L'ancien ministre de l'Economie argentin,
Roberto Lavagna, a sorti son pays de la crise en 2002, en se passant des
services du FMI. Il préconise la même solution pour la Grèce.
Recueilli par Gérard Thomas, à Buenos Aires
L'ancien ministre de l'Economie argentin
Roberto Lavagna, 69 ans, est le principal artisan du redressement de
l'Argentine engluée dans une terrible crise économique il y a dix ans.
Lorsqu'il prend ses fonctions, en avril 2002, le peso vient d'être
dévalué de 70%, le pays est en cessation de paiement, la dette privée
s'élève à plus de 72 milliards d'euros, l'inflation annuelle flirte avec
les 125% par an, le chômage explose, les petits épargnants sont ruinés
et les troubles sociaux ont déjà fait plus de 30 morts dans le pays.
Cet ancien ambassadeur auprès de l'Union européenne décide immédiatement
de se passer de « l'aide » du Fonds monétaire international (FMI) et
des marchés financiers. Quelques pistes à suivre pour la Grèce.
Quelles sont les grandes similitudes entre la crise argentine de 2001-2002 et la crise grecque ?
Au plan économique, tout est semblable. L'Argentine avait établi une
parité fixe entre le peso et le dollar, la Grèce est ficelée à l'euro,
perdant ainsi le contrôle de sa monnaie. Un taux de change fixe
associant des pays à forte productivité et d'autres dont la
compétitivité est beaucoup plus faible ne peut qu'engendrer une crise.
La Grèce est déjà dans sa quatrième année de récession, l'Argentine
l'était également. Le déficit fiscal, le déficit des comptes courants,
la chute vertigineuse du PIB, l'endettement, l'explosion du chômage...
toutes les grandes données macro-économiques sont similaires. En
revanche, la situation sociale de la Grèce est bien meilleure que celle
de l'Argentine à l'époque. Au plan institutionnel, l'Argentine était
par ailleurs un pays isolé alors que la Grèce fait partie de l'ensemble
économique le plus puissant du monde.
Comment avez-vous tiré l'Argentine du chaos ?
Dès mon entrée en fonction, en avril 2002, j'ai décidé de changer
radicalement notre manière de penser la sortie de crise.. Le mois
suivant, j'étais à Washington pour rencontrer les dirigeants du Fonds
monétaire international et leur expliquer que nos rapports allaient
s'en ressentir. Depuis le début du marasme économique, en 1998, nous
avions déjà eu deux programmes du Fonds pour un total de 51 milliards
d'euros. Les deux ont été des échecs retentissants et certaines voix
s'élevaient pour demander une troisième tournée de quelque 17 milliards
supplémentaires.
Je n'ai pas voulu suivre cette voie et j'ai expliqué au Fonds que
nous ne voulions plus de prêt et que nous sortirions seuls de la crise.
La seule chose que j'ai demandé était un roll over partiel de toutes
les échéances. Je me suis également engagé à payer les intérêts de la
dette et une partie du capital. Mais pas tout et pas tout de suite.
Cette position était tout simplement impensable pour le FMI car nous
affichions notre volonté de fixer nous même notre propre politique
économique. J'ai du leur expliquer trois fois de suite ma position
avant qu'ils finissent par comprendre. A partir de là nous avons arrêté
de soutenir financièrement les banques alors que le FMI nous
l'imposait, exigeant même que nous privatisions la Banque de la Nation.
Mais comme nous étions sorti du jeu, le Fonds n'avait plus de moyen de
pression sur l'Argentine!
Vous avez donc oeuvré contre le FMI et vos principaux créanciers ?
Le sorties de crise se font en dehors des chemins tracés par le FMI.
Cette institution propose toujours le même type de contrat d'ajustement
fiscal qui consiste à diminuer l'argent qu'on donne aux gens - les
salaires, les pensions, les aides publiques, mais également les grands
travaux publics qui génèrent de l'emploi - pour consacrer l'argent
économisé à payer les créanciers. C'est absurde. Après 4 ans de crise on
ne peut pas continuer à prélever l'argent aux mêmes. Or c'est
exactement ce qu'on veut imposer à la Grèce! Tout diminuer pour donner
aux banques. Le FMI s'est transformé en une institution chargée de
protéger les seuls intérêts financiers. Quand on est dans une situation
désespérée, comme l'était l'Argentine en 2001, il faut savoir changer la
donne.
Selon vous les plans d'austérité et de rigueur ne sont pas nécessaires mais c'est pourtant ce qu'on impose à la Grèce...
A tort car l'argent prêté risque de ne jamais être remboursé et le
déficit fiscal grec est plus élevé aujourd'hui qu'avant la première
injection d'argent frais. Ce sont les mêmes éternelles erreurs. C'est le
secteur financier qui impose sa manière de voir les choses au monde
entier. On préfère sauver les banques plutôt que les gens qui ont des
crédits immobiliers à rembourser. La première chose qu'on a faite nous,
c'est de rallonger les échéances pour les propriétaires endettés. Les
fonctionnaires du FMI nous ont alors dit que nous violions les règles
essentielles du capitalisme! Ils oubliaient simplement que des gens
ruinés ne consomment plus, ce qui obère une relance par la croissance.
Au
lieu de payer les banques, la Grèce devrait investir dans l'éducation,
les sciences et la technologie, financer des infrastructures et
récupérer ainsi une certaine productivité, ne serait-ce que dans les
secteurs des services ou du tourisme.
Vous devez avoir beaucoup d'ennemis chez les banquiers...
Ils me détestent! Ce qui ne les a pas empêché de frapper à notre
porte pour nous prêter de l'argent 48 heures exactement après que nous
avons terminé la restructuration de notre dette en 2005! Or j'ai refusé
ces offres intéressées en leur répondant que nous ne reviendrons pas sur
le marché financier avant 2014 car nous n'en avons plus besoin.
Pourquoi 2014, simplement parce qu'a cette époque la dette sera
seulement de 30% du PIB, la moitié des critères européens de Maastricht!
Je pense qu'un pays comme l'Argentine ne doit pas être tout le temps
présent sur le marché financier. C'est un risque beaucoup trop grand
d'augmenter à nouveau la dette. Le problème c'est que ce sont les
banquiers eux-mêmes qui estiment qu'il est positif pour l'image d'un
pays d'emprunter à l'international. Il est clair que si je vendais des
tomates, je trouverai très bien qu'on en mange! Eux ils vendent de
l'argent.
Des militants anti-fascistes « torturés par la police » après des affrontements avec l’Aube Dorée
Je traduis ici un article paru le 9 octobre dans le Guardian.
Quinze personnes arrêtées à Athènes ont dit avoir été sujet à ce que
leur avocat décrit comme une humiliation du type "Abu Ghraib".
Quinze manifestants antifascistes arrêtés à Athènes lors d'un
affrontement avec des partisans du parti néo-nazi Aube Dorée ont
rapporté qu'ils avaient été torturés à la Direction générale de la
police de l’Attique (GADA) - l'équivalent Athénien de Scotland Yard.
Plusieurs des manifestants arrêtés après la première manifestation le
dimanche 30 Septembre ont déclaré au Guardian avoir été giflés et
frappés par un officier de police pendant que cinq ou six autres
regardaient.
Ceux-ci leur crachaient dessus et les utilisaient comme cendrier parce qu’ils puaient. Ils disent par ailleurs avoir été maintenus éveillés toute la nuit à l’aide de torches et de lasers pointés vers leurs yeux.
Certains ont rapporté avoir été brûlés sur les bras à l’aide d’un
briquet. Les officiers de police les filmaient sur leurs téléphones,
menaçant de publier ces images sur internet et de donner leur adresse de
résidence à l’Aube Dorée.
La popularité de l’Aube Dorée explose depuis les élections du mois de
juin au cours desquelles ce parti avait remporté 18 sièges au
parlement. Il est récemment arrivé troisième dans plusieurs sondages
derrière Nouvelle Démocratie et Syriza.
Le mois dernier, le Guardian rapportait que la police conseillait à
des victimes de faire appel à l’Aube Dorée, des victimes qui se
sentaient alors obligées de faire des donations au groupe néo-nazi.
Une des deux femmes détenues a rapporté avoir été l'objet d'insultes
très dures de la part des policiers, qui lui tiraient la tête en arrière
quand elle essayait de ne pas être filmée. Les manifestants ont déclaré
qu’ils avaient été privés d’eau potable et d’accès à un avocat pendant
19 heures. Nous avions tellement soif que nous buvions l’eau des toilettes a-t-elle confié.
