Cet article a été publié sous
un autre titre dans Education Next
par the Hoover Institution, © 2001 by the Board of Trustees of Leland Stanford
Junior University.
E.D. Hirsch Jr est le créateur de Core Knowledge, une fondation américaine visant à créer des programmes et des manuels destinés à assurer une instruction de qualité à tous.
Traduction de Pierre Lariba qui a déjà traduit du même auteur le Guide critique des termes et expressions pièges qui parsèment le débat éducatif.
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L’école
de Celebration de Disney a paru être un nouveau conte de fées créé par les
auteurs de la Petite Sirène et du Roi lion. Elle était censée être l’école
idéale, implantée dans la communauté nouvellement fondée par Disney en Floride
: Celebration. Selon le New York Times,
l’école devait suivre les méthodes d’enseignement les « plus avancées ».
En fait ces méthodes nouvelles étaient des resucées de projets progressistes
datant d’au moins cent ans – comme Diane Ravitch l’a démontré dans son livre
récent Left Back – des projets tels
que des groupes d’âges mélangés dans lesquels chaque enfant va à son propre
rythme ; des évaluations individualisées au lieu de tests objectifs ; des enseignants
plus entraîneurs que savants ; des projets plutôt que des manuels.
De
telles méthodes, bien qu’utilisées depuis des décennies, ont rarement bien
marché. L’école de Celebration n’a pas fait exception. Comme le disait le titre
du Times, il y avait « des
difficultés dans l’école la plus heureuse de la Terre ». L’article commençait
ainsi : « La rentrée ne date ici que de quelques jours, et c’est donc une
surprise que des parents fassent la queue pour retirer leurs enfants ».
Les parents affirmaient qu’ils étaient mécontents du manque d’objectifs
clairement scolaires et de mesures de la réussite aussi bien que du manque d’ordre
et de structure qui accompagnaient les méthodes progressistes.
L’échec
de l’école de Celebration était totalement prévisible. Dans les années 1980, le
distingué sociologue James Coleman a conduit une recherche de grande ampleur,
soigneusement mise en œuvre, qui a démontré l’inefficacité des méthodes
progressistes en ce qui concerne la réussite scolaire générale et la réduction
de l’écart entre élèves favorisés et défavorisés. Coleman a trouvé que les écoles
catholiques américaines arrivent à plus d’équité scolaire que les écoles
publiques car elles suivent un programme riche et exigeant ; elles fournissent
un environnement structuré, ordonné ; elles offrent beaucoup d’enseignement
explicite, y compris des exercices et de l’entraînement ; et elles attendent de
chaque enfant qu’il atteigne des buts minimums dans chaque matière à la fin de
l’année. Tout ceci se trouve en parfait contraste avec les idéaux progressistes
de l’enseignement implicite non structuré et avec l’enseignement adapté à
chacun qui prédomine aujourd’hui dans les écoles publiques. Par conséquent, les
enfants désavantagés réussissent scolairement dans les écoles catholiques et
ces écoles réduisent les écarts entre races et classes sociales. Quand il a été
critiqué pour avoir condamné les écoles publiques, Coleman a fait valoir que
les mêmes résultats de démocratisation étaient atteints dans les rares écoles
publiques qui défiaient la doctrine progressiste. Mis en rapport avec des
comparaisons internationales à grande échelle, le travail de Coleman est l’ensemble
de données le plus fiable que nous avons concernant la validité des idées progressistes
et il n’a jamais été réfuté.
La manière progressiste de diriger une école est essentiellement à l’opposé de celle que la recherche sur les écoles efficaces nous a démontrée.
Les
preuves contre les théories de l’enseignement progressiste sont encore plus
évidentes si l’on combine les données de Coleman avec la recherche sur les « écoles
efficaces ». Celles-ci sont caractérisées par des objectifs scolaires
explicites et sur lesquels on s’accorde pour tous les enfants ; un accent mis
sur le scolaire ; l’ordre et la discipline en classe ; le maximum de temps
passé à des tâches d’apprentissage et de fréquentes évaluations des
performances des élèves – tous principes répudiés par l’école Disney et aussi
par beaucoup de réformes de l’éducation « nouvelle ». En fait la
manière progressiste de diriger une école est essentiellement à l’opposé de
celle que la recherche sur les écoles efficaces nous a démontrée. Une
compilation récente de ces recherches faite par la regrettée Jeanne Chall, la
grande érudite, peut être trouvée dans The Academic Achievement Challenge: What Really Works in the Classroom? (2000).
