La débâcle de l'école : Une tragédie incomprise
Ouvrage collectif dirigé par Laurent Lafforgue et
Liliane Lurçat,
éd. François-Xavier de Guibert, 2007
par Laurent Lafforgue
Comment,
à propos de l'école, oser parler de « débâcle » ?
Pour
beaucoup, ce mot évoque le désastre de mai-juin 1940 : l'effondrement
d'une armée héritière de l'une des plus glorieuses traditions militaires de
l'histoire et qui se croyait la meilleure du monde, les énormes fautes
d'appréciation commises par le commandement tant sur le plan des doctrines
auxquelles il a aveuglément ajouté foi que dans la préparation et la conduite
des combats, l'affaiblissement du caractère, le fléchissement de la pensée et
la défaillance de la raison qui ont rendu ces fautes possibles et empêché de
prendre conscience de leurs effets inéluctables, la disparition des repères
moraux qui a accompagné et suivi la défaite, la dissolution de toutes les
structures, l'effacement et le démembrement programmé de la France, l'abolition
du régime républicain et la suppression des libertés avec leurs conséquences
inimaginables sur les personnes et les peuples laissés sans défense.[1]
Nous
parlons de débâcle de l'école car celle-ci se trouve aujourd'hui dans une
situation qui présente d'étonnantes analogies avec celle de l'armée de 1940.
Ses conséquences pour notre pays – si elles ne se manifestent pas avec la même
immédiateté et la même brutalité – promettent d'être aussi graves et
destructrices, à moins qu'une prise de conscience collective ne conduise
rapidement à un sursaut et à l'amorce d'un processus de refondation et de
reconstruction.
L'histoire
de l'école française est longue de bien des siècles et a connu de brillants
développements jusqu'au tournant des années 60. Le statut de grande
civilisation de l'esprit que notre pays a conquis et conservé si longtemps
aurait été impensable sans les institutions qu'il a créées ou adoptées et
constamment améliorées pour transmettre de génération en génération
l'instruction, la culture et le savoir.
Ce
statut a été remis en cause et le fondement de cette civilisation ruiné en
quelques décennies par le déclin de l'école. Un déclin qui est le résultat de
politiques bien précises, conçues, décidées et mises en oeuvre par ceux qui
étaient chargés de gouverner l'école. Comme dans le cas de la bataille du
printemps 1940, la responsabilité du désastre appartient d'abord au
commandement, c'est-à-dire aux instances dirigeantes de l'Éducation nationale,
à ses experts organisés en d'innombrables commissions, à ceux des
universitaires et des intellectuels qui les ont inspirées, et à la majorité des
membres de la hiérarchie – cooptés en fonction de leur adhésion aux principes
et aux doctrines de l'école nouvelle – qui ont appliqué et imposé avec
brutalité des directives visant à transformer la nature de l'école et à
redéfinir sa finalité. Comme en 1940, les fautes commises procèdent d'un
affaiblissement du caractère et d'une déliquescence de la pensée, qu'elles
amplifient encore par leurs conséquences d'ordre intellectuel et moral sur les
jeunes générations. Elles font planer la menace d'un anéantissement de la
liberté des personnes. Celui-ci serait d'autant plus profond qu'il ne
résulterait pas d'une tyrannie extérieure mais du défaut de transmission des
moyens de la liberté de l'esprit.
Un effort de lucidité et de compréhension
A
cette situation, il convient de répondre par un sursaut du caractère et par un
effort de compréhension.
Le
refus de la destruction progressive de l'école, la volonté de comprendre les
causes profondes de son effondrement pour l'enrayer, et le désir ardent de la
reconstruire animent un grand nombre de professeurs et d'instituteurs ainsi que
de parents et de grands-parents d'élèves ou de simples citoyens.
Le
présent volume est le fruit d'un colloque[2]
organisé en mai 2006 par l'association « Famille École Éducation »[3]. Ses deux fondateurs,
Messieurs Gilbert Sibieude et Gilbert Castellanet, ne sont pas issus du milieu
enseignant mais du monde de l'entreprise. Ils se sont intéressés aux problèmes
de l'école et se sont investis avec générosité au service de la cause de
l'instruction parce qu'ils constataient chez leurs petits-enfants les
conséquences des déficiences criantes de notre système éducatif. Cet engagement
leur a permis de connaître et d'apprécier toujours davantage des instituteurs
et des professeurs révoltés comme eux.
De
même, les prises de position publiques de l'auteur de cette introduction sur le
sujet de l'école lui ont valu des centaines de témoignages de professeurs de tous
niveaux et de toutes disciplines. Avec Gilbert Sibieude, il a demandé à une
dizaine de professeurs et d'instituteurs de participer à un colloque puis à la
rédaction d'un livre esquissant un tableau de l'état actuel du système éducatif
français après trois ou quatre décennies de réformes.
Ont
ainsi participé à ce volume : une spécialiste reconnue de l'école
élémentaire, qui ouvre ce livre par une caractérisation extrêmement frappante
de la transformation de l'enseignement au cours des dernières décennies et de
ses conséquences déjà avérées ou menaçantes, un instituteur chevronné, une
jeune institutrice fraîchement émoulue d'un IUFM[4], des professeurs de
disciplines littéraires ou scientifiques exerçant dans l'enseignement
secondaire et supérieur, un mathématicien, un ancien directeur des études d'un
grand groupe industriel de haute technologie, un musicien dont l'étonnant
témoignage montre que la destruction de l'école affecte toute la culture et
concerne notre civilisation dans son ensemble et, enfin, un professeur de
philosophie qui propose une interprétation de la nature de cette destruction et
clôt ce livre sur une note propre à redoubler notre courage.
Ces
personnes de tous âges et de convictions très diverses posent sur notre système
éducatif des diagnostics convergents et d'autant plus accablants qu'ils sont
précis et circonstanciés. Elles explorent les formes par lesquelles se
manifeste le processus de destruction et recherchent ses causes.
Elles
se retrouvent dans une vision commune de ce que devrait être l'école : une
école de l'instruction, du savoir et de la culture, une école de la
transmission des connaissances et des règles de la vie sociale, une école où
l'on enseigne afin de conférer aux élèves, futurs adultes, les moyens de la
liberté de penser, de créer et d'agir.