Un homme blessé à la tête et au bras durant son arrestation assure
que la police continuait à le taper et lui refusait tout traitement
médical jusqu’au lendemain matin. Un autre manifestant affirme que la
police lui maintenait les jambes écartées et le frappait dans les
testicules pendant l’arrestation.
Ils m’ont craché dessus et dit que nous mourrions comme nos grands-parents durant la guerre civile a-t-il déclaré.
Un troisième détenu raconte avoir été "tazé" dans la colonne
vertébrale alors qu’il tentait de s’enfuir ; la brulure est toujours
visible. C'est comme une décharge électrique confie t-il. Mes
jambes étaient paralysées quelques minutes puis je suis tombé. Ils
m’ont menotté derrière le dos et commencé à me frapper dans les côtes,
dans la tête. Ils m’ont ensuite ordonné de me lever, mais je ne pouvais
pas. Ils m'ont donc tiré par les menottes alors que je me tenais sur les
genoux. Ils ont continué à me frapper pendant cinq patés de maisons
jusqu’à ce qu'on atteigne la voiture de patrouille .
Les militants ont demandé à ce que leurs noms ne soient pas publiés, par peur de représailles de la police ou de l’Aube Dorée.
Un second groupe de manifestants a également dit avoir été torturé à la GADA. Nous
avons tous dû passer devant un officier qui nous a fait nous
déshabiller dans le couloir, nous pencher et écarter notre derrière
devant tout ceux qui étaient là a confié l’un d'eux au Guardian. Il
faisait ce qu'il voulait avec nous – nous giffler, nous frapper, nous
dire de ne pas le regarder, de ne pas s’asseoir les jambes croisées. Les
autres officiers qui passaient par là ne faisaient strictement rien.
Tout ce qu'on pouvait faire c’était se regarder du coin des
yeux pour se donner du courage les uns aux autres. Il nous a laissé là
pendant plus de deux heures. Il répondait à son telephone et disait « Je
suis au travail et je les baise, je les baise comme il faut ». En fin
de compte seulement quatre d'entre nous ont été inculpés pour avoir
resisté à notre arrestation. C’était un jour hors du temps, en plein
dans la dictature des colonels.
En réponse à ces allégations, Christos Manouras, porte-parole de la police hellénique, a déclaré: Il
n'y a pas eu recours à la force dans GADA. La police grecque enquête en
profondeur sur chacun des rapports qui porte sur une utilisation
présumée de la violence par la police ; et si l'accusation est fondée,
la police prend des mesures disciplinaires correspondantes contre les
officiers responsables. Il ne fait aucun doute que la police grecque a
toujours respecté les droits de l’homme (...)
La manifestation de dimanche avait eu lieu suite à la vandalisation
d’un Centre Communautaire Tanzanien par un groupe de 80 à 100 personnes
dans un quartier du centre d’Athènes près d’Aghios Panteleimon, bastion
de l’Aube Dorée où de nombreuses attaques contre des migrants ont été
recensées.
Selon les manifestants, environ 150 personnes rodaient dans tout le
quartier sur des motos en distribuant des tracts. La bagarre a éclaté
lorsqu'ont été aperçus deux ou trois hommes munis du T-shirt de l'Aube
Dorée à la tête de la parade. C'est alors qu'un nombre important de
policiers a immédiatement fondu sur eux, venant des rues
environnantes. Manouras: Au cours de la manifestation, il ya eu
des affrontements entre les manifestants et les riverains. La police est
intervenue pour empêcher que ça ne dégénére et pour rétablir l’ordre
public. Il peut y avoir eu quelques blessures mineures lors des
affrontements entre les riverains, les militants, et la police.
Selon Marina Daliani, l’avocate de l'un des 15 détenus, ceux-ci se font fait inculper pour trouble à l'ordre public le visage couvert
(ils portaient des casques de moto) et pour infliction de lésions
corporelles graves contre deux personnes. Mais, dit-elle, aucune preuve
d’un tel préjudice n’a encore été soumise. Les militants ont été
relachés sous caution (3.000 € chacun).
Charis Ladis, l'avocat d’un autre manifestant, assure que les mauvais
traitements infligés aux Grecs en garde à vue était quelque chose de
rare jusqu'à cette année: Cette affaire montre qu'une page a été
tournée. Jusqu'à présent, il existait une idée commune selon laquelle
quelqu’un qui était arrêté, même violemment, serait en sécurité en garde
à vue. Mais ces jeunes hommes ont tous dit qu’ils ont vécu un cauchemar.
Pour Dimitris Katsaris, l'avocat de quatre des manifestants, ses
clients ont été humiliés d'une manière qui ressemble à celle utilisée à
Abou Ghraïb, ce centre de détention où les Irakiens étaient torturés par
des soldats américains pendant la guerre en Irak. Ce n'est pas
juste une affaire de brutalité policière du genre de celles dont on
entend parler de temps en temps en Europe. C’est ce qui arrive tous les
jours. Nous avons des images, nous avons la preuve que c'est cela qui
arrive aux gens qui se font arrêter en militant contre la montée du
parti néo-nazi en Grèce. C’est le nouveau visage de la police, qui va de
pair avec le système judiciaire.
L'un des manifestants arrêtés, un homme calme d’une trentaine d’année: Les
journalistes ici ne parlent pas ce genre de choses. Vous devez leur
dire ce qui arrive, dans ce pays qui a déjà trop souffert du nazisme.
Personne n’y paiera attention sauf si vous en parlez à l’étranger.
Traduction : Mehdi ZAAF
La troïka demande à la Grèce de mettre en place une semaine de six jours de travail
La troïka pose de nouvelles conditions au sauvetage
de la Grèce. Selon une lettre de la Commission européenne, de la Banque
centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI), dont le Guardian
publie des extraits, la troïka insiste sur la nécessité d’une réforme du marché
du travail.
Elle réclame notamment au pays de rallonger la
semaine de travail à six jours. La lettre reproduite en partie par le Guardian
indique:
«Mesure: augmenter la
flexibilité des horaires de travail: augmenter le nombre maximum de jours de
travail à six jours par semaine pour tous les secteurs.»
La troïka demande aussi à ce que l’inspection du
travail grecque soit réformée et placée sous supervision européenne. Selon le
Guardian, cette lettre révèle en détails l’intrusion de la zone euro dans un
système et une culture du travail qui sont vus en dehors de la Grèce comme « dysfonctionnelle».
Le Huffington Post explique que ces demandes
interviennent alors que le Premier ministre grec, Antonis Samaras peine à
obtenir le soutien de sa coalition. Il a expliqué le 30 août que les mesures d’austérité
«douloureuses» qui seront mises en œuvre
en 2013-2014 étaient «le dernier paquet
de ce type de coupes.»
L’AFP indique qu’Antonis Samaras se rendra à
Francfort le 11 septembre pour rencontrer le président de la BCE Mario Draghi. Antonis
Samaras souhaite obtenir un délai supplémentaire pour mettre en place les
coupes budgétaires de 11,6 milliards d’euro exigées par la troïka.
Le Guardian rappelle que la troïka est en visite en
Grèce afin de surveiller la mise en place des mesures d’austérité et décider le
mois prochain d’une sortie ou non de la zone euro. Une sortie à laquelle les
entreprises américaines installées en Grèce se préparent selon le New York
Times.
Le quotidien donne l’exemple de la banque américaine
Merrill Lynch qui songerait à envoyer des camions remplis d’argent liquide à la
frontière grecque pour que leurs clients puissent continuer à payer leurs
employés au cas où il n’y aurait plus d’argent disponible. De même, Ford a
configuré ses systèmes informatiques de manière à pouvoir effectuer des
transactions immédiatement avec une nouvelle drachme grecque.
John Gibbons, le chef de la trésorerie en Europe
pour JP Morgan Chase, explique au New York Times: «On se prépare au pire. On n’a rien à perdre en faisant cela.»
Alors que la Troïka fait son grand retour à Athènes cette semaine,
la misère s'amplifie en Grèce. Notre blogueur associé Panagioris
Grigoriou explique comment s'organise ce qu'il appelle désormais la
«survie» quotidienne. Une situation non dénuée de conséquences
politiques.
Notre univers se précise et s'affine dans toutes ses expressions
du possible et du possible politique. Ou plutôt en acquiert les
scléroses les plus grossières de la crise, en les normalisant. Et de
fait, ce possible politique se réduit de plus en plus aux acquis les
plus élémentaires et essentiels, à savoir la survie. Faire face à la
peur de la famine, du dénuement, et à celle de l'altérité, considérée
chaque jour davantage comme menaçante et pour tout dire, à abattre. Ce
qui nous reste : quelques droits sociaux en guise de maigres reliques de
musée, dans un univers qui ne serait plus tout à fait le corps social.
