19 octobre 2011

Ecriture cursive : Pédagogie par André Casteilla


1) Les instruments modernes : stylographe et crayon à bille, par André Casteilla
2) Naissance d'une écriture cursive moderne, par André Casteilla
3) L'école devant le problème de l'écriture, par André Casteilla
4) Définition de l'écriture cursive, par André Casteilla
5) Etude québécoise : le double apprentissage du script puis de l'écriture cursive est contre-productif.
6) Etude québécoise : Apprendre la cursive ne nuit pas à la lecture
7) Évolution de l'écriture de l'enfant à l'adulte. Étude expérimentale par VINH BANG.




1) LES INSTRUMENTS MODERNES :
STYLOGRAPHE ET CRAYON A BILLE[1]

   L'emploi du papier, de l'encre et de la plume d'oie conditionnèrent l'écriture des temps moder­nes.

   Le calame, roseau taillé trempé dans l'encre, se prêtait admirablement au tracé de l'onciale, puis de la gothique, aux lignes épaisses s'affinant quand l'instrument changeait de sens.

   La plume d'oie taillée en carré, à la façon du calame, donna une écriture plus réduite, plus élégante et plus rapide : l'écriture bâtarde née de la gothique, légèrement inclinée à droite, et plus cursive qu'elle.

   L'habitude vint ensuite de tailler la plume en deux becs égaux, ce qui permit une écriture plus élégante encore dont les fins déliés contrastaient avec les pleins désormais symétriques : l'écriture anglaise naquit au milieu du XVIIIe siècle ; elle acquit toute sa splendeur avec l'invention de la plume d'acier. La plume sergent-major, chère aux calligraphes, favorise l'alternance des pleins et des déliés au tracé parfait.

   Au milieu du XIXe siècle, l'écriture enseignée au Couvent des Oiseaux devint à la mode. Il était de bon ton d'avoir une belle main et de filer des boucles aux courbes harmonieuses : c'était la preuve d'une bonne éducation.

   N'était-il pas tout naturel de vouloir enseigner dans les écoles du peuple ce que la bourgeoisie produisait de meilleur ? Ce fut fait et les programmes de 1923 vinrent codifier une longue habitude : l'enseignement de l'écriture anglaise devint obligatoire.

   Depuis 1923 de nombreux changements se sont produits ; notre âge est devenu celui de la vitesse ; la bicyclette s'est popularisée qui permet d'aller plus vite qu'à pied ; maintenant règne l'auto, plus rapide encore. Il faut aller vite, plus vite, toujours plus vite.

   Il y a cinquante ans, les entreprises demandaient des employés « aux écritures » pour la correspondance, la tenue des registres... De nos jours, elles emploient des dactylographes qui tapent tout le jour sur le clavier de leur machine à écrire.

   Mais l'écriture n'en est pas pour cela aban­donnée : avec l'allongement des études, la popu­lation scolaire augmente, le savoir se répand, et avec lui le besoin de communiquer avec ses semblables. Les déplacements étant rendus très faciles par le train et l'auto, il est nécessaire de donner aux siens de ses nouvelles : la lettre est le moyen le plus économique et le plus commode. Pas de démarche à faire, pas d'attente comme pour le téléphone, et le correspondant est atteint sûre­ment même dans l'endroit le plus reculé. Il faut pouvoir écrire n'importe où, au moment nécessaire, ou lorsqu'on en a envie, sans préparatifs et sans cérémonie : c'est ce que permet le stylographe.

   Plus pratique encore, le stylo à bille est venu détrôner le stylographe. D'excellente qualité, écrivant sur de très nombreux supports, il possède l'avantage incomparable d'être très bon marché. Aussi a-t-il rapidement pénétré partout. Dans les foyers on ne trouve plus l'encrier dans lequel se desséchait une encre croupissante et décolorée : le crayon à bille l'a remplacé.

   Le bon marché n'est pas la seule raison de l'immense succès remporté par le crayon ; avec lui on emporte la possibilité de tracer plusieurs milliers de mètres d'écriture ; l'encre de son réservoir met très longtemps à se dessécher ; elle ne se décolore pas ; elle ne se répand plu inopinément sur les nappes, les vêtements ou le papier. Enfin il a aussi supprimé la plume que l’on retrouvait toute rouillée si l'on n'avait pas l’occasion de s'en servir souvent. La bille est bien plus commode : elle roule sans effort et elle n’éclabousse pas en pâtés inattendus la page d'écriture ; avec elle personne n'est plus maladroit.





