Il y a eu l'automne 2005 et les banlieues françaises en flammes. Il y a
aujourd'hui la crise et un vent de révolte qui semble ne pas faiblir. Et
entre-temps, la Guadeloupe, les émeutes de la faim, le Tibet, Athènes,
l'Iran... Ce livre vient mettre des mots sur des images de plus en plus
fréquentes sur nos écrans, peu commentées et rarement mises en
relations. Le retour chronologique sur les quarante dernières années
démontre l'ampleur de ce phénomène qui s'impose chaque
mois un peu plus dans le monde entier. Il est temps de s'interroger sur
le sens profond et peut-être commun de ces émeutes qui éclatent aux
quatre coins de la planète, au sein de pays et de régimes politiques
radicalement différents et selon des modes de protestation semblables.
Lire attentivement ce que toutes ces explosions de colère nous disent de
notre époque, de notre monde, de la globalisation et de la crise.
Pour suivre les émeutes dans le monde entier au jour le jour, aller sur le Blog d'Alain Bertho : Anthropologie du Présent.
Pour suivre les émeutes dans le monde entier au jour le jour, aller sur le Blog d'Alain Bertho : Anthropologie du Présent.
Les émeutes de la mondialisation
Mercredi 12 Janvier 2011
Régis Soubrouillard
Algérie, Tunisie, Chine, banlieues
françaises, sur tous les continents ces mouvements populaires témoignent
d’une mutation de l’Etat contemporain. Violences politiques pour les
uns, ou sociales motivées par une certaine exaspération de jeunes en
quête d’emplois, alors même que les gouvernants donnent l’impression de
vivre à leur aise.
Les récentes émeutes en Algérie et en
Tunisie sont venus le rappeler : la combinaison de la corruption, des
difficultés économiques et de la hausse des prix des matières premières
est explosive.
En Tunisie, les heurts gagnent la
capitale alors que le bilan fait état d’une cinquantaine de morts. Ce
lundi 10 janvier, le président Ben Ali a bien promis de créer 300 000
emplois d’ici 2012. Insuffisant pour calmer la colère de la rue tunisienne, malgré la répression.
Dans son rapport annuel sur les risques mondiaux, publié ce mercredi matin, deux semaines avant le sommet annuel de Davos, le World Economic forum s’inquiète du «danger social»: « Le
monde n’est pas paré pour affronter de nouveaux chocs significatifs.
D’une part, la crise financière a affaibli la capacité de résilience
économique mondiale, tout en avivant les tensions géopolitiques. D’autre
part, la recrudescence des préoccupations sociales indique que les
gouvernements et les sociétés sont plus démunis que jamais face aux
défis planétaires ».
Le rapport identifie trois risques majeurs de troubles sociaux et politiques : le
crime organisé, la corruption et la fragilité des États ; les risques
liés à l’eau, à l’alimentation et à l’énergie ; les dangers des
déséquilibres macroéconomiques mondiaux. Or, rappelle le rapport, le monde est actuellement particulièrement vulnérable.
Davos sera toujours Davos. Face à ces
dangers, le WEF propose une solution qui promet d’être controversée :
retirer les aides aux produits de première nécessité pour laisser le
marché dicter leur « vrai prix » et réduirait la demande. Le rapport admet cependant que cela aurait des « effets sociaux négatifs » et qu’une telle décision doit être mise en place «progressivement».
L’émeute et le suicide, modes d’expression du malaise maghrébin
En attendant la révolte gronde et la contagion menace. Fondateur du groupe de presse Le Pays, journal privé du Burkina Faso, Jérémie Sigue, estime que « ce
qui se passe en Algérie et en Tunisie n’est pas exclusif à ces pays.