N'empêche, à gauche on se félicite de la décision d'une Chambre de
Justice athénienne, déclarant inconstitutionnelles les diminutions
forcées et unilatérales des salaires et des primes dans la fonction
publique, en violation de la Convention Européenne des Droits de
l'Homme, et des Conventions du Bureau International du Travail. Il
s'agit certes d'un pas significatif, et le quotidien de la Gauche
radicale Avghi, daté de ce mardi (03/07), n'hésite pas à «saluer cette fissure de la construction salairophage». Mais pour quelle efficacité dans les faits ? Encore mystère.
«La main nourricière»
Du côté obscur de la force, l'Aube dorée souhaite élargir son
assiette politique, en organisant la gamelle du citoyen. Selon le
reportage daté du 2 juillet sur le site de La Repubblica – «A Athènes, un marché à bas prix pour ceux qui ont du sang grec» – repris par le quotidien grec Protothema,
le parti d'extrême-droite est en train de mettre en place des épiceries
citoyennes dans les quartiers en souffrance du grand Ouest athénien, à
la manière de celles, déjà opérationnelles, créées à l'initiative du
monde associatif, de l'église et de certaines municipalités. D'ailleurs,
les repas distribués chaque jour, rien qu'à Athènes, se comptent par
milliers. La particularité de cette initiative citoyenne du label
d'extrême-droite est pourtant explicite : «offrir gratuitement, ou
vendre à très bas prix, des repas et des denrées alimentaires aux seuls
citoyens grecs, pouvant prouver leur appartenance à la nation par les
liens du sang». Ce n'est pas d'une grande originalité certes, sauf
que la portée politique de cette ethnicisation de l'humanitaire est
d'emblée assurée. Hier encore, Ilias Kasidiaris, inaugurant une nouvelle
antenne locale de son mouvement dans les faubourgs nord d'Athènes, a
réussi à rassembler un millier de personnes enthousiastes.
Aux antipodes, Alexis Tsipras a déjà souligné la nécessité d'un plan d'urgence «dans l'entraide et la solidarité citoyenne et de gauche». La crise humanitaire serait toute proche. Plus à gauche, chez les paléocommunistes du KKE, on demeure pourtant dubitatif : «Je préfère mourir plutôt que d'accepter l'aide alimentaire, il n'y a que la lutte qui compte», résumait ainsi une militante rencontrée lors du meeting préélectoral du parti, à Athènes, il y a deux semaines.
En tout cas, nul doute que la politique se fait et se fera désormais
aussi dans l'assiette du pauvre. Là résiderait toute la force historique
de ce «possible politique se réduisant aux acquis les plus élémentaires».
Et la réflexion citoyenne se réduira à son tour – qui peut en douter –
à la seule contemplation politiquement correcte restante, que suggère
désormais la «main visible nourricière». Et ce n'est pas sans
raison que certains éditorialistes à gauche rappellent que du temps du
Front National de Libération (EAM) des années 1940, une des priorités
essentielles de la politique armée des partisans était la lutte contre
la famine, tandis qu'au même moment, les autorités allemandes occupantes
ainsi que les organisations de droite de l'époque, n'ont pas non plus
négligé le biais politique de l'aide d'urgence. Nous n'en sommes pas à
la famine des années 1941-1943 bien évidemment. Mais le refrain de ce
vieux temps de toutes les misères réunies se fait de plus en plus
entendre...
«Depuis le 17 juin, nous sommes morts»
Dans un registre apparemment différent, Stelios Vaskos, enfant du
pays, s'est rendu à Munich depuis Trikala, en vélo, et aux dernières
nouvelles il serait sur la route du retour, tandis que la Croix Rouge
locale organise un concerto pour violon. Par une affichette collée sur
les murs de la Préfecture, la Société de la protection des animaux de la
ville voisine, Karditsa, lance un SOS: «Après le vol des aliments
destinés à nos bêtes, la boue et la neige de l'hiver dernier ont donné
pratiquement le coup de grâce à notre chenil, tant d'années
d'efforts...». Certaines télévisions à audience nationale, ont
montré des reportages sur la dure vie des bêtes sous le mémorandum :
abandons, mises à mort, violences.
C'est sans doute pour
cette raison que lundi soir, le 2 juillet, Antonis Samaras et les autres
chefs politiques de la coalition, se sont réunis pour enfin trouver une
parade face à la Troïka, attendue dans la semaine en Grèce. En réalité
ils n'ont aucune marge de négociation et tout le monde le comprend : «Ils
appliqueront le Mémorandum, rien que le Mémorandum, on le sait. Samaras
est un nul, d'ailleurs au Sommet de Bruxelles, il n'y a pas eu un seul
mot pour la Grèce. Il s'avère que depuis le 17 juin, nous sommes morts»,
entend-on dire au café de la forteresse de la ville de Trikala. Mais la
discussion ne va pas plus loin. Car chez certains en tout cas, sans
doute à cause du vote en faveur du tripartisme de la «Troïka de l'intérieur», vouloir tirer davantage le raisonnement devient un exercice délicat.
En pareilles circonstances mieux vaut se taire. On préfère alors changer de sujet de conversation pour ainsi évoquer «l'histoire infaillible de notre glorieux peuple»,
et autres stéréotypes de ce genre en guise de pommade, recyclables à
souhait dans tout café du commerce qui se respecte. On regrette
néanmoins la fuite des jeunes, leur nouvelle émigration d'urgence, et
pour clore la discussion, certains se remémorent même leurs vieux
souvenirs du temps de la «RFA positive» de Willy Brandt ou de Helmut Schmidt : «J'étais
à mes débuts ouvrier-carrossier à Karlsruhe, ensuite je suis devenu
restaurateur, et au bout de quinze ans, je suis revenu en Grèce
disposant de 800.000 DM pour enfin réaliser mon rêve : monter un
restaurant au pays et quitter l'Allemagne. Je suis sur le point de faire
faillite actuellement, il n'y a plus de rêve, mais dans moins d'un an
je serai à la retraite».
La lutte épicière a déjà commencé et aura certainement de beaux
jours devant elle dans ce pays. En attendant, des voleurs qui avaient
dévalisé les églises de Milos viennent d'être arrêtés par la police des
Cyclades, tandis qu'au même moment à Athènes, des affichettes
s'adressant à nos amis germanophones, vantent les mérites des chambres à
louer à Sikinos (une très belle île, c'est vrai). Mon voisin Aris au
village n'ira pas de toute façon, il a dépensé tout son argent pour
acheter 9 tonnes de bois pour l'hiver prochain. Il a aussi augmenté sa
production de tomates sous serre et n'attend plus de jours meilleurs.
On se prépare en effet déjà pour l'hiver. Chacun selon ses capacités,
chacun selon ses besoins. C'est ainsi que deux popes au département
voisin de Karditsa ont escroqué le Trésor Public, en falsifiant les
formulaires d'usage servant au versement des pensions des prélats par
l'État. Résultat (divin) : 700.000 euros entre janvier et juin 2012. Les
deux hommes ont été mis en examen. Et pour ce qui est du clergé, aux
dires de certains ici à Trikala, des commissaires politiques de l'Eglise
locale auraient suggéré une ligne politique officieuse sans équivoque
: «Votons et faisons voter Aube dorée, c'est notre seule manière d'être sauvés». D'autres habitants réfutent ces propos : «Il
s'agit sans doute de certains cas isolés. Car tout le monde sait
qu'ici, l'Eglise et les monastères se sont prononcés en faveur d'un
député Nouvelle Démocratie et pas n'importe lequel, il s'agit de
l'ancien Préfet (élu). Combien de routes ou autres travaux d'aménagement
du territoire sacré sous commande des moines, ont été engagés durant
son passage par l'administration préfectorale ?»
Lors de son passage dans un colloque organisé par The Economist, le 2 juillet, Alexis Tsipras a encore une fois souligné que l'idée de la croissance n'était envisageable qu'après «abandon
du mémorandum, instauration d'une taxe Tobin, édition d'eurobonds, et
mise en place d'une législation réglementant le secteur des banques et
neutralisant les paradis fiscaux». C'est peut-être encore une nouvelle forme de lutte épicière à un autre niveau...
