6 janvier 2013

L'Alphabet en maternelle, par Catherine Huby

Sur les forums consacrés à la Maternelle, depuis 2002 et le retour après au moins 120 ans d'absence du "nom des lettres de l'alphabet", de nombreux jeunes collègues demandent comment ils peuvent inculquer ces 26 mots abstraits à leurs petits bouts de deux, trois, quatre ou même cinq ans.

Quelques réflexions à ce sujet, ci-dessous :

L’ALPHABET


Il fut un temps où l’on pensait que, pour apprendre à lire, il fallait d’abord longuement fréquenter l’alphabet. C’était l’époque où, dans les salles d’asile, au son du claquoir, les enfants de deux à sept ans assis sur des gradins répétaient en chœur, avec plus ou moins d’exactitude « Aaaa… Bééé… Cééé… etc. » comme ils répétaient la liste des départements, préfectures et sous-préfectures ou le « Je vous salue Marie » et le « Credo des petits enfants ». Cette époque disparut grâce aux efforts conjugués de Marie Pape-Carpantier puis de Pauline Kergomard.

À partir de 1882, là où c’était possible, puis très vite dans toutes les villes et toutes les bourgades, on installa des écoles maternelles où, dans des classes qu’on essaya de rendre gaies et colorées, les petits enfants de moins de cinq ans jouaient, dessinaient, montaient, démontaient, cousaient, fabriquaient, construisaient, comptaient, calculaient, parlaient, écoutaient, chantaient et dansaient, sans jamais entendre parler de l’alphabet.

Ce n’était que lors de leurs deux dernières années de maternelle, de cinq à sept ans, qu’ils découvraient qu’ils étaient désormais capables de tracer et de se servir de ces signes cabalistiques qu’ils avaient jusqu’alors vu utilisés par leurs maîtresses pour leur lire des histoires ou écrire au tableau le nom de l’objet qu’ils étaient en train d’observer et d’apprendre à utiliser.

Alors, selon la sensibilité de la maîtresse, et sans doute celle de son Inspectrice Départementale des Écoles Maternelles, je ne vois pas pourquoi cela aurait changé, nos petits élèves apprenaient ou pas à psalmodier l’alphabet. Je ne l’ai jamais vu faire avant le CE2 dans mon enfance, mon compagnon plus âgé que moi de douze ans non plus, mais je ne pourrais pas jurer que cela ne s’est fait nulle part.
Ce que je sais, c’est que ce n’était conseillé dans aucune Instruction Officielle et que ce qu’on y demandait, c’était que les élèves soient mis à la lecture le plus tard possible pour qu’ils y accèdent le plus vite possible .

Jusqu’aux années 1970, donc, en classe enfantine ou section des grands, la seule chose que l’on demandait aux instituteurs et institutrices, c’était qu’ils abordent le principe alphabétique et apprennent à leurs élèves à écrire en lettres cursives tout comme on leur demandait de leur apprendre aussi les rudiments du calcul et l’écriture des chiffres.

Qu’à cette occasion, les enfants aient aussi appris à psalmodier l’alphabet et à nommer « effe » la lettre F ou « pé » la lettre P, cela est possible, encore une fois. En revanche, la plupart des enseignants le combattaient puisque cet apprentissage rendait difficile celui de la combinatoire. On parlait alors plus volontiers de « fe » ou de « pe » qui permettaient plus simplement d’accéder à la compréhension et, de ce fait, à la lecture de « fa, fe, fi, fo, fu, fé » et de « pa, pe, pi, po, pu, pé ».

D’ailleurs, si on lit le chapitre proposé en note, on se rendra compte que ce départ de la lettre, pour aller à la syllabe avant d’accéder au mot et à la phrase n’est absolument pas celui conseillé par la fondatrice de l’École Maternelle et que c’est la phrase prononcée par l’enfant et transcrite par le maître qu’elle préconisait comme départ de l’apprentissage de l’écriture et de la lecture en maternelle. L’abstraction de l’alphabet, comme celle de la syllabe, ne pouvait venir, selon elle, pour de jeunes enfants, que du concret du mot énoncé par les enfants. Et c’était de ce concret que, progressivement, par la prononciation ralentie de cette phrase, par la comparaison visuelle de ses éléments, les lettres, que les enfants apprendraient que cette lettre à trois pattes qui commence le nom maman se prononce mmmmm.
C’est l’époque où, les facilités matérielles aidant, dans bon nombre de familles, on achetait un Abécédaire à l’enfant à l’occasion d’une fête, par exemple. Et c’étaient souvent les parents, la grand-mère, quand elle savait lire, ou les frères et sœurs aînés qui apprenaient au petit à réciter son alphabet.