Certaines
s'attachent surtout à rapporter les faits bruts dont elles ont été témoins au
sein du système éducatif, d'autres cherchent davantage à analyser, à comprendre
et à interpréter les phénomènes qu'elles ont vus se développer. Ce faisant,
elles tracent des pistes de réflexion et d'action pour une refondation et une
reconstruction de l'école.
La destruction de l'enseignement élémentaire et la
massification des jeunes
Les
trois premiers chapitres concernent l'enseignement primaire.
Le
premier est écrit par Madame Liliane Lurçat, qui a publié de nombreux livres
sur les apprentissages élémentaires des enfants et qui est peut-être notre
meilleure spécialiste de l'école primaire. Il n'est pas indifférent de savoir
que Liliane Lurçat grandit dans une famille immigrée où l'on ne parlait pas
français – comme la majorité de ses camarades d'école –, et qu'elle fut
contrainte d'arrêter sa scolarité à 12 ans, aussitôt après l'obtention du
Certificat d'études. Après la Libération, elle prépara seule le baccalauréat en
se fondant sur ce que l'école primaire lui avait inculqué, le réussit et suivit
un enseignement supérieur avant de devenir élève de Henri Wallon. Elle consacra
toute sa carrière à l'étude des apprentissages des enfants en menant de longues
observations dans les écoles primaires et les écoles maternelles. L'histoire de
Liliane Lurçat rend d'autant plus frappante la qualité remarquable de son
style, que certaines personnes – dont l'auteur de cette introduction –
considèrent comme un modèle de rédaction ; chacun pourra en juger en
lisant son texte qui ouvre le livre.
Ce
chapitre très dense est remarquable à bien des titres. Particulièrement
éclairante est la formule qu'il propose pour caractériser les politiques
réformatrices responsables de la destruction de l'enseignement
élémentaire : leur but est « la rénovation totale de cet
enseignement par effacement du passé ». Ou la façon dont, loin
d'opposer éducation et instruction, formation morale et formation
intellectuelle, discipline et acquisition des automatismes fondamentaux, morale
et science, il les lie pour former un tout indissoluble qui constitue le
processus de civilisation des enfants. Ou bien son affirmation que l'éducation
en famille et l'éducation à l'école – orientée vers une discipline de groupe –
sont complémentaires et ne peuvent se substituer l'une à l'autre. Ou encore son
interprétation des violences et des comportements aberrants observés au collège
comme des conséquences de la destruction de l'enseignement à l'école primaire.
Ou enfin la comparaison qu'il établit entre le refus actuel de civiliser les
nouvelles générations et la situation qu'a connue la jeunesse allemande après
la guerre de 1914-1918.
L'école primaire et les origines de l'échec scolaire
Monsieur
Marc Le Bris, instituteur, a rédigé le second chapitre. Beaucoup connaissent
déjà son livre de témoignage où il raconte comment, sortant d'une École normale
d'instituteurs à la fin des années 70, il appliqua longtemps les nouvelles
doctrines que sa hiérarchie préconisait, avant de s'interroger, puis d'oser
exprimer ses doutes et enfin d'entrer en révolte ouverte.
Marc
Le Bris est aussi – avec le mathématicien Jean-Pierre Demailly et le professeur
de collège et lycée Michel Delord – l'un des principaux promoteurs et maîtres
d'oeuvre d'un programme de réhabilitation de l'enseignement primaire, SLECC[5]
(Savoir Lire Écrire Compter Calculer), que l'auteur de cette introduction
considère comme la meilleure opportunité actuelle de reconstruire notre école.
Comme
toujours, Marc Le Bris expose les choses simples et essentielles de la façon
dont il faut les présenter, c'est-à-dire simplement et en sollicitant le bon
sens de chacun. Prenant pour exemples l'apprentissage de la lecture et de
l'écriture puis celui du calcul et enfin celui de la grammaire, il met en
évidence l'inversion systématique du sens de ces apprentissages qui prévaut
depuis des décennies : elle consiste à refuser d'enseigner avant tout les
éléments de base du savoir et de faire cheminer les élèves du plus simple vers
le plus élaboré.
Quiconque
prend connaissance pour la première fois des exemples précis que donne Marc Le
Bris a bien du mal à se défendre d'un sentiment de stupeur et d'absurdité.
Pourtant, telle est la réalité. Une réalité impossible à interpréter de manière
satisfaisante, si ce n'est à la lumière de la caractérisation proposée par
Liliane Lurçat : celle de l'absurdité principielle d'une école –
c'est-à-dire d'une institution vouée à la transmission des connaissances établies
– qu'on a voulu renouveler « par effacement du passé ».
Paroles d'IUFM
Le
sentiment d'absurdité est porté à son comble dans le chapitre suivant. Celui-ci
a été rédigé par une jeune institutrice, Mademoiselle Marie Teissedre, à partir
de notes prises pendant son année de stage dans un IUFM. Elle a scrupuleusement
consigné par écrit – et nous livre aujourd'hui entre guillemets – certains des
propos les plus frappants tenus par ses formateurs d'IUFM. Les phrases relevées
se passent de commentaires. Citons par exemple une formatrice de
français : « Attention, je ne veux pas voir dans vos emplois du
temps : grammaire, orthographe, conjugaison, lecture. » Ou
encore, un autre formateur : « Le maître n'est pas là pour
transmettre des savoirs, ça c'est clair... »
Il
convient de garder à l'esprit que ces phrases ont été prononcées par des
personnes rétribuées par l'argent public, revêtues de l'autorité de l'État, et
en charge de former les futurs instituteurs – et professeurs – des écoles de la
République.
L'IUFM
dont il s'agit est celui d'un département très peuplé, pauvre, et qui compte
une grande proportion d'enfants issus de familles immigrées ou défavorisées.
Pour l'avenir de chacun de ces enfants mais aussi pour celui de la France, il
conviendrait de veiller avec un soin tout particulier à la qualité de
l'instruction que l'école leur dispense. Le témoignage de Marie Teissedre nous
apprend ce qu'il en est.