2) NAISSANCE D'UNE ECRITURE CURSIVE MODERNE

   L'emploi des instruments modernes ne pouvait pas ne pas modifier le tracé de l'écriture.

   Dans sa forme tout d'abord : les lettres tracées avec un stylographe ne présentent pas le même aspect que celles que l'on trace avec une plume d'acier.

   La plume d'acier est souple. Dans le mouvement inscripteur quand la plume va de bas en haut les deux becs se resserrent et l'on trace un délié ; quand la plume va de haut en bas, la main exerce sur la plume une pression, les becs s'écartent et tracent un plein. Ce plein sera moins nourri si la réserve d'encre de la plume est moins grande.

   La plume du stylographe est plus dure. Les pointes ne sont pas effilées mais renforcées par deux petites boules d'irridium ; un débit d'encre uniforme est assuré régulièrement par le réservoir. Même si l'on fait sa main légère de bas en haut et que l'on appuie sur la plume de haut en bas les déliés et les pleins n'ont pas la même allure que lorsqu'ils sont tracés avec la plume d'acier.

   Cependant, un fait nouveau se présente : on n'a pas besoin d'appuyer sur la plume en la laissant courir sur le papier, on trace des lettres aux lignes uniformes, caractéristiques de l'écriture au stylo. A l'écriture par pression, on a substitué l'écriture par traction, plus souple et plus rapide.

   Il en est de même si l'on emploie un crayon à bille : la pression à exercer est très légère, aussi légère que si l'on emploie un stylographe.

   Si nous avons tendance à appuyer quand nous nous servons d'un crayon à bille, cela provient de l'habitude : nous avons appris l'écriture anglaise, écriture par pression ; nous continuons à appuyer bien que nous n'en ayons pas besoin.

   De même la trace d'encre laissée par la bille roulant sur le papier est uniforme ; il sera vain de vouloir donner à l'écriture à bille les caractéristiques de l'écriture anglaise : il ne viendrait pas à l'esprit de tracer de l'écriture ronde avec une plume à becs égaux.

   L'emploi des instruments à réserve d’encre permet de tracer un trait ininterrompu de plusieurs milliers de mètres de longueur. Cette possibilité a contribué, elle aussi, à modifier l'aspect de l'écriture moderne.

   Faites l'expérience suivante : demandez enfant de sept à huit ans de tracer le mot « écriture » à la plume, avec porte-plume et encrier. Il lèvera la plume de six à dix fois en écrivant le mot.



   Vous-même notez ce mot rapidement au stylographe ou au crayon à bille comme vous en avez l'habitude sur votre carnet de rendez-vous : vous l'écrivez d'un trait, sans lever la plume ou le crayon. Après avoir terminé le mot vous placez l'accent, le point sur le i, la barre du t.

   Parce que l'écolier forme des caractères d'écriture anglaise, avec pleins et déliés, il est obligé, pour bien écrire, de lever la plume après chaque plein ; parce qu'il écrit avec une plume d'acier formant un tout petit réservoir d'encre, parce qu'il n'ose pas charger sa plume d'encre de peur de faire des taches, il est obligé d'aller souvent cueillir de l'encre dans l'encrier. Qu'il lève la plume une fois de plus ou une fois de moins, cela n'a pas d'importance, car de tout façon il est obligé de la lever.

   Parce que vous écrivez avec un stylographe ou un crayon à bille muni d’une réserve d’encre vous pouvez écrire un mot tout entier sans lever la plume ; parce que vous êtes un homme moderne qui voulez aller vite, vous écrivez sans lever la plume : vous vous êtes forgé une écriture cursive personnelle, composante entre celle que vous avez apprise à l'école, et celle que vous voulez obtenir pour aller plus vite.

   Mais votre écriture cursive n'est pas rationnelle, car les automatismes acquis lorsque vous étiez très jeune sont demeurés. Ainsi, vous levez la plume sans nécessité après une lettre comportant un accent si elle se trouve dans le début ou au milieu d'un mot, rarement à la fin ; cela est vrai également pour les points sur les i et les barres des t ; cela est vrai si vous avez à écrire un mot dans lequel se trouvent des lettres qui se tracent habituellement en plusieurs fois : a, d, g, q, x et pour lesquelles vous n'avez pas appris à faire une boucle de liaison[2]. Parfois vous liez ces lettres, parfois vous levez la plume. Un homme, autre que vous, ne coupera pas les mots aux mêmes endroits. Mais certains individus n'arrivent pas à obtenir cette écriture cursive personnelle : n'ayant pas souvent l'occasion d'écrire, ils gardent toute leur vie leur écriture d'enfant.




