12 juillet 2012

Le calcul mental et le calcul écrit, par A. Lenient (bouliers et calcul mental 5/6)



De l’enseignement élémentaire de l’arithmétique
dans les écoles primaires

Des bouliers-compteurs ou numérateurs
et du calcul mental 5/6

par A. Lenient

Journal des instituteurs, 4 mars 1877

La publication s'étale sur 6 n° :
1) 4 fév 1877 ; 2) 11 fév 1877 ; 3) 18 fév 1877 ; 4) 25 fév 1877 ; 5) 4 mars 1877 ; 6) 11 mars 1877

L'original est à : http://www.inrp.fr/numerisations/ 


L'article BOULIER du Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire Buisson 1887 reprend massivement les analyses développées dans cet article par Lenient :


Pour un recueil d'articles du Dictionnaire Buisson de 1887, consulter la page
LIRE ÉCRIRE COMPTER ; LA PÉDAGOGIE OUBLIÉE (site de michel Delord)
ou

LIRE ÉCRIRE COMPTER ; LA PÉDAGOGIE OUBLIÉE (site du SLECC)
Les bouliers et les numérateurs, comme tous les objets matériels sensibles dont  nous avons conseillé l’usage, doivent avoir pour résultat de donner à l’enfant une connaissance exacte, claire et précise des nombres, de leur mode de composition et de décomposition, de leurs rapports mutuels.
Sans les exercices sur lesquels nous avons insisté dans nos précédents articles, l’enfant, en effet, ne connaîtrait pas réellement les nombres : il n’en saurait que les noms, lesquels, pour lui, resteraient bien longtemps des mots vides de sens.
Le boulier, les bûchettes et les billes sont donc éminemment propres à conduire au calcul mental. Préparé par ces exercices préliminaires, l’enfant, lorsqu’il opérera de tête, se représentera facilement les nombres comme des collections de boules, de billes ou de jetons ; il verra ces nombres eux-mêmes, et non plus seulement les chiffres de convention par lesquels nous les indiquons. Grâce à cette faculté d’intuition, il trouvera, il découvrira souvent lui-même des moyens rapides et sûrs d’opérer les compositions ou les décompositions qu’on lui proposera.