En attendant, les épiciers mondiaux nous quittent. Carrefour par
exemple, qui a vendu sa part à son associé indigène Marinopoulos. Le
Crédit Agricole également, qui met en vente sa filiale grecque Emporiki
Bank. Le capitalisme français serait sur le point de nous quitter, car
cette Baronnie serait alors plutôt allemande, davantage parait-il,
depuis le 17 juin. New Deal, ou simple partage du nouveau Levant, qui
sait...
Selon la presse locale, on attend dans quelques
jours la visite probable du porte-avion USS Dwight D. Eisenhower, qui
devrait rencontrer sous peu en Méditerranée Orientale, le Charles de
Gaulle... De tout temps, l'Orient est un mirage de l'Occident...
Réuni à Bruxelles, l'Eurogroupe devait ratifier lundi le deuxième
plan d'aide à la Grèce. Un plaidoyer sous conditions qui relève de la
dépossession démocratique et préfigure en grande partie le Mécanisme
Européen de Stabilité, un dispositif imaginé par la France et
l'Allemagne que le Parlement français doit ratifier le 21 février.
C’est très loin d’Athènes, du côté de Bruxelles que s’est joué
lundi une partie de l'avenir de la Grèce. Un sauvetage au coût
économique, politique et social sans précédent. Une sorte de loterie
européenne très particulière à laquelle participaient tous les Ministres
des finances de la zone Euro. Un nouveau jeu : l’Euromilliards avec à
la clé un gros lot de 130 milliards à la clé et en prime une annulation
de dettes de 100 milliards. Mais une fois le pactole attribué, hors de
question d'aller se la couler douce. Pour toucher sa cagnotte, outre les
purges sociales, la Grèce devra consentir un abandon de souveraineté
sans précédent.
Partisan d’accentuer toujours plus les
pressions sur Athènes, réclamant il y a encore une semaine l’engagement
des Grecs sur de nouvelles mesures d’austérité, le Ministre des finances
allemand a calmé les esprits à son arrivée à Bruxelles se montrant
plutôt optimiste quant au fait de trouver une solution qui soit viable,
capable de remettre la Grèce sur les rails à long terme.
La
semaine dernière, Wolfgang Schaüble avait bien fait passer le message
rappelant que les partis italiens avaient donné au premier ministre
technocrate Mario Monti un an pour mettre en oeuvre ses réformes. Des
propos interprétés à Athènescomme un encouragement à repousser les
élections prévues pour le mois d’avril, une véritable tentative
d’ingérence politique.
La sortie de Wolfgang Schaüble intervient dans un contexte particulier souligné par le commentateur politique Peter Oborne dans le Daily Telegraph
fustigeant une association des nations devenue de plus en plus un
oppresseur implacable n’ayant que mépris pour la démocratie : « Cette
semaine, peut-être avons-nous vécu un tournant, avec la dernière
intervention de Bruxelles en date : les bureaucrates menacent de pousser
un pays entier à la faillite si les partis de l’opposition ne
s’engagent pas à soutenir le plan d’austérité promu par l’Union.
Replaçons le problème grec dans le contexte qui convient. La Grande
Dépression britannique des années 30 fait désormais partie de nos mythes
nationaux. C’était l’époque des soupes populaires, du chômage de masse,
immortalisée dans les merveilleux romans de George Orwell. Mais jamais,
pendant la Dépression – même à son paroxysme – , le produit national
brut n’a chuté de plus de 10 % ».
Une réalité que nos
grands esprits bruxellois entièrement mobilisés à l’invention de
toujours plus de « mécanismes de régulation économique » -tels qu'on les
nomme dans la novlangue bruxelloise- qui se révèlent autant d’outils de
strangulations sociales préfèrent ignorer.
Le MES, un mécanisme de dépossession démocratique
Outre de nouvelles économies de plus de 3 milliards d'euros en
matière d'assurance-sociales ou de défense, l'aide sera versée sur un
compte séparé destiné uniquement au remboursement de la dette et des
intérêts. Pour le dire simplement, avant d'engager un euro de dépense
publique nationale, Athènes devra en priorité rembourser ses
créanciers. Un princiope qui devra être inscrit dans la constitution
sous deux mois !
A Bruxelles, chaque pays y est allé de ses
conditions, le ministre néerlandais des Finances Jan Kees de Jager
plaidant pour une mise sous tutelle permanente de la Grèce par l’Union
Européenne, et le Fonds monétaire international afin de mieux contrôler
l'avancée des réformes et la mise en place de mesures d'austérité : « Je
suis en faveur d'une troïka permanente à Athènes. Quand on voit les
dérapages, cela est probablement nécessaire jugeant insuffisante
l'examen tous les trois mois des bailleurs de fond de la Grèce ».
Un gouvernement parallèle aux allures de conseil de surveillance
européen qui préfigure ce que sera l’instauration du Mécanisme européen
de stabilité (MES). Concocté par Merkel et Sarkozy, ce FMI européen
chargé d’intervenir en cas de crises dans la zone euro sera soumis au
Parlement le 21 février. Le dispositif prévoit l’octroi d’une assistance
financière à un état en difficulté à la condition d’une mise sous
tutelle des états la Commission européenne, la BCE et le FMI et de la
mise en œuvre d’une politique de rigueur draconienne: privatisations,
réduction des effectifs publics, diminution du Smic, réforme des
systèmes de protection sociale, augmentation de la TVA etc.
Si la mise en place d’autorités de contrôle paraît légitime en échange
de la mobilisation de fonds publics, le MES qui n’a été soumis à aucun
débat en France et dont le Parti Socialiste ne s’est préoccupé que tardivement,
s’inscrit dans un vaste processus de dépossession démocratique que
dévoile chaque jour un peu plus la crise européenne. Car la troïka,
c’est entendu, n'est soumise à aucun contrôle citoyen ou parlementaire.
Un dispositif aussi fondamentalement anti-démocratiquene méritait-il
pas davantage d'échos dans les médias et d'une opposition plus résolue ?
La Grèce est devenue une grosse épine dans l'Union europénne. Il n'est
pas sûr qu'elle soit le dernier pays à être mis sous la coupe des
eurocrates.
Air Méditerranée veut reclasser ses salariés... en Grèce
La compagnie charter Air Méditerranée, qui va licencier 85 salariés, a
proposé à une trentaine de ses pilotes et hôtesses basés en France
d'être reclassés dans sa filiale en Grèce, avec un salaire réduit de 30%
en moyenne. Fin 2011, la direction avait annoncé le licenciement de 85
employés. Pour expliquer cette stratégie, le PDG invoque auprès du
personnel la nécessité de réduire ses coûts opérationnels pour faire
face à la concurrence de compagnies d'Europe de l'est, qui tirent les
prix vers le bas.EcouterPatrick Tejero | 28/02/2012 - 07h54Antoine Ferretti, président de la compagnie : "On a de plus en plus de mal à résister avec nos coûts salariaux français"Des pertes chaque année
La
compagnie spécialisée dans les vols charter affrétés par tous les
tour-opérateurs français est durement touchée par la crise, et le
printemps arabe et auxquels viennent s'ajouter actuellement deux crises
géopolitiques - les mouvements de protestation en Grèce et les
manifestations au Sénégal -, la compagnie est en perte : 2,6 millions
d'euros en 2010, à peu près l'équivalent en 2011, pour un chiffre
d'affaires tournant autour de 200 millions d'euros et 230 salariés en
CDI...
Le délégué SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne)
d'Air Méditerranée Denis Roumier dénonce ces mesures en affirmant que
les salariés d'Air Méditerranée sont déjà les moins bien payés des
compagnies françaises.
D'après lui, une hôtesse ou un steward
gagnant le SMIC en France se voient proposer un salaire mensuel de 900
euros à Athènes et un commandant de bord payé 6.000 euros empocherait
3.700 euros en Grèce. Ces salariés continueraient cependant d'assurer
les mêmes vols au départ de la France.
La pratique va-t-elle se généraliser ?
C'est
la première compagnie française à délocaliser ainsi des avions dans un
pays de l'Union européenne pour bénéficier d'une main d'oeuvre à bas
coût, note le président du SNPL Yves Deshayes, qui redoute que cette
pratique ne s'étende à d'autres compagnies.
En revanche, la
centaine d'emplois au siège administratif du Fauga, près de Toulouse,
n'est pas concernée par les réductions d'effectifs.
Air
Méditerranée, née en 1997, exploitait jusqu'ici une dizaine d'avions en
France au départ de Roissy, Lyon, Nantes et Toulouse. La filiale
grecque, Hermès Airlines, assure des rotations depuis 2011 avec un
appareil, mais plusieurs autres appareils doivent passer en 2012 sous le
contrôle Hermès Airlines.