Bien
qu'ils aient déjà été reçus au concours des « professeurs des
écoles », les stagiaires n'ont pas encore obtenu leur titularisation, qui
dépend de l'IUFM qu'ils fréquentent. Cela signifie qu'ils sont à la merci de
leurs formateurs et n'ont pas la possibilité d'exprimer la moindre critique à
propos de la prétendue formation qu'ils reçoivent. Marie Teissedre ayant cru
pouvoir défendre l'exercice de la dictée devant l'un de ses supérieurs, on fit
sur elle un rapport indiquant : « Cette stagiaire ne sait pas ce
qu'apprendre veut dire. » Cet incident la détermina à écrire à
l'auteur de cette introduction, qui lui conseilla de se taire jusqu'à sa
titularisation, et alors d'enseigner selon sa conscience.
On
peut se demander pourquoi cette stagiaire possède davantage d'esprit critique
que la plupart de ses collègues et ose ainsi nous livrer une partie de ses
notes. Un élément de réponse est facile à donner : après trois années de
classes préparatoires littéraires aux Écoles normales supérieures et une
licence de philosophie, elle jouit d'un niveau d'instruction et de culture très
supérieur à celui de la plupart des jeunes instituteurs, qui lui a permis
d'exercer son jugement et de résister à l'institution moralement et
intellectuellement dégradante qu'est l'IUFM.
Que
de jeunes instituteurs comme Marie Teissedre résistent à l'endoctrinement des
IUFM et persistent à penser que « la raison d'être de
l'école est d'instruire, de transmettre le savoir »
donne de l'espoir.
L'enseignement des lettres au collège et au
lycée
Les
trois chapitres suivants portent sur l'enseignement secondaire.
Le
premier est rédigé par Monsieur Guy Morel, professeur de lettres au lycée, qui
est déjà auteur de plusieurs livres consacrés à l'état actuel de notre système
éducatif[6]. Il publiera bientôt, en
coopération avec Monsieur Michel Delord[7], un ouvrage
important : Lire-Écrire-Compter-Calculer :
la pédagogie oubliée. Choix d’articles du Dictionnaire de pédagogie et
d’instruction primaire de Ferdinand Buisson.
Guy
Morel traite de l'état de l'enseignement du français, qui est à notre avis la
discipline la plus essentielle. Il souligne à plusieurs reprises que la
destruction de cet enseignement va de pair avec celle de tous les autres et
s'inscrit dans un même processus.
En
français, l'abandon de l'enseignement des éléments de la langue à l'école
primaire et jusqu'au lycée se traduit chez les élèves par une méconnaissance
dramatique de l'orthographe et de la grammaire – pourtant indispensable à la
formation de la pensée – et par une impuissance à structurer leur réflexion,
voire à rédiger quelques lignes ou à lire un texte et le comprendre. La décomposition
de l'enseignement des éléments de la littérature – privés de repères
chronologiques, mis sur le même plan que des articles de journaux, des bandes
dessinées ou des publicités, et réduits à servir de matériaux pour des
exercices formalistes et technicistes sans intérêt – enferme les élèves dans
l'inculture, la pauvreté intellectuelle et l'absence d'idées. Cet abandon et
cette décomposition privent les futurs adultes des moyens d'exercice de
l'esprit critique.
Dressant
ce tableau sinistre, Guy Morel rappelle quelques-unes des étapes qui ont
jalonné la destruction de l'enseignement. Après les premiers coups portés par
le régime de Vichy – qui supprima par exemple les Écoles primaires supérieures,
malheureusement non rétablies à la Libération –, cette destruction apparaît
comme l'oeuvre des gouvernements de la Ve République dans leur
ensemble. Il vaudrait la peine de réfléchir, dit Guy Morel, « au fait
que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, toutes les
« réformes » visant à la « démocratisation » de
l'enseignement ont été accompagnées par des reculs éducatifs anti-démocratiques
soigneusement pensés et justifiés par des sociologues et des experts de tout
acabit. »
En
annexe, Guy Morel nous permet de découvrir trois textes remarquables :
Dans le premier, l'inspecteur général républicain Félix Cadet insiste en 1887
sur le fait que la nouvelle école primaire initie tous les élèves à la
connaissance des grandes oeuvres littéraires tout en les rompant à l'usage de
la langue écrite et orale. Dans le second, le mathématicien anarchiste
Charles-Ange Laisant demande en 1904 d'instruire la jeunesse simultanément dans
la connaissance des lettres et dans celle des sciences. Dans le troisième, le
député communiste Georges Cogniot adresse en 1943 aux groupements de la
Résistance un vibrant plaidoyer pour l'enseignement de l'école de la IIIe
République ancré dans la tradition classique.
Des
discours bien différents de ceux, prétendument progressistes, qui ont servi à
légitimer la transformation et la dénaturation de l'école depuis un
demi-siècle.
Manuels d'anglais et méthodes d'enseignement
Le
chapitre suivant est rédigé par un professeur d'anglais au lycée, Madame Yvonne
Cloarec. Il porte sur l'enseignement de cette langue et se décompose en deux
parties :
La
première montre à quel point le défaut de connaissances en grammaire française
handicape les élèves pour apprendre des langues étrangères. Elle illustre les
conséquences de la dégradation dénoncée tant par Liliane Lurçat et Marc Le Bris
que par Guy Morel.
La
seconde partie esquisse une comparaison entre des manuels d'anglais récents et
d'autres qui datent d'une trentaine d'années. Les premiers semblent obéir au
même principe que celui mis en évidence par Marc Le Bris à propos de
l'enseignement primaire : le refus d'un apprentissage ordonné et
progressif, que l'on serait tenté d'interpréter comme un rejet de la
rationalité et de la pensée discursive et articulée. Comme des professeurs nous
ont dit parfois : « Ce n'est pas seulement l'apprentissage de la
lecture qu'on a voulu global, c'est tout l'enseignement, à tous les niveaux ».
On le constate ici pour l'étude de l'anglais : les notions nouvelles ne
sont pas introduites une par une mais en avalanche et de façon désordonnée.
Parfois même les mots ne sont pas enseignés en tant que tels mais globalement,
comme éléments figés à l'intérieur de « blocs lexicalisés »
que l'on ne décompose pas.