3) L'ECOLE DEVANT LE PROBLÈME DE L'ECRITURE

   Il semblerait que ce soit le rôle de l'école de permettre à chacun d'acquérir les bases indispensables qui lui seront utiles dans la vie. En ce qui concerne l'écriture, nous pouvons fixer comme buts à atteindre : la lisibilité et la rapidité.

   La prolongation de la scolarité a modifié le problème de l'écriture. Quand les études primaires se terminaient à 12 ans, seul un petit nombre d'élèves continuaient leurs études. Le problème de la rapidité et de la qualité de l'écrit se posait pour ce petit nombre. Dès la classe de 6e, l'enseignement est complètement modifié par rapport à l'école primaire. A tort ou à raison d'ailleurs, mais là n'est pas notre propos. L'élève se trouve devant l'obligation de prendre rapidement des notes, d'écrire rapidement sous la dictée du professeur, de faire rapidement ses devoirs s'il veut ne pas être un esclave du programme. Il est obligé de s'adapter à un rythme très différent de celui de l'école primaire, un rythme dont la rapidité augmente avec les années.

   Le problème qui se posait à une minorité il y a vingt ans, se pose maintenant à la multitude des jeunes qui poursuivent tous, obligatoirement, leurs études jusqu'à 16 ans et bientôt jusqu'à 18.

   L'utilisation d'un instrument à réserve d'encre stylographe ou crayon à bille n'est pas seulement pratique : il permet aussi d'écrire plus vite, répondant ainsi aux besoins psychologiques de notre temps.

   Une petite enquête de R. Piscart[3], pédagogue belge, portant sur 139 élèves des deux sexes âgés de 13 à 18 ans, montre que l'utilisation du stylo entraîne une augmentation moyenne de 17 lettres par minute (avec le stylo 140 lettres par minute ; avec la plume 123. Différence : 14 %).

   Nous pouvons donc ainsi résumer la situation actuelle :
   1° Des écoliers, de plus en plus nombreux, apprennent à écrire à l'école avec un porte-plume à plume d'acier. Quand ils seront grands, ils écriront avec un stylographe ou un crayon à bille, comme tout le monde.
   2° La prolongation de la scolarité jusqu'à 16 ans (et bientôt jusqu'à 18) maintient sur les bancs de l'école des centaines de milliers d'élèves qui ont besoin d'écrire vite car ils ont un très grand nombre de connaissances à emmagasiner, de nombreux devoirs à faire, de nombreuses notes à prendre.
   3° L'utilisation de nouveaux instruments pour l'écriture est venue modifier les conditions du tracé des lettres.

   Cette situation offre, toutes proportions gardées, une grande analogie avec le problème des routes : la France il y a cent ans avait le meilleur réseau routier d'Europe et sans doute du monde. De nos jours, il n'est plus adapté aux véhicules très rapides que sont les automobiles.

   Par ailleurs, quelle est la position officielle devant cette situation.
   1° Les instructions officielles de 1923 commandent d'enseigner l'écriture anglaise.
   2° L'enseignement de l'écriture se termine à 9 ans. Après le cours élémentaire deuxième année, il n'y a pas de leçons d'écriture inscrites au programme.
   Les instructions datent de plus de quarante ans : à cette époque, le crayon à bille n'existait pas, le stylographe était un luxe.

Zone de Texte: •   L'écriture anglaise qu'ils demandent d'enseigner n'est pas une écriture cursive : l'on est obligé de lever la plume après chaque plein. C'est l’écriture de « grand papa » : vieille de deux siècles, elle était à la mode il y a cent ans, quand on prenait tout son temps pour mouler de belles lettres. Enfin, il n'est pas possible de tracer de l'écriture anglaise avec un stylographe ou un crayon à bille.

   Les programmes de 1938 ont autorisé l’enseignement de l'écriture script.

   Vinh Bang, chargé de cours à l’Institut des sciences de l’Education de Genève, dans son livre Evolution de l’écriture de l’enfant à l’adulte, regrette que l’on n’ait pas, avant de rendre l’écriture script obligatoire dans le canton de Genève, procédé à des tests de rapidité.

   Ses conclusions –tirées d’expérience - sont formelles : l'écriture liée est plus rapide que l'écriture script, surtout dans le cycle primaire et dans les premières années du cycle secondaire.

