Nous pourrions continuer d’examiner les différentes branches d’étude de l’école, pour montrer dans quel sens elles ont besoin d’être modifiées. Mais le lecteur, par ce qui précède, se fait déjà une idée suffisante de l’enseignement qu’il s’agit d’introduire. Nous aimons mieux maintenant appeler son attention sur une lacune qui se présente à tous les degrés de notre instruction publique, mais qui nulle part n’est plus sensible que dans notre enseignement primaire. Tous les étrangers s’en étonnent et nous sommes seuls à n’en avoir point conscience.
Les questions de méthode ne sont chez nous l’objet d’aucune observation constante et approfondie : la pédagogique, comme l’appellent les Allemands, n’est point cultivée en France. Est-ce le mot qui a été trouvé mal sonnant? Est-ce présomption ou insubordination d’esprit, chacun admettant qu’il trouvera bien par lui-même ce que d’autres ont trouvé? Est-ce le scepticisme que nous professons en général pour les choses que nous ignorons? « Il semble », dit M. Barrau dans un ouvrage couronné par l’Académie des sciences morales , « que la connaissance la plus importante soit celle que l’on appelle Pédagogie. Ce mot grec, emprunté depuis peu aux Allemands, n’est pas ridicule dans leur langue et l’est peut-être dans la nôtre. Il faudrait chercher un nom plus heureux, si la chose elle-même valait la peine. Mais, en vérité, je ne le crois pas. La lecture d’un bon livre, où l’on trouve d’utiles conseils, doit suffire. » Voilà de quel ton nous savons, en France, refuser les connaissances qu’il ne nous plaît pas d’acquérir. Si l’on songe que l’auteur des lignes précédentes, homme très-respectable d’ailleurs, a dirigé pendant plus de vingt ans un journal d’instruction primaire, et qu’il était par conséquent chargé d’initier nos instituteurs au progrès, on commencera à comprendre de quelle façon, dans un pays centralisé comme le nôtre, s’introduisent les retards et se creusent les lacunes.
Nous voyons bien quelle est la pensée de ceux qui trouvent la pédagogie chose si ridicule. Ils croient voir quelque magister vieilli dans sa chaire, se distillant la cervelle sur des vétilles, et discutant avec ses pareils les moyens de rendre l’enseignement plus subtil ou la discipline plus minutieuse. On étonnerait fort ces rieurs, si l’on pouvait faire apparaître à leurs yeux la réalité. D’un côté, ils verraient la classe débarrassée de son appareil scolastique et répondant pleinement aux exigences de la vie, le maître aimé et honoré des élèves et devenu leur éducateur et leur conseiller; les enfants allant avec joie à l’école, parce qu’ils sentent que toutes leurs facultés s’y développent et parce qu’ils y trouvent la satisfaction de tous les bons instincts de leur âge. De l’autre côté, on apercevrait la classe où le rudiment règne encore en maître, les éternelles répétitions, les longues dictées, les laborieux et inutiles exercices. La première de ces écoles est celle qui a mis à profit les leçons de la pédagogie moderne; l’autre est celle qui, aimant mieux s’en passer, continue les errements de l’ignorance et de la routine.
Il n’est pourtant pas difficile de démontrer que la pédagogie ou, si l’on aime mieux, la méthode, peut et doit être un objet d’enseignement. Ceux qui en nient l’existence ou l’utilité ne nieront point sans doute qu’il existe des maîtres plus ou moins habiles, et qu’eux-mêmes, à tous les moments de leur carrière, ne disposaient point d’une égale expérience. Pourquoi cette habileté doit-elle se perdre avec celui qui la possède? Pourquoi cette expérience doit-elle être regagnée à nouveau par chaque instituteur aux dépens des premières générations qui lui sont confiées? Si l’enseignement est un art, comme tous les autres, il doit avoir ses règles. L’esprit de l’enfant, en ses traits principaux, est partout et toujours le même; les circonstances diverses qui peuvent modifier l’ordonnance intérieure de l’école ne sont pas si nombreuses qu’elles ne puissent être ramenées à un certain nombre de cas; enfin les connaissances qui font l’objet de l’enseignement sont en tous lieux et en tous temps semblables. Il n’y a donc rien, ni dans le sujet, ni dans les conditions, ni dans la nature de l’enseignement qui s’oppose à l’établissement et aux progrès d’une science pédagogique, c’est-à-dire d’un ensemble d’observations et de préceptes dus à l’expérience des meilleurs maîtres, et constituant un fonds commun auquel tous les nouveaux venus ont le droit et le devoir de puiser.
