25 juillet 2011

Pour un programme riche, clair et précis


      Il y a à peu près vingt ans, la nation [américaine] s’unissait autour d’une idée de bon sens pour améliorer les écoles : une réforme basée sur des standards (standards-based reform). Les standards étaient supposés établir ce que les élèves devaient connaître et être capables de faire et, en conséquence, offrir un guidage clair aux enseignants, aux rédacteurs de programmes (curriculum writers), aux concepteurs de manuels scolaires et d’évaluations et aux professionnels chargés de la formation initiale et continue. L’application de ces standards devaient se traduire par un alignement correct du système éducatif qui fournit aux enseignants toutes les ressources et tous les supports dont ils ont besoin – en tout cas, c’est ce qui fut promis.

Les enseignants savent tous à quel point cette promesse n’a pas été tenue ? Sur aucun point, les standards de l’Etat moyen ne sont assez solides pour servir de fondation à un système d’éducation cohérent et bien aligné. L’AFT (American Federation of Teachers, Fédération américaine d’enseignants) passe en revue les standards d’Etat depuis plus de dix ans, et nos enquêtes nous montrent que les standards des Etats sont, pour la plupart, ou bien trop vagues ou bien trop longs (et parfois, bizarrement, les deux à la fois) – ce qui a été confirmé par de nombreux autres observateurs.

Nous devrions être indignés. Comme les lecteurs d’American Educator le savent bien, la science cognitive a établi que la connaissance se construit sur la connaissance – plus on en connaît, plus on apprend vite. (cf. Articles de Hirsch  et de Willingham, AE, Spring 2006). Et donc il est impératif que les standards  fournissent avec soin une suite de contenus ordonnés allant du début de l’école maternelle à la fin du Lycée. Mais ils ne le font pas. Par conséquent, nous sommes confrontés à des problèmes sérieux :

·        La formation des enseignants porte trop souvent sur des lubies pédagogiques à la mode.
·        Trop de districts n’essaient même pas de développer les standards d’Etat, laissant les enseignants seuls face à ce challenge.
·        Les élèves, spécialement ceux qui changent d’école fréquemment, se retrouvent avec des manques et des répétitions – n’ayant jamais fait d’expérience sur la germination des graines, par exemple, mais ayant lu Charlotte’s Web trois fois.
·        Les concepteurs de manuels essaient de « couvrir » les standards en créant des pavés de 800 pages.
·        Les pronostics des enseignants (et des administrateurs) portant sur les exercices qui seront donnés aux évaluations d’Etat aboutissent souvent à cesser d’enseigner vraiment [pour se contenter de bachoter].

Nous pourrions aborder tous ces problèmes si nous avions des standards clairs, précis, riche en contenus, et détaillés par niveaux. Cela peut paraître évident aux enseignants, mais cela ne semble pas l’être aux yeux des décideurs politiques. Au lieu de fournir le système cohérent, bien aligné dont nous avons besoin, ils tournent leur attention vers une pratique purement comptable. Agissant d’après le présupposé que ce qui est testé est ce qui est enseigné, ils ont grandement desservi les enfants de la nation – spécialement les enfants les plus désavantagés. Comme Heidi Glidden et Amy Hightower l’expliquent dans la revue American Educator de printemps 2007, il y a « un sale petit secret que les éducateurs connaissent trop bien : les tests d’Etat et les standards d’Etat fixant les contenus ne correspondent pas. »

         Il devrait être plus que clair que sans des standards solides, la gestion comptable n’est jamais juste ni valide. Nous pouvons, nous devons faire mieux.

         Nous devons refaire les standards pour qu’ils soient clairs et précis, et cependant d’une longueur raisonnable. Les nouveaux standards d’Etat, clairs, précis pourraient être conçus pour occuper environ 75 pour cents du temps passé à enseigner dans une année – laissant les derniers 25 pour cents libres, afin de permettre aux enseignants de répondre aux intérêts des élèves, aux districts de développer des leçons sur l’histoire locale ou sur les problèmes locaux d’environnement, aux élèves à la traîne de recevoir une remédiation intensive sans passer à côté du contenu fondamental.