Sous nos tropiques, les pays qui réunissent les conditions d’une
explosion sociale sont légion. En fait, les mêmes conditions sont
réunies un peu partout en Afrique. Et c’est en cela que l’on peut
redouter l’effet contagion de cette grogne sociale qui secoue ces deux
pays du Maghreb. Sans doute que les marginaux, quel que soit le pays où
ils se trouvent, ne sont pas disposés à accepter sans broncher,
indéfiniment, leur condition ».
Des marginaux ? « En Algérie, comme
dans le reste du Maghreb, ils sont ceux qu’on appelle les « diplômés
chômeurs. En Tunisie, le taux de chômage des jeunes diplômés,
officiellement de 23,4 %, frôlerait en réalité les 35 %. En Algérie, le
même indicateur toucherait plus de 20 % des jeunes diplômés, très loin
des 10 % officiels. Au Maroc, où le mouvement des diplômés chômeurs est
institutionnalisé depuis plus d’une décennie » analyse La Libre Belgique.
Six jeunes gens ont tenté de s’immoler devant le ministère du Travail, à
Rabat, quelques jours après le premier suicide de la région de Sidi
Bouzid. L’émeute et le suicide sont devenus les modes d’expression privilégiés du malaise maghrébin.
Le temps des émeutes contre la crise politique
Si aucun régime ne paraît menacé dans son
existence même tant la désorganisation prédomine dans ces mouvements de
protestation, à travers ces explosions de révolte, c’est toute la
question d’une jeunesse sacrifiée dans la mondialisation qui se pose.
Les émeutes qui bourgeonnent aux quatre coins de la planète ont-elles quelque chose en commun ?
Pour Alain Bertho, auteur du Temps des émeutes, qui tient un blog sur le sujet, ces mouvements ne sont plus de simples revendications brutales, issus de manifestations qui auraient dégénérées. C’est
maintenant un phénomène mondial et contemporain, qui prend forme face à
l’épuisement, à l’inefficacité des autres modes d’actions.
Des banlieues françaises aux rues de
Lhassa, du Mexique à la Tunisie, du Maroc à Guizhou en Chine, de Téhéran
à Athènes, en anthropologue, Alain Bertho tente de dégager les
similitudes de toutes ces explosions, autant d’arrières cours de la
mondialisation. Affrontements communautaires, émeutes liées à la
mondialisation ou querelles violentes avec la police…Les mêmes révoltes contre les politiques de gestion urbaine ou « contre la vie chère » éclatent un peu partout.
«Il est urgent de comprendre que la crise mondiale est aussi, peut-être surtout, politique et que les temps actuels sont les temps des émeutes » explique Alain Bertho.
Le coût exorbitant de la mondialisation
En Chine, les mouvements de protestations
sont quotidiens, ethniques, sociaux, ciblant la corruption des cadres
du Parti, la révolte gronde aussi dans l’atelier du monde ? L’esprit de
fronde n’a pas encore atteint les centaines de milliers de diplômés
précaires qui vivent dans des dortoirs, parfois des capsules, et gagnent
des salaires de misère. On les appelle les « fourmis », travailleurs
connectés, mais solitaires, perdus au coeur des immenses mégalopoles
chinoises. Qui sait si un jour, ils ne seront pas sensibles au célèbre
mot de Camus: « Je me révolte donc nous sommes »
Selon un rapport du Bureau International
du Travail rendu public en 2009, 81 millions des 15-24 ans étaient au
chômage, un taux de 13%. « Le chômage des jeunes, qui a augmenté de
7,8 millions de personnes depuis 2007, risque de produire une génération
perdue de jeunes gens qui sont sortis du marché de l’emploi et qui ont
perdu tout espoir d’obtenir un travail qui leur assure une vie décente », fait remarquer le rapport qui pointe les risques d’explosions sociales.
Des explosions de violences comme autant de symptômes qui prouvent que dans le « monde tel qu’il va », la production de rebut humain est le corollaire de la modernité, ce que le sociologue Zygmunt Bauman qualifiait de « coût humain de la mondialisation ».
En bonus, 2 chansons des Clashs :
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