Directions
pédagogiques
La plupart des élèves
sont capables de lire le livre entier à la fin d’une seule année scolaire.
Mais, pour les moins habiles, deux années d’études sont nécessaires. Au cours
de la première année on lit les syllabes, les mots, les phrases, et les
meilleurs sujets abordent la lecture courante. Au cours de la seconde année, on
relit syllabes, mots, phrases, et, si la méthode a été bien suivie, tous les
retardataires doivent lire le livre en entier. A ce moment d’ailleurs, le cours
de langage de l’année précédente permet à ces retardataires de comprendre
parfaitement tout ce qu’ils lisent.
Les résultats que nous
avons obtenus par cette méthode sont des plus encourageants dans une classe
comptant 80 élèves, âgés de 5 à 7 ans, tous nouvellement recrutés, c’est-à-dire
ne connaissant ni une lettre ni un seul mot français, un jeune maître, qui a
suivi scrupuleusement les indications données dans le présent ouvrage, est
parvenu à faire lire presque couramment au bout de 6 mois 75 enfants. La
proportion est magnifique. Ces mêmes enfants pouvaient, à la fin de ces six
mois, écrire sous la dictée des phrases entières comme « fabilé a du bon savon
; fabilé lave son pantalon » et tenir une petite conversation en français sur
les sujets étudiés en langage[1].
Soyons donc optimistes.
Disons-nous bien qu’un élève qui lit sans peine lit avec plaisir, et que, dès
lors, il apprend rapidement le français.
Mais n’oublions pas qu’un livre n’est qu’un
outil, et que l’excellence du travail accompli dépend moins de la valeur de l’outil,
que de l’habileté de l’ouvrier.
1° Ne donnez aucune
explication, ne montrez quoi que ce soit au tableau noir tant que vous n’avez
pas obtenu dans votre classe un silence complet, et tant que les élèves n’ont
pas les yeux fixés sur vous ou sur le tableau. Le maître qui fait une leçon à
des élèves inattentifs, dissipés ou bruyants, se fatigue et perd son temps.
2° Donc, ayez une bonne discipline. Mais
discipline n’est pas synonyme de brutalité. Il ne s’agit pas de terroriser les
élèves, bien au contraire : il faut les rassurer, les apprivoiser. Proscrivez
le bâton et l’injure.
Un excellent moyen de
discipline réside dans l’exécution des mouvements d’ensemble énumérés à la
première leçon de langage (voir le livre de langage[2])
: avant de commencer la leçon, puis chaque fois que l’attention s’énerve et que
le bruit apparaît, faites lever puis asseoir les élèves ; exigez qu’ils
croisent les bras et vous regardent ; demandez-leur de dire, en même temps, ce qu’ils font. Le
fait d’avoir exécuté et traduit en commun ces diverses actions suffit presque
toujours pour ramener le calme et pour créer une « atmosphère » favorable au
travail.
3° Les enfants, surtout quand ils sont très
jeunes, sont physiquement et psychologiquement incapables d’être attentifs
pendant longtemps.
Faites des leçons très
courtes. Au cours d’une leçon, variez les exercices (exercices oraux, exercices
écrits, mouvements, déplacements des élèves, etc.). Quand les enfants paraissent
fatigués, n’insistez pas, surtout pendant la saison chaude. Conduisez-les dans
la cour, à l’ombre. Avec deux ou trois mouvements de gymnastiques, deux ou
trois couplets de chant, vous chasserez la fatigue et l’ennui, vous ramènerez l’attention.
4° L’enfant aime le
concret. Montrez-lui, chaque fois que possible, l’objet dont vous parlez ;
exécutez et faites exécuter l’action qu’il s’agit d’exprimer. Quand l’objet
dont il est question ne peut être présenté, faites-en le dessin au tableau. Un
schéma suffit : l’imagination des enfants supplée aisément à l’inhabileté du
dessinateur.[3]
5° L’enfant est très sensible à l’émulation.
Blâmez peu ; ne ménagez pas les félicitations ni surtout les encouragements.
Employez souvent pour les
interrogations rapides (dictées, calcul) le procédé
dit « La Martinière » (du nom de l’école La Martinière à Lyon, qui a
inauguré cette méthode). Vous savez en quoi cela consiste : on pose une question
à toute la classe ; à un signal donné, les enfants écrivent la réponse sur
leurs ardoises ; à un autre signal, ils lèvent les ardoises, et le maître
vérifie les résultats.
Le procédé
La Martinière présente de gros avantages : il plaît à l’enfant ; il fait travailler
toute la classe ; il permet au maître de se rendre compte très rapidement des
résultats obtenus. Mais il n’est praticable que dans une classe bien disciplinée
: les élèves doivent être parfaitement entraînés à obéir exactement au signal
du maître. Cependant, là encore discipline n’est pas caporalisme : le maître
devra, au moment de la proclamation des résultats, laisser les élèves
victorieux se réjouir pendant un instant, même si leur joie est quelque peu
bruyante.
