7 septembre 2011

LA DEBACLE DE L'ECOLE : Introduction par Laurent LAFFORGUE

La débâcle de l'école : Une tragédie incomprise

Ouvrage collectif dirigé par Laurent Lafforgue et Liliane Lurçat,
éd. François-Xavier de Guibert, 2007


Introduction générale

par Laurent Lafforgue


 

             Comment, à propos de l'école, oser parler de « débâcle » ?
            Pour beaucoup, ce mot évoque le désastre de mai-juin 1940 : l'effondrement d'une armée héritière de l'une des plus glorieuses traditions militaires de l'histoire et qui se croyait la meilleure du monde, les énormes fautes d'appréciation commises par le commandement tant sur le plan des doctrines auxquelles il a aveuglément ajouté foi que dans la préparation et la conduite des combats, l'affaiblissement du caractère, le fléchissement de la pensée et la défaillance de la raison qui ont rendu ces fautes possibles et empêché de prendre conscience de leurs effets inéluctables, la disparition des repères moraux qui a accompagné et suivi la défaite, la dissolution de toutes les structures, l'effacement et le démembrement programmé de la France, l'abolition du régime républicain et la suppression des libertés avec leurs conséquences inimaginables sur les personnes et les peuples laissés sans défense.[1]
            Nous parlons de débâcle de l'école car celle-ci se trouve aujourd'hui dans une situation qui présente d'étonnantes analogies avec celle de l'armée de 1940. Ses conséquences pour notre pays – si elles ne se manifestent pas avec la même immédiateté et la même brutalité – promettent d'être aussi graves et destructrices, à moins qu'une prise de conscience collective ne conduise rapidement à un sursaut et à l'amorce d'un processus de refondation et de reconstruction.
            L'histoire de l'école française est longue de bien des siècles et a connu de brillants développements jusqu'au tournant des années 60. Le statut de grande civilisation de l'esprit que notre pays a conquis et conservé si longtemps aurait été impensable sans les institutions qu'il a créées ou adoptées et constamment améliorées pour transmettre de génération en génération l'instruction, la culture et le savoir.
            Ce statut a été remis en cause et le fondement de cette civilisation ruiné en quelques décennies par le déclin de l'école. Un déclin qui est le résultat de politiques bien précises, conçues, décidées et mises en oeuvre par ceux qui étaient chargés de gouverner l'école. Comme dans le cas de la bataille du printemps 1940, la responsabilité du désastre appartient d'abord au commandement, c'est-à-dire aux instances dirigeantes de l'Éducation nationale, à ses experts organisés en d'innombrables commissions, à ceux des universitaires et des intellectuels qui les ont inspirées, et à la majorité des membres de la hiérarchie – cooptés en fonction de leur adhésion aux principes et aux doctrines de l'école nouvelle – qui ont appliqué et imposé avec brutalité des directives visant à transformer la nature de l'école et à redéfinir sa finalité. Comme en 1940, les fautes commises procèdent d'un affaiblissement du caractère et d'une déliquescence de la pensée, qu'elles amplifient encore par leurs conséquences d'ordre intellectuel et moral sur les jeunes générations. Elles font planer la menace d'un anéantissement de la liberté des personnes. Celui-ci serait d'autant plus profond qu'il ne résulterait pas d'une tyrannie extérieure mais du défaut de transmission des moyens de la liberté de l'esprit.

Un effort de lucidité et de compréhension

         A cette situation, il convient de répondre par un sursaut du caractère et par un effort de compréhension.
               Le refus de la destruction progressive de l'école, la volonté de comprendre les causes profondes de son effondrement pour l'enrayer, et le désir ardent de la reconstruire animent un grand nombre de professeurs et d'instituteurs ainsi que de parents et de grands-parents d'élèves ou de simples citoyens.
            Le présent volume est le fruit d'un colloque[2] organisé en mai 2006 par l'association « Famille École Éducation »[3]. Ses deux fondateurs, Messieurs Gilbert Sibieude et Gilbert Castellanet, ne sont pas issus du milieu enseignant mais du monde de l'entreprise. Ils se sont intéressés aux problèmes de l'école et se sont investis avec générosité au service de la cause de l'instruction parce qu'ils constataient chez leurs petits-enfants les conséquences des déficiences criantes de notre système éducatif. Cet engagement leur a permis de connaître et d'apprécier toujours davantage des instituteurs et des professeurs révoltés comme eux.
            De même, les prises de position publiques de l'auteur de cette introduction sur le sujet de l'école lui ont valu des centaines de témoignages de professeurs de tous niveaux et de toutes disciplines. Avec Gilbert Sibieude, il a demandé à une dizaine de professeurs et d'instituteurs de participer à un colloque puis à la rédaction d'un livre esquissant un tableau de l'état actuel du système éducatif français après trois ou quatre décennies de réformes.
            Ont ainsi participé à ce volume : une spécialiste reconnue de l'école élémentaire, qui ouvre ce livre par une caractérisation extrêmement frappante de la transformation de l'enseignement au cours des dernières décennies et de ses conséquences déjà avérées ou menaçantes, un instituteur chevronné, une jeune institutrice fraîchement émoulue d'un IUFM[4], des professeurs de disciplines littéraires ou scientifiques exerçant dans l'enseignement secondaire et supérieur, un mathématicien, un ancien directeur des études d'un grand groupe industriel de haute technologie, un musicien dont l'étonnant témoignage montre que la destruction de l'école affecte toute la culture et concerne notre civilisation dans son ensemble et, enfin, un professeur de philosophie qui propose une interprétation de la nature de cette destruction et clôt ce livre sur une note propre à redoubler notre courage.
            Ces personnes de tous âges et de convictions très diverses posent sur notre système éducatif des diagnostics convergents et d'autant plus accablants qu'ils sont précis et circonstanciés. Elles explorent les formes par lesquelles se manifeste le processus de destruction et recherchent ses causes.
            Elles se retrouvent dans une vision commune de ce que devrait être l'école : une école de l'instruction, du savoir et de la culture, une école de la transmission des connaissances et des règles de la vie sociale, une école où l'on enseigne afin de conférer aux élèves, futurs adultes, les moyens de la liberté de penser, de créer et d'agir.
            Certaines s'attachent surtout à rapporter les faits bruts dont elles ont été témoins au sein du système éducatif, d'autres cherchent davantage à analyser, à comprendre et à interpréter les phénomènes qu'elles ont vus se développer. Ce faisant, elles tracent des pistes de réflexion et d'action pour une refondation et une reconstruction de l'école.