   L'écriture script ne permet pas à l'entrée du cycle secondaire, un rythme aussi rapide que l'écriture liée. Les grands écarts de rendement quantitatifs observés au degré secondaire chez les collégiens (secondaires proprement dits) démontrent la nécessité de préconiser le passage progressif de la script à une forme d'écriture liée dès l'école primaire afin d'éviter tout handicap qui pourrait résulter d'un rythme d'écriture trop lent pour suivre l'enseignement secondaire.

   Ainsi les formes d'écriture anglaise et script, obligatoire et facultative, recommandées par les programmes français ne correspondent plus aux nécessités modernes.

   Comment ne s'en est-on pas aperçu plus tôt ?

   Il existe cependant un problème de l'écriture : déjà les instructions ministérielles de 1938 en parlaient en ces termes :


« Tous les soins devront être donnés à l'écriture cursive. Des protestations très vives s'élèvent de tous côtés contre la négligence et le peu de soin apportés à l'écriture courante par les enfants qui quittent nos écoles. Il convient de réagir très vigoureusement et d'obtenir de tous une écriture lisible, nette et soignée. » (Souligné dans le texte.) »

   Depuis cette date, le problème de l'écriture existe toujours ; il s'est même aggravé. Mais si les examinateurs du baccalauréat par exemple se plaignent de la mauvaise présentation et de l'écriture des copies des candidats, le lycée et même l'école primaire ne sont pas en mesure de porter remède à cet état de choses.

   Le décret Billières en 1956 a supprimé l'écriture au programme du Cours moyen[4]. Il n'y a pas de leçons d'écriture au premier cycle, de la classe de 6e à la classe de 3e, si ce n'est l'écriture technique normalisée (ressemblant au script) et qui est une écriture dessinée, et non une écriture cursive.

   Il n'existe de vraies leçons d'écriture qu'au cours élémentaire 1e et 2e années, données aux élèves de 7 à 9 ans. A cet âge le problème de l'écriture cursive ne se pose pas. Le maître du Cours élémentaire exige des lettres bien formées, du soin et de la propreté. Il a raison et ne peut prétendre demander autre chose dans cette classe. Comme son rôle est avant tout de satisfaire aux exigences de son programme, il ne peut, dans son enseignement, prévoir les besoins futurs de l'enfant, dont les instructions ministérielles ne tiennent aucun compte.

   Au cours moyen, aux classes du 1er cycle, il n'y a pas de leçons d'écriture. L'instituteur, le professeur, même s'ils veillent au soin apporté par l'enfant à la transcription de ses devoirs, ne peuvent que donner quelques conseils succincts, insuffisants pour redresser les mauvaises écritures ou la lenteur excessive.

   « Applique-toi, tu écris trop mal ! Augmente les boucles de tes l ! Dépêche-toi, tu vas trop lentement » Toutes ces admonestations ne remplacent pas une méthode et de vraies leçons.

   L'élève, livré à lui-même, fait ce qu'il peut. Pourtant un rapport de la Fédération du corps enseignant secondaire genevois (1948), cité par Vinh Bang dans son livre, est formel :

« ...Ce qu'il faut à tout prix éviter, c'est qu'un grand nombre d'élèves abandonnent le système qui leur a été enseigné, pour s'en fabriquer un autre à leur fantaisie :
Le résultat de ce processus de rupture est presque toujours désastreux. »

   Ainsi l'école n'apporte pas la solution au problème de l'écriture.

   Nous sommes pourtant en mesure de pouvoir définir les besoins de l'individu et par conséquent le rôle de l'école en cette matière.

   1° Le rythme de la vie moderne exige une écriture de plus en plus rapide ;
   2° L'existence d'instruments modernes d'écriture munis d'une réserve d'encre favorise la rapidité du tracé ;

   3° L'individu doit être capable au moyen de ces instruments de tracer une écriture rapide mais cependant nette et lisible.

   COMPTE TENU DES BESOINS FUTURS DES ÉLÈVES, LE ROLE DE L'ÉCOLE DOIT ÊTRE D'ENSEIGNER UNE MÉTHODE D'ÉCRITURE RAPIDE, DONC CURSIVE, AU MOYEN DES INSTRUMENTS MODERNES, STYLOGRAPHES ET CRAYONS A BILLE.

   Notons que ces conclusions rejoignent le texte de la recommandation du Bureau international d'Education concernant l'écriture et dont nous donnons ci-dessous un extrait :

« 1. Considérant l'importance des techniques de base comme instruments de culture et d'instruction et comme éléments essentiels de l'éducation fondamentale ;
2. Que l'écriture n'est pas seulement une technique d'enseignement, mais un moyen d'expression et un art dont le style personnel doit conserver un maximum d'harmonie et d'élégance ;
3. Que d'autre part le rythme de la vie moderne exige une écriture de plus en plus rapide ;
4. Que les progrès de la psychologie appliquée à l'éducation et de la pédagogie expérimentale permettent de concevoir des méthodes toujours mieux adaptées aux possibilités de l'enfant ;
5. Que le but à atteindre est de donner à chaque enfant l'écriture la meilleure qu'il est capable de tracer à une vitesse suffisante. »...