Yvonne
Cloarec, dont les élèves ont déjà suivi au collège quatre années d'enseignement
de l'anglais, est en situation d'apprécier les conséquences des méthodes
pédagogiques actuellement en vigueur. « Tout se passe comme si, pour
avoir voulu rendre les élèves autonomes trop vite, on les avait à jamais
empêchés de l’être », écrit-elle. Ce constat se retrouve plus loin à l'identique
dans le chapitre de Catherine Krafft, à propos des étudiants en physique à
l'université.
Ce
chapitre sur l'enseignement de l'anglais se termine en illustrant le décalage
inimaginable entre les prétentions affichées dans les manuels actuels et la
réalité. Une autre caractéristique du fonctionnement de notre système éducatif
d'aujourd'hui est en effet le mensonge. Un thème qui réapparaîtra sous la plume
de Jean-Pierre Ferrier.
Enseigner au collège : une expérience au
quotidien
Le
dernier chapitre consacré à l'enseignement secondaire est constitué d'une série
de témoignages bruts écrits au cours de l'année 2006 par un groupe de
professeurs d'un collège de Paris intra-muros. Ce texte rapporte avec
sobriété – et donc de façon d'autant plus impressionnante – les comportements
aberrants, les incivilités et les violences d'une partie des élèves de trois
classes de troisième. La situation qu'il décrit est bien loin d'être
unique : beaucoup d'établissements voient se développer des comportements
collectifs aussi graves, et certains sont le lieu d'incidents plus graves
encore. Dans la majorité des établissements scolaires, la situation est sans
doute moins critique, mais les informations que nous recevons font douter qu'il
subsiste en France un seul collège – même parmi ceux dits « de centre
ville » ou « de campagne tranquille » – où l'attitude des élèves
vis-à-vis des professeurs et de leurs condisciples soit vraiment satisfaisante.
Dans les lycées d'enseignement général ou technologique, la situation est
généralement un peu meilleure car les élèves les plus perturbateurs n'y entrent
pas.
Que
les auteurs de ce témoignage aient persisté à enseigner jour après jour dans de
telles conditions est un exemple d'héroïsme au quotidien et d'abnégation, que
la société ignore mais dont font preuve un très grand nombre de professeurs
partout en France. Autant il est vrai que le système éducatif de notre pays est
victime des fautes commises par les instances dirigeantes de l'Éducation
nationale et la hiérarchie à leur service, autant il convient de répéter avec
force que, si quelque chose tient encore dans l'école de notre pays, c'est
grâce à d'innombrables petits soldats de l'Éducation nationale, tous les
instituteurs et les professeurs qui n'ont pas renoncé à enseigner, parfois au
prix d'efforts extrêmes.
Ce
témoignage fut envoyé à une soixantaine de personnalités – hommes politiques,
syndicalistes, journalistes, intellectuels connus, etc. – mais seules deux
d'entre elles répondirent, dont l'auteur de cette introduction qui proposa de
l'incorporer au présent volume.
Honte
à notre société qui admet que les professeurs soient ainsi traités et choisit
de l'ignorer ! Une République qui ne respecte plus les professeurs et
tolère que l'on bafoue leur autorité et leur dignité creuse sa propre tombe, et
celle de la liberté de ses citoyens.
Un
rapprochement avec ce qu'écrit Liliane Lurçat est immédiat : « Le collège est le lieu où se révèle dans toute son ampleur
la destruction de l'enseignement élémentaire, avec toutes sortes de
conséquences sur les destins individuels. Les carences les plus aiguës de
l'éducation morale s'y manifestent également. Les élèves vivent leur puberté au
milieu d'une foule aux pulsions incontrôlées. Les agressions, le chantage, les
brimades et les violences sexuelles s'exercent trop souvent en toute impunité,
dans le silence et dans la peur. »
Témoignages d'enseignants en physique à
l'université
Les
deux chapitres suivants concernent l'enseignement supérieur.
Le
premier est rédigé par Madame Catherine Krafft[8],
qui est professeur de physique à l'Université de Paris-Sud (Orsay). Comme le
précédent, ce chapitre livre des témoignages bruts : pour le composer,
Catherine Krafft a sollicité des professeurs de physique de l'enseignement
supérieur avec qui son travail de recherche scientifique ou l'organisation des
cours la mettent souvent en contact. Ce chapitre illustre d'une autre façon les
conséquences de la destruction de l'enseignement élémentaire. En effet, les
professeurs d'universités – ou parfois de Grandes Écoles d'ingénieurs – dont
Catherine Krafft a recueilli les témoignages déplorent avant tout le défaut de
connaissances de base, relevant normalement de l'école primaire, dont souffrent
leurs étudiants, ainsi que leur manque de toutes les habitudes indispensables à
l'étude, qui auraient dû leur être inculquées quand ils étaient enfants. Comme
un membre du jury d'admission au concours d'une Grande École d'ingénieurs nous
dit récemment : « Pour que les jeunes gens qui entrent dans cette
École soient capables de devenir d'authentiques ingénieurs, il faudrait d'abord
qu'ils sachent rédiger et, pour parler franchement, qu'ils aient été
alphabétisés. »
La
tonalité de ce chapitre est particulièrement sombre et inquiète. Pourtant,
Catherine Krafft a écarté de la rédaction finale les pages les plus effrayantes
des témoignages reçus. Elle craignait que les lecteurs qui ne sont pas
familiers de la situation actuelle de l'enseignement supérieur scientifique et
du niveau des étudiants qui y entrent ne la crussent point.
L'auteur
de cette introduction – qui a lui-même reçu des centaines de témoignages de
professeurs de toutes disciplines – a remarqué que les lettres émanant de
professeurs de physique et de technologie sont souvent les plus
désespérées : elles vont exactement dans le même sens que les témoignages
recueillis par Catherine Krafft. Sans doute parce qu'il est impossible
d'étudier sérieusement ces disciplines sans une solide maîtrise de la langue
courante et abstraite, des mathématiques élémentaires, des règles de la logique
et du raisonnement, et qu'une telle maîtrise fait cruellement défaut à
l'immense majorité des étudiants qui entrent aujourd'hui dans l'enseignement
supérieur. Dans l'un des chapitres
suivants, Jean-Pierre Ferrier observe qu'il est plus facile de dissimuler les
lacunes réelles des étudiants – en élaborant des sujets d'examens complètement
stéréotypés – en mathématiques qu'en physique.