On
pourrait penser que les échecs du progressisme scolaire aurait induit du
scepticisme à la fois chez ses adhérents et chez le public. Malgré cela, les
théories non empiriques des éducateurs progressistes – généralement déguisées
sous des prétentions empiriques – demeurent très influentes chez les
enseignants, les administrateurs et les distingués professeurs. Leurs
hypothèses tacites exercent aussi une influence cachée sur le public américain.
Par exemple, le dénigrement des tests ne serait pas aussi populaire si les
théories progressistes de l’éducation ne résonnaient pas d’une manière ou d’une
autre part avec les croyances largement répandues des Américains sur les
enfants et l’apprentissage. On peut comprendre pourquoi les progressistes
doivent dénigrer les tests quand leurs méthodes échouent constamment à
améliorer les résultats des tests. Mais pourquoi les autres devraient-ils
accepter ce dénigrement, disons, des tests de lecture, qui sont parmi les plus
valides et les plus fiables ?
Selon
moi, les idées progressistes sur l’éducation se sont montrées si séduisantes
car leur attrait ne repose pas sur leurs effets pratiques mais sur leurs liens
avec le romantisme, mouvement philosophique du XIXe siècle si influent
dans la culture américaine qui a exalté tout ce qui est naturel et qui a
déprécié tout ce qui est artificiel. Les progressistes appliquèrent ce principe
romantique à l’éducation en posant que l’éducation devrait être un processus
naturel de croissance qui découle des intérêts et des instincts naturels de l’enfant.
Le mot de « nature » dans la tradition romantique connote le sens d’un
lien avec le sacré, donnant aux dogmes du progressisme tout le poids d’une
conviction religieuse. Nous savons par avance, dans nos tripes que ce qui est
naturel doit être mieux que ce qui est artificiel. Cette révélation est la
vérité absolue contre laquelle l’expérience elle-même doit être mesurée et tout
échec d’une pratique pédagogique doit être dû à une mise en œuvre fautive des
principes pédagogiques progressistes ou à une interprétation fautive des
résultats scolaires. Ainsi les résultats de purs tests de lecture ne doivent
pas être jugés sur leur apparence car on ne peut espérer que de tels instruments
défectueux puissent mesurer les véritables effets de l’enseignement. Les
croyances fondamentales du progressisme sont
inaccessibles aux données qui leur sont défavorables car son parent
philosophique, le romantisme, est une sorte de théologie séculière qui, comme
toute religion, est fondamentalement résistante aux faits. Un vrai croyant dédaigne
les simples preuves.
Un abîme qui sépare
Il
y a beaucoup de disputes dans le domaine de l’enseignement mais aucune n’est
aussi vive que la guerre des maths et de la lecture – batailles pour savoir ce
qui est la meilleure façon d’enseigner à lire et à résoudre des problèmes
mathématiques. Ce ne sont pas seulement des disputes sur des techniques
pédagogiques ; ce sont les expressions de deux appréhensions distinctes et
opposées de la nature des enfants et de comment ils apprennent. Les deux côtés
sont mieux définis comme les expressions d’orientations romantiques contre des
orientations classiques de l’éducation. Par exemple, la « méthode globale »,
approche progressiste pour enseigner aux enfants à lire, est romantique dans son
impulsion. Elle compare le processus
naturel d’apprentissage d’une langue orale maternelle avec le processus très
peu naturel d’apprentissage de l’écriture alphabétique. La charge émotionnelle
des idées progressistes est dans le caractère naturel. Le naturel est
nourrissant sur le plan spirituel ; l’artificiel est étouffant. Dans les années
1920, William Kilpatrick et d’autres progressistes romantiques plaidaient déjà
pour la « méthode globale » pour beaucoup de raisons qui sont les
mêmes utilisées de nos jours.