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Mais est-il nécessaire de prouver par raison démonstrative la possibilité d’une science qui, partout ailleurs que chez nous, frappe tous les yeux par sa féconde et salutaire activité? Dans les pays où l’enseignement est ce qu’il doit être, les questions de direction et de méthode sont jugées les plus importantes de toutes, et c’est aux progrès de la science pédagogique qu’on y attribue avec raison les effets de plus en plus sensibles de l’instruction primaire. Aussi la discussion est-elle continuellement ouverte. De nombreux ouvrages sur ce sujet paraissent tous les ans, et aussitôt ils sont lus, discutés, critiqués par un public spécial. Journaux, revues, encyclopédies se disputent les observations des hommes les plus compétents. Le futur instituteur, à l’École normale, est mis au courant de cette grande et perpétuelle enquête. Il apprend à connaître les avantages et les inconvénients des méthodes successivement introduites dans les écoles. Il sait quelles idées nouvelles ont été apportées par les grands réformateurs de l’éducation, Montaigne, Coménius, J.-J. Rousseau, Basedow, Pestalozzi. On appelle son attention sur les hommes d’école qui, parmi les contemporains, sont en possession de la plus haute autorité. Quand l’instituteur quitte son séminaire (c’est le nom des écoles normales), il connaît le point précis où est arrivée la science pédagogique. Il ne sera pas tenté de recommencer les expériences avortées, il choisira, en connaissance de cause, parmi les méthodes qui possèdent l’approbation des meilleurs juges, et à son tour, il pourra enrichir de ses propres observations le trésor de l’expérience commune.
Combien nous sommes loin d’une pareille activité! Quand on demande à un de nos instituteurs quelle méthode il suit dans son école, il répond d’un air étonné, comme si la question n’avait point de sens, ou comme si elle avait besoin d’être complétée : « Vous voulez dire quelle méthode de lecture ? » Il est vrai que dans l’état actuel de notre enseignement, les discussions de ce genre doivent lui paraître superflues; comme on l’a si bien dit , nos instituteurs peuvent parfaitement se passer de cette science, puisqu’ils ont le recueil des ordonnances et des circulaires de nos ministres. C’est là, en effet, pour eux la plus décisive (sinon toujours la mieux coordonnée) des pédagogiques. Ici comme sur beaucoup d’autres points de la vie nationale, le gouvernement français a eu la prétention de concentrer l’élaboration du progrès en une tête qui dispenserait le reste du corps de tout devoir autre que l’obéissance. Mais il est arrivé que non-seulement ce corps s’est trop fidèlement borné au rôle qu’on lui assignait, mais que la tête a cessé de penser, ou a pensé d’une façon insuffisante. Les progrès ne sont possibles dans une nation que quand tout le monde y collabore, et les idées les meilleures restent sans effet, quand elles trouvent les intelligences engourdies par une longue routine. On ne peut songer sans amertume que le vrai promoteur de la pédagogie moderne a écrit en français et pour la France. C’est à l’Émile qu’ont été empruntées la plupart des idées dont s’est nourrie et fortifiée l’éducation allemande. Dans les œuvres de J.J. Rousseau il y a deux parts : d’un côté les théories révolutionnaires du Contrat social, les peintures malsaines de la Nouvelle Héloïse et des Confessions. C’est la part que nous avons faite nôtre et qui a passé dans le sang des générations nouvelles. Mais il y avait en outre un côté généreux et vivifiant : l’amour de l’humanité et particulièrement de l’enfant, la confiance dans ses facultés et le respect de son activité intellectuelle. Cette partie-là, qui était le germe de vie déposé dans les œuvres de Rousseau, nous l’avons laissée aux étrangers. L’Allemagne s’en empara avec avidité. « Il ne faut pas louer l’Émile, écrivait Herder en 1771, il faut le réaliser . » Et en effet les instituts de Basedow et de Pestalozzi ne furent pas autre chose que la réalisation des idées de Rousseau, en ce qu’elles avaient de plus juste et de plus praticable. Les premiers esprits de l’Allemagne, Goethe, Lessing, Kant, Fichte attirèrent l’attention de tous sur ces généreux essais.