Pour étudier vraiment la littérature française à
l'université
Le second chapitre traitant de l'enseignement
supérieur est rédigé par Madame Liliane Picciola, qui enseigne la littérature
française du XVIIe siècle à l'Université de Nanterre. Liliane
Picciola, qui est issue d'un milieu ouvrier, est – comme d'autres professeurs
ayant collaboré à la rédaction de cet ouvrage – un exemple de la chance que
l'école du savoir offrait aux enfants de toutes les classes sociales de notre
pays avant d'être détournée de sa vocation d'instruction et de transmission des
connaissances et de la culture.
Il est frappant de constater que ce
chapitre, qui porte sur l'enseignement de la littérature à l'université, est
nettement moins sombre – surtout s'agissant des dernières années d'université –
que le précédent, qui traite de l'enseignement de la physique. Cette observation
contredit l'idée reçue que le déclin de l'enseignement des lettres aurait
profité aux sciences. On peut se demander si la littérature à l'université
n'est pas protégée en partie par le décalage entre les valeurs qui la fondent
et celles qui dominent notre société : les cohortes de bacheliers sans
instruction la fuient, et ne fréquentent plus les facultés vouées aux humanités
que des groupes réduits d'étudiants qui y trouvent un intérêt personnel.
Néanmoins, Liliane Picciola observe
chez les étudiants en lettres des lacunes stupéfiantes de culture générale, de
langue française et de chronologie historique, une méconnaissance des oeuvres
littéraires ainsi qu'une grande difficulté à fixer son attention, à approfondir
sa réflexion, à solliciter sa mémoire, voire à pratiquer une lecture
discursive.
A cela s'ajoute un élément
particulièrement pernicieux et révélateur : l'abandon par certaines
autorités universitaires elles-mêmes de l'esprit sans lequel l'enseignement
perd son sens. Ce reniement apparaît crûment quand ces autorités parlent
d'« usagers » pour désigner les étudiants.
Liliane Picciola propose de répondre
aux différents problèmes qu'elle passe en revue de la façon dont il convient de
réagir face au délitement de l'école et à la crise de la transmission :
par des mesures et des initiatives très concrètes. Contre ce que le texte de
Pierre Farago achève de révéler comme une crise de civilisation, seule une
pratique fidèle à des principes simples peut être efficace. C'est à une telle
pratique que Bertrand Vergely appelle dans le chapitre de conclusion.
L'enseignement des sciences et la dénaturation des
programmes
Le rôle des instances de pilotage de
l'école et de ceux qui les inspirent dans le processus de destruction de
l'école est l'objet plus ou moins explicite des deux chapitres suivants.
Une institution est détruite de
façon bien plus efficace de l'intérieur que de l'extérieur ; c'est
pourquoi la déstructuration et la ruine de l'école en quelques décennies
auraient été impossibles si, parmi les intellectuels et les scientifiques
prestigieux, une minorité active n'avait soutenu – voire suscité – les
politiques responsables de cette évolution et si la majorité n'était restée
aveugle ou indifférente.
Le premier de ces deux chapitres est
rédigé par Monsieur Jean-Pierre Ferrier, professeur de mathématiques à
l'Université de Nancy, qui fut directeur de l'IREM (Institut de recherche sur
l'enseignement des mathématiques) de Lorraine.
Jean-Pierre Ferrier commence par
dresser une liste des infirmités héritées de leur scolarité antérieure avec
lesquelles les étudiants abordent l'apprentissage des mathématiques à
l'université : manque de connaissances de base solides et de logique,
incapacité à s'exprimer correctement par écrit, défaut de maîtrise du calcul,
absence de représentation mentale des objets géométriques.
Puis il décrit le réseau
d'organismes qui décide de l'orientation et du contenu de l'enseignement des
mathématiques aux différents échelons des cursus primaire et secondaire. Il
montre combien il est difficile d'échapper à l'influence de ce réseau qui
paraît avoir réduit toutes les résistances institutionnelles.
En mathématiques, la dégradation et
la dénaturation des programmes ne semblent pas dues à l'influence directe des
soi-disant « scientifiques de l'éducation » mais à la médiocrité
intellectuelle de plus en plus grande de leurs responsables. Chez eux
l'égalitarisme, l'hostilité larvée aux lettres et un scientisme militant ont
remplacé l'intérêt pour leur discipline et pour ses liens étroits avec les
sciences de la nature. Comme leur réseau s'appuie sur des représentants des
universités et de l'Académie des sciences, on ne peut esquiver la grave
question de la responsabilité des plus prestigieux détenteurs du savoir dans la
destruction de l'école du savoir. Force est de constater qu'un grand nombre de
professeurs de mathématiques de l'enseignement supérieur – jusqu'aux plus
hautes sphères – s'accommodent de l'hypocrisie officielle sur le niveau des
étudiants et de la dénaturation de l'enseignement de leur discipline.
Les savants et l'école
C'est justement le rôle des
« plus hautes sphères » qu'aborde sous un angle particulier le
chapitre suivant rédigé par l'auteur de la présente introduction,
mathématicien.
Un épisode qu'il relate offre l'occasion
de se demander dans quelle mesure les savants de notre pays ont pris conscience
de la situation de l'école, si certains n'ont pas participé à sa destruction et
si d'autres peuvent contribuer à son relèvement.
De fait, la doctrine qui a
bouleversé les pratiques pédagogiques de l'école française, le
« constructivisme » – qui prône « la construction par l'élève de
ses propres savoirs » –, est susceptible de séduire des scientifiques car
elle prétend transformer les élèves en chercheurs. Certains ont pu y voir un
genre de méthode expérimentale qui permettrait à l'élève d'apprendre par ses
propres moyens.
De même, les milieux scientifiques
sont divisés et leurs instances représentatives demeurent silencieuses ou
ambivalentes – si ce n'est pire – sur des questions aussi importantes que la
valeur des mathématiques, celle du français, des lettres et des humanités, le
pouvoir conquis dans l'Éducation nationale par les soi-disant
« scientifiques de l'éducation », l'influence naissante des « sciences
cognitives » et de la neurologie sur la pédagogie et le contenu des
enseignements, ou la disqualification des connaissances et de leur transmission
au nom de l'acquisition des « compétences ».