L’approche
classique, par contraste, refuse de présumer que la méthode naturelle est
toujours la meilleure. Enseignant la lecture, le classique est prêt à accepter
que les linguistes révèlent que l’alphabet est un système artificiel d’encodage
des sons de la langue. Apprenez les quarante sons singuliers de l’anglais et
leur correspondance en combinaison de lettres et vous pouvez prononcer presque
n’importe quel mot. Alors que les adeptes de la « méthode globale »
considèrent le B.A. BA comme une approche non naturelle qui en séparant les
sons et les lettres du sens et du concept échouent à donner aux enfants une
vraie compréhension de la lecture.
Le progressiste croit qu’il est
meilleur d’étudier les maths et la science à travers des méthodes naturelles du
« monde réel », en mettant la main à la pâte qu’avec des modes
décourageants d’apprentissage verbal et conceptuel ou bien par l’usage répété d’algorithmes
en maths, même si les « vieilles » méthodes réussissent. Le classique
est prêt à accepter le verdict des scientifiques selon lesquels les symboles
artificiels et les algorithmes en mathématiques sont vraiment à l’origine de
leur puissance. Les maths sont un instrument puissant précisément parce qu’elles
ne sont pas naturelles. Elles permettent à l’esprit de manipuler des symboles
de façon à transcender les capacités naturelles de calcul de l’esprit. Les
intuitions naturelles du monde réel sont utiles en maths mais il devrait ne pas
y avoir d’opposition superficielle entre des termes comme « compréhension »,
« mains à la pâte » et « applications du monde réel » et
des termes comme « apprendre par cœur » et « les exercices c’est
tuant ». Qu’est-ce qui est tuant dans le fait de mémoriser la table de
multiplication ? Le progressiste dit que la joie des enfants,
leur intérêt intrinsèque et leur compréhension en profondeur sont dans le fait
de découvrir.
Le poète romantique William Wordsworth
a dit : « Nous commettons un meurtre pour disséquer ». Le progressiste dit
que les phonèmes et la place dans le mot ne doivent pas être disséqués, isolés
de leur usage naturel ni imposés avant que l’enfant ne soit prêt naturellement.
Au lieu d’un enseignement explicite, analytique, le romantique veut un
enseignement implicite, naturel à travers des projets et de la découverte. Ceci
explique la préférence romantique pour « l’apprentissage intégré » et
« ce qui convient au développement ». L’enseignement qui place la
matière à étudier dans son environnement naturel et la présente d’une façon
naturelle est supérieur à l’analyse artificielle et à l’abstraction du langage.
L’apprentissage la main à la pâte est supérieur à l’apprentissage verbal. Des
applications de mathématiques dans le monde réel procurent une compréhension
plus vraie que la maîtrise vide de relations formelles.
On remarque rarement le caractère
religieux du progressisme car ce n’est pas un système de croyance ouvertement
religieux. Le romantisme est une expression sécularisée d’une foi religieuse.
Dans un essai justement célèbre, T. E. Hulme définit le romantisme comme une « religion
renversée, étalée » [comme de la mélasse sur une table]. Le romantisme,
disait-il, fait dévier les émotions religieuses d’un Dieu transcendant vers la
divinité naturelle de ce monde. Les sentiments transcendants sont transférés
vers l’expérience quotidienne – pareils à de la mélasse renversée sur la table
comme Hulme l’exprimait. M. H. Abrams offrait une définition plus sympathique
de cette tendance à fusionner le séculier et le religieux en donnant comme
titre à son excellent livre sur le Romantisme Supernaturalism Natural*
en 1971 (Un Surnaturel
naturel). Le naturel est surnaturel. En termes de logique c’est une
contradiction mais cela capte bien la foi des romantiques selon laquelle un
souffle divin anime les êtres humains et le monde naturel.
