Préface (ci-dessous)
L'arrivée du Grand-Papa
Chapitre premier - La numération
Chapitre II - Suite de la numération : nommer les nombres, écrire les nombres
Chapitre III - L'addition
Chapitre IV - La soustraction
Chapitre V - La multiplication
Chapitre VI - La multiplication (suite)
Chapitre VII - La division
Chapitre VIII - Retour sur la multiplication et la division
Chapitre IX - Origine des fractions
Chapitre X - Les fractions décimales
Chapitre XI - Les fractions ordinaires
Chapitre XII - Le système métrique
Le départ de Grand-Papa
suivi de
Notions élémentaires d'arithmétique.
Il y a
longtemps que j’enseigne l’arithmétique à de grandes demoiselles qui l’ont
apprise déjà, et à chaque fois que je recommence avec une génération nouvelle,
le même chagrin s’empare de moi. Je m’aperçois que la plupart ne comprennent
pas ce qu’elles ont appris, et qu’elles appliquent les règles sans pouvoir les
expliquer.
Quand on se
reporte à ces tribus sauvages de l’Australie, où l’on ne sait compter, dit-on,
que jusqu’à trois, rien ne paraît admirable comme les procédés élémentaires de
l’arithmétique. Il y a là une puissance d’invention, une simplicité, une sûreté
de marche qui force les esprits les plus fiers à s’incliner devant l’inconnu
qui a trouvé cela. Celui-là, certes, fut un génie que peu ont égalé dans toute
la série des siècles écoulés après lui, et il alluma au milieu des hommes une
lumière qui éclaira pour eux des sentiers nouveaux.
Une lumière
devrait s’allumer aussi chez l’enfant quand l’arithmétique lui est révélée.
Loin de là, on dirait presque qu’un trou noir se creuse alors en lui, et que sa
raison naissante s’engourdit à cette étude, au lieu d’en recevoir une
impulsion. Il y apprend à réciter par cœur des formules qui ne disent rien à
son intelligence, et à exécuter machinalement des opérations dont il ne se rend
pas compte, habitude funeste qu’il emporte ensuite dans la vie et dont il ne
lui est pas toujours facile de se défaire.
Cela doit à
un vice radical de méthode dans le premier enseignement.
« Toute la
suite des hommes, dit Pascal, pendant le cours de tant de siècles, doit être
considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend
continuellement. »
Cette longue
éducation de l’humanité, dont le point de départ est si loin de nous, elle
recommence en chaque petit enfant. L’enfant a cet avantage, il est vrai, que,
servi par la tradition qui lui donne en bloc le trésor de découvertes
péniblement amassé par les ancêtres dans toute la suite des âges, il franchit
par enjambées gigantesques le chemin le long duquel ils se sont péniblement
traînés. Mais il ne faut pas croire pour cela qu’on puisse le faire entrer en
possession de son héritage sans suivre l’ordre dans lequel cet héritage s’est
formé. Si rapide que soit sa course, il convient que l’enfant passe par la même
route que l’humanité, et l’on doit respecter dans l’individu, si l’on veut
faire besogne qui vaille, la loi qui a présidé à l’éducation de l’espèce.
Or, nous
savons de reste, sans que personne nous l’ait appris, que le premier
calculateur n’a pas débuté par les règles abstraites qu’on trouve dans les
livres d’école. Il est assez évident qu’il a dû se trouver d’abord en présence
de problèmes pratiques, dont il n’a pu se tirer qu’en tendant tous les ressorts
de son intelligence pour créer la règle, et qu’il n’a pas fait de l’art pour l’art.
Faire débuter l’enfant par la règle abstraite; et lui poser ensuite les
problèmes à résoudre, c’est aller au rebours de la marche de l’esprit humain,
qui en est chez lui au point où il en était dans l’enfance de l’espèce.
Aussi,
qu’arrive-t-il ? C’est que son intelligence, ainsi brusquée, se refuse à
l’abstraction qui se présente avant l’heure, et que sa mémoire seule entre en
jeu pour se charger douloureusement de mots et de pratiques dont le sens lui échappe.
La vraie
méthode est donc ici de le replacer dans les conditions du commencement, et de
le faire assister en quelque sorte à la création de l’arithmétique. C’est ce
que j’ai voulu essayer dans ce conte des Deux
petits marchands de pommes, où je me suis peu inquiété des licences du
récit, qui n’embarrassent pas les enfants. Si l’essai n’est pas suffisamment
réussi, j’espère qu’il se trouvera quelqu’un pour le recommencer, car c’est par
là, sans le moindre doute, qu’il faut conduire les enfants à l’arithmétique. Vienne
ensuite le livre d’école et l’abstraction
pure : elle fera son entrée utilement par une tranchée déjà ouverte, au lieu
d’arriver en ennemie, s’efforçant de
battre en brèche un pauvre petit cerveau fermé.
Ce livre-ci
est donc un livre de préparation, un livre de famille, et je le dédie à toutes
les mères qui ont eu le cœur gros en voyant leur enfant ouvrir, pour la première
fois, le formidable Arithmétique qu’elles se rappelaient peut-être n’avoir
jamais elles-mêmes tout à fait comprise
Jean MacÉ
Beblenheim,
13 décembre 1862.
ouvrage numérisé et mis en ligne par la BNF : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k66226w |
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