4) DEFINITION DE L'ECRITURE CURSIVE

   Qu'est-ce qu'une écriture cursive ? C'est une écriture dont chaque lettre se trace en une seule fois et dont toutes les lettres sont liées les unes aux autres à l'intérieur d'un même mot.

   Une écriture cursive répondant pleinement à son but doit permettre d'écrire un mot tout entier d’une seule fois, sans lever la plume, la seule    limite imposée à la longueur du tracé étant celle de la course de la main.

Références : André Casteilla, Pédagogie de l'écriture cursive moderne (Du graphisme à l'écriture), Les nouveautés de l'enseignement.


5) Etude québécoise : le double apprentissage du script puis de l'écriture cursive est contre-productif.


Selon une étude québécoise, le double apprentissage du script puis de l'écriture cursive est contre-productif.
Le Soleil, Erick Labbé
Daphnée Dion-Viens


Le Soleil (Québec) Règle générale, les petits Québécois apprennent d'abord à écrire en script avant d'apprendre à lier leurs lettres un ou deux ans plus tard. Or les élèves qui apprennent à écrire en lettres attachées dès la première année du primaire améliorent davantage leur orthographe et leur syntaxe, conclut une des premières études québécoises réalisées sur le sujet. De quoi remettre en question le «double apprentissage», jugé contre-productif.
Ces conclusions sont tirées d'une recherche réalisée auprès de 718 élèves de deuxième année, menée par les professeures Marie-France Morin, de l'Université de Sherbrooke, Natalie Lavoie, de l'Université du Québec à Rimouski, et Isabelle Montesinos Gelet, de l'Université de Montréal.

L'étude a d'abord permis de confirmer le lien entre le geste d'écriture et les performances en orthographe, puisque les élèves qui ont de l'aisance à écrire sont généralement meilleurs en orthographe. «Ceux qui maîtrisent le geste d'écriture peuvent mettre plus d'attention et d'énergie dans l'orthographe, tandis que les enfants qui n'ont pas automatisé le geste d'écriture ont des capacités rédactionnelles et orthographiques limitées», explique Mme Morin, qui est titulaire de la Chaire de recherche sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture chez le jeune enfant. D'où l'importance de s'intéresser à l'apprentissage de l'écriture, qui peut avoir un effet sur la maîtrise du français, ajoute Mme Morin.

Pour réaliser cette étude, l'équipe de Mme Morin a formé trois groupes d'élèves. Il y a d'abord ceux qui ont appris à écrire en script (lettres détachées) en première année et qui apprennent ensuite l'écriture cursive (lettres attachées) en deuxième année, cette pratique étant la plus répandue dans les écoles du Québec. Les élèves du deuxième groupe ont appris à écrire seulement en script alors que ceux du troisième groupe maîtrisent seulement l'écriture cursive.

En analysant les textes des élèves à différents moments pendant l'année scolaire, les chercheurs ont conclu que les élèves qui réussissent le mieux en orthographe sont ceux qui ont appris à écrire seulement en lettres attachées. À l'inverse, ceux qui ont appris à la fois le script et l'écriture cursive progressent le moins rapidement.

Sur le plan de la syntaxe, seuls les élèves qui écrivent en liant leurs lettres ont démontré une progression dans leurs apprentissages en cours d'année. «Ça m'a étonnée, lance Mme Morin. En deuxième année, les enfants devraient progresser, du moins un peu, sur cette compétence de la langue écrite.»

En matière d'habiletés graphomotrices (vitesse et qualité d'écriture), les chercheurs n'ont toutefois pas observé de grandes différences. Dans les trois groupes, les enfants s'améliorent et écrivent des textes plus longs.
Selon le programme de français du ministère de l'Éducation, l'apprentissage du script et de l'écriture cursive doit se faire entre la première et la quatrième année du primaire. Or à la lumière de ces résultats, les chercheurs concluent qu'il faut plutôt choisir entre script et cursive. «Quand l'enfant change d'écriture en deuxième année, ce n'est pas optimal. On ne peut pas dire qu'après une année scolaire, l'enfant maîtrise le geste d'écriture, et en deuxième année, il passe à un autre type d'écriture. Ça fait en sorte que son attention est constamment portée sur cette facette de l'écriture qui n'est finalement pas importante. On veut que l'enfant pense davantage à l'orthographe, à la syntaxe, aux idées à transmettre. On ne veut pas qu'il passe ses années scolaires à apprendre comment il doit former ses lettres», explique Mme Morin.

