Séance du 11
septembre 1867.
Deuxième partie : les moyens de transport
Puisque j’ai parlé de bonté, laissez-moi vous dire en passant,
messieurs, que lorsque nous serons tous cesse bons, nous serons tous parfaits.
Alors vous ne viendrez plus écouter les conseils d’une mère de famille, vous n’en
aurez plus besoin. La bonté est la lumière par excellence. Vous saurez alors
aussi bien qu’elle, mieux qu’elle, ce qui lui reste à vous dire sur le plus
impérieux besoin des enfants ; et, il faut l’avouer, sur celui qui nous gêne et
nous importune le plus : vous avez déjà nommé tout bas, le besoin de mouvement.
Le mouvement est la première condition du développement
de tout être qui a reçu le souffle de vie. Il précède la naissance, et s’il n’est
pas lui-même la vie, il en est la première manifestation. Supprimez le
mouvement dans l’univers, c’est la mort universelle. C’est plus que la mort !
car dans le mystérieux laboratoire de la tombe un double mouvement s’accomplit
: l’un de désagrégation des parties, l’autre de retour aux gaz reconstructeurs
de l’atmosphère... Il n’y a donc point de mort ; il y a partout la vie, le
mouvement. Ainsi le mouvement est une loi universelle, une loi de Dieu ; et
tout ce qui vient de Dieu doit être
satisfait !
Le mouvement est aussi la loi de l’humanité. Nous marchons,
nous marchons tous en avant, bien ou mal, vite ou lentement. Les flots du temps
nous poussent sans que nous le sentions, sans même que nous y songions. On ne s’en
aperçoit, un beau jour, qu’en jetant le regard en arrière !...
Ce regard, jetons-le ensemble, et voyons les moyens que
l’homme a successivement employés pour satisfaire ce besoin de mouvement que
les savants appellent le besoin de locomotion.
Vous connaissez le moyen de transport du petit enfant,
accomplissant sa première locomotion ou son premier changement de lieu ? Moyen
bien doux, véhicule bien sûr ! auquel nous revenons plus tard avec bonheur, alors
que matériellement nous n’en avons plus besoin : ce sont les bras de sa mère !
Le petit enfant s’y fait un gîte, un nid, où il se sent fort et solide, et
duquel il ne veut de longtemps descendre. Quand il désire atteindre un objet ou
seulement changer de place, il étend son petit bras, la mère comprend son désir
et le transporte où il veut.
Mais il a grandi, il est descendu des bras maternels ;
il marche, et déjà le voilà qui rêve de courir ! Il lui faut maintenant... J’ose
à peine. vous montrer ce qu’il lui faut, ce qu’il veut, ce dont il s’empare ;
pourtant... le voilà : c’est la canne de son père !
Riche d’imagination comme je vous le disais tout à l’heure,
cette canne, pour lui, est une monture. Il l’enfourche; de ce ruban fait une
bride, et galope !
Doux innocent ! il parle à son docile bidet comme un
ami, et ne pense pas à mal. Mais voilà le père, la mère peut-être, qui, sans y
songer empoisonnant son âme aimante, lui met dans la main un fouet, et lui dit : frappe !...
Cruelle sottise ! détestable initiation ! quand l’innocent
croit avoir sous la main un être sensible,
lui suggérer l’idée de le faire souffrir, c’est commettre un crime !
Et puis, comme principe, quelle méprise ! Infliger la souffrance
pour faire avancer ? Mais on ne réfléchit donc pas que le propre de la
souffrance c’est de rendre craintif ; et que la crainte porte naturellement à
reculer. C’est l’affection, c’est le bonheur, c’est l’espérance qui dilatent le
cœur, donnent du courage, et poussent en avant !
Voyez, dans la vie, qui est-ce qui est brave, courageux,
généreux, entreprenant, téméraire ? C’est la jeunesse ! Pourquoi ? Parce qu’elle
est aimée, heureuse et qu’elle espère. Qui est-ce qui tremble, qui hait tout mouvement,
qui tire en arrière tant qu’elle peut? C’est la vieillesse, parce qu’elle a souffert
et qu’elle craint de souffrir encore.