LA GRÈCE, BERCEAU D'UN AUTRE MONDE
Texte paru dans Libération le lundi 20 février 2012.
Par
: Raoul Vaneigem, médiéviste belge et ex-membre de l’Internationale
situationniste, est l’auteur du «Traité de savoir-vivre àl’usage des
jeunes générations», paru en 1967. et Yannis Youlountas, philosophe,
écrivain franco-grec.
Pour un soutien au combat du peuple grec et pour une libération immédiate des manifestants emprisonnés.
Non,
bien que dramatique, ce qui se déroule en Grèce n’est pas une
catastrophe. C’est même une chance. Car le pouvoir de l’argent a, pour
la première fois, dépassé allègrement le rythme jusque-là progressif,
méticuleux et savamment organisé de la destruction du bien public et de
la dignité humaine. Et ce, sur une terre aussi réputée pour sa
philosophie de vie aux antipodes du modèle anglo-saxon que pour sa
résistance inlassable aux multiples oppressions qui ont tenté de la
mettre au pas. Le Grec ne danse pas et ne dansera jamais au pas de l’oie
ni en courbant l’échine, quels que soient les régimes qu’on lui impose.
Il danse en levant les bras comme pour s’envoler vers les étoiles. Il
écrit sur les murs ce qu’il aimerait lire ailleurs. Il brûle une banque
quand elle ne lui laisse plus les moyens de faire ses traditionnelles
grillades. Le Grec est aussi vivant que l’idéologie qui le menace est
mortifère. Et le Grec, même roué de coups, finit toujours par se
relever.
Oui, l’Europe de la finance a voulu faire un exemple.
Mais, dans sa hargne à frapper le pays qui lui semblait le plus faible
dans la zone euro, dans sa violence démesurée, son masque est tombé.
C’est maintenant, plus que jamais, le moment de montrer du doigt à tous
son vrai visage : celui du totalitarisme. Car il s’agit bien de cela. Et
il n’y a qu’une seule réponse au totalitarisme : la lutte, tenace et
sans concession, jusqu’au combat, s’il le faut, puisque l’existence même
est en jeu. Nous avons un monde, une vie, des valeurs à défendre.
Partout dans les rues, ce sont nos frères, nos sœurs, nos enfants, nos
parents qui sont frappés sous nos yeux, même éloignés. Nous avons faim,
froid, mal avec eux. Tous les coups qui sont portés nous blessent
également. Chaque enfant grec qui s’évanouit dans sa cour d’école nous
appelle à l’indignation et à la révolte. Pour les Grecs, l’heure est
venue de dire non, et, pour nous tous, de les soutenir.
Car la
Grèce est aujourd’hui à la pointe du combat contre le totalitarisme
financier qui partout dans le monde détruit le bien public, menace la
survie quotidienne, propage le désespoir, la peur et la crétinisation
d’une guerre de tous contre tous.
Au-delà d’une colère
émotionnelle qui se défoule en détruisant des symboles d’oppression, se
développe une colère lucide, celle de résistants qui refusent de se
laisser déposséder de leur propre vie au profit des mafias bancaires et
de leur logique de l’argent fou. Avec les assemblées de démocratie
directe, la désobéissance civile, le mouvement «Ne payons plus» et les
premières expériences d’autogestion, une nouvelle Grèce est en train de
naître, qui rejette la tyrannie marchande au nom de l’humain. Nous
ignorons combien de temps il faudra pour que les peuples se libèrent de
leur servitude volontaire, mais il est sûr que, face au ridicule du
clientélisme politique, aux démocraties corrompues et au cynisme
grotesque de l’Etat bankster, nous n’aurons que le choix - à l’encontre
de tout affairisme - de faire nos affaires nous-mêmes.
La Grèce est notre passé. Elle est aussi notre avenir. Réinventons-le avec elle !
En 2012, soyons tous Grecs !
Le vote de l'austérité grecque ne suffit pas à l'Union européenne
Le gouvernement grec a été invité
lundi par ses partenaires européens à présenter de nouveaux gages de sa
volonté de réforme malgré l'adoption la veille d'un plan d'austérité par
un parlement assiégé par des milliers de manifestants.
La loi votée par 199 députés sur 300, sur fond d'émeutes à Athènes,
prévoit 3,3 milliards d'économies par le biais de nouvelles baisses des
salaires et des retraites et d'une vague de suppressions d'emplois dans
la fonction publique.
Ces dispositions sont exigées par la "troïka" (Fonds monétaire
international, Union européenne et Banque centrale européenne) en
échange d'un plan d'aide de 130 milliards d'euros indispensable avant le
20 mars, date d'une importante échéance de la dette grecque (14,5
milliards d'euros à rembourser).
L'UE a salué le vote du Parlement grec tout en rappelant les autres
conditions posées à l'octroi des fonds promis, afin d'éloigner le
spectre d'un défaut de paiement désordonné "aux conséquences
dévastatrices" le mois prochain.
D'ici une réunion des ministres des Finances de la zone euro mercredi,
le gouvernement de Lucas Papadémos doit expliquer comment il compte
économiser 325 millions d'euros sur les 3,3 milliards, et obtenir un
engagement écrit des partis politiques à appliquer les termes de
l'accord.
"Les promesses de la Grèce ne nous suffisent plus", avait prévenu
dimanche le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, dans une
interview accordée au Welt am Sonntag.
Un accord sur la participation du secteur privé à la restructuration de
la dette de la Grèce devrait être annoncé après la réunion de
l'Eurogroupe, a-t-on appris lundi de sources au fait des discussions.
"ENCORE LOIN DU BUT"
La perspective d'élections législatives en avril, dont la tenue a été
confirmée lundi par le porte-parole du gouvernement, explique les
réticences des partis grecs à endosser des mesures très impopulaires et
les craintes de l'Europe de ne pas les voir appliquées.
"Il faut attendre de voir ce qui viendra ensuite", a renchéri le
ministre allemand de l'Economie, Philipp Rösler, à la télévision
allemande après le vote du Parlement grec. "Nous avons effectué un pas
dans la bonne direction mais nous sommes encore loin du but", a-t-il
dit.
Le ministre autrichien des Affaires étrangères, Michael Spindelegger, a
estimé qu'"adopter le plan d'austérité est une chose, l'appliquer en est
une autre".
Le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Olli
Rehn, s'est voulu plus optimiste en se disant "confiant dans la
réalisation des autres conditions" d'ici la réunion de l'Eurogroupe.
Il a mis en garde contre les "conséquences dévastatrices" qu'un défaut de paiement aurait pour la société grecque.
Cet argument avait déjà été employé dimanche par Lucas Papadémos devant
les parlementaires pour défendre le nouvel ensemble de mesures
d'austérité, dans un pays déjà exsangue après des années de récession.
Les émeutes qui ont éclaté dans le centre d'Athènes et plusieurs autres
villes du pays témoignent déjà de l'exaspération d'une bonne partie de
la population.
"Le peuple a envoyé un message hier: Trop c'est trop", a déclaré Ilias
Iliopoulos, secrétaire général du principal syndicat des fonctionnaires,
Adedy.
Les rues de la capitale étaient jonchées de pierres et d'éclats de verre
lundi matin, témoins d'une nuit de violence au cours de laquelle 150
boutiques ont été pillées et 48 bâtiments incendiés selon les autorités.
EXASPÉRATION
Les adversaires de l'austérité soulignent que celle-ci condamne la Grèce
à s'enfoncer toujours davantage dans la récession, sans possibilité de
trouver des recettes, faute de croissance.
Le chef de file des conservateurs, Antonis Samaras, dont le parti est en
tête des sondages, préconise une politique libérale de stimulation de
la croissance, via des baisses d'impôts et des privatisations.
Il a également laissé entendre, en appelant dimanche les élus de son
camp à voter en faveur du plan de rigueur, qu'il pourrait en demander la
renégociation. "Nous devons d'abord exister afin de pouvoir le
modifier", a-t-il dit.
Beaucoup de Grecs jugent qu'une faillite ne pourra pas être plus douloureuse que la cure imposée par Bruxelles.
"Le vote d'hier a peut-être éloigné temporairement le risque d'un
défaut, mais l'économie grecque fera faillite et le système politique
est dans l'impasse", dit le président de la Confédération grecque du
Commerce, Vassilis Korkidis, dans un communiqué.