En
termes émotionnels, le romantisme est une affirmation de ce monde – un refus de
désapprouver cette vie en faveur du miel de l’autre monde. En termes
théologiques ce sentiment s’appelle « panthéisme » – foi selon laquelle
Dieu habite toute réalité. Les religions transcendantes comme le christianisme,
l’islam et l’hindouisme voit ce monde comme imparfait et considèrent la
divinisation romantique de la nature comme une hérésie. Mais pour le
romantique, les mots « nature » et « naturels » prennent la
place du mot « Dieu » et donnent à la nature la place prééminente qui
s’attache à la divinité. Comme dit Wordsworth :
Une
seule impulsion venue d’un bois printanier
Peut
t’en apprendre plus long sur l’homme.
Sur
le mal et sur le bien moral,
Que
ne le pourraient tous les sages.
The Tables Turned (1798).
Le
romantique conçoit l’éducation comme un processus de croissance naturelle. Les
métaphores botaniques sont si envahissantes dans la littérature américaine sur
l’éducation que nous les prenons pour argent comptant. L’enseignant, comme un
jardinier, devrait être un guide attentif sur le côté et non un sage sur l’estrade.
(Le mot Kindergarten – jardin d’enfants – fut inventé par les romantiques.) Ce
sont les romantiques qui commencèrent à mal traduire le mot latin educare, la racine latine du mot
éducation, par « conduire hors de » ou « épanouir » en le
confondant avec educere qui signifie
vraiment « faire sortir », « conduire hors de ». C’était
une erreur commode qui s’adaptait très bien avec le thème du développement
naturel, étant donné que le mot développement lui-même signifie « se déployer ».
Mais educare veut dire en réalité « élever
(des enfants) » et « instruire ». Cela implique un entraînement
délibéré selon des normes sociales et culturelles par contraste avec des mots
comme « croissance » et « développement », qui impliquent
que l’éducation est l’épanouissement de la nature humaine, analogue à une
graine qui pousse pour devenir une plante.
Le
même sentiment religieux qui anime l’amour du romantique pour la nature
sous-tend leur célébration de la nature et de la diversité. Selon les
romantiques l’âme individuelle participe de la nature de Dieu. L’éloge de la
diversité comme étant supérieure à l’uniformité trouve son origine dans le sens
panthéiste de la plénitude de la Création divine. « Le plan sacré de la
nature » comme disait Wordsworth, se déploie avec la plus grande variété
possible. Imposer des normes universelles à l’individualité des enfants est contraire
à leur accomplissement et c’est pervertir les desseins de la Providence. L’éducation
doit être centrée sur l’enfant ; la motivation à apprendre devrait être
stimulée par l’intérêt naturel de l’enfant pour une matière et non par des
récompenses et des punitions artificielles.
Que
ces croyances éducatives ne puissent résister à l’examen empirique est hors de
propos. Leur validation vient de ce que l’on sait à l’avance, avec certitude,
que le naturel est supérieur à l’artificiel.
Une nature plus compliquée
Platon
et Aristote basaient leurs idées de l’éducation, de l’éthique et de la
politique sur le concept de nature comme les romantiques. Un classique sait que
tout essai de contrarier la nature humaine est voué à échouer. Mais le
classique ne prétend pas qu’un dessein providentiel garantit que s’appuyer sur
les pulsions naturelles individuelles produise toujours des résultats positifs.
Au contraire Aristote prétendait que la nature humaine est un champ de bataille
de pulsions et d’appétits contradictoires. L’égoïsme est en conflit avec l’altruisme
; la satisfaction d’un appétit est en conflit avec la satisfaction d’autres.
Suivre la nature, oui, mais quelle nature et jusqu’à quel degré ?