Savez-vous comment les cochers russes conduisent leurs
chevaux ? Ils leur parlent ; et selon les paroles qu’ils leur disent, les
chevaux vont au pas, au trot, ou volent au milieu des neiges ! Le fouet, aux
chevaux du moins, est inconnu en Russie, et ils n’ont point d’égaux, pour la
docilité et l’ardeur, parmi nos chevaux trop souvent découragés et avilis par
les coups.
Et comment ne comprend-on pas qu’en apprenant aux
petits enfants à maltraiter les animaux, on influe sur la direction de leurs
sentiments et de leurs habitudes d’une façon déplorable? L’avenir le prouve
infailliblement. Et ainsi se trouvent perpétués par l’éducation, qui devrait
les détruire, ces moyens de violence et de barbarie, que le cœur autant que la
raison réprouve ! Non, cela n’est pas possible ! Vous vous y opposerez de
toutes vos forces, messieurs les instituteurs, et vous briserez sans scrupule
ces jouets, instruments de supplice, inventions détestables de l’imprévoyance et
de la barbarie !
(Mme Pape casse en
deux le petit fouet qui était sur la table.)
Mais l’enfant veut aller vite. Il y a en lui quelque chose
qui le pousse. Où veut-il aller ? le plus souvent il n’en sait rien. Mais c’est
la loi commune : nous voulons tous et toujours avancer. Aucun de nous ne
consentirait à rester stationnaire. Cette activité générale a sa raison d’être.
Elle atteste, mieux que des paroles, que Dieu attire à lui l’humanité par le
chemin du progrès ! Bientôt l’enfant ne se contente plus de la canne de son
père, il voit passer un âne, et ce qu’il voit, il le désire. L’ambition croît à
mesure que l’on grandit. Ah! si je pouvais monter sur l’âne ! dit-il. Et voici
sa nouvelle monture.
(Mme Pape pose sur la
table un petit âne).
Pauvre souffre-douleur, généralement raillé, surchargé
et battu ! Soyez assurés que si l’enfant grimpe sur son dos, il n’y montera pas
sans être armé de l’instrument de torture que je vous montrais tout à l’heure.
Bah ! disent certaines gens, il est accoutumé à la misère.
Je regrette de n’avoir pas le pouvoir de transformer en
âne ces gens-là, afin de les mettre à même de m’apprendre combien il faut de
mois et d’années pour s’accoutumer à souffrir.
L’âne, c’est la patience, c’est la persévérance, la sobriété.
Il n’exige qu’une seule chose, et c’est de sa part une véritable délicatesse :
il lui faut à boire une eau pure. Il est courageux, laborieux, ne recule jamais
devant le travail. Enfin, il était en honneur chez les Grecs, ce qui prouve que
ses mérites ne datent pas d’hier.
Pourtant, il faut le reconnaître, l’âne a aussi des défauts
(nul n’est parfait !), et puisque je suis en train de dire ses vérités, il faut
que je l’avoue, il est entêté, routinier en même temps que fantaisiste; et trop
souvent il préfère à la sage direction du devoir, la satisfaction de ses folles
et soudaines idées. Comme par exemple de retourner vers son écurie bride
abattue, ou de se rouler dans le sable les quatre fers en l’air, sans s’inquiéter
du cavalier qu’il promène, ou des paniers de pommes qu’il porte au marché.
Il faut ajouter encore qu’il n’a aucun goût pour le progrès,
et mérite jusqu’à un certain point, pour cette seule raison, le mal qu’on dit
de lui dans une fable espagnole que je vais vous dire, mais dont je ne volis déduirai
pas la moralité :
Un âne efflanqué, et la peau déchirée par les coups de
bâton, était arrêté sur le bord d’une route. Ses reins ployaient sous le
fardeau de deux lourds paniers, et l’un de ses pieds de devant, attaché à un
pied de derrière, l’empêchait de se coucher ou de faire un pas.
Vint à passer une troupe d’écoliers en vacances. Les écoliers
ont le cœur bon quand ils sont heureux. Ils eurent pitié de ce pauvre âne ; ils
coururent à lui, le déchargèrent de son fardeau, et délièrent ses jambes engourdies.
Puis ils lui dirent :
— Allons, viens avec nous t’égayer et courir à travers
champs.
Mais l’âne, surpris de se sentir soulagé, inclina ses longues
oreilles en avant, puis en arrière; et enfin, d’un air indécis, demanda à ses
libérateurs :
— Et ma pitance?
