Texte extrait de INTRODUCTION DE LA MÉTHODE DES SALLES D’ASILE DANS L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE (1867), Première conférence.
Mais qui donc fait la valeur des leçons de choses ? À quoi tient qu’elles sont si réputées, si hautement recommandées, et qu’elles sont en effet si profitables ?
Mais qui donc fait la valeur des leçons de choses ? À quoi tient qu’elles sont si réputées, si hautement recommandées, et qu’elles sont en effet si profitables ?
Ah ! messieurs, cela tient à une grande loi,
terriblement méconnue, qui ne veut, pas qu’il y ait de patient en éducation ;
qui veut que l’élève y soit un agent actif, aussi actif que le maître ; qu’il
soit son collaborateur intelligent dans les leçons qu’il en reçoit, et que,
selon l’expression du catéchisme, il
coopère à la grâce.
Ce qui fait la valeur des leçons de choses, ce qui les
rend aimables et efficaces, c’est qu’elles sont conformes à cette loi. C’est qu’elles
font appel aux forces personnelles de l’enfant ; qu’elles mettent en jeu, en
mouvement, ses facultés physiques et intellectuelles. Qu’elles satisfont à son
besoin naturel de penser, de parler, de se mouvoir et de changer d’objet. C’est
qu’elles parviennent à son esprit par l’intermédiaire de ses sens; qu’elles se
servent de ce qu’il sait, de ce qu’il aime, pour l’intéresser à ce qu’il ne
sait pas ou n’aime pas encore. Parce qu’elles sont pour lui, en un mot, le concret et non l’abstrait.
Aussi voyez le succès de tous les procédés d’enseignement
fondés sur cette base ! de ces procédés qu’on appelle, improprement, je crois,
méthodes ; une méthode devant présenter un ensemble, et les enseignements dont
je parle n’étant que des procédés de détail, ce qui ne les empêche pas d’être
quelquefois excellents.
Au premier rang pour l’enseignement de la lecture se
place le procédé phonomimique de M. Grosselin. Ce procédé, inventé spécialement
en vue des sourds-muets, à l’instruction desquels il paraît satisfaire, m’a
beaucoup plus frappée par l’attrait qu’il inspire et les rapides résultats qu’il
obtient chez les enfants ordinaires. J’ai voulu m’en expliquer la cause, et
comme j’étais déjà sur la voie, je l’ai facilement trouvée.
La faculté essentielle à l’aide de laquelle on apprend
à lire, c’est la mémoire. Mais la forme de chaque lettre, et l’action
réciproque des lettres entre elles, résultant d’une simple convention, sans qu’aucune
raison les fasse distinguer forcément les unes des autres, elles se confondent
longtemps dans l’esprit des enfants, et ce n’est qu’au moyen de l’habitude, c’est-à-dire
d’une longue répétition des mêmes choses (et qui dit long dit ennuyeux), que
les enfants finissent par savoir lire. À la rigueur, l’habitude pourrait
dispenser de toute méthode. Elle suffit pour faire parler les perroquets et les
pies, elle peut suffire pour faire lire les petits enfants! Alors croisons-nous
les bras, abdiquons, et laissons couler l’eau! Triste conseil, que ni vous ni moi
n’avons le désir de suivre. Il nous faut au contraire profiter du temps. La vie
est si courte pour tout le bien qu’on a à faire ! Le procédé phonomimique
abrège la durée de l’étude. Il remplace la monotonie de l’habitude par l’activité
intellectuelle : il s’accompagne de mouvements corporels favorables à la santé,
et substitue, à la discipline de la contrainte, la discipline du plaisir.
Au lieu de s’adresser directement à la mémoire,
faculté essentiellement passive, il n’y arrive qu’à l’aide de ce qu’il y a de
plus actif chez l’enfant : l’esprit et le corps. D’abord il présente la lecture
comme représentation des mots parlés
et non des mots écrits : distinction aussi fondée qu’avantageuse. Il montre à l’enfant
non des lettres isolées comme dans l’écriture, mais des sons et des
articulations comme dans la parole. Et il fait analyser ainsi, par exemple, le
mot chapeau : ch. a - p. eau, et non
c. h. a. p. e. a. u. Il est facile de voir d’un regard que la multiplicité des
éléments de la seconde analyse présente beaucoup plus de difficultés qu’il n’y
en a dans la première.
Ensuite, à chaque son ou articulation, il joint une idée
qui s’y rapporte, et qui, déjà possédée par l’enfant, devient en quelque sorte
le clou solide auquel s’accrochera, non moins solidement, le souvenir du son ou
de l’articulation, ainsi que la forme des lettres qui les représentent.
En outre, il fait reproduire extérieurement cette idée
par un geste imitatif; et voilà la lecture ancrée
dans la mémoire de l’élève par le triple souvenir de l’œil, de 1’idee et du geste,
c’est-à-dire par le concours de toutes ses facultés actives.
On peut dire alors que l’intelligence de l’enfant est comme
une maison dans laquelle, voulant faire pénétrer la lumière, on a ouvert trois
fenêtres au lieu d’une.
Il ne tient qu’à vous de voir l’application de cet excellent
procédé, à l’ébauche d’école maternelle établie à l’Exposition universelle,
pavillon Coignet ; — à la salle d’asile communale de la rue Berthollet, dirigée
par Mlles Gaudon et Marye — et enfin à l’asile annexe du cours
pratique, 10, rue des Ursulines, où M. le Ministre, si accueillant pour tout
progrès réel, en a autorisé l’application.
Si la lecture, malgré ses difficultés, se place avec raison
à la tête des enseignements scolaires, c’est comme instrument indispensable des
autres branches d’études. Il me semble, en effet, que l’ordre d’introduction,
et l’importance donnée à toutes les matières de l’éducation, doivent être
déterminés par leur utilité pratique. À ce titre, tout ce qui peut développer
la justesse de l’œil et l’habileté des doigts s’impose à l’instituteur en même
temps que la lecture ; c’est pourquoi les petits exercices géométriques
inventés par Fröbel ne sauraient être trop recommandés.
Bibliographie sur la méthode phonomimique:
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Marie-Pape Carpantier, Conférences faites aux instituteurs à la Sorbonne en 1867.
INTRODUCTION
DE LA
MÉTHODE DES
SALLES D’ASILE
DANS L’ENSEIGNEMENT
PRIMAIRE
Deuxième Conférence. a) Leçon de choses, le Pain ; b) Les cubes de Fröbel
Quatrième Conférence. a) Le goût du beau ; b) Leçon de choses, la Locomotion
Marie Pape-Carpantier (interprétée par Marilou Berry)
source de la photo : http://lkmagazine.jimdo.com/ |
Bibliographie sur la méthode phonomimique:
- Bourgoin, Manuel complet de la Phonomimie, Paris, chez Picard.
- Grosselin, Manuel de la phonomimie ou méthode d'enseignement par la voix et par le geste, inventée par Augustin Grosselin ; 4° édition, Paris, Alphonse Picard.
- Grosselin, De l'enseignement de la lecture par la méthode phonomimique, Revue pédagogique, 2e semestre 1881, pp. 517-530.
- Grosselin, Manuel de la phonomimie (avertissement et préface)
- Dictionnaire pédagogique et d'instruction primaire, art. Phonomimie par Eugène Brouard
- Pape-Carpantier, Delon & Delon, Enseignement de la lecture à l'aide du procédé phonomimique de M. Grosselin (1870) - Tableaux.
- Pape-Carpantier, Le procédé phonomimique de M. Grosselin, extrait de la première conférence de 1867.
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