6° Le rire ne doit pas
être banni de nos écoles, bien au contraire. La classe où les élèves sont figés
dans une attitude passive et morose est une mauvaise classe. Nous voulons une
école vivante et active où les enfants viennent volontiers parce qu’ils y
travaillent avec joie et avec profit.
Mais une telle école exige du maître une
qualité qui résume toutes les autres et sans laquelle il n’y a que des
Instituteurs médiocres :
Le bon maître est celui qui aime ses élèves et son
métier.
II. — MÉTHODE PROPOSÉE
POUR L’ÉTUDE DES VOYELLES
Exemple : Première leçon : i
1° Le maître montre un canari, un épi, un
fusil, etc. Il prononce ces mots en insistant sur le son i et les fait répéter.
2° Il dessine au tableau un canari, un épi,
un fusil, etc. Il écrit sous chaque dessin, en caractères d’imprimerie et en
lettres manuscrites, les mots correspondants, en ayant soin de faire apparaître
nettement la lettre i (emploi de craie de couleur).
3° Il dessine en gros
caractères la lettre i et la fait lire.
4° Il fait trouver par les élèves des mots
renfermant le son i (notamment des noms et prénoms d’enfants). Il écrit ces
mots au tableau et y fait rechercher les i.
5° Il découpe dans du
papier fort, ou mieux dans du carton la lettre i (caractère d’imprimerie et
lettre manuscrite), la montre aux élèves, la fait observer, en fait suivre les
contours à l’aide du doigt. Une lettre ainsi découpée devra être remise à
chaque élève ; elle servira de gabarit pour tracer une autre lettre qui pourra être
découpée par le procédé du piquage.
L’étude des voyelles —
que nous n’avons pas précipitée pour permettre aux nouveaux élèves d’arriver en
classe avant que l’enseignement ne soit très avancé (la rentrée s’effectue
souvent d’une façon irrégulière) — doit accorder une large place au dessin et
au travail manuel.
III.
— MÉTHODE PROPOSÉE POUR L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCRITURE
1° En présence des
élèves, tracer une dizaine de fois au tableau noir la lettre étudiée, en ayant
soin de bien faire comprendre quelles sont ses diverses parties. (Il n’est pas nécessaire
pour cela de discourir : il suffit de marquer un temps d’arrêt après chacun des
éléments de la lettre. Exemple : pour la lettre i,
le premier élément sera :
le 2e :
le 3e :
le 4e :
le premier élément sera :
le 2e :
le 3e :
le 4e :
2° Se tourner vers les élèves. Figurer dans l’espace, à l’aide du doigt, la lettre étudiée. Faire répéter le mouvement par les élèves. Si l’on est placé face aux enfants, il faut soi-même figurer la lettre à l’envers pour que les enfants la voient à l’endroit.
3° A l’aide du doigt,
les enfants figurent la lettre sur la paume de la main, sur la table, etc.
Veiller à ce qu’ils aient bien compris le mouvement à exécuter. (Il s’agit, en
effet, d’obtenir des débutants non un tracé élégant mais un tracé correct.)
4° Distribuer les
ardoises sur lesquelles on a, à l’avance, tracé des modèles, les uns achevés, les autres simplement
esquissés. Les élèves retracent ces derniers en suivant les lignes déjà formées. Veiller à la tenue du crayon. Guider la
main des débutants. Se faire aider par un ou deux moniteurs (élèves de la 1re
division).
5° Exercices d’application : grouper les
lettres par 2, par 3; écrire des syllabes, les mots lus, les phrases lues.
6° Exercice de révision. Dicter à l’aide du procédé
La Martinière les lettres, les syllabes, les mots, les phrases étudiés.
[1] André Davesne, Le français élémentaire. Nouveau cours de langage pour les classes de débutants des écoles africaines. Livre du maître. Paris, Librairie Istra (1956).
[2] André Davesne, Le français
élémentaire. Nouveau cours de langage pour les classes de débutants des
écoles africaines. Livre du maître. Paris,
Librairie Istra (1956).
[3] Voir par exemple Enseignement de choses, par Michel Bréal.
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Voir aussi :
MÉTHODE PROPOSÉE POUR
L’ÉTUDE DES CONSONNES
Exemple : 1re leçon lettre t
1° Le maître montre sa
tête. Il prononce le mot tête, en insistant sur le son t qui termine ce mot. Les élèves répètent un grand nombre de fois
jusqu’à ce qu’ils connaissent bien le mot tête. Le maître dessine une tête au
tableau noir (dessin schématique). Il écrit au-dessous en caractères d’imprimerie
et en lettres manuscrites le mot tête en
procédant comme il est indiqué sur le livre (lettre t mise en valeur par l’emploi de craie de couleur).
2° Il reproduit (sous
une forme schématique) les dessins du livre, essaie de faire trouver ou, à
défaut, indique les noms des objets représentés, écrit ces noms sous les objets
en mettant en valeur la syllabe qui renferme le son t. Exemple : table, auto, etc.