— Ce que la providence vous enverra, nous le partagerons
en frères, répondirent les écoliers. Viens avec nous!
— Et mon bât?
— Tu l’as porté assez lourd, pauvre bête, pour en être
enfin déchargé. Viens !
— Et le bâton?
— Bien risqué serait le bâton qui oserait te frapper à
nos côtés. Viens!
— Et mon maitre ?
— Au diable ! tu n’as plus de maître ; viens avec
nous, et vive la liberté !
À ces dernières paroles, l’âne se mit à trembler de tous
ses membres.
— Je vous en supplie, mes bons messieurs, dit-il humblement,
ressanglez-moi ma charge sur le dos, et bien dur ! Mon père et ma mère ont porté
le bât ; mon grand-père et ma grand’mère aussi; tous ceux de notre famille l’ont
porté, tous ont été sanglés, éreintés et battus ; je ne veux pas faire
autrement que toute ma famille.
Les écoliers sont bavards ; ils racontèrent cette aventure;
et il est probable que c’est depuis ce jour que l’épithète d’âne, qui était un éloge chez les Grecs,
est devenue chez nous une injure.
Après l’âne, il faut à l’enfant un cheval. Voici l’animal
qui est moins l’ami de l’homme que la moitié du cavalier.
(Madame Pape montre un cheval.)
Quel bonheur pour un enfant la première fois qu’il monte
en croupe derrière son père! Il se croit homme déjà : il se sent dominateur !
Mais plus heureux encore dans l’avenir s’il n’a à employer de ce docile animal que
les qualités pacifiques ! s’il n’a à le guider que dans les champs du travail,
et jamais dans ceux du combat!...
Dans les pays où il n’y a pas de chevaux, Dieu a donné
à l’homme d’autres serviteurs, tels que le chameau qui transporte les
marchandises et les voyageurs à travers les déserts brûlants de l’Afrique,
emportant pour lui-même, dans une cavité particulière de son estomac, des
provisions pour six ou sept jours; le renne, qui, attelé à un léger traîneau,
emporte le Lapon et l’Esquimau à travers les solitudes glacées du pôle.
(Mme Pape place un
chameau et un renne à côté du cheval.)
Quelle différence entre les formes de ces trois animaux
habitant les latitudes les plus opposées du globe : la zone torride, la zone
glaciale, et, entre elles, notre zone tempérée. Leurs qualités, leur
tempérament ne sont pas moins différents que leurs formes. On voit que le
Créateur les a constitués chacun en raison du milieu où ils devaient vivre.
Essayez de les transporter, d’acclimater le renne au midi, et le chameau au
nord, et imaginez ce qui arriverait?
Eh! quelles belles occasions de leçons de choses que les
jours de fête des villages! les jours de foire dans les grandes villes, le jour
de l’an partout ! Ces jours où les enfants rentrent chez eux chargés de jouets,
auxquels vos interprétations donneront un intérêt de plus.
Pour les transports en commun, en voici un, le plus rustique
de tous, qui permet au moins de partager le plaisir avec de nombreux
compagnons. C’est une fourragère, solide et vaste charrette des cultivateurs.
Au temps des récoltes, elle s’en va aux champs, pleine de joyeux marmots qui
rient aux passants à travers les barreaux comme de petits amours en cage ; et s’en
revient à la ferme, chargée de lourdes gerbes ou de foins odorants. La
fourragère, c’est le char triomphal de l’agriculture. Un grand peintre de l’école
française, Léopold Robert, lui a donné ce titre de noblesse dans l’un de ses
plus magnifiques tableaux : les
Moissonneurs.
Mais à la ville, où il y a moins d’intimité et plus de
cérémonie, il faut des voitures moins grandes, et surtout plus confortables. Il
y a les voitures des gens riches, bien posés, qui font des visites : la
calèche, le coupé.
En voici un autre qui est la voiture de plaisir : c’est
le panier.
(Mme Pape montre l’objet
dont elle parle.)
On rencontre celle-là, l’été, aux bains de mer, aux courses,
dans tous ces lieux de plaisir où l’on dépense beaucoup d’argent ; où l’on dépense
en un jour l’argent qui suffirait à faire vivre une famille pendant un mois! On
la voit, cette voiture, passer rapide comme le vent, et poudroyant au soleil,
sans se soucier, non plus que ceux qu’elle emporte, du sillon qu’elle laisse
tracé derrière elle !... Le maître et le valet peuvent seuls y trouver place. C’est
la voiture de l’égoïsme : passons!