La destruction de l'enseignement élémentaire et la massification des jeunes

            Les trois premiers chapitres concernent l'enseignement primaire.
            Le premier est écrit par Madame Liliane Lurçat, qui a publié de nombreux livres sur les apprentissages élémentaires des enfants et qui est peut-être notre meilleure spécialiste de l'école primaire. Il n'est pas indifférent de savoir que Liliane Lurçat grandit dans une famille immigrée où l'on ne parlait pas français – comme la majorité de ses camarades d'école –, et qu'elle fut contrainte d'arrêter sa scolarité à 12 ans, aussitôt après l'obtention du Certificat d'études. Après la Libération, elle prépara seule le baccalauréat en se fondant sur ce que l'école primaire lui avait inculqué, le réussit et suivit un enseignement supérieur avant de devenir élève de Henri Wallon. Elle consacra toute sa carrière à l'étude des apprentissages des enfants en menant de longues observations dans les écoles primaires et les écoles maternelles. L'histoire de Liliane Lurçat rend d'autant plus frappante la qualité remarquable de son style, que certaines personnes – dont l'auteur de cette introduction – considèrent comme un modèle de rédaction ; chacun pourra en juger en lisant son texte qui ouvre le livre.
            Ce chapitre très dense est remarquable à bien des titres. Particulièrement éclairante est la formule qu'il propose pour caractériser les politiques réformatrices responsables de la destruction de l'enseignement élémentaire : leur but est « la rénovation totale de cet enseignement par effacement du passé ». Ou la façon dont, loin d'opposer éducation et instruction, formation morale et formation intellectuelle, discipline et acquisition des automatismes fondamentaux, morale et science, il les lie pour former un tout indissoluble qui constitue le processus de civilisation des enfants. Ou bien son affirmation que l'éducation en famille et l'éducation à l'école – orientée vers une discipline de groupe – sont complémentaires et ne peuvent se substituer l'une à l'autre. Ou encore son interprétation des violences et des comportements aberrants observés au collège comme des conséquences de la destruction de l'enseignement à l'école primaire. Ou enfin la comparaison qu'il établit entre le refus actuel de civiliser les nouvelles générations et la situation qu'a connue la jeunesse allemande après la guerre de 1914-1918.


L'école primaire et les origines de l'échec scolaire

            Monsieur Marc Le Bris, instituteur, a rédigé le second chapitre. Beaucoup connaissent déjà son livre de témoignage où il raconte comment, sortant d'une École normale d'instituteurs à la fin des années 70, il appliqua longtemps les nouvelles doctrines que sa hiérarchie préconisait, avant de s'interroger, puis d'oser exprimer ses doutes et enfin d'entrer en révolte ouverte.
            Marc Le Bris est aussi – avec le mathématicien Jean-Pierre Demailly et le professeur de collège et lycée Michel Delord – l'un des principaux promoteurs et maîtres d'oeuvre d'un programme de réhabilitation de l'enseignement primaire, SLECC[5] (Savoir Lire Écrire Compter Calculer), que l'auteur de cette introduction considère comme la meilleure opportunité actuelle de reconstruire notre école.
            Comme toujours, Marc Le Bris expose les choses simples et essentielles de la façon dont il faut les présenter, c'est-à-dire simplement et en sollicitant le bon sens de chacun. Prenant pour exemples l'apprentissage de la lecture et de l'écriture puis celui du calcul et enfin celui de la grammaire, il met en évidence l'inversion systématique du sens de ces apprentissages qui prévaut depuis des décennies : elle consiste à refuser d'enseigner avant tout les éléments de base du savoir et de faire cheminer les élèves du plus simple vers le plus élaboré.
            Quiconque prend connaissance pour la première fois des exemples précis que donne Marc Le Bris a bien du mal à se défendre d'un sentiment de stupeur et d'absurdité. Pourtant, telle est la réalité. Une réalité impossible à interpréter de manière satisfaisante, si ce n'est à la lumière de la caractérisation proposée par Liliane Lurçat : celle de l'absurdité principielle d'une école – c'est-à-dire d'une institution vouée à la transmission des connaissances établies – qu'on a voulu renouveler « par effacement du passé ».