Je me souviens que cela énervait beaucoup nos institutrices et nos formateurs qui se moquaient en disant « Ils sont bien avancés, ces pauvres enfants, quand ils savent réciter par cœur leur alphabet ! Savoir qu’un C s’appelle Cé n’a jamais beaucoup aidé à lire coq, cheval ou chocolat ! » et ils conseillaient aux parents d’offrir un autre livre que l’abécédaire où près de la lettre E trônait un éléphant, près du C, un coq ou un cétoine, ou de l’utiliser comme un imagier qui montrait de belles images mais n’apprendrait pas à lire à leurs petits.

Puis sont venues, pour l’école maternelle, les années sans lettres. Tout au plus continuait-on à y écrire quelques mots, par la reproduction globale.
Il aurait beau fallu, entre 1975 et 1995, apprendre l’alphabet, ou même le son des lettres, devant madame l’Inspectrice ou monsieur l’Inspecteur ! Je me rappelle d’une visite impromptue de l’IEN, venu pour autre chose qu’une inspection, alors que mes élèves de GS, au mois de mai, en 1987 (j’avais ma fille dans ma classe, le calcul est simple), écrivaient au tableau sous ma surveillance le mot papa en cursive. Ses paroles furent, au mot près : « Vous ne pouvez pas leur foutre la paix, à ces gamins ! Laissez-les jouer, ils ont bien le temps ! »

Il me semble que c’est à cette époque-là que le savoir-faire s’est perdu. Tout à coup, on s’est mis à nous dire qu’il était à la fois extrêmement simple d’apprendre à lire et à écrire et extrêmement compliqué de bien le faire. Il est sûr qu’évacuer totalement le principe alphabétique de l’apprentissage d’une langue qui s’écrit justement à l’aide des lettres de son alphabet, ce n’est pas simple, ni pour ceux qui sont censés l’apprendre ni pour ceux qui sont enjoints de l’enseigner !

Et c’est après cette époque-là, quand il s’est agi de réintroduire la lettre dans le programme des Écoles Maternelles, en 2002 , qu’on a vu se bâtir des séquences, des progressions, des programmations étalant sur les trois à quatre années de l’École Maternelle ce qui n’y avait plus jamais été enseigné depuis la lointaine époque des salles d’asile et des claquoirs !

En effet, comme certains, dont les connaissances pédagogiques datent sans doute de cette époque « sans lettres », récusent totalement la possibilité de donner à la Grande Section, et à elle seule, un tout petit rôle dans l’apprentissage de l’écriture puis de la lecture, on tourne autour du pot.

Pendant trois à quatre ans, on apprend aux enfants l’alphabet. Comme à la grande époque, celle où les enfants chantaient en chœur « abécédé» au son du claquoir. Sans doute n’existe-t-il plus de grand-mère, capable comme la mienne, d’y ajouter la suite qui nous faisait tant rire quand nous étions petits : « Abécédé, des carottes et des navets, eèfgéach, des poireaux et des patates ! ».
On leur fait découper, coller, modeler, plastifier, ranger, décorer, barbouiller, détourner des lettres, des lettres et encore des lettres !

Ce n’est pas grave et, après tout, ça ne mange pas de pain. Pourquoi pas les lettres, en effet ? On chante bien les mots, les phrases, les histoires, on découpe, colle, modèle bien les objets, les animaux, les personnes, les plantes, après tout. Réciter « abécédéeèfgéach… », c’est un peu moins créatif que « C’est un trou de verdure où coule une rivière » ou pour rester dans un répertoire plus enfantin « Jean-Petit qui danse », mais bon, cela sollicite la mémoire aussi. Et décorer un A, même si c’est moins drôle que de décorer un sapin de Noël ou un masque de Carnaval, c’est aussi une ouverture artistique utilisant la motricité fine.

Ce qui est à mon sens plus grave, c’est qu’on évalue cela très régulièrement et très sérieusement dans certaines classes. Ce qui fait que, pour que cela progresse, comme ça, à vide, sans jamais comprendre à quoi cela sert, on y consacre un temps fou.

On cherche des « fiches » sur internet, on fait entourer, recopier, réciter, repérer, ranger dans l’ordre des symboles abscons qui ne veulent rien dire pour les enfants puisque, pendant toute la durée de la scolarité maternelle, ils ne sont surtout pas confrontés à l’intérêt de cet apprentissage et que, par ailleurs, ce qui est considéré comme touchant à l’apprentissage de la lecture touche aux textes, aux phrases et à la rigueur aux mots, mais non mémorisés, et jamais aux lettres elles-mêmes. Il arrive même qu’on panique inutilement les familles en instaurant des séances de soutien individualisé.

Et ce temps, où le prend-on ? Aux autres apprentissages, bien sûr ! À ceux qui sont réellement fondamentaux à deux, trois ou quatre ans ! Certaines classes écourtent les séances de motricité, là où l’enfant apprend à se mouvoir avec et au milieu des autres. D’autres réduisent celles de langage collectif, là où toute la classe se resserre autour de connaissances, de compréhensions, de savoir-faire communs. D’autres enfin ont supprimé les coins-jeux de leurs classes et leurs élèves évoluent d’un atelier dirigé à un atelier en autonomie en passant par un atelier semi-dirigé !