Que j’aime bien mieux celle-ci !
(Mme Pape montre un
omnibus.)
L’omnibus!
un nom latin qui signifie : pour tout le monde.
Pour tout le monde, à la bonne heure ! C’est ce qu’il faut aujourd’hui ! Le
bien-être n’est pas une chose que les uns doivent niaisement dédaigner, ni les
autres exclusivement s’approprier. Le bien-être est la somme, la résultante des
progrès accomplis depuis le commencement du monde. Et comme les progrès sont
collectifs, c’est-à-dire l’œuvre de tous les hommes, il est juste que tous
ayant contribué à établir le bien-être, tous participent aux avantages qu’il
procure. Il faut que, peu à peu, le bien-être descende sur la masse des hommes.
Ce n’est plus, à l’heure où nous sommes, qu’une affaire de bon marché par l’association.
La preuve, la voilà : c’est cette commode voiture, cet omnibus où, pour ses modestes
trente centimes, chacun peut aller à ces affaires.
Toutefois, quand il s’agit d’aller loin, d’aller vite
surtout, l’omnibus n’est pas précisément le moyen de transport qu’il faut prendre.
En voici un autre qui l’emporte de beaucoup, non seulement sur ce véhicule,
mais sur tous les précédents.
C’est un train de chemin de fer. C’est la vapeur, c’est
la foudre
On en fait un jouet de cette terrible machine qui fait
dix et vingt lieues à l’heure! Qui broie le corps d’un bœuf comme notre pied un
grain de mil ! De cette brute formidable, dont le souffle ressemble au
tonnerre, et qui, dans ses accès de fureur, fait sauter en l’air des wagons et
des hommes, comme un jongleur indien ses billes d’ivoire !
Ces terribles catastrophes, tout le monde les sait, et
cependant tout le monde va en chemin de fer. Vous y êtes venus, messieurs, et
vous vous en retournerez de même. C’est qu’il y a un instinct supérieur à
toutes les craintes, qui pousse invinciblement les hommes les uns vers les
autres. Cet instinct vient d’en haut. Vous avez bien fait d’y obéir, car c’est
l’instinct de la fraternité!
Les chemins de fer sont aussi un puissant moyen de civilisation,
et finalement, qui dit civilisation dit bonheur, car le bonheur des hommes doit
être le dernier mot de la civilisation.
Cependant, je l’avoue, ce n’est pas sans éprouver un certain
sentiment de reconnaissance que je vois encore de temps en temps passer quelqu’une
de ces vieilles voitures.
(Mme Pape montre une
petite diligence.)
Vous allez dire que j’ai les goûts du siècle passé?
Pas le moins du monde. Mais la première fois que je suis venue à Paris, c’était
dans l’une de ces diligences. Nous mîmes vingt-sept heures pour faire soixante
lieues ! Nos aïeux avaient le coche, qui voyageait moins vite encore. Il leur
fallait huit jours pour venir d’Auxerre à Paris. Et quand ma grand’mère, qui
était fabricante de point à Alençon,
venait vendre ses dentelles à la cour de Versailles, elle mettait ordre à ses
affaires et faisait son testament.
Les diligences ont donc été un grand progrès. Et il ne
faut jamais être ingrats. D’abord parce que l’ingratitude par elle-même est
affreuse, ensuite parce que, étant l’oubli d’un bienfait dont on a joui dans le
passé, elle porte avec elle sa punition, en amoindrissant des trois quarts la
valeur du bienfait dont on jouit dans le présent.
Si l’on veut rapprocher ainsi les notions d’un même ordre,
relier l’une à l’autre, par leurs chemins naturels, les étapes de l’industrie
dans la voie du progrès, il deviendra facile de conclure que ce progrès s’accélère
dans sa marche géométriquement, comme la vitesse dans la chute des corps. Et l’on
comprendra que, si le progrès moral est poursuivi et accéléré de même, le règne
de la désolation et de la souffrance sera bientôt fini !