Paroles d'IUFM

            Le sentiment d'absurdité est porté à son comble dans le chapitre suivant. Celui-ci a été rédigé par une jeune institutrice, Mademoiselle Marie Teissedre, à partir de notes prises pendant son année de stage dans un IUFM. Elle a scrupuleusement consigné par écrit – et nous livre aujourd'hui entre guillemets – certains des propos les plus frappants tenus par ses formateurs d'IUFM. Les phrases relevées se passent de commentaires. Citons par exemple une formatrice de français : « Attention, je ne veux pas voir dans vos emplois du temps : grammaire, orthographe, conjugaison, lecture. » Ou encore, un autre formateur : « Le maître n'est pas là pour transmettre des savoirs, ça c'est clair... »
            Il convient de garder à l'esprit que ces phrases ont été prononcées par des personnes rétribuées par l'argent public, revêtues de l'autorité de l'État, et en charge de former les futurs instituteurs – et professeurs – des écoles de la République.
            L'IUFM dont il s'agit est celui d'un département très peuplé, pauvre, et qui compte une grande proportion d'enfants issus de familles immigrées ou défavorisées. Pour l'avenir de chacun de ces enfants mais aussi pour celui de la France, il conviendrait de veiller avec un soin tout particulier à la qualité de l'instruction que l'école leur dispense. Le témoignage de Marie Teissedre nous apprend ce qu'il en est.
            Bien qu'ils aient déjà été reçus au concours des « professeurs des écoles », les stagiaires n'ont pas encore obtenu leur titularisation, qui dépend de l'IUFM qu'ils fréquentent. Cela signifie qu'ils sont à la merci de leurs formateurs et n'ont pas la possibilité d'exprimer la moindre critique à propos de la prétendue formation qu'ils reçoivent. Marie Teissedre ayant cru pouvoir défendre l'exercice de la dictée devant l'un de ses supérieurs, on fit sur elle un rapport indiquant : « Cette stagiaire ne sait pas ce qu'apprendre veut dire. » Cet incident la détermina à écrire à l'auteur de cette introduction, qui lui conseilla de se taire jusqu'à sa titularisation, et alors d'enseigner selon sa conscience.
            On peut se demander pourquoi cette stagiaire possède davantage d'esprit critique que la plupart de ses collègues et ose ainsi nous livrer une partie de ses notes. Un élément de réponse est facile à donner : après trois années de classes préparatoires littéraires aux Écoles normales supérieures et une licence de philosophie, elle jouit d'un niveau d'instruction et de culture très supérieur à celui de la plupart des jeunes instituteurs, qui lui a permis d'exercer son jugement et de résister à l'institution moralement et intellectuellement dégradante qu'est l'IUFM.
            Que de jeunes instituteurs comme Marie Teissedre résistent à l'endoctrinement des IUFM et persistent à penser que « la raison d'être de l'école est d'instruire, de transmettre le savoir » donne de l'espoir.


L'enseignement des lettres au collège et au lycée

            Les trois chapitres suivants portent sur l'enseignement secondaire.
            Le premier est rédigé par Monsieur Guy Morel, professeur de lettres au lycée, qui est déjà auteur de plusieurs livres consacrés à l'état actuel de notre système éducatif[6]. Il publiera bientôt, en coopération avec Monsieur Michel Delord[7], un ouvrage important : Lire-Écrire-Compter-Calculer : la pédagogie oubliée. Choix d’articles du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson.
            Guy Morel traite de l'état de l'enseignement du français, qui est à notre avis la discipline la plus essentielle. Il souligne à plusieurs reprises que la destruction de cet enseignement va de pair avec celle de tous les autres et s'inscrit dans un même processus.
            En français, l'abandon de l'enseignement des éléments de la langue à l'école primaire et jusqu'au lycée se traduit chez les élèves par une méconnaissance dramatique de l'orthographe et de la grammaire – pourtant indispensable à la formation de la pensée – et par une impuissance à structurer leur réflexion, voire à rédiger quelques lignes ou à lire un texte et le comprendre. La décomposition de l'enseignement des éléments de la littérature – privés de repères chronologiques, mis sur le même plan que des articles de journaux, des bandes dessinées ou des publicités, et réduits à servir de matériaux pour des exercices formalistes et technicistes sans intérêt – enferme les élèves dans l'inculture, la pauvreté intellectuelle et l'absence d'idées. Cet abandon et cette décomposition privent les futurs adultes des moyens d'exercice de l'esprit critique.
            Dressant ce tableau sinistre, Guy Morel rappelle quelques-unes des étapes qui ont jalonné la destruction de l'enseignement. Après les premiers coups portés par le régime de Vichy – qui supprima par exemple les Écoles primaires supérieures, malheureusement non rétablies à la Libération –, cette destruction apparaît comme l'oeuvre des gouvernements de la Ve République dans leur ensemble. Il vaudrait la peine de réfléchir, dit Guy Morel, « au fait que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, toutes les « réformes » visant à la « démocratisation » de l'enseignement ont été accompagnées par des reculs éducatifs anti-démocratiques soigneusement pensés et justifiés par des sociologues et des experts de tout acabit. »
            En annexe, Guy Morel nous permet de découvrir trois textes remarquables : Dans le premier, l'inspecteur général républicain Félix Cadet insiste en 1887 sur le fait que la nouvelle école primaire initie tous les élèves à la connaissance des grandes oeuvres littéraires tout en les rompant à l'usage de la langue écrite et orale. Dans le second, le mathématicien anarchiste Charles-Ange Laisant demande en 1904 d'instruire la jeunesse simultanément dans la connaissance des lettres et dans celle des sciences. Dans le troisième, le député communiste Georges Cogniot adresse en 1943 aux groupements de la Résistance un vibrant plaidoyer pour l'enseignement de l'école de la IIIe République ancré dans la tradition classique.
            Des discours bien différents de ceux, prétendument progressistes, qui ont servi à légitimer la transformation et la dénaturation de l'école depuis un demi-siècle.


Manuels d'anglais et méthodes d'enseignement

            Le chapitre suivant est rédigé par un professeur d'anglais au lycée, Madame Yvonne Cloarec. Il porte sur l'enseignement de cette langue et se décompose en deux parties :
            La première montre à quel point le défaut de connaissances en grammaire française handicape les élèves pour apprendre des langues étrangères. Elle illustre les conséquences de la dégradation dénoncée tant par Liliane Lurçat et Marc Le Bris que par Guy Morel.
            La seconde partie esquisse une comparaison entre des manuels d'anglais récents et d'autres qui datent d'une trentaine d'années. Les premiers semblent obéir au même principe que celui mis en évidence par Marc Le Bris à propos de l'enseignement primaire : le refus d'un apprentissage ordonné et progressif, que l'on serait tenté d'interpréter comme un rejet de la rationalité et de la pensée discursive et articulée. Comme des professeurs nous ont dit parfois : « Ce n'est pas seulement l'apprentissage de la lecture qu'on a voulu global, c'est tout l'enseignement, à tous les niveaux ». On le constate ici pour l'étude de l'anglais : les notions nouvelles ne sont pas introduites une par une mais en avalanche et de façon désordonnée. Parfois même les mots ne sont pas enseignés en tant que tels mais globalement, comme éléments figés à l'intérieur de « blocs lexicalisés » que l'on ne décompose pas.
            Yvonne Cloarec, dont les élèves ont déjà suivi au collège quatre années d'enseignement de l'anglais, est en situation d'apprécier les conséquences des méthodes pédagogiques actuellement en vigueur. « Tout se passe comme si, pour avoir voulu rendre les élèves autonomes trop vite, on les avait à jamais empêchés de l’être », écrit-elle. Ce constat se retrouve plus loin à l'identique dans le chapitre de Catherine Krafft, à propos des étudiants en physique à l'université.
            Ce chapitre sur l'enseignement de l'anglais se termine en illustrant le décalage inimaginable entre les prétentions affichées dans les manuels actuels et la réalité. Une autre caractéristique du fonctionnement de notre système éducatif d'aujourd'hui est en effet le mensonge. Un thème qui réapparaîtra sous la plume de Jean-Pierre Ferrier.