Les nouvelles mesures d'austérité comprennent une baisse de 22% du
salaire minimum et la suppression de 150.000 postes dans la fonction
publique d'ici 2015. Le taux de chômage a atteint 20,9% de la population
active en novembre et dépasse 50% chez les jeunes.
Cent quatre-vingt-dix-neuf députés sur 300 ont approuvé le texte, mais
43 élus socialistes et conservateurs n'ont pas respecté le mot d'ordre
de leurs partis et en ont été exclus sur le champ.
Nikos Kourkoulos, un jardinier municipal âgé de 53 ans, qui a vu son
salaire mensuel réduit de 600 euros depuis 2008, résumait dimanche la
colère de ses compatriotes: "Quand sortirons-nous de cette crise?
Pourquoi ne nous disent-ils pas tout de suite quand tout sera fini ?"
Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Gilles Trequesser
L'Eurogroupe pourrait se prononcer lundi sur l'aide à la Grèce
Le Monde.fr avec AFP et Reuters | • Mis à jour le
Au terme d'une réunion téléphonique qui s'est
tenue mercredi soir entre les ministres des finances de la zone euro, le
président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, s'est dit "confiant" dans le fait que "toutes les décisions nécessaires" concernant l'aide à la Grèce pourraient être prises lundi 20 février, date de la prochaine réunion de ce forum.
Dans un communiqué publié à l'issue de cette réunion, M. Juncker a
ajouté que des progrès substantiels avaient été faits, notamment suite
aux assurances reçues des différentes forces politiques grecques
qu'elles appliqueraient le programme de réforme
au-delà des élections générales prévues en avril. Il a par ailleurs
expliqué que la troïka formée par la Commission, la Banque centrale
européenne et le Fonds monétaire international
avait finalisé le programme de soutenabilité de la dette grecque et que
les mesures d'économies supplémentaires pour un montant de 325 millions
d'euros avaient été identifiées, sans fournir plus de détails.
La réunion de l'Eurogroupe, initialement prévue ce mercredi à Bruxelles, a été repoussée afin de recevoir l'assurance des dirigeants politiques grecs que les réformes seraient mises en œuvre. Athènes espérait pourtant s'assurer dès mercredi soir un feu vert pour une aide sans précédent de 230 milliards d'euros en deux volets, prévue en échange de mesures drastiques d'austérité et de réformes : 100 milliards d'euros d'effacement de dette par les banques et 130 milliards d'aide publique.
Cette dernière condition a été remplie. Les chefs des deux partis gouvernementaux, le socialiste Georges Papandréou et le conservateur Antonis Samaras, ont envoyé mercredi une lettre aux responsables de la zone euro dans laquelle ils s'engagent à poursuivre la politique économique négociée avec l'UE et le FMI, ont indiqué les partis. Du côté du parti socialiste, le Pasok, la lettre "a été envoyée", s'est borné à commenter mercredi le bureau de presse du parti.
Dans sa lettre, rédigée en grec et en anglais, M. Samaras, leader de la Nouvelle Démocratie, assure que "si la Nouvelle Démocratie gagne les prochaines élections en Grèce", le parti restera "engagé" sur les objectifs du programme de stabilisation, et "sur les politiques décrites dans le mémorandum". Il précise néanmoins que "certaines modifications de politiques pourront être nécessaires pour garantir la mise en œuvre totale du programme". Le conservateur en appelle à une "reprise rapide". "Donner
la priorité à la reprise économique aux côtés des autres objectifs
rendra le programme encore plus efficace et l'effort d'ajustement encore
plus réussi", plaide M. Samaras dans sa lettre. DURCISSEMENT DU BRAS DE FER
Après une réunion mardi de hauts fonctionnaires de la zone euro
destinée à préparer l'Eurogroupe, il est en revanche apparu, selon une
source ayant participé à la discussion, qu'Athènes n'apportait pas une réponse convaincante pour dégager les 325 millions d'euros d'économie. A Athènes, le gouvernement grec entend décider "dans les prochains jours" des économies supplémentaires réclamées par les créanciers. Mais c'est trop tard pour plusieurs pays européens, qui préfèrent attendre lundi pour trancher.
SelonAnne-Laure Delatte, économiste à la Rouen Business School, "le bras de fer entre l'UE et la Grèce se durcit. La stratégie des européens consiste à construire
un mur entre la Grèce et le reste de la zone euro. Le mur, ce sont les
400 milliards d'euros que la BCE a injectés sur les marchés depuis
l'automne. Aujourd'hui, les Européens ont l'impression qu'ils ont réussi
à isoler
le problème grec et qu'ils pourront résister à une sortie de la Grèce
de la zone euro. Ils commencent à se désengager vis-à-vis de la Grèce,
qu'ils ne veulent plus sauver à tout prix. Preuve en est, ils ont changé de discours et mettent de plus en plus de pression sur Athènes", analyse Mme Delatte.
Certains responsables de la zone euro étudient comment retarder
certaines parts ou l'intégralité du deuxième plan d'aide à la Grèce, si
possible jusqu'à après les élections, prévues pour avril, ont indiqué
des sources européennes à l'agence d'information Reuters. "Il y a des propositions de retarder le paquet grec ou de le couper en plusieurs parties, afin qu'un défaut immédiat soit évité mais sans pour autant d'engagement sur l'ensemble", a dit l'une des sources.
"UN SUICIDE POLITIQUE POUR LA COALITION"
Les discussions entre les partenaires européens achoppent notamment
sur le niveau de participation de la BCE à l'opération d'allègement de
la dette d'Athènes, pour compléter l'effort des créanciers privés, ainsi
que sur ses modalités. Il y a aussi un désaccord sur la question de savoir s'il faut conserver l'objectif d'un niveau d'endettement public grec ramené à 120 % – contre 160 % aujourd'hui – ou si l'on peut le laisseratteindre
un niveau plus élevé, par exemple 125 %. Dernier problème : la troïka
n'a toujours pas remis aux ministres de l'Eurogroupe son analyse de la
soutenabilité de la dette grecque, selon une source proche des
négociations.
Or, si l'UE n'accorde pas une nouvelle tranche d'aide à la Grèce d'ici au 20 mars, celle-ci fera défaut."Côté
politique, l'Eurogroupe prend le risque que la contestation populaire
fasse céder le gouvernement. Ces mesures d'austérité sont un suicide
politique pour la coalition grecque au pouvoir,
à l'approche des législatives d'avril. D'ailleurs plusieurs ministres
et députés ont démissionné ou ont été exclus. Ceux qui soutiendront des
mesures alternatives à l'austérité risquent de séduire la majorité de la
population", souligne Mme Delatte.
Cette course au gigantisme (façon J.O) a aussi profité à des
multinationales qui sont aujourd'hui relativement discrètes. Pendant des
années, des aides européennes ont été distribuées aveuglément sans
contrôle de la conduite des projets financés : cette inconséquence
financière, ce mythe de l'argent facile arrangeaient aussi bien les
hauts-fonctionnaires européens (développement des régions périphériques
européens au détriment des centres : rééquilibrage socio-économique et
diminution du poids des Etats réputés les plus forts et les plus
contestataires) que les entreprises de BTP ou les banques (qui
s'imposent comme intermédiaires aussi bien pour l'octroi de prêts à la
Grèce que pour leurs remboursements). http://ec.europa.eu/regional_policy/country/overmap/gr/grec_fr.htm http://archives.contrepoints.org/L-economie-grecque-minee-par-le.html http://www.humanite.fr/monde/goldman-sachs-et-la-grece-une-histoire-de-vampire-483600
Le droit de propriété limité par les droits d'autrui
Robespierre (24 avril 1793) :
Posons
donc de bonne foi les principes du droit de propriété ; il le faut
d’autant plus qu’il n’en est point que les préjugés et les vices des
hommes aient cherché à envelopper de nuages plus épais.
Demandez à
ce marchand de chair humaine ce que c’est que la propriété ; il vous
dira, en vous montrant cette longue bière qu’il appelle un navire, où il
a encaissé et ferré des hommes qui paraissent vivants : “Voilà mes
propriétés ; je les ai achetés tant par tête.”
Interrogez ce
gentilhomme qui a des terres et des vassaux, ou qui croit l’univers
bouleversé depuis qu’il n’en a plus, il vous donnera de la propriété des
idées à peu près semblables.
Interrogez les augustes membres de
la dynastie capétienne ; ils vous diront que la plus sacrée de toutes
les propriétés est sans contre-dit le droit héréditaire dont ils ont
joui de toute antiquité, d’opprimer, d’avilir et de pressurer légalement
et monarchiquement les vingt-cinq millions d’hommes qui habitaient le
territoire de la France, sous leur bon plaisir.
