CHAPITRE IV
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LA SOUSTRACTION
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Partageur
avait gardé le silence tant qu’avait duré l’opération de son frère.
Quand elle
fut terminée :
— A mon tour,
dit-il. M. Ramasse-Tout a eu ce qu’il voulait; mais il faudra bien aussi qu’il
fasse à ma volonté. Les pommes sont aussi à moi : il est juste que j’en
aie ma part.
— Allons,
Partageur, sois raisonnable, reprit l’additionneur. Tu vois toute la peine que
nous nous sommes donnée, Pinchinette et moi, pour faire un seul total de toute
la fortune de la maison. Ne va pas le défaire par esprit de taquinerie.
— Il faut le
laisser faire, interrompit Pinchinette. Cela vaudra mieux pour vous deux. De cette
façon-là vous ne vous disputerez plus, et il n’y a pas de total au monde qui
vaille la peine d’être un sujet de disputes entre deux frères. Que demandes-tu,
Partageur?
— Je demande
vingt-cinq boîtes, vingt-cinq sacs et vingt-cinq pommes. Mais je voudrais savoir
si cela fait mon compte?
— Quel drôle
de nombre me donnes-tu là? Il faut l’arranger autrement, si nous voulons l’écrire.
Vingt-cinq
pommes, cela fait deux sacs et cinq pommes. Écris 5 au rang des unités.
Vingt-cinq
sacs, cela fait deux boîtes et cinq sacs. Avec les deux sacs qui viennent des
pommes, cela fait sept sacs. Écris : 7 au rang des dizaines.
Vingt-cinq
boîtes, cela fait deux paniers et cinq boîtes. En ajoutant les deux boîtes qui viennent
des sacs, cela fait encore sept. Écris : 7 au rang des centaines.
Pour représenter
les deux paniers provenant des boîtes, écris : 2 au rang des mille.
C’est donc
2.775 pommes que tu veux, et nous en avons 6.606. Écris-moi là les deux
nombres, le petit au-dessous du grand, et regarde bien ce que je vais faire.
Elle mit
Partageur, le charbon à la main, à la place où elle avait mis son frère. Il
écrivit les deux nombres, et quand il la vit poser la planche sous la provision
de pommes, il traça une barre sous ses nombres.
Elle avait
laissé un intervalle entre la planche et les pommes.
— Vois-tu,
dit-elle en lui montrant la place vide, je vais mettre là les 2.775 pommes que
tu demandes, et que je vais retirer du tas successivement, en allant d’une
rangée à l’autre. Ce qui restera de chaque rangée, je le mettrai derrière la
planche, et tu écriras les chiffres sous ta barre, comme tu l’as vu faire à
Ramasse-Tout.
Disant cela,
elle prit les six pommes.
— Tu en veux
d’abord cinq : les voilà. Celle qui reste ira derrière la planche.
Partageur
écrivit 1 sous ses unités.
— Il te faut
ensuite sept dizaines, c’est-à-dire sept sacs. Nous n’en avons pas; mais il n’est
pas difficile d’en avoir. Il y a là, à côté, six boîtes qui sont pleines de
sacs. Je vais faire comme toi ce matin, et en vider une. J’y trouve dix sacs.
Sept pour toi, et trois qui restent; le compte est bientôt réglé.
Elle mit les
trois sacs restants derrière la planche, et Partageur écrivit 3 sous ses dizaines.
— Maintenant
j’ai à te donner sept centaines, ou sept boîtes. Il y en avait six tout à
l’heure, et comme je viens d’en prendre une, il n’y en a plus que cinq. Mais
voilà des paniers où je puis en prendre. J’en vide un où je trouve dix boîtes,
et avec les cinq que nous avons déjà, cela fait quinze. Je t’en donne sept :
il en reste huit. Mettons-les derrière la planche.
Partageur
écrivit : 8 sous ses centaines.
Pour les
paniers, cela ne sera pas long. Nous en avons pris un : il en reste cinq,
deux pour toi, et trois derrière la planche ; voilà qui est fait. Aide-moi à
transporter tout cela.
Partageur se
dépêcha d’écrire 3 sous ses mille, et les paniers furent mis en place en un clin
d’œil.
Que
reste-t-il à Ramasse-Tout? Trois paniers, huit boîtes, trois sacs et une pomme.
Voyons ton nombre.
3831 !
C’est bien cela. Tu n’as pas assez réfléchi avant de parler, mon pauvre
Partageur. Ton frère en aura plus que toi.
— Qu’à cela
ne tienne, dit l’aîné, qui aimait la justice; je veux bien lui donner ce que
j’ai de trop.