Mais c’est ici que vient se placer une circonstance bien remarquable, et qui montre comment s’y prend un État qui n’attend point, pour remplir ses devoirs, d’être poussé par une opinion publique distraite ou incompétente. Dès 1803, le ministère prussien envoie quelques-uns de ses maîtres les plus distingués auprès de Pestalozzi à Burgdorf et auprès d’Olivier, successeur de Basedow, à Dessau. En 1808, le ministre Altenstein députe toute une série d’instituteurs à Pestalozzi, pour qu’ils s’approprient sa méthode et la rapportent aux écoles prussiennes. Gedike qui dirigeait l’administration de l’enseignement primaire en Prusse, et qui était lui-même un maître éminent, se rangeait parmi les adeptes de Pestalozzi. C’est ainsi que le meilleur de la doctrine de l’Emile est entré dans l’enseignement populaire de l’Allemagne, qui en est aujourd’hui tout pénétré. Les instituts de Dessau et de Burgdorf périrent bientôt faute d’argent. Mais ce qu’ils avaient apporté avec eux de sain et de nouveau se retrouve aujourd’hui dans la dernière des écoles de la Poméranie. Voilà ce que faisait, après léna, le gouvernement prussien, pendant que Napoléon ne songeait à l’instruction publique que pour rouvrir aux enfants de la bourgeoisie les anciens collèges des Jésuites.
La pédagogique, dira-t-on, ne traite pas de matières si abstruses qu’un bon esprit, désireux de s’instruire, ne puisse pas lui-même s’en rendre maître. Mais nos instituteurs, une fois engagés dans leur métier, fatigués par le travail quotidien, ne songent guère à étudier une science dont on ne leur a jamais rien dit à l’École normale; ils sont d’ailleurs portés à s’exagérer la valeur de leur expérience personnelle, et à la placer au-dessus de tout le reste. Les conférences d’instituteurs, dont on s’était beaucoup promis , n’ont tenu qu’en partie ce qu’on en attendait : faute de principes communs, faute de connaissances historiques, la discussion n’aboutit pas et tourne toujours dans le même cercle. Nos maîtres ont bien entendu parler de certains perfectionnements : l’enseignement par la vue, les leçons de choses, les jardins d’enfants, tout cela est venu jusqu’à eux, mais confusément. On essaye quelquefois une imitation; mais les expériences, commencées mollement et sur des informations incomplètes, ne réussissent guère.
Comme il arrive quand une science n’est pas régulièrement cultivée dans un pays, et n’a ni ses écrivains faisant autorité, ni son public spécial, tout le monde se croit en droit de se faire une opinion sur la matière. On se rappelle à quels débats passionnés ont donné lieu, vers 1832, l’enseignement mutuel et l’enseignement simultané : la question se traitait à la Chambre des députés et dans la presse quotidienne. Les conseils municipaux et les pères de famille donnaient aussi leur avis, quelquefois d’une façon impérative. D’un autre côté, des novateurs, s’appuyant parfois sur leurs systèmes philosophiques, proposèrent de nouveaux plans d’études. Tel était le besoin de remédier à l’état de choses existant, que plus d’un établissement privé, soit par conviction, soit pour attirer la clientèle des familles, adopta les procédés nouveaux. Ce n’est jamais impunément que les hommes spéciaux abandonnent un coin du domaine de la pensée : la foule ignorante s’y précipite, et les charlatans s’en emparent pour y élever leurs tréteaux.
C’est donc un des besoins les plus urgents de notre instruction publique, que les questions de méthode soient mises à l’ordre du jour, introduites dans le programme des écoles normales, discutées publiquement dans des recueils spéciaux, et examinées avec le plus grand soin par tous les hommes compétents. Presque tout nous reste à faire à cet égard. Il est vrai qu’il existe chez nous, comme en Allemagne, des recueils périodiques destinés aux instituteurs. Il est vrai aussi que des efforts sérieux ont été tentés, surtout en ces dernières années, par quelques personnes de bonne volonté, pour perfectionner nos méthodes. Mais nous sommes encore loin des journaux pédagogiques d’outre-Rhin. Si nous examinons un ou deux des recueils composés pour nos instituteurs, nous constatons qu’ils donnent des articles sur une quantité d’objets qu’on pense devoir intéresser nos maîtres d’école, mais il est bien rare d’y voir traiter les questions d’enseignement. Je prends un de ces journaux et je trouve, après un exposé de la politique générale, un article sur les vaisseaux cuirassés, un morceau sur le bon entretien des chemins vicinaux, des nouvelles et faits divers, un article Tribunaux, et enfin le cours authentique de la Bourse. Un feuilleton avec gravures complète le numéro. S’il a paru dans la semaine une circulaire ministérielle ou des mutations dans le personnel, naturellement on les reproduit. Qu’on fasse des journaux pour nos instituteurs comme pour les jeunes demoiselles, je n’y vois pas d’inconvénient, s’ils s’en accommodent; mais ce serait trop juger les choses d’après l’étiquette, que de croire que nous aurons ainsi l’équivalent, même lointain, des nombreux recueils pédagogiques d’Allemagne, où collaborent tous les hommes d’école, et où la méthode de l’enseignement est élevée à la hauteur d’une science.