Aux yeux de tous
ces gens-là, la propriété ne porte sur aucun principe de morale. Elle
exclut toutes les notions du juste et de l’injuste. Pourquoi votre
déclaration des droits semble-t-elle présenter la même erreur ?
En définissant la liberté, le premier des biens de l’homme, le plus
sacré des droits qu’il tient de la nature, vous avez dit avec raison
qu’elle avait pour bornes les droits d’autrui : Pourquoi n’avez-vous pas
appliqué ce principe à la propriété, qui est une institution sociale ?
Comme si les lois éternelles de la nature étaient moins inviolables que
les conventions des hommes. Vous avez multiplié les articles pour
assurer la plus grande liberté à l’exercice de la propriété, et vous
n’avez pas dit un seul mot pour en déterminer le caractère légitime ; de
manière que votre déclaration paraît faite, non pour les hommes, mais
pour les riches, pour les accapareurs, pour les agioteurs et pour les
tyrans. Je vous propose de réformer ces vices en consacrant les vérités
suivantes.
Art. I. - La propriété est le droit qu’a chaque
citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est
garantie par la loi. II. Le droit de propriété est borné, comme tous les autres, par l’obligation de respecter les droits d’autrui. III. Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété de nos semblables. IV. Toute possession, tout trafic qui viole ce principe est illicite et immoral.
Je
souhaite simplement vous transmettre le témoignage anonyme de quelqu’un
qui vit là-bas. Il évoque pour nous des évènements dont nous savons au
demeurant peu de choses. Nos medias parlent des Grecs cinq minutes
après la neige, mais qu’en est-il réellement de leur calvaire et de
leur lutte ? Voici une réponse.
Les médias internationaux ont parlé de la nuit dernière en Grèce.
Ils ont parlé de feu, de chaos, de violence…
Ils
parlent des 100.000 personnes qui se sont rassemblées sur Syntagma,
mais pas des 200.000 qui y étaient vraiment ou des 300.000 qui ne
pouvaient pas atteindre la place parce que les rues et le métro étaient
bloqués par la police.
Ils n’ont pas parlé de la façon dont
la police a provoqué vers 17:00 le début des émeutes en lançant des gaz
lacrymogènes sur toute la place Syntagma, dispersant les manifestants
dans le centre d’Athènes, afin d’éviter les perturbations à l’extérieur
du parlement.
Les médias ont parlé de destruction aveugle,
répandant la rumeur que la Bibliothèque Nationale d’Athènes était
dévorée par les flammes.
Faux.
Des banques ont été
brûlées, des cafés et des magasins, des franchises appartenant aux
industries multimillionaires qui ont mis la Grèce dans cette situation.
Les
médias parlent de jeunes contre le système, mais pas des femmes et des
hommes âgés portant des masques à gaz et montrant leur soutien pendant
des heures, frappant en rythme dans leurs mains et avec les pieds aux
portes des banques et des multinationales, sifflant et criant pour
soutenir les premières lignes qui résistaient aux attaques anti-émeutes
dans les rues pleines de lacrymo et de flammes, applaudissant en
voyant s’enflammer Alpha Bank et Eurobank.
Ils disent que la
violence ne résoudra pas la situation en Grèce, mais ils ne parlent
pas des assemblées inter-quartier qui se sont tenues la semaine
dernière à l’Université de Pantios, ils ne disent pas que l’occupation
de l’Université de Nomiki avait pour objectif d’être un lieu d’échange
et de débat entre les différents mouvements grecs, ils ne parlent pas
des cantines libres et des marchés d’échanges qui ont lieu chaque
semaine dans les quartiers.
Ce que les médias ne diront pas,
c’est qu’après que les supermarchés aient été vidés et que les aliments
aient été distribuées dans un quartier ouvrier de Salonique, les
anciennes aient dit qu’elles n’étaient pas arrivées à temps, mais que
ce n’était pas grave car elles savaient où étaient les leurs.
Ce
qu’ils ne diront pas c’est que pendant que nous marchions dans un
quartier ouvrier, dans une petite manifestation loin du centre, les
gens se mettaient à leur balcon en levant le poing, et la manifestation
a vu son affluence se multiplier, les gens sortaient de leurs maisons
pour la rejoindre, les anciennes applaudissaient depuis les balcons,
les vieux… merde, les vieux chantaient des hymnes, je ne comprenais pas
un mot, mais vous n’imaginez pas, vous n’avez pas idée, et ça, les
medias ne le diront pas, mais nous, nous le disons.
Ici, à
Athènes, ils savent qu’ils ne sont pas seuls, que toute l’Europe suit
le même chemin, ce qu’ils ne savent pas dans le reste de l’Europe c’est
ce que nous faisons… si le reste de l’Europe est en train de faire
quelque chose.
Nous ne voyons pas seulement le présent de la Grèce, nous sommes en train de voir notre futur.
Je voudrais vous répondre : Le
reste de l’Europe regarde la Grèce comme la première fosse commune
creusée par des fous et qui est censée, bientôt, être rejointe par
d’autres. Elle regarde le gouvernement Grec comme nos
gouvernements, valets des banques et des spéculateurs, eux-mêmes
spéculateurs, sans aucun souci du peuple. Elle regarde cette violence en sachant que la même lui est réservée. La misère de la Grèce, les flammes d’Athènes sont promises à toute l’Europe. Mais la fureur des Grecs, la volonté de combattre et de gagner, soutient chaque jour davantage nos cœurs et nos pensées. Belle Grèce, fierté de notre histoire, votre désespoir est le nôtre et votre combat nous apprend à nous préparer. Résistance ! ----------------------------------------------------------------------
De : Marie-Laure Veilhan
Date : 13 février 2012
salut mes chers de loin,
Je
viens de finir une traduction (une préface d'un bouquin visiblement
bien communiste de l'ancien temps, pfff...), et je devrais aller me
coucher, mais j'ai trop de tension encore. Les émotions fortes et
l'effet, encore sensible, des produits chimiques divers dont on nous a
aspergés hier, j'imagine...
La manif d'hier n'était en fait pas
vraiment une manif, c'était plutôt comme si beaucoup, beaucoup de Grecs
avaient décidé de se déplacer de leur boulot, de leur cuisine, d'où ils
se trouvaient, pour aller se camper autour du Parlement... il y avait
des vieux, des mémés (pas beaucoup mais quand même), beaucoup de
couples, cools...
On s'est retrouvés avec Yorgos Mitralias
(fondateur de l'ELE, le comité pour l'audit de la dette grecque), dans
une galerie historique, en contrebas de Syntagma (au Starbuck, j'ai dit
que j'aimais pas ça... dix heures après, il était réduit en cendres.
Faudrait que je fasse gaffe à ce que je dis...). A cinq heures piles, on
était à l'angle gauche du parlement, au coin de l'hôtel Grande
Bretagne. Les forces de l'ordre, style Ninja carapacés jusqu'aux
oreilles, avaient bloqué l'accès à plusieurs rues, et formé un cordon
impressionnant devant le Parlement. Là, ils ont balancé les premiers
lacrymogènes, et ça n'a pas cessé, ensuite, pendant des heures.
On a
battu en retraite, fait le tour de la place (en courant, trébuchant,
...) pour filer aussi vite que la foule le permettait rue Filellinon
(la rue qui part du bas de la place et va jusqu'à Plaka). La foule,
dense, partout. Les Ninja nous repoussaient, on est allés jusqu'à Plaka
(on nous a dit plus tard qu'ils avaient balancé des gaz place
Monastiraki, tout en bas de la rue Ermou, imagine...).
On est
revenus par l'Avenue Amalia (le long du Jardin National, entre la porte
d'Hadrien et le Parlement). La foule faisait des vagues, flux et
reflux, mais on revenait toujours. Manifestement, les flics avaient
peur qu'on n'atteigne le Parlement -on était prêts à rentrer, c'est
vrai.
A l'intérieur, on a vu plus tard ce qui s'y passait. Pour
l'instant, il fallait reprendre son souffle et continuer, trois pas
devant, quatre derrière...