Enseigner au collège : une expérience au quotidien

            Le dernier chapitre consacré à l'enseignement secondaire est constitué d'une série de témoignages bruts écrits au cours de l'année 2006 par un groupe de professeurs d'un collège de Paris intra-muros. Ce texte rapporte avec sobriété – et donc de façon d'autant plus impressionnante – les comportements aberrants, les incivilités et les violences d'une partie des élèves de trois classes de troisième. La situation qu'il décrit est bien loin d'être unique : beaucoup d'établissements voient se développer des comportements collectifs aussi graves, et certains sont le lieu d'incidents plus graves encore. Dans la majorité des établissements scolaires, la situation est sans doute moins critique, mais les informations que nous recevons font douter qu'il subsiste en France un seul collège – même parmi ceux dits « de centre ville » ou « de campagne tranquille » – où l'attitude des élèves vis-à-vis des professeurs et de leurs condisciples soit vraiment satisfaisante. Dans les lycées d'enseignement général ou technologique, la situation est généralement un peu meilleure car les élèves les plus perturbateurs n'y entrent pas.
            Que les auteurs de ce témoignage aient persisté à enseigner jour après jour dans de telles conditions est un exemple d'héroïsme au quotidien et d'abnégation, que la société ignore mais dont font preuve un très grand nombre de professeurs partout en France. Autant il est vrai que le système éducatif de notre pays est victime des fautes commises par les instances dirigeantes de l'Éducation nationale et la hiérarchie à leur service, autant il convient de répéter avec force que, si quelque chose tient encore dans l'école de notre pays, c'est grâce à d'innombrables petits soldats de l'Éducation nationale, tous les instituteurs et les professeurs qui n'ont pas renoncé à enseigner, parfois au prix d'efforts extrêmes.
            Ce témoignage fut envoyé à une soixantaine de personnalités – hommes politiques, syndicalistes, journalistes, intellectuels connus, etc. – mais seules deux d'entre elles répondirent, dont l'auteur de cette introduction qui proposa de l'incorporer au présent volume.
            Honte à notre société qui admet que les professeurs soient ainsi traités et choisit de l'ignorer ! Une République qui ne respecte plus les professeurs et tolère que l'on bafoue leur autorité et leur dignité creuse sa propre tombe, et celle de la liberté de ses citoyens.
            Un rapprochement avec ce qu'écrit Liliane Lurçat est immédiat : « Le collège est le lieu où se révèle dans toute son ampleur la destruction de l'enseignement élémentaire, avec toutes sortes de conséquences sur les destins individuels. Les carences les plus aiguës de l'éducation morale s'y manifestent également. Les élèves vivent leur puberté au milieu d'une foule aux pulsions incontrôlées. Les agressions, le chantage, les brimades et les violences sexuelles s'exercent trop souvent en toute impunité, dans le silence et dans la peur. »


Témoignages d'enseignants en physique à l'université

            Les deux chapitres suivants concernent l'enseignement supérieur.
            Le premier est rédigé par Madame Catherine Krafft[8], qui est professeur de physique à l'Université de Paris-Sud (Orsay). Comme le précédent, ce chapitre livre des témoignages bruts : pour le composer, Catherine Krafft a sollicité des professeurs de physique de l'enseignement supérieur avec qui son travail de recherche scientifique ou l'organisation des cours la mettent souvent en contact. Ce chapitre illustre d'une autre façon les conséquences de la destruction de l'enseignement élémentaire. En effet, les professeurs d'universités – ou parfois de Grandes Écoles d'ingénieurs – dont Catherine Krafft a recueilli les témoignages déplorent avant tout le défaut de connaissances de base, relevant normalement de l'école primaire, dont souffrent leurs étudiants, ainsi que leur manque de toutes les habitudes indispensables à l'étude, qui auraient dû leur être inculquées quand ils étaient enfants. Comme un membre du jury d'admission au concours d'une Grande École d'ingénieurs nous dit récemment : « Pour que les jeunes gens qui entrent dans cette École soient capables de devenir d'authentiques ingénieurs, il faudrait d'abord qu'ils sachent rédiger et, pour parler franchement, qu'ils aient été alphabétisés. »
            La tonalité de ce chapitre est particulièrement sombre et inquiète. Pourtant, Catherine Krafft a écarté de la rédaction finale les pages les plus effrayantes des témoignages reçus. Elle craignait que les lecteurs qui ne sont pas familiers de la situation actuelle de l'enseignement supérieur scientifique et du niveau des étudiants qui y entrent ne la crussent point.
            L'auteur de cette introduction – qui a lui-même reçu des centaines de témoignages de professeurs de toutes disciplines – a remarqué que les lettres émanant de professeurs de physique et de technologie sont souvent les plus désespérées : elles vont exactement dans le même sens que les témoignages recueillis par Catherine Krafft. Sans doute parce qu'il est impossible d'étudier sérieusement ces disciplines sans une solide maîtrise de la langue courante et abstraite, des mathématiques élémentaires, des règles de la logique et du raisonnement, et qu'une telle maîtrise fait cruellement défaut à l'immense majorité des étudiants qui entrent aujourd'hui dans l'enseignement supérieur. Dans l'un des chapitres suivants, Jean-Pierre Ferrier observe qu'il est plus facile de dissimuler les lacunes réelles des étudiants – en élaborant des sujets d'examens complètement stéréotypés – en mathématiques qu'en physique.