Avant tout, il faudrait nous mettre au courant des progrès réalisés à l’étranger. Sous le ministère de M. Duruy, des hommes distingués ont été envoyés en Angleterre, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en Amérique, et l’ensemble de leurs rapports forme une lecture des plus attachantes. Mais les méthodes ne se laissent pas facilement décrire, et rien, en cette matière, ne vaut l’observation immédiate. Je voudrais donc que nos directeurs d’écoles normales allassent prendre connaissance, à leurs moments de loisir, de quelques établissements modèles situés sur nos frontières. Il serait à désirer, en outre, que des échanges se tissent de pays à pays. De même que nous recevons des élèves étrangers dans nos grandes écoles, je voudrais que tous les ans quelques jeunes instituteurs allassent se faire inscrire à l’École normale de Nivelles ou de Lausanne. Par la comparaison, l’esprit d’observation naîtrait en eux : ce qu’ils auraient trouvé de meilleur, ils le rapporteraient chez nous, ils en feraient part à leurs collègues, et la vie et le mouvement remplaceraient petit à petit la pesante indifférence qui règne dans ces régions de notre enseignement public.
On a dit avec raison que la principale différence entre l’artiste et l’ouvrier, c’est que celui-ci ne réfléchit point sur l’état qu’il exerce. L’introduction des méthodes nouvelles amènera avec elle cette réflexion si nécessaire. Elle transformera la personne morale de nos maîtres d’école. L’instituteur ne doit pas être la machine qui déverse sur les élèves ce qu’on a versé en elle. S’il ne sait que ce qu’il enseigne, il ne sait pas assez. S’il n’a pas médité sur son oeuvre, il n’est pas capable de la bien remplir. La ridicule peur que nous ne devenions trop savants, comme si c’était là le danger dont nous sommes menacés, a fait misérablement réduire, en 1852, le programme des écoles normales, qui, loin d’être excessif, répondait à peine aux plus strictes exigences. Cette défiance de l’esprit qui est l’une des plaies de notre pays, a fait sentir ici son influence malfaisante. Combien de fois n’a-t-on pas dit que les études, dans nos écoles normales, sont trop variées et trop ambitieuses, et que nos maîtres d’école, trop instruits, se trouveront mal à l’aise dans leur enseignement modeste! Apprenons à nous faire une idée plus relevée de l’instituteur. C’est un homme qui prend part dans une mesure restreinte, mais dans une mesure qu’il s’est posée à lui-même, et dont il a conscience, au mouvement intellectuel de son temps. Il connaît l’histoire de son pays : il sait quels sont les besoins de la population au milieu de laquelle il est placé. Il sait aussi l’histoire de l’enseignement élémentaire : il voit quelles en sont les lacunes, et il cherche à parer au plus pressé. Plus il se rendra compte de l’extrême insuffisance de nos écoles, moins il sera exposé aux tentations ambitieuses et indiscrètes. Il ne cherchera pas à excéder sa tâche, qui est déjà bien assez grande, et tout en connaissant ce qui est par delà l’enseignement primaire, tout en s’y intéressant par ses lectures et par ses conversations, il ne sortira pas du cercle dont il s’est tracé les limites.