Disqualifier les connaissances
établies au nom du mouvement de la science prive l'enseignement de son objet.
De là provient peut-être la tentation irrésistible de trouver de nouveaux
objets – qui ne peuvent être que l'élève et le maître. Ces derniers sont alors
déchus de leur ancienne dignité de personnes et de sujets. Étrange ambivalence
que de récuser l'objectivité des connaissances objectives et de prétendre
simultanément réduire l'action des personnes à des règles de comportement
objectivables, comme seraient les processus d'apprentissage.
Le renfermement sur soi de l'être
humain qui se désintéresse de la connaissance des choses et retourne contre
lui-même sa capacité d'objectivation traduit un doute profond de l'homme
moderne sur la valeur du monde dans lequel il a été appelé à vivre et des
conquêtes de son esprit au cours des siècles.
Le thème du doute de l'homme sur
lui-même et sur sa vie – doute camouflé en fantasme de maîtrise absolue sur les
êtres assimilés à des choses – apparaît explicitement dans le dernier chapitre
de ce volume. Un texte magistral où Bertrand Vergely propose la négation de
l'esprit comme une clé d'interprétation du phénomène de destruction de l'école.
Les jeunes, l'emploi et la technologie
Le chapitre suivant aborde une autre
composante essentielle du système éducatif – à savoir l'enseignement technique
et professionnel – et il envisage les conséquences économiques du délitement de
l'éducation dans son ensemble.
Ce chapitre est rédigé par Monsieur
Pierre Perrier qui est ingénieur, ancien « secrétaire perpétuel » de
l'Académie des technologies et ancien directeur des études du groupe industriel
« Dassault Aviation ». Il fut, dit-on, l'un des principaux
« pères » de l'avion « Rafale » et celui du logiciel de
conception assistée par ordinateur « CATIA » qui est le plus utilisé
dans l'industrie du monde entier.
Pierre Perrier dénonce les handicaps
très lourds dont souffre l'enseignement technique et professionnel : le
manque de considération des familles et des jeunes pour les métiers manuels et,
de façon générale, pour les activités productives (une attitude psychologique
collective qui, par parenthèse, pourrait être liée à la disqualification de la
notion de vérité objective et au report du besoin d'objectivation sur l'étude
des seuls comportements humains), la décision prise par des hommes politiques
de remplacer dans cet enseignement les représentants des métiers par des
diplômés sans expérience du fonctionnement des entreprises, et surtout le
manque d'instruction, d'habitudes de travail et de règles de sociabilité
observé chez les jeunes gens qui entrent dans les filières techniques et
professionnelles.
Cet ingénieur habitué aux impératifs
du monde industriel ne demande pas que l'enseignement soit orienté directement
vers les besoins passagers des entreprises mais qu'il instruise et apprenne avant
tout à lire, écrire, compter et calculer, qu'il éduque chacun à la
responsabilité et l'habitue à suivre les règles élémentaires du respect de soi
et des autres. Pierre Perrier insiste sur la nécessité – pour les ingénieurs,
les techniciens et tous les acteurs de la vie économique – de maîtriser la
langue française et de savoir rédiger. Lui, qui est ingénieur et industriel,
nous dit la valeur qu'il accorde à l'enseignement des lettres et à la culture.
La sphère de l'enseignement et de la
vie intellectuelle et celle de l'économie possèdent chacune des spécificités
propres qui doivent être reconnues, mais elles sont unies par une notion très
simple que Pierre Perrier évoque : c'est le sérieux.
La vitalité et la survie économiques
d'une nation supposent que les jeunes gens qui entrent dans la vie active aient
été habitués au sérieux. Pour cela, il n'est que de donner aux nouvelles
générations un enseignement sérieux dans une école sérieuse. C'est ce qui fait
cruellement défaut aujourd'hui.
La situation actuelle est si grave
que, comme Pierre Perrier nous en avertit, la ruine de l'école entraînera
inévitablement dans son sillage la ruine économique de notre pays. Dès à
présent, elle rend le problème du chômage impossible à résoudre.
L'enseignement de la musique mis à mal
Le chapitre suivant, qui sort du
cadre de l'Éducation nationale, livre un témoignage qui étonnera plus d'un
lecteur, comme il a stupéfié l'auteur de cette introduction et nombre de
participants à la rédaction de ce volume.
Son auteur, Monsieur Pierre Farago,
est organiste et compositeur. Il enseigne au CNR (Conservatoire national de
région) de Boulogne-Billancourt.
Son texte nous apprend que, non
contents de dominer les IUFM, les soi-disant « scientifiques de
l'éducation » sont en train d'investir la formation des professeurs de
conservatoire et de se l'approprier, déversant sur les jeunes musiciens un
discours en tout point semblable à celui reproduit dans le témoignage de Marie
Teissedre.
Cette sidérante analogie justifie
d'autant plus l'importance de la réflexion de Pierre Farago sur les facteurs
profonds qui ont permis l'émergence et la propagation rapide du discours
prétentieux et vide caractéristique des « sciences de l'éducation ».
Il met en accusation la dérive techniciste qui transforme la pratique musicale
et la rapproche d'une performance sportive. Cette dérive et cette
transformation traduisent une perte du sens des oeuvres du grand répertoire et
une ignorance croissante de leurs liens avec l'ensemble d'une culture relevée à
laquelle nombre de musiciens de notre temps n'appartiennent pas et dont ils
n'ont plus idée. Si bien que le relativisme et le différentialisme rencontrent
dans le milieu des musiciens une résistance affaiblie et finissent par
s'imposer.
Comme Pierre Farago le fait
remarquer, ce processus présente de troublantes similitudes avec celui qui a
réduit l'enseignement de la littérature au formalisme rhétorique que Guy Morel
dénonce en particulier. Mais aussi avec celui que Jean-Pierre Ferrier met en
évidence à propos de l'enseignement des mathématiques, dont la déstructuration
et la dénaturation ont été précédées par une dérive formaliste et un isolement
de la discipline.
Pierre Farago évoque pour terminer
la lutte difficile que doit mener une civilisation pour préserver le sens de sa
culture. Comme son témoignage et sa réflexion le montrent en effet, la
destruction de l'école s'inscrit dans une crise de civilisation.
