau, réseau qu’il fait à son tour profiter de son propre travail. On comprend dès lors que la moindre erreur qui se glisse à un niveau quelconque du réseau constitue une perturbation à laquelle il faut trouver une solution. Si le réseau dispose d’éléments suffisants pour régler le problème, la solution est trouvée. Dans les cas où les notions erronées sont trop nombreuses et les difficultés trop importantes, les problèmes posés deviennent insolubles.

La mise en mémoire se fait par catégorisation.

Le classement des données dans le réseau et dans les aires qui le composent s’opère par catégories : verbes, noms propres, noms communs, adjectifs, mots de liaison, etc. Il est bien évident qu’il est plus simple de reconnaître ces catégories par apprentissage explicite que de découvrir peu à peu par soi-même les différents groupes de mots et leur fonction, comme c’est le cas lorsqu’on ne propose pas aux élèves de véritables leçons de grammaire.
La catégorisation des mots implique de savoir reconnaître le rôle de chacun dans la phrase écrite, comme il est nécessaire de le faire dans la langue orale. Mais la difficulté dans l’écrit dépasse de beaucoup la prise de conscience du rôle du mot dans le langage oral car la fonction du mot dans la phrase modifie souvent la manière de 1’écrire.
Là encore, et peut-être plus que partout ailleurs, l’apprentissage explicite de la fonction grammaticale de chaque mot est une nécessité incontournable pour permettre d’aboutir à une reconnaissance rapide de ce rôle qui conditionnera la forme orthographique du mot.
L’analyse grammaticale est un des piliers fondamentaux de l’orthographe : c’est d’elle que découle le choix orthographique qui correspond à la situation analysée.
On pourrait nous rétorquer que si la catégorisation des mots est simple, celle des règles de grammaire l’est beaucoup moins. Ce serait mal connaître la structure de notre langue. En effet, elle conserve de ses origines latines une rigueur qui en facilite l’accès à l’hémisphère gauche et répond bien à son besoin de logique. Le rôle d’une bonne pédagogie consiste donc à mettre en évidence tout ce qui peut être catégorisé et analysé sous forme de règles qui fournissent une solution généralisable au plus grand nombre possible de situations orthographiques. Quant aux exceptions, l’étude de la langue montre qu’elles sont d’autant plus limitées qu’on aura su dégager le plus grand nombre possible de règles générales.

Automatiser les savoirs

Pour pouvoir disposer d’une orthographe de bonne qualité, il ne suffit pas d’en connaître les règles, il faut aussi pouvoir en automatiser l’usage. Parmi les enfants qui ont appris des règles de grammaire et de conjugaison, beaucoup les récitent oralement mais sont incapables de les appliquer lorsqu’ils écrivent ou n’y parviennent que de manière irrégulière. Comment faut-il procéder pour automatiser l’usage des connaissances ?
Le but visé est atteint quand l’intégration, dans l’écriture, des règles nées de l’usage et de la structuration grammaticale de la langue est suffisamment imprimée dans les circuits cérébraux pour que ceux-ci puissent les mobiliser efficacement et rapidement.
Eric Kandel nous a appris que plus on se rapproche de la situation qui a permis la mise en mémoire d’une connaissance, plus celle-ci est mobilisée rapidement par le cerveau. Ce chercheur a remarquablement démontré que la répétition, à intervalles rapprochés, de la donnée que l’on veut mettre en mémoire raccourcit le temps de traitement de l’information, en permettant aux circuits neuronaux de se connecter plus facilement. Cela est dû au fait que chaque passage de l’information dans un circuit y laisse une trace qui permet aux neurones de se connecter de plus en plus vite lorsqu’ils seront à nouveau en présence de cette information. C’est la raison pour laquelle, dans tout apprentissage, qu’il s’agisse d’orthographe, de musique, de mathématiques, de sport ou de toute autre activité dans laquelle on souhaite devenir performant, il est indispensable de multiplier les exercices identiques et de s’entraîner avec une très grande régularité, à des intervalles de temps espacés d’une courte durée. Aucune performance n’échappe à cette règle, quelles que soient les capacités individuelles de chacun.
En orthographe, la mise en place de la catégorisation passe par la nécessité, pour identifier chaque mot, de l’analyser en se posant toute une série de questions qui permettent de mettre en évidence sa nature, son genre, son nombre, sa fonction dans la phrase, etc. Si l’on veut que ce mécanisme devienne très performant, il faut que les questions posées le soient toujours sous une forme identique, afin que le cerveau se retrouve à chaque fois dans les conditions qui ont laissé dans ses neurones les traces qui permettront l’installation de l’automatisation. C’est ce qui arrive au sujet qui maîtrise parfaitement l’orthographe. Il exécute ce travail de questionnement sur chaque mot qu’il écrit, le plus souvent sans s’en rendre compte, car les opérations intellectuelles qu’il effectue sont trop rapides pour qu’il ait la possibilité d’en prendre conscience.
Une pédagogie optimisée de l’orthographe doit donc mettre le sujet qui apprend en situation d’acquérir ces automatismes, qui lui laisseront alors la liberté de concentrer son attention sur la qualité littéraire de son texte sans avoir à se préoccuper à tout moment de la manière d’écrire les mots qu’il utilise.
La tendance actuelle des pédagogies modernes non directives, d’où tout effet de répétition est banni afin que l’enfant « construise lui-même son savoir », en orthographe comme en lecture, est aux antipodes des attentes du cerveau. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner des difficultés que rencontrent enfants et adolescents pour acquérir ces savoirs qu’une bonne pédagogie scolaire devrait leur permettre de maîtriser en fin de primaire ou au plus tard en collège. La réalité étant loin de ce schéma, les parents se trouvent donc très souvent dans l’obligation de prendre la décision d’aider leurs enfants pour leur éviter des échecs qui leur fermeront les portes de la réussite, quelle que soit la voie qu’ils choisissent sur le plan professionnel.
Nous allons donc maintenant envisager les solutions concrètes qui s’offrent aux familles qui veulent aider leurs enfants aux divers stades de leur scolarité.

Chapitre 10 – Comment aider un enfant en difficulté dans l’apprentissage de l’écrit, en fonction de son âge et de son niveau
 Ghislaine Wettstein-Badour, 
Bien parler, bien lire, bien écrire (Donnez toutes les chances à votre enfant), Eyrolles, 2006, pp. 152-155



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