Pour étudier vraiment la littérature française à l'université

            Le second chapitre traitant de l'enseignement supérieur est rédigé par Madame Liliane Picciola, qui enseigne la littérature française du XVIIe siècle à l'Université de Nanterre. Liliane Picciola, qui est issue d'un milieu ouvrier, est – comme d'autres professeurs ayant collaboré à la rédaction de cet ouvrage – un exemple de la chance que l'école du savoir offrait aux enfants de toutes les classes sociales de notre pays avant d'être détournée de sa vocation d'instruction et de transmission des connaissances et de la culture.
            Il est frappant de constater que ce chapitre, qui porte sur l'enseignement de la littérature à l'université, est nettement moins sombre – surtout s'agissant des dernières années d'université – que le précédent, qui traite de l'enseignement de la physique. Cette observation contredit l'idée reçue que le déclin de l'enseignement des lettres aurait profité aux sciences. On peut se demander si la littérature à l'université n'est pas protégée en partie par le décalage entre les valeurs qui la fondent et celles qui dominent notre société : les cohortes de bacheliers sans instruction la fuient, et ne fréquentent plus les facultés vouées aux humanités que des groupes réduits d'étudiants qui y trouvent un intérêt personnel.
            Néanmoins, Liliane Picciola observe chez les étudiants en lettres des lacunes stupéfiantes de culture générale, de langue française et de chronologie historique, une méconnaissance des oeuvres littéraires ainsi qu'une grande difficulté à fixer son attention, à approfondir sa réflexion, à solliciter sa mémoire, voire à pratiquer une lecture discursive.
            A cela s'ajoute un élément particulièrement pernicieux et révélateur : l'abandon par certaines autorités universitaires elles-mêmes de l'esprit sans lequel l'enseignement perd son sens. Ce reniement apparaît crûment quand ces autorités parlent d'« usagers » pour désigner les étudiants.
            Liliane Picciola propose de répondre aux différents problèmes qu'elle passe en revue de la façon dont il convient de réagir face au délitement de l'école et à la crise de la transmission : par des mesures et des initiatives très concrètes. Contre ce que le texte de Pierre Farago achève de révéler comme une crise de civilisation, seule une pratique fidèle à des principes simples peut être efficace. C'est à une telle pratique que Bertrand Vergely appelle dans le chapitre de conclusion.


L'enseignement des sciences et la dénaturation des programmes

            Le rôle des instances de pilotage de l'école et de ceux qui les inspirent dans le processus de destruction de l'école est l'objet plus ou moins explicite des deux chapitres suivants.
            Une institution est détruite de façon bien plus efficace de l'intérieur que de l'extérieur ; c'est pourquoi la déstructuration et la ruine de l'école en quelques décennies auraient été impossibles si, parmi les intellectuels et les scientifiques prestigieux, une minorité active n'avait soutenu – voire suscité – les politiques responsables de cette évolution et si la majorité n'était restée aveugle ou indifférente.
            Le premier de ces deux chapitres est rédigé par Monsieur Jean-Pierre Ferrier, professeur de mathématiques à l'Université de Nancy, qui fut directeur de l'IREM (Institut de recherche sur l'enseignement des mathématiques) de Lorraine.
            Jean-Pierre Ferrier commence par dresser une liste des infirmités héritées de leur scolarité antérieure avec lesquelles les étudiants abordent l'apprentissage des mathématiques à l'université : manque de connaissances de base solides et de logique, incapacité à s'exprimer correctement par écrit, défaut de maîtrise du calcul, absence de représentation mentale des objets géométriques.
            Puis il décrit le réseau d'organismes qui décide de l'orientation et du contenu de l'enseignement des mathématiques aux différents échelons des cursus primaire et secondaire. Il montre combien il est difficile d'échapper à l'influence de ce réseau qui paraît avoir réduit toutes les résistances institutionnelles.
            En mathématiques, la dégradation et la dénaturation des programmes ne semblent pas dues à l'influence directe des soi-disant « scientifiques de l'éducation » mais à la médiocrité intellectuelle de plus en plus grande de leurs responsables. Chez eux l'égalitarisme, l'hostilité larvée aux lettres et un scientisme militant ont remplacé l'intérêt pour leur discipline et pour ses liens étroits avec les sciences de la nature. Comme leur réseau s'appuie sur des représentants des universités et de l'Académie des sciences, on ne peut esquiver la grave question de la responsabilité des plus prestigieux détenteurs du savoir dans la destruction de l'école du savoir. Force est de constater qu'un grand nombre de professeurs de mathématiques de l'enseignement supérieur – jusqu'aux plus hautes sphères – s'accommodent de l'hypocrisie officielle sur le niveau des étudiants et de la dénaturation de l'enseignement de leur discipline.