— Mais
comment savoir au juste ce qu’il a de trop ? reprit Partageur en se grattant
l’oreille?
— Rien de plus
facile ; nous n’aurons pas besoin de rien déranger. Au moyen des chiffres seulement,
je m’en charge. Regarde : je vais écrire le petit nombre sous le grand, et je
vais l’en retirer, comme nous avons fait tout à l’heure.
3.831
2.775
4.086
Je ne peux
pas retirer cinq unités d’une seule.
Je prends une
des trois dizaines qui contient dix unités. Dix et une font onze, d’où je
retire cinq, et il reste : 6.
Des deux
dizaines qui restent, je ne peux pas retirer sept. J’en fais douze dizaines en
y joignant les dix contenues dans une des huit centaines. Je retire sept de
douze, et il reste : 5.
Nous n’avons
plus que sept centaines en haut, puisqu’on a ôté une des huit. Il y en a juste
sept en bas. Si je retire sept de sept, il ne restera rien. Mettons : 0.
Enfin, de
trois mille si je retire deux mille, il en reste un. J’écris 1 au rang des
mille, et le nombre que nous cherchions est enfin trouvé.
C’est 1.056
pommes que Ramasse-Tout a de plus que toi.
— Alors il va
me les donner.
— Mais, petit
bêta, s’il te les donne, c’est toi qui en auras 3.831, et lui n’en aura plus
que 2.775. Ce serait à recommencer.
— Et comment
cela?
— Tu ne vois
donc pas que ces 1.056 qui restent font juste la différence qui existe entre 3.831
et 2.775. Si on les ôte de 3.831, il reste 2.775. Si on les ajoute à 2.775,
cela fait 8.831.
— Eh! mon
Dieu ! comment nous tirer de là?
— Sais-tu quoi?
s’écria Ramasse-Tout, que tous ces calculs commençaient à ennuyer; nous allons
les donner à Pinchinette. J’espère qu’elle les aura bien gagnées.
— Eh
bien ! soit ; mais à la condition qu’elle m’expliquera une chose qui
m’embarrasse encore. Tout à l’heure, il n’y avait pas de sacs; nous en avons
pris aux boîtes. Mais s’il n’y avait pas eu de boîtes non plus, comment aurait-on
fait? Supposons , par exemple , ce nombre-là.
Il écrivit
6.006.
— La belle
difficulté ! Nous prenons un des paniers qu’on vide de ses dix boîtes. Il
ne faut qu’une boîte pour les sacs, n’est-ce pas? Nous en laissons neuf au rang
des boîtes, et nous gardons seulement la dixième qui nous donne ses dix sacs.
Regarde :
voici un nombre qui a encore plus de zéros que le tien.
Elle écrivit :
6.000.
— Nous avons
six mille. Je suppose qu’on veuille en retirer cinq unités.
D’un des
mille je fais dix centaines, et j’en laisse neuf, en passant, au rang des
centaines.
De la
dernière centaine je fais dix dizaines.
J’en laisse
neuf au rang des dizaines, et la dernière me donne dix unités.
Quand tu
auras retiré tes cinq unités, il te restera 5.995.
S’il t’arrive
jamais de rencontrer comme cela des files de zéros, voie une règle qui est bien
simple. Tu empruntes 1 au premier chiffre qui se trouve au bout des zéros. Tous
les zéros qui le suivent deviennent aussitôt 9, jusqu’au rang qui était trop
faible, et qui reçoit 10. Je viens de te montrer pourquoi.
Un long
gémissement se fit entendre à côté d’eux. C’était Ramasse-Tout qui n’en pouvait
plus.
— Ma bonne Pinchinette,
fit-il d’un ton désolé, prends tes pommes, et laisse là ce bavard. Le temps se
passe, et nous n’avons encore rien vendu aujourd’hui.
Un moment !
s’écria l’autre. Il faut auparavant qu’elle me donne un nom pour mon opération.
Ton opération, à toi, a son nom; la mienne m’amuse beaucoup. J’aimerais à pouvoir
en parler.
Le nom est tout
trouvé : c’est la SOUSTRACTION, puisqu’elle consiste à soustraire, ou à retirer,
comme tu voudras, un nombre d’un autre.
Et celui qui
vient sous la barre, quel nom lui donner?
— La différence, puisque c’est la différence qui
existe entre le grand nombre et le petit; ou bien le reste, puisque c’est ce qui reste du grand quand on en a soustrait
le petit. Je te laisse le choix entre les deux noms. L’un vaut l’autre.
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