On a cru bien faire en rétrécissant l’horizon de nos maîtres d’école : la crainte qu’ils ne se changent en hommes politiques se lit à chaque ligne de nos circulaires ministérielles. Mais le vrai moyen d’attacher les hommes à leurs fonctions n’est pas d’en diminuer l’importance et d’en retirer l’attrait. Montrons-leur, au contraire, combien ils sont encore loin du niveau que nous avons le droit d’exiger d’eux pour l’honneur de notre pays et pour le profit de l’enseignement. A vrai dire, sauf quelques exceptions d’autant plus dignes d’éloges, nos maîtres d’école sont des sous-officiers instructeurs. Ils en ont le parler bref et catégorique ; ils ont, comme eux, le respect du manuel imprimé et la défiance- de tout ce qui n’a pas été prévu par le règlement. L’instituteur n’est pas seulement un maître d’écriture et de calcul, il doit être aussi l’éducateur de ses élèves. Il ne faut pas qu’il laisse l’homme à la porte de sa classe et y entre avec un visage de convention. Plus il se montrera homme, plus il s’adressera à toutes les facultés, à tous les bons sentiments des enfants, mieux il remplira ses fonctions. Qu’il joigne à l’enseignement de la classe celui des excursions faites en commun avec les élèves, qu’il les emmène avec lui, les jours de fête, pour visiter au loin quelque site pittoresque ou quelque monument curieux. Il apprendra ainsi à mieux connaître le caractère des enfants, les ressources d’esprit et de volonté qui sont en chacun d’eux. Par les renseignements qu’il pourra leur donner en route, il leur fera sentir le prix de l’instruction, et du même coup il associera dans leur mémoire, aux idées de travail, celles de plaisir et de joie.
Mais il serait injuste et peu raisonnable de demander à l’instituteur une transformation aussi complète sans rien faire pour la lui rendre plus facile. Deux points surtout appellent toute l’attention de l’État : l’organisation des écoles normales et la situation hiérarchique de nos maîtres d’école. Nous dirons seulement quelques mots sur l’un et l’autre point.
Nos écoles normales sont loin jusqu’à présent d’occuper dans l’opinion publique la place importante qui leur est due. C’est d’elles que dépend tout l’avenir de notre enseignement primaire. En élevant l’instruction qu’on y donne, nous serons sûrs de hausser, dans un temps assez court, le niveau de l’instruction qui est distribuée à la jeunesse française. On ne saurait donc y appeler des maîtres assez expérimentés et assez habiles. Cependant c’est un peu au hasard que se recrute la plupart du temps le personnel enseignant de ces écoles : les leçons sont confiées à des professeurs du lycée trop disposés à regarder cette besogne comme accessoire, à d’anciens instituteurs, souvent même à des élèves sortant de l’école ou en faisant encore partie. Il ne faut pas s’étonner dès lors si des branches d’enseignement restent en souffrance. Mais au moins le directeur, qui donne à l’école son impulsion scientifique, pédagogique et morale, devrait-il toujours être un homme considérable par le savoir et par les services universitaires : il semble que l’estime publique dût faire de cette place un objet d’ambition pour les hommes les plus capables. Il n’en est rien : tandis qu’en Allemagne les maîtres les plus éminents de l’enseignement secondaire se trouvent honorés de diriger un séminaire d’instituteurs, l’abîme qui sépare chez nous le lycée de l’école ferait regarder le passage d’un professeur de seconde à la direction d’une école normale comme une disgrâce ou une défaillance. C’est donc dans le personnel de l’instruction primaire qu’il faut ordinairement faire ses choix. Nous en avons trop parlé pour qu’il soit nécessaire d’insister sur les inconvénients de ce cercle vicieux.
La situation hiérarchique de l’instituteur n’est pas faite pour le stimuler au travail. Il dépend surtout des conseils municipaux et du préfet : mais ces autorités sont-elles en état d’apprécier sa valeur et de reconnaître ses services? On le juge d’après des circonstances extérieures. Tel instituteur vit en bonne intelligence avec le maire, avec le curé, avec les pères de famille : c’est un bon serviteur. On n’examine pas si cet heureux accord n’est pas obtenu par des complaisances envers toutes les routines. Pour que l’instituteur aime son état et le remplisse avec sécurité, il faut qu’il sente au-dessus de lui une autorité purement scolaire, qui sache le juger d’après son mérite et d’après son travail. Il faut, en outre, que la considération publique soit la récompense de son pénible et dévorant labeur. J’ai vu comment, dans une ville d’Allemagne, où l’enseignement primaire était pourtant de fraîche date, car elle avait appartenu à la France jusqu’en 1815, tous les fronts se découvraient devant le maître d’école; ses anciens élèves, dispersés dans les diverses routes de la vie, revenaient lui demander conseil, et écoutaient avec déférence sa parole, comme au temps où ils étaient assis sur les petits bancs de la classe, et où il leur traçait au tableau les premiers éléments de la lecture. Le gouvernement n’était pas moins empressé que l’opinion à reconnaître son mérite. La qualification de professeur lui avait été accordée, et l’on peut penser si les jeunes générations, en lui parlant, avaient soin de faire précéder son nom de ce titre, si honoré de tous, et qui ne se donne d’ordinaire qu’aux membres les plus anciens et les plus éminents des Universités.
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