Les savants et l'école

            C'est justement le rôle des « plus hautes sphères » qu'aborde sous un angle particulier le chapitre suivant rédigé par l'auteur de la présente introduction, mathématicien.
            Un épisode qu'il relate offre l'occasion de se demander dans quelle mesure les savants de notre pays ont pris conscience de la situation de l'école, si certains n'ont pas participé à sa destruction et si d'autres peuvent contribuer à son relèvement.
            De fait, la doctrine qui a bouleversé les pratiques pédagogiques de l'école française, le « constructivisme » – qui prône « la construction par l'élève de ses propres savoirs » –, est susceptible de séduire des scientifiques car elle prétend transformer les élèves en chercheurs. Certains ont pu y voir un genre de méthode expérimentale qui permettrait à l'élève d'apprendre par ses propres moyens.
            De même, les milieux scientifiques sont divisés et leurs instances représentatives demeurent silencieuses ou ambivalentes – si ce n'est pire – sur des questions aussi importantes que la valeur des mathématiques, celle du français, des lettres et des humanités, le pouvoir conquis dans l'Éducation nationale par les soi-disant « scientifiques de l'éducation », l'influence naissante des « sciences cognitives » et de la neurologie sur la pédagogie et le contenu des enseignements, ou la disqualification des connaissances et de leur transmission au nom de l'acquisition des « compétences ».
            Disqualifier les connaissances établies au nom du mouvement de la science prive l'enseignement de son objet. De là provient peut-être la tentation irrésistible de trouver de nouveaux objets – qui ne peuvent être que l'élève et le maître. Ces derniers sont alors déchus de leur ancienne dignité de personnes et de sujets. Étrange ambivalence que de récuser l'objectivité des connaissances objectives et de prétendre simultanément réduire l'action des personnes à des règles de comportement objectivables, comme seraient les processus d'apprentissage.
            Le renfermement sur soi de l'être humain qui se désintéresse de la connaissance des choses et retourne contre lui-même sa capacité d'objectivation traduit un doute profond de l'homme moderne sur la valeur du monde dans lequel il a été appelé à vivre et des conquêtes de son esprit au cours des siècles.
            Le thème du doute de l'homme sur lui-même et sur sa vie – doute camouflé en fantasme de maîtrise absolue sur les êtres assimilés à des choses – apparaît explicitement dans le dernier chapitre de ce volume. Un texte magistral où Bertrand Vergely propose la négation de l'esprit comme une clé d'interprétation du phénomène de destruction de l'école.


Les jeunes, l'emploi et la technologie

            Le chapitre suivant aborde une autre composante essentielle du système éducatif – à savoir l'enseignement technique et professionnel – et il envisage les conséquences économiques du délitement de l'éducation dans son ensemble.
            Ce chapitre est rédigé par Monsieur Pierre Perrier qui est ingénieur, ancien « secrétaire perpétuel » de l'Académie des technologies et ancien directeur des études du groupe industriel « Dassault Aviation ». Il fut, dit-on, l'un des principaux « pères » de l'avion « Rafale » et celui du logiciel de conception assistée par ordinateur « CATIA » qui est le plus utilisé dans l'industrie du monde entier.
            Pierre Perrier dénonce les handicaps très lourds dont souffre l'enseignement technique et professionnel : le manque de considération des familles et des jeunes pour les métiers manuels et, de façon générale, pour les activités productives (une attitude psychologique collective qui, par parenthèse, pourrait être liée à la disqualification de la notion de vérité objective et au report du besoin d'objectivation sur l'étude des seuls comportements humains), la décision prise par des hommes politiques de remplacer dans cet enseignement les représentants des métiers par des diplômés sans expérience du fonctionnement des entreprises, et surtout le manque d'instruction, d'habitudes de travail et de règles de sociabilité observé chez les jeunes gens qui entrent dans les filières techniques et professionnelles.
            Cet ingénieur habitué aux impératifs du monde industriel ne demande pas que l'enseignement soit orienté directement vers les besoins passagers des entreprises mais qu'il instruise et apprenne avant tout à lire, écrire, compter et calculer, qu'il éduque chacun à la responsabilité et l'habitue à suivre les règles élémentaires du respect de soi et des autres. Pierre Perrier insiste sur la nécessité – pour les ingénieurs, les techniciens et tous les acteurs de la vie économique – de maîtriser la langue française et de savoir rédiger. Lui, qui est ingénieur et industriel, nous dit la valeur qu'il accorde à l'enseignement des lettres et à la culture.
            La sphère de l'enseignement et de la vie intellectuelle et celle de l'économie possèdent chacune des spécificités propres qui doivent être reconnues, mais elles sont unies par une notion très simple que Pierre Perrier évoque : c'est le sérieux.
            La vitalité et la survie économiques d'une nation supposent que les jeunes gens qui entrent dans la vie active aient été habitués au sérieux. Pour cela, il n'est que de donner aux nouvelles générations un enseignement sérieux dans une école sérieuse. C'est ce qui fait cruellement défaut aujourd'hui.
            La situation actuelle est si grave que, comme Pierre Perrier nous en avertit, la ruine de l'école entraînera inévitablement dans son sillage la ruine économique de notre pays. Dès à présent, elle rend le problème du chômage impossible à résoudre.


L'enseignement de la musique mis à mal

            Le chapitre suivant, qui sort du cadre de l'Éducation nationale, livre un témoignage qui étonnera plus d'un lecteur, comme il a stupéfié l'auteur de cette introduction et nombre de participants à la rédaction de ce volume.
            Son auteur, Monsieur Pierre Farago, est organiste et compositeur. Il enseigne au CNR (Conservatoire national de région) de Boulogne-Billancourt.
            Son texte nous apprend que, non contents de dominer les IUFM, les soi-disant « scientifiques de l'éducation » sont en train d'investir la formation des professeurs de conservatoire et de se l'approprier, déversant sur les jeunes musiciens un discours en tout point semblable à celui reproduit dans le témoignage de Marie Teissedre.
            Cette sidérante analogie justifie d'autant plus l'importance de la réflexion de Pierre Farago sur les facteurs profonds qui ont permis l'émergence et la propagation rapide du discours prétentieux et vide caractéristique des « sciences de l'éducation ». Il met en accusation la dérive techniciste qui transforme la pratique musicale et la rapproche d'une performance sportive. Cette dérive et cette transformation traduisent une perte du sens des oeuvres du grand répertoire et une ignorance croissante de leurs liens avec l'ensemble d'une culture relevée à laquelle nombre de musiciens de notre temps n'appartiennent pas et dont ils n'ont plus idée. Si bien que le relativisme et le différentialisme rencontrent dans le milieu des musiciens une résistance affaiblie et finissent par s'imposer.
            Comme Pierre Farago le fait remarquer, ce processus présente de troublantes similitudes avec celui qui a réduit l'enseignement de la littérature au formalisme rhétorique que Guy Morel dénonce en particulier. Mais aussi avec celui que Jean-Pierre Ferrier met en évidence à propos de l'enseignement des mathématiques, dont la déstructuration et la dénaturation ont été précédées par une dérive formaliste et un isolement de la discipline.
            Pierre Farago évoque pour terminer la lutte difficile que doit mener une civilisation pour préserver le sens de sa culture. Comme son témoignage et sa réflexion le montrent en effet, la destruction de l'école s'inscrit dans une crise de civilisation.