Les jalons de la marche du progrès ce sont les noms des
savants, et des hommes de génie qui ont fait des découvertes heureuses, ou
introduit des améliorations profitables au grand nombre. Tel est, au
dix-septième siècle, pour la vapeur, celui de Denis Papin, dont la constante
énergie communique tant de courage, et dont la triste histoire suggère tant de
réflexions!
Dieu a créé l’Univers, et il a dit à l’homme : observe et imite.
Et en effet, l’homme ne crée ni n’invente. Il observe,
et il combine pour son propre bien les résultats de ses observations.
Et cela est aussi vrai du savant, de l’homme judicieux
et expérimenté, que du sauvage qui, caché dans les broussailles, imite la voix
des animaux pour attirer ou surprendre sa proie.
Mais l’homme, poussé par l’attrait du mouvement, sera-t-il
emprisonné sur la terre ferme?
Cet Océan, dont les vagues présomptueuses viennent, deux
fois par jour, jeter leur défi à l’habitant des côtes comme pour lui dire : tu
n’iras pas plus loin; cet Océan ne sera-t-il pas à son tour dominé et subjugué
par le roi de la terre?
Oui ! roi de la terre, par la meilleure et la plus
légitime des royautés, celle de l’intelligence et du cœur!
Si! l’Océan lui-même sera subjugue et conquis par ce je
ne sais quoi qui est un instinct, et plus qu’un instinct, par cette aspiration
qui fait le génie : l’aspiration vers l’infini, la soif de l’inconnu …
L’homme encore sauvage s’est incliné sur le bord des fleuves.
Peut-être pour y boire dans le creux de sa main?
Il a vu, à travers les eaux transparentes, des
poissons se mouvoir avec une facilité
gracieuse. Il a vu les feuilles des arbres tomber à l’automne, et flotter
légèrement au fil de l’eau...
Il a observé, il a réfléchi, il a combiné ; et bientôt
l’Océan a été contraint de porter sur ses flots, dans un canot fait de l’écorce
d’un arbre, un sauvage, soit, mais un sauvage qui était un homme !
Voici la pirogue primitive, ébauche de poisson fabriquée
de main d’homme, dont les rames rustiques sont les nageoires et le gouvernail.
(Mme Pape montre cet
objet).
Puis, ayant fait cette pirogue, l’homme a remarqué que
si le poisson nage, l’oiseau vole. Il a vu que les oiseaux avancent dans l’air,
tantôt en le frappant de leurs ailes comme de deux rames ; tantôt en étendant
leurs ailes, et se laissant porter mollement dans l’espace, ne prenant souci
que de diriger leur essor.
Vous le savez, il y a des oiseaux rameurs et des oiseaux
voiliers. L’hirondelle, la buse sont des voiliers; le pigeon, le moineau sont des
rameurs. Ces connaissances-là sont à la portée de l’enfant, il n’a besoin que de
ses yeux pour les acquérir, et d’une agréable provocation du maitre pour s’y
intéresser.
L’homme a donc remarqué le vol de l’hirondelle, et il a
inventé ceci.
(Mme Pape montre un
navire.)
Le navire à voiles, si élégant! L’amour des matelots !
Image de l’ambition aventureuse. Qui, comme elle, tourne sa voile du côté d’où
vient le vent ; et quelquefois, comme elle aussi, est tourmenté, battu par la
tempête, et brisé aux écueils !
Car tous les navigateurs n’ont pas, comme Christophe Colomb,
le bonheur glorieux de trouver au bout de leur course un nouveau monde !
Et maintenant, voilà le bateau à vapeur, plus modeste que
le bâtiment à voile, mais d’une marche plus égale, plus rapide ; et sûr?...
autant que quelque chose peut l’être, dans un monde où il n’y a de sûr que nos
devoirs et la justice de Dieu.
Vous connaissez tous l’histoire de Fulton, et de son premier
voyage de New-York à Albany, en 1807. Et vous pourrez, par cette histoire,
apprendre à vos enfants que les meilleurs succès ne sont pas ceux qui s’obtiennent
le plus facilement ni le plus vite.
Mais quoi ! la terre et l’eau, le globe seulement sont conquis à l’homme ?
Pourquoi pas le ciel aussi?
Et l’insatiable, méditant en lui-même, se dit :
« Si la barque, plus légère que l’eau, flotte sur l’eau,
pourquoi une autre barque, plus légère que l’air, ne flotterait-elle pas dans l’air?