La
vocation de l'enseignement
Le dernier chapitre propose une
analyse philosophique et morale de cette crise de civilisation.
Son auteur, Monsieur Bertrand
Vergely, est professeur de philosophie en classes préparatoires littéraires aux
Écoles normales supérieures. Il enseigne également à l'Institut d'études
politiques de Paris et à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge. Il est
l'auteur de nombreux essais, dont l'un est consacré à l'école.
Selon lui, la crise de la
transmission de la culture et la destruction de l'école résultent d'un doute
fondamental sur l'existence de l'esprit, la valeur de l'homme, la grandeur de
sa vocation et la bonté de la vie qui lui a été donnée. Elles prennent racine
dans un pessimisme radical dont l'utopie – explicitement dénoncée par Liliane
Lurçat dans le chapitre qui ouvre ce volume – n'est que le double névrotique.
L'homme contemporain désespère de la vie, il se persuade qu'elle est mauvaise
et n'a rien à lui apprendre, il se considère comme une victime et rend
responsable de sa souffrance les idéaux anciens qu'il perçoit désormais comme
répressifs et humiliants. Eprouvant méfiance, ennui et haine envers ce qui est,
il ressent le besoin impérieux de s'évader vers ce qui pourrait être. Fuyant le
savoir, la réflexion et la raison, et brûlant d'impatience de se débarrasser de
son mal de vivre, il attend du vécu immédiat, du senti et du pulsionnel qu'ils
lui apportent du nouveau.
Bertrand Vergely fait un
rapprochement original et saisissant entre ce pessimisme contemporain et celui
des sophistes de la Grèce antique, cyniques et manipulateurs, auxquels Socrate
s'opposa. Un pessimisme inséparable de leur relativisme absolu et de leur
mépris secret de l'homme.
Aussi Bertrand Vergely en
appelle-t-il aujourd'hui à l'enseignement de Socrate et de Platon :
l'homme ne se résume pas à un corps emporté dans un flux de matière, il est à
la fois corps et âme vivants dans une réalité dont l'essence est esprit,
souffle créateur.
Au-delà même du dualisme de la
pensée grecque, il révoque un certain nombre d'oppositions binaires ruineuses
pour l'école et les dépasse au moyen de plusieurs définitions à trois termes
dont chacun rend harmonieuse la relation qui lie les deux autres.
L'école, dit-il, doit instruire,
éduquer et enseigner.
L'instruction est le commencement de
la réconciliation avec la vie. Elle consiste d'abord et avant tout à apprendre
à lire, écrire et calculer. Et ce, en commençant par les fonctions pratiques
les plus élémentaires et les plus indispensables de ces apprentissages, de
façon à activer et à développer leurs fonctions symboliques élaborées qui
sont : pour la lecture – l'observation, le déchiffrage, l'interprétation,
le jugement ; pour l'écriture – l'inscription de soi-même dans la réalité
où l'on trace la page de sa vie ; et pour le calcul – la prévision,
l'anticipation et l'imagination.
L'éducation consiste à apprendre à
se tenir. A se tenir dans le corps, dans l'âme et dans l'esprit, c'est-à-dire à
grandir, s'élever et se transcender.
Grandir en se tenant dans son propre
corps par l'hygiène, l'exercice et la conscience sensible, dans le corps social
par la politesse et le respect des autres, dans le corps du monde par la
conscience du miracle de la nature et de la vie.
S'élever en se tenant dans l'âme par
l'ouverture à la perception des choses et la réceptivité à ce qui survient.
Se transcender en se tenant dans
l'esprit pour dépasser les limites de l'existence immédiate de façon que
celle-ci devienne histoire.
L'enseignement enfin, – celui d'un
maître à ses élèves par une leçon, un cours magistral ou des entretiens plus
informels, celui de l'instituteur comme du grand professeur qui d'ailleurs doit
lui ressembler – consiste à transmettre à autrui les moyens de créer, il est
transmission de la vie.
FIN
[1] Tout cela est relaté et analysé dans l'admirable et
bouleversant livre de Marc Bloch, L'étrange défaite, Éditions Folio,
1990.
[2] Nous remercions la Fondation Del Duca de l'Institut
de France qui a accueilli ce colloque dans son hôtel de la rue Alfred de Vigny,
ainsi que Monsieur Jean Foyer, membre honoraire du Parlement et membre de
l'Académie des sciences morales et politiques, et Monsieur Pierre Messmer,
alors Chancelier de l'Institut, qui ont permis que ce colloque ait lieu.
[3] Voir en fin de volume l'adresse du site de cette
association et celui du site apparenté « lire-écrire ».
[4] Ce sigle fameux désigne les « Instituts
universitaires de formation des maîtres » que, depuis 1990-1991, on a cru
bon de substituer aux vénérables « Écoles normales d'instituteurs ».
[5] Voir en fin de volume les adresses des sites du
programme SLECC, de l'association GRIP (Groupe de réflexion interdisciplinaire
sur les programmes) qui l'a élaboré, de Jean-Pierre Demailly et de Michel
Delord.
[6] Avec un autre professeur, Monsieur Daniel
Tual-Loizeau. Voir la bibliographie en fin de volume.
[7] Voir en fin de volume l'adresse du site personnel de
Michel Delord, qui est particulièrement riche et intéressant.
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La débâcle de l'école : une tragédie incomprise.
Présentation :
Au delà de la mise en cause, à maints égards très insuffisante, qui
s'esquisse dans certains cercles officiels, cet ouvrage dresse un tableau de l'état
actuel du système éducatif français. Celui-ci se trouve dans une situation
qui n'est pas sans analogies avec celle de l'armée française en 1940. Comme
alors, des erreurs conceptuelles fondamentales ont été commises et l'esprit de
système a obscurci le sens du réel. Comme alors, la responsabilité appartient
d'abord au commandement, en l'occurrence aux instances dirigeantes de l'Éducation
nationale qui ont transformé la nature et la finalité de l'école et ont imposé
depuis des décennies des pratiques pédagogiques destructrices des
apprentissages. Les conséquences de la débâcle de l'école pour les nouvelles
générations et pour notre pays tout entier - si elles ne se manifestent pas
avec la même immédiateté et la même brutalité - promettent d'être aussi
graves et destructrices, à moins qu'une prise de conscience collective ne
conduise rapidement à un sursaut et à l'amorce d'un processus de refondation
et de reconstruction. Les auteurs - qui sont de tous âges et de convictions très
diverses - posent des diagnostics convergents et d'autant plus accablants qu'ils
sont précis et circonstanciés. Ils s'attachent à rapporter les faits bruts
dont ils ont été témoins et ils cherchent à comprendre et interpréter les
phénomènes qu'ils ont vus se développer. Ils se retrouvent dans un sens
commun de ce que doit être l'école : une école de l'instruction, du savoir et
de la culture ; une école de la transmission des connaissances et des règles
de la vie sociale ; une école où l'on enseigne afin de conférer à tous les
élèves, futurs adultes, les moyens de la liberté de penser, de créer et
d'agir.