L'influence du contexte
Même si les élèves qui ont appris à écrire seulement en lettres attachées sont nettement meilleurs en orthographe et en syntaxe, Marie-France Morin hésite toutefois à recommander l'apprentissage de l'écriture cursive en première année, dans toutes les écoles du Québec.

«On peut dire que l'écriture cursive a un petit plus. Mais parfois, le contexte change d'une école à l'autre, le bagage de certains enseignants peut être différent», dit-elle, refusant de condamner l'apprentissage uniquement en script.

Mais peu importe la manière d'apprendre à écrire, l'important reste de pratiquer le plus souvent possible, souligne la professeure. «Les enfants auraient avantage à écrire plus en classe au début du primaire. Généralement, ils passent plus de temps à lire et à écrire des mots plutôt qu'à l'écriture de textes continus. Mais c'est en écrivant qu'on devient un bon scripteur», rappelle-t-elle.

Il a été impossible hier d'obtenir les commentaires du ministère de l'Éducation à ce sujet.



6) Etude québécoise : Apprendre la cursive ne nuit pas à la lecture

Daphnée Dion-Viens
Le Soleil
(Québec) Un élève qui apprend à écrire seulement en lettres attachées aura-t-il de la difficulté à lire, puisque les premiers mots qu'il apprendra à déchiffrer sont en script?
Selon une autre étude réalisée par Marie-France Morin, de l'Université de Sherbrooke, et Florence Bara, de l'Institut universitaire de formation des maîtres, l'apprentissage de l'écriture cursive en première année ne nuit pas à la lecture.
Les deux chercheurs ont analysé les compétences en lecture et en écriture de 86 enfants, répartis dans quatre classes de deuxième année, en les soumettant à deux exercices. La moitié des élèves ont appris à écrire en script; l'autre moitié, en cursive. «Il n'y a aucune différence significative dans les résultats entre les deux groupes. Les enfants font facilement le transfert entre les deux», indique Mme Morin, ce qui fait tomber le principal argument de ceux qui s'opposent à l'apprentissage en lettres attachées dès la première année du primaire.
Cette dernière rappelle qu'il n'y a que quatre lettres - z, r, s et b - qui sont vraiment différentes en écriture cursive.

source : http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/education/201012/09/01-4350949-apprendre-la-cursive-ne-nuit-pas-a-la-lecture.php




7)VINH BANG. - Évolution de l'écriture de l'enfant à l'adulte. 
Étude expérimentale. 
In-80 de 231 pages, Neuchâtel et Paris, Delachaux & Niestlé, 1959.

   L'ouvrage de Vinh Bang rend compte d'une vaste étude comparant les avantages et inconvénients de l'écriture script et de l'écriture cursive. A l'origine se trouvent des préoccupations pédagogiques, dont le présent ouvrage garde explicitement l'empreinte. Il y a eu chez les pédagogues une vogue de la script, écriture lettre par lettre débarrassée au maximum de toutes les « complications inutiles » de la cursive. Cette vogue s'est inscrite dans les instructions officielles quant à l'enseignement de l'écriture dans de nombreux pays, depuis 1925-1930. En Suisse, pays où Vinh Bang a réalisé son étude, on trouve actuellement des cantons où l'enseignement de l'écriture se fait obligatoirement avec la script, d'autres où seule la cursive est autorisée ; parfois la script, après avoir été préconisée pendant une décade ou deux, a été abandonnée du fait d'inconvénients inattendus... et du reflux de la mode.

   Vinh Bang souligne avec force que de telles aventures pédagogiques, qui engagent l'avenir de centaines de milliers d'enfants, ne peuvent être entreprises à la légère ; en l'occurrence, que de sérieuses études de pédagogie expérimentale sont nécessaires, et que, bien conduites, elles devraient permettre de trancher la question. Il en apporte la preuve.

   L'étude porte sur environ 7 000 écritures d'enfants et adolescents, recueillies pour l'essentiel à Genève (script) et à Lausanne (liée), en deux temps, sur deux ou trois années scolaires. La diversité des systèmes d'enseignement et des types d'établissements a sensiblement compliqué la tâche de Vinh Bang, qui s'est efforcé au maximum de constituer, âge par âge et sexe par sexe, des échantillons comparables pour les deux types d'écritures.