3° Le maître écrit au
tableau, en deux colonnes verticales la série des voyelles : 1re
colonne caractères d’imprimerie, 2e colonne lettres manuscrites. Il
trace sur une ardoise à la craie de couleur la consonne étudiée (caractère
d’imprimerie d’un côté de l’ardoise, lettre manuscrite de l’autre côté). Il
place l’ardoise sur le tableau, de façon que la consonne se trouve à gauche
d’une voyelle. Il lit la syllabe ainsi formée en insistant sur le son
nouvellement étudié. Il dit t t t... i,
t t t...u, t t t...o, etc.
Il peut essayer de faire trouver par les enfants eux-mêmes chaque
syllabe : il lui suffit de se reporter aux mots accompagnant les dessins.
Exemples : la syllabe ta sera
découverte dans table, la syllabe to dans auto, etc.
a) Les
élèves répètent un certain nombre de fois. b)
Un élève envoyé au tableau place à son tour l’ardoise1 (sans
respecter un ordre défini à l’avance) et ses camarades lisent. c)
Un enfant est ensuite chargé de dire à haute voix une syllabe, et son
camarade devra placer l’ardoise de manière à obtenir la syllabe dictée. d) On peut utiliser les lettres mobiles
pour constituer les syllabes étudiées.
Il y a intérêt à fixer l'ardoise à l'extrémité d'une tige de bois fendue
pour permettre aux enfants, même petits, de procéder à cet exercice. (Voir
figure ci-dessus.)
4° Quand ce premier exercice a donné des
résultats satisfaisants, le maître écrit au tableau noir, en présence des élèves, des syllabes disposées dans un ordre
quelconque. La consonne étudiée est d’abord écrite à la craie de couleur, puis,
quand les élèves sont suffisamment familiarisés avec elle, à la craie blanche.
Quand un enfant hésite, on se reporte à l’objet dessiné dont le nom renferme la
syllabe méconnue.
5° Les syllabes étant
ainsi soigneusement étudiées, le maître écrit et fait lire (pendant la leçon
suivante) des mots, autant que possible connus des élèves. Chaque fois qu’on
pourra le faire, il faudra montrer les objets que ces mots désignent, faire
exécuter les actions que les phrases expriment. La leçon de lecture ne doit pas
être un exercice machinal et insipide, elle doit faire appel à l’intelligence,
à l’initiative des enfants, et elle doit être vivante.
Remarque. — Comme le vocabulaire français de l’élève débutant est
pratiquement nul, il n’est pas mauvais, dans les premières leçons, d’écrire et
de faire lire des mots empruntés au dialecte local. (Ex. : tata = concession ;
daba = houe ; dolo = bière de mil, etc.).
6° L’exercice de lecture sera suivi, bien
entendu, d’un exercice d’écriture, et
aussi d’un exercice de dictée. Par le
procédé La Martinière, on dicte les syllabes, les mots, les phrases lus. Tous
les maîtres qui ont adopté cet exercice sont unanimes à déclarer que l’enfant y
prend goût et que son apprentissage de la lecture s’en trouve considérablement
facilité.
Quelques ingénieuses méthodes rendent cette
dictée très attrayante. La plus connue est celle du « loto littéraire ». Voici
en quoi elle consiste. Sur un carton sont dessinés quatre ou six objets. Dans
une pochette collée au dos du carton se trouvent, sur des morceaux de papier
fort, les noms des quatre ou six objets représentés. Un carton étant remis à
chaque élève, le premier exercice consiste à placer sous chaque objet « l’étiquette
» correspondante, puis à reproduire sur l’ardoise les dessins et les mots ; un
deuxième exercice aura pour but de faire écrire directement les mots sans le
secours des étiquettes.
Le procédé est particulièrement utile dans
les classes à plusieurs cours : les élèves peuvent faire seuls cet exercice
pendant que leur maître est occupé dans les autres cours.
7° Les phrases qui
accompagnent chaque leçon de lecture ont été rédigées de manière à être à la
fois une application de la leçon du jour, et une révision des lettres étudiées
précédemment. Malgré cela, nous recommandons très vivement de procéder à de fréquentes révisions. En
relisant la page vue une semaine ou un mois auparavant, l’enfant, dont les
leçons de langage enrichissent le vocabulaire français, comprendra parfaitement
un certain nombre de mots dont le sens lui avait échappé au cours de la
première lecture. Il se rendra compte des progrès qu’il a réalisés. Ce sera
pour lui un encouragement précieux.
Nota. — Il est bon de conserver constamment sous les yeux des
élèves (exemple : sur des cartons ou des ardoises accrochées au mur) la série
des mots clés avec les dessins qui les accompagnent : pour t le mot tête, pour
p le mot pipe, pour n le mot âne, etc. Si dans la lecture d’une page, l’élève
ne sait plus déchiffrer une lettre antérieurement étudiée, il peut retrouver,
en consultant les mots clés, la signification de cette lettre.
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