Ont participé à ce livre :
Yvonne Cloarec, professeur d'anglais au lycée
Pierre Farago, musicien
Jean-Pierre Ferrier, professeur de mathématiques à l'université
Catherine Krafft, professeur de physique à l'université
Laurent Lafforgue, mathématicien, lauréat de la médaille Fields
Marc Le Bris, instituteur
Liliane Lurçat, psychologue de l'enfance, spécialiste de l'école primaire
Guy Morel, professeur de français au lycée
Pierre Perrier, ingénieur, ancien secrétaire perpétuel de l'Académie des
Technologies
Liliane Picciola, professeur de littérature à l'université
Marie Teissedre, institutrice
Bertrand Vergely, philosophe
Un groupe de professeurs d'un collège de Paris
SOMMAIRE :
Introduction générale
par Laurent Lafforgue
[ECOLE PRIMAIRE]
La destruction de l'enseignement élémentaire et la massification des jeunes
par Liliane Lurçat
L'école primaire et les origines de l'échec scolaire
par Marc Le Bris
[ECOLE SECONDAIRE]
Paroles d'IUFM
par Marie Teissedre
L'enseignement des lettres au collège et au lycée
par Guy Morel
Manuels d'anglais et méthodes d'enseignement
par Yvonne Cloarec
Enseigner au collège : une expérience au quotidien
par un groupe de
professeurs d'un collège de Paris
[UNIVERSITE]
Témoignages d'enseignants en physique à l'université
par Catherine Krafft
Pour étudier vraiment la littérature française à l'université
par Liliane Picciola
L'enseignement des sciences et la dénaturation des programmes
par Jean-Pierre Ferrier
[L'ECOLE, L'HOMME ET LA SOCIETE]
Les savants et l'école
par Laurent Lafforgue
Les jeunes, l'emploi et la technologie
par Pierre Perrier
L'enseignement de la musique mis à mal
par Pierre Farago
Pour un enseignement revenu à sa vocation
par Bertrand Vergely
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Suppléments ajoutés par le blog :
Présentation du livre La
Débâcle de l’Ecole sur son site (pdf)
Sur l’auteur de
l’introduction, M. Laurent LAFFORGUE :
- Autres
entretiens sur l'éducation parus dans différents journaux et revues
- Appel pour
la refondation de l’école (pétition en ligne)
- Démission
du HCE (voir aussi M. Delord, Epuration au Haut Conseil de
l’Education)
COMMENTAIRES de lecteurs (voir
site commercial Amazon)
Enthousiasme, 6 mars 2008
Par Rachel
Anne (France)
Mère de quatre enfants, de 7 à 13
ans, je conseille vivement la lecture de cet ouvrage collectif, rassemblant des
témoignages concrets de professeurs ; il m'a permis de comprendre les vraies
causes des dysfonctionnements de l'école actuelle.
Eclairant, 15 mai 2008
Livre somme d'un ensemble
d'enseignants confrontés, comme les parents, à des "résultats
scolaires" plus que navrants, sur tout le territoire français.
Toutes les explications y sont, les apports de professionnels stupéfiants de courage, de lucidité, de capacité d'analyse - qu'on leur empêche malheureusement de transmettre !
Le livre s'organise par étapes, commençant avec les causes de l'échec de l'instruction primaire - refus des fondamentaux et de la discipline - , ses conséquences au collège - échec et violence, installation des incivilités - , la poursuite des dégâts au lycée et même à l'université.
Le plus surprenant : la déréliction touche le français - on le savait - mais aussi les maths... et même la musique !
A lire, à faire lire, à offrir à tous les parents - dès la maternelle !
Toutes les explications y sont, les apports de professionnels stupéfiants de courage, de lucidité, de capacité d'analyse - qu'on leur empêche malheureusement de transmettre !
Le livre s'organise par étapes, commençant avec les causes de l'échec de l'instruction primaire - refus des fondamentaux et de la discipline - , ses conséquences au collège - échec et violence, installation des incivilités - , la poursuite des dégâts au lycée et même à l'université.
Le plus surprenant : la déréliction touche le français - on le savait - mais aussi les maths... et même la musique !
A lire, à faire lire, à offrir à tous les parents - dès la maternelle !
Latour07 dit:
Merci de votre recommandation
Je passe commande.
A rapprocher de l'excellent ouvrage de Jean-Pierre Le Goff La barbarie douce. : La modernisation aveugle des entreprises et de l'école
Cordialement,
Latour
Je passe commande.
A rapprocher de l'excellent ouvrage de Jean-Pierre Le Goff La barbarie douce. : La modernisation aveugle des entreprises et de l'école
Cordialement,
Latour
Si l'on est enseignante depuis
longtemps comme moi, on ne peut qu'être intéressée par ce type d'ouvrage. Le
malaise éprouvé depuis longtemps est tel, l'impression grandissante de faire
semblant ou pire de participer à une vaste supercherie est telle que ce livre
permet de ne pas se sentir seul ou isolé, autorise à pousser plus loin la
réflexion, à débattre avec ceux qui le lisent.
Car, oui, nous vivons, et les élèves en sont les premières victimes, une "tragédie incomprise" et ce livre dénonce intelligemment le phénomène à travers des témoignages forts et convaincants.
Car, oui, nous vivons, et les élèves en sont les premières victimes, une "tragédie incomprise" et ce livre dénonce intelligemment le phénomène à travers des témoignages forts et convaincants.
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