   Il s'agit d'échantillons de copie d'une phrase unique (empruntée à R. Piscart), en collectif et dans des conditions standardisées. Les sujets écrivent cette phrase plusieurs fois si nécessaire, pendant deux minutes :
1)     à leur vitesse ordinaire ;
2)     le plus vite possible.
L'écriture est examinée sous deux angles distincts :
    celui de la vitesse d'exécution ;
    celui de la qualité, définie par la lisibilité.

   Vinh Bang discute en effet à maintes reprises du problème quantité-qualité, ou vitesse-lisibilité. Il insiste beaucoup sur cette idée que, si une écriture doit rester lisible, il ne faut pas sous-estimer l'importance de la vitesse, comme tendent à le faire très généralement les pédagogues, pour des raisons très compréhensibles. L'écriture manuscrite est sans doute moyen de communication, et doit donc être lisible : mais ce n'est plus le seul depuis le développement de la machine à écrire, du téléphone, du dictaphone, etc. De plus, l'écriture est très souvent un support de la pensée individuelle (prise de notes, rédaction pour soi). L'enseignement prépare d'ordinaire très mal à cette seconde utilisation.

   Résultats relatifs à la vitesse. — De façon très générale, l'écriture liée apparalt nettement plus rapide que l'écriture script : les différences sont statistiquement très significatives à presque tous les âges entre 6-7 et 17-18 ans. Si elles semblent s'atténuer à la fin des études secondaires, c'est en grande partie et tout simplement parce que les adolescents pour qui il devient nécessaire d'écrire vite abandonnent plus ou moins complètement le système script qui leur avait été enseigné et lient au moins quelques lettres. Vinh Bang souligne que cette transformation est laissée au hasard de l'initiative individuelle et qu'elle s'opère souvent suivant des modalités fâcheuses, peu économiques. Puisqu'elle est indispensable, et inévitable, il vaudrait beaucoup mieux la guider et la contrôler par une pédagogie appropriée.
    La plus grande rapidité de l'écriture liée s'observe aussi bien sous la consigne de vitesse maxima que sous la consigne de vitesse normale.

   Résultats relatifs à la qualité. — Après avoir passé en revue les travaux consacrés antérieurement à la création de barèmes ou échelles de nota­tion qualitative de l'écriture, Vinh Bang expose la méthode suivie. Huit juges ont examiné les écritures, et par une procédure de tris successifs ont sélectionné un certain nombre de documents représentatifs, à chaque niveau d'âge de cinq niveaux de qualité, ordonnés du très mauvais au très bon. Ceci est fait compte tenu de la vitesse ; c'est-à-dire que, à un niveau d'âge donné, cinq échantillons sont extraits des écri­tures rapides ; cinq des écritures à vitesse moyenne, et cinq des écritures lentes. Ceci est fait séparément et identiquement pour les échantillons de script d'une part, pour les échantillons d'écriture liée d'autre part. On obtient en définitive 360 échantillons (12 niveaux d'âge x 2 types d'écriture x 3 niveaux de vitesse x 5 degrés de qualité) présentés en un fascicule.

   Utilisation pour le diagnostic individuel de ces résultats. — Les résultats relatifs à la vitesse sont présentés sous forme d'étalonnages, permettant d'apprécier la vitesse d'écriture d'un enfant donné, soumis à l'épreuve standard, soit en âge, soit en centiles au sein de son groupe d'âge, compte tenu de son sexe et de son niveau scolaire.

Les échelles qualitatives sont présentées suivant un classement systématique : pour déterminer la qualité d'une écriture donnée, il faut d'abord se reporter à la série de planches établies pour l'âge du sujet ; puis choisir celles qui concernent l'écriture utilisée (script ou liée), et plus précisément la page où se trouvent les échantillons produits au même niveau de vitesse : cette page donne cinq reproductions d'écritures, classées par qualité décroissante. On détermine, par comparaison globale, le niveau de qualité de l'écriture examinée par assimilation à l'une de ces cinq reproductions. C'est évidemment là le point faible de la méthode : les variations de style sont si nombreuses, surtout après dix ans, qu'il n'est certainement pas toujours commode de se prononcer.
   Propositions pédagogiques. — De son étude, Vinh Bang conclut que la script rend l'apprentissage de l'écriture plus facile, et reste préférable pendant les trois ou quatre premières années. Mais son inconvénient essentiel, la lenteur, apparaît de plus en plus grave à mesure que les conditions d'emploi de l'écriture exigent de plus en plus la rapidité. Il propose donc, de façon très détaillée, une méthode pédagogique destinée à normaliser le passage de la script à la liée, par l'utilisation d'un alphabet progressivement modifié.