La
célèbre solution d’Aristote à ce problème était de parfaire l’accomplissement
humain en équilibrant les satisfactions de tous les appétits – depuis la
nourriture et le sexe jusqu’à la contemplation désintéressée de la vérité –
tout en gardant à l’esprit le besoin de la société pour la civilité et la
sécurité. Se tirer au mieux de pulsions conflictuelles requiert le principe de
modération, du juste milieu, pas seulement car la modération est bonne en
elle-même, mais car, dans une vision laïque de la nature conflictuelle de l’homme,
c’était la route la plus raisonnable vers la paix sociale et le bonheur
individuel. Le poète romantique William Blake rétorquait que « le chemin
de l’excès conduit vers le palais de la sagesse ». Sauf que cela ne serait
vrai seulement que si une nature providentielle garantissait un résultat
heureux. Une telle foi absente des desseins cachés d’une nature providentielle,
le mode de vie humain le plus en accord avec la nature doit être selon Aristote
une via media artificiellement construite.
Dans cette logique classique le naturel optimal doit être consciemment
artificiel.
L’intérêt
renouvelé dans la psychologie de l’évolution a donné au débat
classique-romantique un nouvel élan. Les philosophes moraux darwiniens comme
George Williams rejettent la notion que l’évolution serait un guide direct vers
l’éthique ou l’éducation. Au contraire la psychologie de l’évolution
réintroduit à sa façon l’idée classique qu’il y a des conflits inhérents à la
nature humaine – à la fois égoïsme et altruisme, à la fois un désir de posséder
l’épouse du voisin et un désir de bien s’entendre avec son voisin. La maîtrise
de ces pulsions contradictoires requiert une construction anti naturelle comme
les Dix commandements. De même, du point de vue de l’évolution, la plupart de
ce qu’il faut apprendre à l’école moderne n’est pas naturel du tout. La vie industrielle
et post-industrielle, phénomènes très récents en termes d’évolution,
nécessitent des sortes d’apprentissages qui sont construits artificiellement et
parfois péniblement contre le naturel de l’esprit – point qui a été mis en
valeur très efficacement et en détail par David Geary, un chercheur en
psychologie spécialisé dans l’apprentissage des mathématiques par les enfants à
l’université du Missouri. Geary fait une distinction utile entre apprentissages
primaires et secondaires, la plupart des apprentissages scolaires, comme le
système de base dix et le principe de l’alphabet, étant du second type, « non
naturel ».
L’idée
même que des compétences aussi difficiles et artificielles que la lecture, l’écriture
et l’arithmétique puissent être rendues naturelles pour chacun est une illusion
qui a fleuri dans les prospères et pacifiques États-Unis. Le bon vieux Max
Rafferty, surintendant de l’éducation en Californie au franc parler, dénonça
autrefois l’école progressiste de Summerhill :
«
Rousseau a pondu une théorie frénétique de l’éducation qui après deux siècles
de travail a produit… Summerhill… L’enfant est le noble sauvage qui n’a besoin
que d’être laissé seul pour assurer son salut intellectuel… Balivernes. L’enseignement
n’est pas un processus naturel du tout. Il est fortement artificiel. Tout
garçon ayant tout son esprit n’a jamais désiré étudier la table de
multiplication et les dates historiques quand il pouvait sortir pour chasser
les lapins ou grimper aux arbres. À l’époque où chasser et grimper aux arbres
contribuait à la survie d’homo sapiens, il y avait quelque sens à laisser les
gosses faire ce qui vient naturellement, mais quand l’avenir de l’homme
commença à reposer sur la maîtrise systématique de disciplines méthodiques, l’apprentissage
du type primordial, insouciant et de laisser faire devait disparaître. »
Le
débat romantique contre classique s’étend au-delà des guerres de la lecture et
des maths vers le domaine de l’éducation morale. La tradition romantique
soutient que la moralité (comme tout le reste) vient naturellement. L’enfant en
étant immergé dans des situations du monde réel et étant exposé à de bons
modèles, en vient à comprendre le besoin de partager, la gentillesse, la
loyauté, le courage et les autres vertus. Le récit de Wordworth de sa propre
éducation qu’il appela Essor de l’esprit
d’un poète contenait une partie intitulée L’amour de la nature conduisant à l’amour de l’humanité.