La vocation de l'enseignement

            Le dernier chapitre propose une analyse philosophique et morale de cette crise de civilisation.
            Son auteur, Monsieur Bertrand Vergely, est professeur de philosophie en classes préparatoires littéraires aux Écoles normales supérieures. Il enseigne également à l'Institut d'études politiques de Paris et à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge. Il est l'auteur de nombreux essais, dont l'un est consacré à l'école.
            Selon lui, la crise de la transmission de la culture et la destruction de l'école résultent d'un doute fondamental sur l'existence de l'esprit, la valeur de l'homme, la grandeur de sa vocation et la bonté de la vie qui lui a été donnée. Elles prennent racine dans un pessimisme radical dont l'utopie – explicitement dénoncée par Liliane Lurçat dans le chapitre qui ouvre ce volume – n'est que le double névrotique. L'homme contemporain désespère de la vie, il se persuade qu'elle est mauvaise et n'a rien à lui apprendre, il se considère comme une victime et rend responsable de sa souffrance les idéaux anciens qu'il perçoit désormais comme répressifs et humiliants. Eprouvant méfiance, ennui et haine envers ce qui est, il ressent le besoin impérieux de s'évader vers ce qui pourrait être. Fuyant le savoir, la réflexion et la raison, et brûlant d'impatience de se débarrasser de son mal de vivre, il attend du vécu immédiat, du senti et du pulsionnel qu'ils lui apportent du nouveau.
            Bertrand Vergely fait un rapprochement original et saisissant entre ce pessimisme contemporain et celui des sophistes de la Grèce antique, cyniques et manipulateurs, auxquels Socrate s'opposa. Un pessimisme inséparable de leur relativisme absolu et de leur mépris secret de l'homme.
            Aussi Bertrand Vergely en appelle-t-il aujourd'hui à l'enseignement de Socrate et de Platon : l'homme ne se résume pas à un corps emporté dans un flux de matière, il est à la fois corps et âme vivants dans une réalité dont l'essence est esprit, souffle créateur.
            Au-delà même du dualisme de la pensée grecque, il révoque un certain nombre d'oppositions binaires ruineuses pour l'école et les dépasse au moyen de plusieurs définitions à trois termes dont chacun rend harmonieuse la relation qui lie les deux autres.
            L'école, dit-il, doit instruire, éduquer et enseigner.
            L'instruction est le commencement de la réconciliation avec la vie. Elle consiste d'abord et avant tout à apprendre à lire, écrire et calculer. Et ce, en commençant par les fonctions pratiques les plus élémentaires et les plus indispensables de ces apprentissages, de façon à activer et à développer leurs fonctions symboliques élaborées qui sont : pour la lecture – l'observation, le déchiffrage, l'interprétation, le jugement ; pour l'écriture – l'inscription de soi-même dans la réalité où l'on trace la page de sa vie ; et pour le calcul – la prévision, l'anticipation et l'imagination.
            L'éducation consiste à apprendre à se tenir. A se tenir dans le corps, dans l'âme et dans l'esprit, c'est-à-dire à grandir, s'élever et se transcender.
            Grandir en se tenant dans son propre corps par l'hygiène, l'exercice et la conscience sensible, dans le corps social par la politesse et le respect des autres, dans le corps du monde par la conscience du miracle de la nature et de la vie.
            S'élever en se tenant dans l'âme par l'ouverture à la perception des choses et la réceptivité à ce qui survient.
            Se transcender en se tenant dans l'esprit pour dépasser les limites de l'existence immédiate de façon que celle-ci devienne histoire.
            L'enseignement enfin, – celui d'un maître à ses élèves par une leçon, un cours magistral ou des entretiens plus informels, celui de l'instituteur comme du grand professeur qui d'ailleurs doit lui ressembler – consiste à transmettre à autrui les moyens de créer, il est transmission de la vie.



FIN
[1] Tout cela est relaté et analysé dans l'admirable et bouleversant livre de Marc Bloch, L'étrange défaite, Éditions Folio, 1990.
[2] Nous remercions la Fondation Del Duca de l'Institut de France qui a accueilli ce colloque dans son hôtel de la rue Alfred de Vigny, ainsi que Monsieur Jean Foyer, membre honoraire du Parlement et membre de l'Académie des sciences morales et politiques, et Monsieur Pierre Messmer, alors Chancelier de l'Institut, qui ont permis que ce colloque ait lieu.
[3] Voir en fin de volume l'adresse du site de cette association et celui du site apparenté « lire-écrire ».
[4] Ce sigle fameux désigne les « Instituts universitaires de formation des maîtres » que, depuis 1990-1991, on a cru bon de substituer aux vénérables « Écoles normales d'instituteurs ».
[5] Voir en fin de volume les adresses des sites du programme SLECC, de l'association GRIP (Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes) qui l'a élaboré, de Jean-Pierre Demailly et de Michel Delord.
[6] Avec un autre professeur, Monsieur Daniel Tual-Loizeau. Voir la bibliographie en fin de volume.
[7] Voir en fin de volume l'adresse du site personnel de Michel Delord, qui est particulièrement riche et intéressant.
[8] Nous souhaitons adresser nos très profonds remerciements à Catherine Krafft qui, en plus du chapitre qu'elle a préparé et rédigé, a accompli un travail considérable de relecture et de correction des autres chapitres.

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La débâcle de l'école : une tragédie incomprise.