   C'est là un travail important, par le nombre des écritures utilisées, par le contrôle soigneux de leur échantillonnage, par la qualité des élaborations numériques ; mais c'est, de plus, un travail pratiquement utile, à un double titre : parce qu'il fournit des normes pour l'appréciation de résultats individuels et parce qu'il apporte une réponse claire au vieux problème : faut-il enseigner la script ou la cursive ? Il faut enseigner d'abord la script, puis, méthodiquement, le passage à la cursive. Sans doute tous les enseignants ne seront-ils pas d'accord avec ces conclusions. Ils reprocheront, sans doute, à l'auteur d'avoir complète­ment passé sous silence le problème de la lecture, pourtant lié dans les faits à celui de l'écriture, — la script présente de sérieux inconvénients pour la lecture : confusions de lettres, non-distinction des mots, etc. ­mais tel qu'il est, ils auront le plus grand intérêt à lire ce livre, fait d'ailleurs, très explicitement, pour les convaincre.

R. P.

source :
III. Psychologie de l'enfant, L'année psychologique, 1962, vol. 62, n° 1, pp. 320-329.



[1] Signalons à nos lecteurs l'excellent livre de Marcel COLOMBAIN : « L'aventure multiple des outils de l'écriture ».

[2] Boucle de liaison qui n’est pas nécessaire mais qui semblait l’être à André Casteilla pour pouvoir écrire ces lettres en une fois. Pour le a, le d, le g et le q, la nécessité de la boucle de liaison se justifie en effet si l’on veut garder la forme ronde. Par exemple, le a sera égal à un rond + une canne. Mais on peut très bien concevoir la forme du a comme un c + une canne : en ce cas, l’on n’a pas besoin de lever le stylo ni besoin d’une boucle de liaison.
[3] Rapportée par VINH BANG: Evolution de l'Ecriture. Editions Delachaux et Niestlé.

[4]  Arrêté du 23 novembre 1956
B.O.E.N. n° 42 du 29 novembre 1956
(Cabinet du Ministre, Affaires générales)
 Modification des horaires dans les cours élémentaire,
moyen et supérieur des Écoles primaires élémentaires

Article premier

Les horaires des cours élémentaire, moyen et supérieur des Écoles primaires élémentaires sont modifiés conformément aux dispositions du tableau annexé au présent arrêté.

Article 2

Ces horaires sont applicables immédiatement.

Article 3

Le Directeur général de l'Enseignement du Premier Degré est chargé de l'exécution du présent arrêté qui sera publié au Journal Officiel de la République française.
Signé : R. Billères

 Annexe
HORAIRES DES ÉCOLES PRIMAIRES ÉLÉMENTAIRES
Discipline
Cours élémentaire
Cours moyen et supérieur
Morale
1 h
1 h
Lecture et Langue française
10 h ½
9 h
Écriture
1 h
0 h
Histoire et Géographie
1 h
1 h ½
Calcul
3 h ½
5 h
Exercices d'observation
1 h
1 h ½
Dessin ou travail manuel
1 h
1 h
Chant
1 h
1 h
Devoirs
5 h
5 h
Plein air et éducation physique (1)
2 h ½
2 h ½
Récréations
2 h ½
2 h ½
Total
30 h
30 h
(1) Les séances d'Éducation Physique seront placées immédiatement avant ou après une récréation, afin de ne pas être trop écourtées par les changements de tenue.

Cet aménagement des horaires a pour but de ménager de supprimer les devoirs à la maison (Circulaire du 29 décembre 1956. Abrogée par la circulaire n° 94-226 du 6 septembre 1994.) : voir extrait suivant : 

« Reste l’écriture, dont on regrettera peut-être la disparition à l’horaire du cours moyen. Mais il est possible de rectifier et de perfectionner la calligraphie des enfants pendant les heures consacrées aux devoirs : faire un problème par écrit, par exemple, ce n’est pas seulement résoudre une difficulté arithmétique, ce n’est pas seulement rédiger en bon français une solution correcte, c’est aussi écrire proprement, bien disposer opérations et solution. Et puis, il n’est pas interdit de faire copier, pendant l’heure de devoirs, la maxime par laquelle s’est résumée la leçon de morale du jour, et d’exiger pour cette copie une calligraphie parfaite. » (http://dcalin.fr/textoff/devoirs_1956.html)

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