»
Et croyant avoir tout observé, ïl fait ce léger
vaisseau aérien que vous savez : le ballon,
l’aérostat. Et le ballon, peu à peu gonflé d’un gaz élastique, tend les
cordages qui le retiennent comme s’il voulait les rompre. Les cordages cèdent
enfin, le ballon s’élance dans les couches supérieures de l’atmosphère, et le théoricien
triomphant s’écrie :
« L’espace est à moi !...
« J’interrogerai ses mystérieuses profondeurs. Je l’explorerai du sud au nord, de l’est à l’ouest.
J’irai voir face à face les splendeurs de l’immensité. J’irai jusqu’où me porteront
ma fantaisie et mon besoin de connaître. Adieu, terre ! adieu, rudes chemins,
cahots, accidents, boue et poussière ! L’espace est mon domaine, les rayons du
soleil sont mes sentiers !... Désormais l’homme a des ailes !... »
Mais... l’expérience
muette et inexorable trahit l’aéronaute, et son beau rêve s’envole !...
Oui, rêve aujourd’hui encore, mais qui sait? demain peut-être
réalité. La science, c’est la face dévoilée de Dieu. Qui l’aime et la cherche
tôt ou tard la découvre!
Mais à quelque degré de perfection qu’il soit réservé à
l’homme, dans l’avenir, d’améliorer ses moyens de transport, il en est un dont
il n’égalera jamais la commodité, la sûreté, l’économie, l’agrément et la
durée.
Ce moyen de transport, incomparablement supérieur à
tous les autres, le voici !...
(Mme Pape pose sur la
table une petite paire de jambes chaussées de bas et de bottines d’enfant. Tout
le monde rit.)
C’est le premier qui soit accordé à. chacun de nous, comment
se fait-il que ce soit le dernier qui nous vienne à la pensée ?
Pourtant celui-là est l’appareil locomoteur par excellence.
C’est lui qui semble avoir servi de type à tous les autres. Voyez comme ses
mouvements sont nettement déterminés. L’aile de l’oiseau, la nageoire du poisson,
en s’appuyant sur l’air ou sur l’eau pour s’élancer en avant, ne nous montrent
pas la netteté et la précision du pied de l’homme prenant son point d’appui sur
la terre.
Nous allons chercher nos véhicules bien loin ; nous y payons
nos places bien cher; tandis que celui-ci, utile et modeste présent de Dieu, ne
nous coûte rien; nous procure, surtout aux petits enfants, des jouissances sans
nombre; et, de même que les petites vertus, est pour chacun de nous un
bien-être de tous les instants.
Et c’est précisément celui-là que nous allions oublier
!
Nous sommes des enfants bien distraits ! Sans doute
plus distraits qu’ingrats. Espérons que « cela ne nous arrivera plus. »
Je ne terminerai pas, messieurs, sans tirer une moralité
de tout ceci :
Comme l’eau des nuages, tombée sur les montagnes, cherche
de vallée en vallée la mer, son origine et sa fin : de même l’esprit de l’homme,
emprisonné sur la terre, cherche à travers les siècles, de progrès en progrès,
Dieu, son idéal, son abîme divin!
Il y atteindra ! que cette certitude vous donne, pour avancer,
la foi et la force !
A l’Exposition du champ de Mars, nous avons lu dans l’École
d’Amérique cette fortifiante et religieuse devise
« Plus haut, encore plus haut, toujours plus haut! »
J’en traduis la pensée dans le sens qui convient à notre
profession, et je vous dis en vous quittant, messieurs, comme je me le dis à
moi-même : Dans la carrière si belle et si longue de l’éducation où nous marchons
ensemble, ayons un même mot de ralliement, et une même ambition :
« Mieux, encore mieux ! toujours mieux !...
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Marie-Pape Carpantier, Conférences faites aux instituteurs à la Sorbonne en 1867.
INTRODUCTION
DE LA
MÉTHODE DES
SALLES D’ASILE
DANS L’ENSEIGNEMENT
PRIMAIRE
Deuxième Conférence. a) Leçon de choses, le Pain ; b) Les cubes de Fröbel
Quatrième Conférence. a) Le goût du beau ; b) Leçon de choses, la Locomotion
Marie Pape-Carpantier (interprétée par Marilou Berry)
source de la photo : http://lkmagazine.jimdo.com/ |
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