 Le calcul mental a été, pendant trop longtemps, négligé dans nos écoles.
À chaque instant, pour la plus simple question, pour le problème le plus facile, nos élèves sont obligés, comme nous le disions dernièrement, de recourir à la plume ; et encore effectuent-ils les opérations lentement, avec difficulté, et commettent-ils souvent de grosses erreurs.
Non seulement, le calcul mental leur permettrait de résoudre de tête une foule de questions qui se présentent journellement dans la vie, et les mettrait à même de trouver la solution de beaucoup de petits problèmes qui demandent à être résolus immédiatement, lorsqu’ils se présentent, dans une conversation, sur un marché, dans la boutique d’un commerçant ou sur le chantier d’un constructeur ; mais l’habitude du calcul mental leur ferait encore acquérir une habileté remarquable dans les opérations du calcul écrit.
Et ces avantages ne sont pas les seuls que procure la pratique du calcul mental.
L’attention, l’observation et le jugement de l’enfant, dans le calcul de tête, sont continuellement en éveil. Obligé de chercher par lui-même, de réfléchir, de raisonner, son intelligence tout entière, est exercée ; son esprit acquiert de la vivacité, de la spontanéité, de la souplesse et de la force. « Le calcul mental, dit M. Hoffet, oblige l’enfant à une tension d’esprit et à une durée d’attention telles qu’il n’y a pas de gymnastique de l’intelligence plus précieuse, plus efficace, ni de meilleur moyen de donner de la logique à l’activité de l’esprit. »
Mais il importe d’établir ici une distinction essentielle. On donne parfois le nom de calcul mental à des opérations qui sont simplement des exercices de calcul écrit exécutés de mémoire, des opérations purement machinales, ne pouvant avoir aucun effet utile sur les facultés de l’intelligence.
Si, par exemple, pour effectuer l’addition des nombres 58 et 36, je suppose ces deux nombres écrits l’un au-dessous de l’autre, et que je dise : « 8 + 6 = 14, je pose 4 et retiens 1 ; 5 + 3 = 8, et 1 de retenue font 9 ; total 94. » - je ne fais pas là un exercice de calcul mental proprement dit : j’opère sur les chiffres, et non sur les nombres eux-mêmes.
Le calcul mental procède autrement : il décompose les nombres proposés. Je dirai, pax exemple : 58 = 5 dizaines et 8 unités; et 36 = 3 dizaines
6 unités; 5 dizaines + 3 dizaines = 8 dizaines; 8 unités + 6 unités = 14 unités; 8 dizaines + 14 unités = 8 dizaines + 1 dizaine + 4 unités ; 9
dizaines + 4 unités = 94.
Je pourrais dire encore : 58 + 30 = 88; 88 + 6 = 94; ou encore : 50 + 40 = 90 ; 8 - 4 = 4 ; 90 + 4 = 94.
Ces diverses opérations entraînent un certain travail, exigent un certain effort de l’intelligence : la première n’était qu’un pur exercice de mémoire.
Il en est de même pour tontes les autres opérations.
Si, pour multiplier 218 par 7, je pose, dans mon imagination, le 7 sous le nombre 218 et que je dise, comme dans le calcul écrit : « 7 fois 8, 56; je pose 6 et retiens 5 ; 7 fois 1, 7, et 5 de retenus, 12 ; je pose 2 et retiens 1 ; 7 fois 2, 14, et 1 de retenu 15 ; je pose 5 et avance 1 : Produit 1526; » je fais une opération mécanique, qui n’exige qu’un effort de mémoire, le souvenir des chiffres posés au produit : ce n’est point du calcul mental, comme nous le comprenons.
Il faudrait dire, en multipliant d’abord les centaines, puis les dizaines et les unités : 7 fois 200 =1400; 7 fois 10 = 70; 1400 + 70 = 1470; 7 fois 8 = 56 ; 1470 + 56 = (147 dizaines + 5 dizaines + 6 unités = 152 dizaines + 6 unités ) = 1526.
Ce calcul machinal, purement mnémonique, qu’on appelle à tort, selon nous, calcul mental, est d’ailleurs d’un usage forcément restreint : on ne pourrait guère effectuer de cette façon des multiplications par un nombre de 2, de 3 ou de 4 chiffres. Si l’on avait même à trouver le produit de nombres de 2 chiffres seulement, celui, par exemple, de 36 par 23, il serait déjà bien difficile de conserver le souvenir des chiffres de chaque produit partiel pour trouver ensuite ceux du produit total, tandis que ce dernier produit se trouvera facilement par la décomposition des nombres en leurs diverses unités : 36 X 20 = 720; 36 X 3 = 108; 720 + 108 = 828.
En outre le calcul mental enseigne une foule de procédés rationnels, logiques, pour effectuer rapidement un certain nombre d’opérations particulières, comme les multiplications par 5, par 9, par 11, par 15, par 25, etc., etc.
Mais nous n’avons pas ici à tracer le programme d’un cours de calcul mental. Nous voulons seulement appeler l’attention des maîtres sur le caractère propre de ces exercices et sur la nécessité de les employer fréquemment dans leurs classes. Conformément aux instructions contenues dans l’Organisation pédagogique des écoles de la Seine, toute leçon d’arithmétique, dans les écoles primaires, devrait commencer ou se terminer par quelques exercices de calcul mental. Ces exercices, du reste, ne réclament que fort peu de temps; et les avantages qu’en retireraient les élèves, à tous les points de vue, sont considérables.
Fidèle, toutefois, à notre habitude de ne jamais rien exagérer, nous croyons que ces exercices doivent restés enfermés dans de certaines limites.
Vouloir faire exécuter de tête aux enfants des opérations très compliquées, prétendre leur faire résoudre mentalement toute espèce de problème, même les plus complexes, ce serait aller contre le but que nous nous proposons, qui est de simplifier l’enseignement de l’arithmétique.
Si le calcul mental devenait plus difficile et plus long que le calcul écrit, il n’aurait plus sa raison d’être.
Nous n’avons pas du tout l’intention de faire de nos élèves des calculateurs phénoménaux : les Henri Mondeux et les Grandemange, véritables machines à calculer que nous avons vues fonctionner autrefois, ne nous semblent point des types que nous dussions chercher à propager.
MM. les instituteurs, du reste, trouveront de très bons guides dans les ouvrages qui se publient actuellement. Si les traités en usage depuis longtemps dans les écoles, même ceux qui ont été adoptés par la ville de Paris[1], ne contiennent que très peu d’exercices de ce genre, voici que les auteurs se mettent à l’œuvre. Après le livre de Mlle Clarisse Juranville[2] qui, malgré quelques erreurs, est encore un des plus complets et des mieux conçus; après le consciencieux travail de M. Heinrich[3], l’honorable inspecteur de Châlons-sur-Marne, connu depuis longtemps par ses publications à l’usage des écoles primaires, les ouvrages de MM. Leyssenne[4], André[5], Bailly[6], Breunig, etc., sont de nature à rendre d’utiles services aux maîtres.
Un des meilleurs qu’il nous a été donné d’examiner dans ces derniers temps est le petit traité d’un instituteur de Paris, M. Eidenschenck[7]. Simple, exact et complet dans sa concision, c’est celui qui se rapproche le plus des directions que nous avons données. Il renferme une foule de questions variées sur la suite naturelle des nombres; chaque opération fondamentale est précédée d’exercices préparatoires de calcul mental, simples d’abord, plus difficiles ensuite; et la théorie de l’opération, très accessible à l’intelligence de l’enfant, est toujours suivie de nombreux problèmes d’application bien choisis, intéressants et sagement gradués.

                                                                                A. L.

                                                             (La fin au prochain numéro.)


[1] Tarnier (Hachette); Laboureau (Belin); Bos, etc.
[2] Méthode de calcul oral (Boyer, rue Saint-André-des Arts).
[3] Nouvelle méthode rationnelle de calcul oral (A. Fourant, rue Saint-André-des-Arts, 47.)
[4] Colin, rue de Condé, 16.
[5] André-Guédon, rue Séguier, 15.
[6] Delagrave.
[7] De l’enseignement de l’arithmétique dans les cours élémentaires. — Paris. — Eug. Belin, rue de Vau­girard, 52.

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