Je ne te raconte pas les "incidents",
ils sont sur tous les écrans, on nous parle de la catastrophe
provoquée par les casseurs (très probablement d'une part, des flics
provocateurs, comme d'habitude, pour justifier les lacrymo; cette
fois-ci, on tenait l'info d'un jeune cousin -flic- avec qui on a
déjeuné juste avant la manif, lui était en arrêt maladie, le veinard..;
d'autre part, les supporters membres des club sportifs Panathinaïkos,
Panionios et Olympiakos, ennemis jurés d'habitude, qui avaient décidé
une trêve et lancé un appel aux supporters de se retrouver à Syntagma,
alors même qu'un match se tenait, à la même heure. Eux, ou plutôt
certains d'entre eux, sont bien entraînés, et ils savent casser, et
castagner...). Catastrophe, donc, à Athènes. Ok, beaucoup de magasins
incendiés (dont beaucoup de banques). Version Paris Match, c'est
effectivement très impressionnant. Rien, mais rien du tout sur la foule
immense, pacifique, qui s'en est pris plein les poumons (y compris
Mikis Théodorakis, compositeur et véritable symbole pour les Grecs, et
Manolis Glezos, symbole encore plus énorme, c'est lui qui a descendu le
drapeau allemand de l'Acropole, pendant l'occupation. Ils ont
aujourd'hui respectivement 88 et 90 ans, eh bien il s'est trouvé des
flics pour les menacer de leurs matraques, et leur balancer leurs
lacrymo, oui).
Ils avaient la trouille, oui, jusque dans leurs
chaussettes, qu'on montre les images de cette mer de monde bruissante de
colère et de désespoir. Pour la première fois, les gens ne bougeaient
que pour se soulager à coup de Maalox, puis revenir se planter au même
endroit.
Les chaînes de télé montrent toutes les mêmes images, là,
on se rend compte de la mainmise du pouvoir. Les journalistes
"analysent" les dégâts, maintenant qu'ils sont rassurés sur l'avenir
(désormais rose bonbon, ouf, le mémorandum est passé, on aura désormais
un salaire minimum de 480 euros par mois net; donc la croissance va
reprendre d'une minute à l'autre; bon, il faut se serrer un peu la
ceinture, ok, mais on n'est pas irresponsables, nous les députés, on
assume et on signe...); on se désole que 100 personnes risquent de
perdre leur emploi à cause des dégâts causés. Rien sur les 15.000
fonctionnaires qui vont perdre leur poste, ni sur les orphelinats qui
ferment, tout simplement...
Ils ont signé, les salauds, il n'y en a
eu que 45 pour se rebeller contre la ligne donnée par leur parti (dont
deux de l'extrême droite, qui ont signé pour, malgré la position de
leur chef).
Un député, héros du jour ou dangereux subversif, a
balancé le mémorandum en direction de Venizelos (le monstre qui nous
explique, de sa morgue au double quintal,qu'on n'a rien compris).
Nous voilà à la nouvelle ère, celle du mémorandum 2, là où on a fait, froid, et peur.
Mais
pas assez, ou alors on est tellement en colère qu'on en oublie la
peur, pour ne pas aller casser les bureaux des députés traitres à notre
cause. Il y en a déjà deux qui n'ont plus de locaux (dont un,
socialiste -si l'on peut dire...- d'Achaïe...), et qui cherchent leurs
meubles... sur le trottoir. Le tour des autres viendra, on n'aura
bientôt plus aucune raison de ne pas être violents. Faites passer, ça
ne passera pas. Pas comme ça. Il y a les sous, oui. Mais aussi la
dignité, les moments d'insouciance, les heures à ne rien faire et à ne
penser qu'au bonheur de vivre. Ca ne s'abandonne pas si facilement, son
humanité. On aura faim, peut-être, surtout dans les villes (nous, on
va mettre des poules dans le jardin, on a la mer, pas riche mais bon);
on aura froid (ça on connaît déjà); on aura peur (c'est nouveau, on a
goûté, on y goûte un peu plus tous les jours). Mais on avancera. Faites
gaffe, ils se rapprochent. Ils auront fait de nous des cobayes,
personne n'y croyait, et on y est. Demain, on mord...
Prenez
soin de vous, et de votre humanité. Si on oublie, si de rage, de peur
ou de désespoir on en vienne à se perdre, rappelez-nous à la nôtre.
je vous embrasse
ml
Marie-Laure Veilhan
Montée de l'extrême-droite et responsabilité de la Gauche
Η άνοδος της ακροδεξιάς και ευθύνη της Αριστεράς(ελληνικά↓)
Juan
Fontcuberta, Semiopolis-Quijote, 1999
Je sais que les "élites" de Gauche n'aiment pas
aborder le sujet, mais pourtant… Quand les Gauches sont incapables de répondre
aux besoins des Peuples ou les trahissent, les extrêmes droites prospèrent (1),
comme partout en Europe actuellement, sauf en Espagne et au Portugal où les
fascismes laissent encore un goût amer... Ce phénomène est largement démontré
historiquement.
Par la démagogie des amalgames, le nationalisme de
l'identité nationale et la haine pour "l'ennemi intérieur"
envahisseur (2), responsable de tous les maux, les populations les plus
fragiles et démunies, abandonnées par la Gauche, et les classes moyennes
xénophobes se laissent séduire par les solutions simplistes et radicales d'une
régime fort d'extrême droite qui saura expulser, éliminer et rétablir ordre et
sécurité, pour donner la préférence aux nationaux de souche. C'est la
prospérité par la haine et l'épuration.
Nous devrions, dans la Gauche française, beaucoup mieux
étudier l'Histoire et les causes de la montée des fascismes, notamment en
Italie et en Allemagne, pour éviter que dans la France de 2012, des processus
comparables ne se réenclenchent, avec la montée du FN et la recomposition d'une
Droite dure et "décomplexée" autour de lui, après la défaite probable
de Sarkozy le 6 mai prochain.
Si la Gauche arrive au pouvoir en 2012, elle portera une
responsabilité considérable: ou elle se met au service du Peuple, par une
politique humaniste et progressiste, qui impulsera également une toute autre
Europe, et l'on verra alors l'extrême droite réduite à sa base idéologique
fasciste, c'est à dire moins de 5 % en France; ou la Gauche poursuit une
politique néolibérale en tournant le dos aux classes populaires et défavorisées,
comme Papandréou et Zapatero, et nous nous préparons pour 2017 à un retour de
la Droite recomposée en partie autour des thèses nationales-socialistes du
Front National. A chaque fois, c'est l'union avec la droite qui permet à
l'extrême droite d'arriver au pouvoir, pour une politique fasciste lorsqu'elle
est dominante.
Dans la sauvagerie de la mondialisation actuelle, où la
finance et les multinationales du néo-esclavagisme dirigent les États, la
conversion néolibérale de la social-démocratie européenne peut nous ramener
...80 ans en arrière, en ne se mettant pas au service des Peuples. C'est bien
l'absence d'une Gauche véritable, humaniste et progressiste, qui permet la
montée des fascismes.
Demeurons lucides, le premier tour des présidentielles
2012 démontre que les français n'ont pas approuvé majoritairement les projets
proposés par la Gauche. Beaucoup trop de suffrages venant des classes
populaires et défavorisées se sont encore portés sur le Front National. Et si
le Peuple a donné une prime à Hollande pour se débarrasser d'un sortant qui a
fait autant de mal à la France, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, le futur
Président socialiste devra saisir la chance historique de vider le Front
National de sa substance populaire en mettant en œuvre une véritable politique
de gauche, celle que le peuple attend depuis 1981. Les peuples européens sont
également très attentifs aux élections françaises. Ils y voient l'espoir d'une
Europe démocratique et sociale, celle des convergences progressistes et de la
paix, débarrassée des menaces fascistes.
●
(1) Evolution des scores de l'extrême droite aux
Présidentielles françaises. 1965 : Tixier-Vignancour 5,20 % - 1969 :
pas de candidat - 1974 : Royer + Le Pen 3,92 % - 1981 : pas de
candidat - (1983 : "tournant de
la rigueur", la Gauche Socialiste se convertit au néolibéralisme et tourne
le dos au Peuple) - 1988 : Le Pen 14,38 % - 1995 : Le Pen 15 % -
2002 : Le Pen + Mégret 19,2 % - 2007 : Le Pen 10,44 % - 2012 :
M. Le Pen 17,9 %.
(2) "ennemi intérieur" variable selon les
époques et les pays : du Juif dans l'Allemagne des années 30-40 à l'Arabe
islamiste de la France de 2012, en passant par le Turc de l'Allemagne actuelle
et les "envahisseurs des pays de l'Est" pour l'Autriche et les pays
scandinaves actuels. Parfois, l'extrême droite appelle même à la partition du
pays, comme actuellement en Flandre ou en Italie du Nord.
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