30 septembre 2011

Vygotski et l'éducation

Nathalie Bulle et Julien Gautier proposent une série d'articles et d'extraits présentant la pensée du psychologue et pédagogue russe Lev Vygotski (1896-1934), dont les travaux nous semblent essentiels pour aborder les questions de l'enseignement scolaire.
Vous trouverez en bas de cette page plusieurs liens vers des extraits de son œuvre majeure, Pensée et langage, ainsi que des éléments d'analyse de sa pensée.


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Lev Semionovitch Vygotski est né le 5 novembre 1896 dans la ville d’Orcha, en Biélorussie. Son instruction primaire lui fut donnée par un tuteur privé, avant son entrée au gymnasium. Etudiant particulièrement brillant, passionné par les humanités et les sciences sociales, il s’est inscrit en médecine à l’Université de Moscou en raison de la fermeture des carrières officielles, comme le professorat, aux étudiants juifs. Il a rapidement bifurqué vers le droit, tout en suivant parallèlement des cours d’histoire, de philosophie, de littérature et de psychologie. Diplômé en 1917, Vygotski a rejoint Gomel, la ville où il avait grandi et où se trouvait sa famille. Il a animé à l’Institut de pédagogie un laboratoire consacré à la petite enfance et enseigné des sujets aussi différents que la littérature, la logique, la psychologie, ou l’histoire de l’art.

Vygotski acheva son premier grand projet de recherche en 1925, La psychologie de l’art, thèse qu’il soutint à l’Institut de Psychologie de Moscou. Son sujet, relatif aux formes élevées de la conscience humaine, est révélateur de sa conception de la psychologie. Elle dominera son œuvre. La psychologie de Vygotski est une science de la conscience. Elle place les fonctions psychiques supérieures au premier plan. La pensée humaine ne peut être appréhendée comme simple développement des fonctions psychiques élémentaires. Elle marque une rupture qualitative avec les formes de développement d’origine biologique. Dans cette perspective, la psychologie de Vygotski met au jour le rôle joué par les « outils psychologiques » médiateurs de la pensée, d’origine sociale. Ces outils (signes, concepts, système numérique etc.) ont été créés par les sociétés dans le cours de l’histoire humaine et sont transmis notamment par l’école. Vygotski s’attache ainsi tout particulièrement au rôle joué par l’enseignement formel dans le développement intellectuel de l’enfant.
L’importance cruciale pour la formation de l’homme des outils de pensée socialement constitués  représente, dans le contexte révolutionnaire russe, une forme d’extension de la pensée marxiste à la psychologie. L’outil chez Engels est le moyen par lequel l’homme transforme la nature et, ce-faisant, se transforme lui-même. La médiation culturelle des processus cognitifs sous-tend chez Vygotski l’avènement de l’homme lui-même. Le psychologue russe est néanmoins proche du Durkheim des Formes élémentaires de la vie religieuse (1912) où les instruments de pensée « que les groupes humains ont laborieusement forgés au cours des siècles et où ils ont accumulé le meilleur de leur capital intellectuel », sont les éléments structurant de la pensée logique et abstraite. En ouvrant cette voie de recherche, Vygotski a créé l’école historico-culturelle en psychologie.

C’est lors d’une conférence donnée au second Congrès panrusse de psycho-neurologie à Leningrad en 1924 que Vygotski se fit connaître en s’élevant contre le courant de réflexologie alors puissant en Union soviétique. Il y défendit, avec les concepts mêmes de ce courant matérialiste de psychologie objective, l’impossibilité pour la psychologie d’ignorer les faits de conscience. Il fut alors invité à intégrer l’Institut de psychologie de l’université de Moscou où il développera une activité intense jusqu’à la fin de sa vie brève, emporté par la tuberculose, en 1934. 

Son génie, sa créativité et l’abondance de ses travaux, lui vaudront d’être qualifié de « Mozart de la psychologie » par Stephen Toulmin, mais aussi le sentiment de beauté qu’inspire son œuvre. Lecteur fervent des penseurs russes comme européens, psychologie, philosophie, sociologie et politique nourrissent une pensée alliant clarté logique et profondeur humaine. Parmi ses nombreux ouvrages, Signification historique de la crise de la psychologie, Défectologie et déficience mentale, Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures, Théorie des émotions, Pensée et Langage (1933-34) représente une grande œuvre synthétique qui couronne ses travaux sur le développement intellectuel. 

Dès 1936 et pendant vingt années, à la suite d’un décret sur la pédologie, discipline qui proposait une approche scientifique pluridisciplinaire de l’enfant, les œuvres de Vygotski furent interdites en Union soviétique alors sous la domination stalinienne. La pédologie fut accusée d’antimarxisme pour ses inspirations étrangères comme pour l’utilisation abusive de tests psychologiques. Cette utilisation était critiquée aussi bien par Vygotski, mais l’éclectisme par trop occidental de son œuvre, et ses thèses par trop librement inspirées du marxisme, les rendaient suspectes pour le pouvoir en place. Elles restèrent ignorées en Occident, jusqu’à leur redécouverte dans les années 1960, après la traduction de Pensée et langage en anglais en 1962.

Achevons cette brève introduction en invitant à une approche directe de Vygotski car les lectures de Vygotski sont diverses et bien souvent éloignées du cœur des thèses du grand psychologue russe.
Nathalie Bulle

Recension de l'ouvrage collectif "Vygotski et l'éducation", Paris, Retz, 2009.


Julien Gautier, Apprendre à « lire » : un point de vue vygotskien

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