Présentation :

Au delà de la mise en cause, à maints égards très insuffisante, qui s'esquisse dans certains cercles officiels, cet ouvrage dresse un tableau de l'état actuel du système éducatif français. Celui-ci se trouve dans une situation qui n'est pas sans analogies avec celle de l'armée française en 1940. Comme alors, des erreurs conceptuelles fondamentales ont été commises et l'esprit de système a obscurci le sens du réel. Comme alors, la responsabilité appartient d'abord au commandement, en l'occurrence aux instances dirigeantes de l'Éducation nationale qui ont transformé la nature et la finalité de l'école et ont imposé depuis des décennies des pratiques pédagogiques destructrices des apprentissages. Les conséquences de la débâcle de l'école pour les nouvelles générations et pour notre pays tout entier - si elles ne se manifestent pas avec la même immédiateté et la même brutalité - promettent d'être aussi graves et destructrices, à moins qu'une prise de conscience collective ne conduise rapidement à un sursaut et à l'amorce d'un processus de refondation et de reconstruction. Les auteurs - qui sont de tous âges et de convictions très diverses - posent des diagnostics convergents et d'autant plus accablants qu'ils sont précis et circonstanciés. Ils s'attachent à rapporter les faits bruts dont ils ont été témoins et ils cherchent à comprendre et interpréter les phénomènes qu'ils ont vus se développer. Ils se retrouvent dans un sens commun de ce que doit être l'école : une école de l'instruction, du savoir et de la culture ; une école de la transmission des connaissances et des règles de la vie sociale ; une école où l'on enseigne afin de conférer à tous les élèves, futurs adultes, les moyens de la liberté de penser, de créer et d'agir.


Ont participé à ce livre :
Yvonne Cloarec, professeur d'anglais au lycée
Pierre Farago, musicien
Jean-Pierre Ferrier, professeur de mathématiques à l'université
Catherine Krafft, professeur de physique à l'université
Laurent Lafforgue, mathématicien, lauréat de la médaille Fields
Marc Le Bris, instituteur
Liliane Lurçat, psychologue de l'enfance, spécialiste de l'école primaire
Guy Morel, professeur de français au lycée
Pierre Perrier, ingénieur, ancien secrétaire perpétuel de l'Académie des Technologies
Liliane Picciola, professeur de littérature à l'université
Marie Teissedre, institutrice
Bertrand Vergely, philosophe
Un groupe de professeurs d'un collège de Paris

SOMMAIRE :

Introduction générale
 

par Laurent Lafforgue

 

[ECOLE PRIMAIRE]

 
La destruction de l'enseignement élémentaire et la massification des jeunes
par Liliane Lurçat

L'école primaire et les origines de l'échec scolaire
par Marc Le Bris

 

[ECOLE SECONDAIRE]


Paroles d'IUFM
par Marie Teissedre

L'enseignement des lettres au collège et au lycée

par Guy Morel

Manuels d'anglais et méthodes d'enseignement
par Yvonne Cloarec

Enseigner au collège : une expérience au quotidien 

par un groupe de professeurs d'un collège de Paris

 

[UNIVERSITE]

 
Témoignages d'enseignants en physique à l'université
par Catherine Krafft

Pour étudier vraiment la littérature française à l'université
par Liliane Picciola 

 

L'enseignement des sciences et la dénaturation des programmes 

par Jean-Pierre Ferrier


[L'ECOLE, L'HOMME ET LA SOCIETE]

 

Les savants et l'école
par Laurent Lafforgue

Les jeunes, l'emploi et la technologie
par Pierre Perrier

L'enseignement de la musique mis à mal
par Pierre Farago

Pour un enseignement revenu à sa vocation

par Bertrand Vergely

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Suppléments ajoutés par le blog :


Présentation du livre La Débâcle de l’Ecole sur son site (pdf)


Sur l’auteur de l’introduction, M. Laurent LAFFORGUE :


- Autres entretiens sur l'éducation parus dans différents journaux et revues






COMMENTAIRES de lecteurs (voir site commercial Amazon)

Enthousiasme, 6 mars 2008
Par Rachel Anne (France)
Mère de quatre enfants, de 7 à 13 ans, je conseille vivement la lecture de cet ouvrage collectif, rassemblant des témoignages concrets de professeurs ; il m'a permis de comprendre les vraies causes des dysfonctionnements de l'école actuelle.

Eclairant, 15 mai 2008
Livre somme d'un ensemble d'enseignants confrontés, comme les parents, à des "résultats scolaires" plus que navrants, sur tout le territoire français.
Toutes les explications y sont, les apports de professionnels stupéfiants de courage, de lucidité, de capacité d'analyse - qu'on leur empêche malheureusement de transmettre !
Le livre s'organise par étapes, commençant avec les causes de l'échec de l'instruction primaire - refus des fondamentaux et de la discipline - , ses conséquences au collège - échec et violence, installation des incivilités - , la poursuite des dégâts au lycée et même à l'université.
Le plus surprenant : la déréliction touche le français - on le savait - mais aussi les maths... et même la musique !
A lire, à faire lire, à offrir à tous les parents - dès la maternelle !

Latour07 dit:
Merci de votre recommandation
Je passe commande.
A rapprocher de l'excellent ouvrage de Jean-Pierre Le Goff La barbarie douce. : La modernisation aveugle des entreprises et de l'école
Cordialement,
Latour

Des mots, de témoignages, un réquisitoire
Par L. Marie-Noelle (Ardèche. France)

Si l'on est enseignante depuis longtemps comme moi, on ne peut qu'être intéressée par ce type d'ouvrage. Le malaise éprouvé depuis longtemps est tel, l'impression grandissante de faire semblant ou pire de participer à une vaste supercherie est telle que ce livre permet de ne pas se sentir seul ou isolé, autorise à pousser plus loin la réflexion, à débattre avec ceux qui le lisent.
Car, oui, nous vivons, et les élèves en sont les premières victimes, une "tragédie incomprise" et ce livre dénonce intelligemment le phénomène à travers des témoignages forts et convaincants.




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