On a dit avec justesse qu’une langue est un recueil de
métaphores pâlies. L’une des plus belles tâches de l’école est de faire revivre
un certain nombre de ces métaphores. Je suppose que lisant avec mes élèves la
scène d’Auguste et de Cinna, j’arrive à ces vers :
Toutes
les dignités que tu m’as demandées,
Je
te les ai sans peine et sur l’heure accordées.
Que veut dire accorder ? – Toute la classe répondra
par le synonyme donner. – Mais n’y a-t-il pas de différence entre les deux mots
? Quand vous donnez une chose à contre-cœur, pouvez-vous dire que vous l’accordez
? Qu’appelle-t-on des jeunes gens qui sont accordés ? d’où vient qu’on dit, d’un
enfant qui a un mauvais caractère : il ne s’accorde pas avec ses camarades
? et pourquoi dit-on encore : accorder deux ennemis ? La parenté d’accorder
et de cœur étant devenue visible pour tous les élèves, vous pourrez faire
comprendre la force de l’expression de Corneille. Et accorder un violon ? il n’est
là nullement question de cordes. Comme il s’agit de mettre le violon en rapport
régulier avec les autres instruments, la langue, par une conception hardie, en
fait un être animé, qui a besoin de vivre en bonne intelligence avec ses
compagnons. L’enfant saisira sans peine la métaphore, qui ne s’effacera plus de
son esprit, et quand il lira dans son rudiment que l’adjectif s’accorde en
genre et en nombre avec son substantif, cette phrase elle-même, qu’il connaissait
depuis longtemps, prendra à ses yeux un aspect moins maussade.
Cette sorte d’enseignement se présentera, pour peu qu’on
y prenne garde, à tout instant. Quand vous parlerez à vos élèves de leur
avenir, le mot de carrière ne pourra guère manquer d’être prononcé. Expliquez
alors que c’est à la course fournie par le cheval qu’on assimile la route
suivie dans la vie par un homme. On dira donc entrer, dans la carrière, la
parcourir, l’achever. Mais comment vous y prendriez-vous pour l’embrasser ? Un
ami pourra vous l’ouvrir, un ennemi vous la fermer : mais personne n’est
en état de la briser. On a dit que toute métaphore devait pouvoir se peindre.
Il est encore plus simple de la mimer. Voulez-vous faire comprendre aux enfants
cette locution si fréquemment employée : les affaires marchent ?
Mettez-vous à marcher. Les affaires s’arrêtent? Arrêtez-vous. Et de même elles
vont bien, elles vont mal, elles languissent, elles sont paralysées, elles
reprennent, elles roulent. L’enfant sera étonné de la vivacité du langage, et
il prendra plaisir à chercher des locutions analogues.
Montrez-lui comment la langue anime tout : les
bras d’un fauteuil, les jambes d’un compas, la tête d’un clou, le col d’une
bouteille. Ces futurs ouvriers trouveront un jour des expressions analogues.
Faites voir aussi le sentiment intime qui se cache en certains mots que nous
prononçons sans y penser : deux amis se sont désunis. N’est-ce pas montrer que l’amitié n’en faisait qu’un seul être
? Nos espérances se sont évanouies.
Le langage en un instant nous laisse apercevoir un mirage qui s’est dissipé.
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