Oui, mais c’est au programme, me direz-vous, alors que faire ? Que faire ? De l’École Maternelle, pourquoi ? C’est-à-dire de l’École pour les Petits.

En Petite et Moyenne Sections, je serais d’avis de ne rien faire. Tout au plus un Jeu du Facteur tous les matins, en arrivant en classe, et deux ou trois jeux d’encastrement portant l’un les lettres de l’alphabet en minuscules, l’autre l’alphabet en majuscule et le dernier, les chiffres.

En fin de Moyenne Section, on pourra ajouter des lettres rugueuses Montessori (cursive) si les élèves sont tous à l’aise avec les gestes de l’écriture liée (boucles, « pointes », ponts, courbes anti-horaires…).
Si un enfant connaît le nom des lettres, on le félicitera, bien entendu, et on lui expliquera que, bientôt, en Grande Section, il apprendra à s’en servir pour écrire et lire des mots et des histoires. S’il demande quel bruit elles font, on le lui dira aussi et on lui donnera quelques exemples oraux.
On dira par exemple : « La lettre èf, comme tu dis, fait ffff comme dans fffforêt, ffffarine, ffffigure, caniffff… ».

Cela restera informel, au coup par coup, pour que, dans l’esprit des enfants, cela puisse continuer à incuber, qu’ils puissent multiplier et combiner librement leurs intuitions et garder le droit à l’erreur.
Cela restera aussi informel pour garder du temps pour l’indispensable à deux, trois et quatre ans : la motricité large et fine, le langage oral, l’observation concrète du monde qui les entoure, l’écoute et l’apprentissage de la vie sociale.

Et ce n’est qu’en Grande Section que, plutôt, à mon goût, sans psalmodie chantée avec ou sans son du claquoir, ou utilisation comme matériau de base en arts plastiques, on abordera les lettres écrites, lues, entendues et combinées en syllabes, mots et phrases.

On pourra s’aider de jouets comme les petits personnages des Alphas, suivre une méthode progressive comme De l’écoute des sons à la lecture ou partir de l’apprentissage des gestes de l’écriture liée, comme le conseille D. Dumont dans ses ouvrages.

Et si un jour un élève arrive au Quoi de neuf et propose d’apprendre à toute la classe la chanson que lui a chantée son arrière-grand-mère, s’il vous plaît, soyez gentils, pensez à moi et entonnez avec lui : « Abécédé, des carottes et des navets… Euhèfgéach, des poireaux et des patates » !

Catherine HUBY

Manuels de Catherine Huby


Après la méthode qui ne découpe pas les petits enfants de GS en oreilles sans yeux ni doigts, en doigts sans yeux ni oreilles et en yeux sans oreilles ni doigts (cf. Thierry Venot, De l'écoute des sons à la lecture), le GRIP propose aujourd'hui deux méthodes d'apprentissage de la lecture au départ différent.

La première, Ecrire et lire au CP, par Catherine Huby, est analytique : elle présente une phrase, la fait analyser en mots, en syllabes, en lettres qui seront ensuite réutilisés pour écrire et lire de nouvelles syllabes, de nouveaux mots, de nouvelles phrases.

La deuxième, Mon CP avec Papyrus, par Muriel Strupiechonski, est synthétique : elle présente les lettres, apprend aux élèves à les écrire, les reconnaître, entendre leur son, les associer entre elles pour écrire et lire des syllabes, des mots, des phrases.

Les deux méthodes emmènent les élèves vers la lecture et l'écriture courantes et fluides qui sont leur objectif commun pour la fin du CP.


3)

Auteurs : Catherine HUBY et Pascal DUPRE,   
Ed. GRIP – 2009
Ce livre est largement utilisable par les parents.

Après l'initiation du CP, l'ouvrage reprend systématiquement et progressivement toutes les notions, à partir de la numération de 1 à 9 et des lignes en géométrie. 

Chaque leçon associe les notions de numération, les mesures qui concrétisent la numération, les opérations, le calcul mental, la géométrie, et les exercices adaptés.

Les élèves acquièrent ainsi selon des progressions logiques, une masse impressionnante de notions et de connaissances. 

D'autres textes de Catherine Huby :





















Le constructivisme et la main à la pâte sont les deux mamelles de l'échec scolaire en science, telle est la thèse défendue par Catherine Huby dans ce texte polémiquement jouissif.

 

Pauvre Shéhérazade ! A propos de l'article "L’écrit douloureux de Shéhérazade, candidate à l’enseignement"  (blog Interro écrite) qui montre les difficultés de maîtrise de la langue française d'une étudiante préparant les concours de professeur des écoles, Catherine Huby propose un commentaire passionnant. 



Lecture en grande section : présentation du manuel de Thierry Venot, De l'écoute des sons à la lecture (GS).

 

L'école maternelle : une proposition de programme d'enseignement ambitieux pour l'école maternelle.



 





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Pauline Kergomard 
L'Education maternelle dans l'école (édition numérique)

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