         Une fois que les Etats auront des standards solides, la question suivante à se poser sera : de quoi les enseignants ont encore besoin ? D’une réelle aide à l’enseignement. Kathi Cooper, une ancienne enseignante et administratrice dans le District de Sacramento, a expliqué cela très bien : « On ne doit pas attendre des enseignants qu’ils soient à la fois les compositeurs de la musique et les chefs d’orchestre. » Des standards solides sont seulement une des parties d’une fondation qui, au minimum, doit également comprendre un curriculum riche et progressif (exemple : Core Knowledge) et des évaluations qui leur correspondent. 

Quant aux autres supports de formation, 

des guides du maître basés sur les standards (comme celui montré pages 34-37) qui fournissent l’essentiel des connaissances de référence ne seraient-ils pas une bonne chose ? 

Ne serait-ce pas chose utile que des plans de leçon modèles (model lesson plans) à partir desquels les nouveaux enseignants pourraient enseigner et dont les plus expérimentés pourraient se passer s’ils en ressentent l’intérêt, ne serait-ce pas utile ? 

Et une formation initiale et continue qui prépare les professeurs à enseigner le contenu précis qu’ils ont la responsabilité de délivrer ? 

Et des manuels scolaires qui, parce qu’ils sont basés sur des standards clairs d’une longueur raisonnable, sont minces et centrés sur leurs objectifs ?

         Ce n’est pas beaucoup demander. Et tout cela repose avant tout sur le comblement du vide qui se trouve dans les standards d’Etat par un contenu clair et précis.


Texte original : Editor’s Note, “Calling for Clear, Specific Content”, 
American Educator, Spring 2008.  
Traduit de l'américain par Spinoza1670.


Annonce de la traduction sur Skhole.fr : 
"C’est pourquoi, de ce point de vue, à rebours de certaines idées reçues et de bien des réformes scolaires de ces dernières décennies qui s’en sont inspirées, on peut penser qu’une école scolairement plus exigeante, en termes de contenus, de pédagogie et de critères d’orientation, et en ce sens plus scolairement « sélective », pourrait bien avoir pour effet de réduire l’inégalité des destinées scolaires, non de les perpétuer ou de les accentuer." (fin de l'article de Julien Gautier, « En quoi l’école est-elle inégalitaire ? », SKHOLE.FR)
Je viens de traduire selon mes moyens une page de la revue American Educator qui traite de cette question et va dans le sens d'une adéquation entre programmes exigeants et évaluation, entre contenus clairs et précis présentés et formation des enseignants guidée par ces programmes, etc. 
La question de l'orientation n'y est pas traitée mais je pense qu'elle reçoit un nouvel éclairage si l’on se place dans un monde où sont réalisés par le système éducatif un tel curriculum, une telle formation des enseignants, une telle richesse des accompagnements, des supports et des aides, une adéquation entre évaluations et contenus enseignés. 
Dans un tel monde possible - et éminemment souhaitable, comme le montre l'article ; et assez facilement réalisable pourvu que l'on s'en donne la peine - l'orientation pourrait découler des évaluations - toutes choses égales par ailleurs, je pense ici aux différences socio-culturelles qui agissent dans les décisions d'orientation (voir article) - de manière non arbitraire dans le sens où ces évaluations seraient strictement relatives aux programmes nationaux d'enseignement et où tous les élèves du pays seraient égaux devant ces évaluations quels que soient leur académie, localité, établissement, classe, enseignant. 
Ce système scolaire serait ainsi méritocratique. Comme le dit Julien Gautier dans la conclusion de l’article, « si l’école française est particulièrement inégalitaire et reproductrice, ce n’est pas, si l’on en croit les analyses proposées ici, en raison de sa dimension excessivement « méritocratique » voire « élitiste », mais au contraire, dans une certaine mesure, du fait de son défaut de « méritocratisme », défini comme le fait de lier étroitement l’orientation aux résultats scolaires. »

Ce système scolaire serait aussi particulièrement égalitaire, car compensateur des inégalités de départ entre les enfants (en termes de vocabulaire, connaissance, etc.). Voir Egalité de l'opportunité éducative - le Rapport Coleman (1966)).

Méritocratie et égalitarisme, l’un ne va pas sans l’autre.
Avant de lire le texte, il faut connaître la distinction, que ce texte reprend, entre standards et curriculum.

Pour approfondir :

- Importance des programmes - Importance of Curriculum

- Curriculum : A mile wide, an inch deep - Programmes : Un km de large, un cm de profondeur

- E. D. Hirsch, Jr. (Core Knowledge)

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