Le
romantique désire encourager la bonté fondamentale de l’âme naturelle, non
gâtée par l’habitude, la coutume et la convention. Le principal moyen d’un tel
encouragement est de développer la créativité et l’imagination de l’enfant –
deux mots qui sont devenus monnaie courante dans le mouvement romantique. Avant
les romantiques, employer le mot « créativité » pour des productions
humaines était considéré comme impie. Mais ceci s’est terminé quand l’âme
humaine fut conçue comme fondamentalement pieuse. L’éducation morale et le
développement de la créativité et de l’imagination marchèrent main dans la
main. Au xixe et au
début du xxe siècles,
les manuels comme les McGuffey Readers mettaient fortement l’accent sur l’instruction
morale et le savoir factuel. Toutefois, avec l’essor des idées progressistes,
la discipline de la langue dans les petites classes commença à se focaliser sur
les contes de fées et la poésie. La transmission d’une instruction morale
explicite laissa place au développement de la créativité et de l’imagination. Samuel
Taylor Coleridge, le poète et essayiste romantique dit que l’imagination mène l’âme
entière de l’homme dans l’activité. Quand nous exerçons nos imaginations, nous
nous relions avec notre nature divine, nous développons nos sensibilités
morales.
Romantisme ou Justice ?
On
ne peut espérer argumenter contre une foi religieuse qui est inaccessible à la
réfutation. Mais il y a un espoir de changement quand cette foi religieuse est
séculière et appartient au monde lui-même. Quand les premiers romantiques
vécurent assez longtemps pour faire l’expérience des découragements de la vie,
ils abandonnèrent le romantisme. Cela arriva à Blake, à Wordsworth et à
Coleridge. Une des œuvres les plus émouvantes de Wordsworth fut son dernier
poème Stances élégiaques, qui faisait
ses adieux à sa foi dans la nature. De semblables adieux à l’illusion furent
rédigés par les autres romantiques. Il y a une instabilité potentielle au
surnaturel naturel. La religion romantique est vulnérable car c’est une
religion de ce monde. Si les espoirs de quelqu’un se trouvent dans l’ici et
maintenant, reposent sur la foi que la lecture, l’arithmétique et la moralité
se développeront naturellement directement de la nature humaine, alors cette
foi pourra graduellement décliner quand ce monde distille goutte à goutte ses déceptions.
Jusqu’à
maintenant le progressisme a démontré être plutôt invulnérable malgré ses
échecs. Mais ses murs commencent à vaciller et ce n’est pas trop tôt. Ce n’est
que quand un doute largement répandu sera jeté sur le romantisme endémique de l’enseignement
public que nous commencerons à voir des améliorations importantes dans la
réussite des élèves. Tout le monde considère que l’école doit partir de ce qui
est naturel. Mais l’école ne peut effectivement pas y rester embourbée. Avec
autant de certitude qu’on puisse connaître ces choses, nous savons que l’enseignement
analytique et explicite marche mieux que l’enseignement inductif et implicite
pour la plupart des apprentissages scolaires. être
analytique et explicite dans l’enseignement c’est aussi être artificiel. Ainsi,
on peut être sceptique sur le fait que les enfants construiront naturellement
eux-mêmes soit le savoir soit la justesse.
Le
romantique croit que la nature a un plan sacré. Le classique, le moderniste et
le pragmatique pas du tout. Et le scientifique non plus. Finalement, les
questions les plus urgentes dans les batailles de l’éducation ne sont pas seulement
des questions empiriques mais aussi des questions éthiques quant aux
conséquences malheureuses de la foi progressiste, surtout dans la perpétuation
des écarts dans les résultats des tests entre groupes raciaux et économiques.
Allons-nous valoriser l’esthétique de la diversité et la théologie de la
religion renversée aux dépens de la justice sociale ? C’est la question
non formulée qui doit être posée avec toujours plus d’insistance. Les justices
économique et politique sont des buts impératifs. On ne peut les atteindre en
laissant faire la nature.
*M.H. Abrams écrivit Natural Supernaturalism.
Tradition and Innovation in Romantic Literature,
1971, pour montrer comment les romantiques anglais aiment trouver dans les
processus moraux immanents des échos de concepts chrétiens (pardon,
réconciliation, rédemption) et créent des personnages de type christique.
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