(Ce texte suit Leçon de choses et Des images pour apprendre à parler.)
L’enfant, bien développé par l’image, enrichit son
vocabulaire en apprenant des poésies ; il fait plus que l’enrichir, il
l’ennoblit. Est-ce un fait ce que je raconte là, ou bien suis-je en train de prendre
mon désir pour une réalité ?
Hélas ! pour être traitée trop légèrement à l’école maternelle,
la poésie constitue seulement un exercice de mémoire, et c’est lui faire injure
que de lui demander si peu. Énumérons, si vous le voulez, tous les trésors que
nous pouvons découvrir dans une poésie. D’abord c’est en général une petite histoire
d’un genre délicat ; en poésie on parle plutôt du soleil et des fleurs, des
enfants roses et gracieux, des papillons, des oiseaux et des actions généreuses
que des choses vulgaires et des actes répréhensibles. Il est rare que l’on se
permette d’écrire en vers : « Ne prends pas le bien d’autrui, parce que tu
irais en prison » ; « Ne mens pas, parce que l’on ne te croirait plus » ; «
Travaille pour gagner de l’argent », etc., toutes maximes qui tendent à nous
américaniser dans le mauvais sens du mot, et qui seraient capables, si nous n’y
mettions bon ordre, de tuer à tout jamais l’élan de notre âme, de notre chère
âme française, si prompte à s’élever vers les étoiles. Le poète s’adresse à l’imagination,
qui est une des fleurs de l’esprit ; il cherche à faire naître l’émotion, qui
est une des fleurs de l’âme.
Mais ce n’est pas tout ; il habille ses idées d’expressions
charmantes, élégantes, gracieuses ; les bonnes choses qu’il dit, il les dit de
façon à les faire paraître aussi jolies qu’elles sont bonnes, et le beau et le
bon se confondent si bien, grâce à lui, que l’enfant apprendrait à ne plus les
séparer…
Mais est-ce qu’il le voit, ce beau ? est-ce qu’il l’éprouve,
ce bon, lorsqu’il apprend ses poésies sans les avoir comprises ?
Oh ! je sais bien ce qu’on me répond en général ; on
me dit : « Nous expliquons tout ; si l’enfant ne répond pas, c’est qu’il a
oublié », et je ne prends, en général, cette réponse que pour ce qu’elle vaut, parce
que l’explication est trop souvent imparfaite pour avoir été insuffisamment
préparée.
Cela semble si facile, parfois !... et c’est pourtant si
difficile… toujours ! Songez donc ! les enfants à qui nous enseignons des
poésies, ce sont ces petits Parisiens qui disent : « Al ajette toujours, a n’port jamais », et que les exemples de leur
milieu dirigent trop rarement vers les choses élevées ; c’est la petite file de
Tours dont la maman a peur que son gâs se
noueye ; ce sont les qu’avont
d’Angoulême, ce sont les enfants de Lens qui tout récemment n’ont pas pu me
comprendre, parce que je leur parlais d’une tasse
de lait, puis d’un bol de lait, alors
que, pour eux, tout récipient s’appelle une jatte…
Puisque la difficulté est incontestable, il est intéressant
de chercher à l’atténuer, sinon à la vaincre. Elle réside : 1° dans le
sens général du morceau, sens qui échappe presque toujours aux enfants ; 2°
dans les expressions choisies par le poète, expressions nobles, alors que les
enfants ne connaissent que le français vulgaire ou les mots de terroir ; 3°
dans le rythme. Ces trois difficultés – principales, car il y en a d’autres – inhérentes
à la poésie et au manque de développement des petits écoliers sont aggravées,
dans des proportions désolantes, par l’enseignement exclusivement collectif.
J’ai dit que le sens général des poésies échappe presque
toujours aux enfants, et je prends un exemple au hasard – dans le tas
considérable.
On récite le Grillon
de Florian. Cette fable a la réputation d’être très facile, aussi l’explique-t-on
peu ; en général les enfants n’y comprennent rien du tout. C’est que l’idée
morale en est extrêmement délicate : le bonheur dans une situation
modeste, obscure même. Cependant faut-il renoncer à cette fable, qui met en
scène deux animaux dont l’un est familier aux enfants ?
Ce n’est pas mon avis ; mais je voudrais préparer l’intelligence
de mes petits élèves à la comprendre. Je prendrais peut-être la chose d’un peu
loin. Ainsi tous les enfants connaissent des petites filles qui aiment beaucoup
à mettre leurs jolies robes et leurs jolis chapeaux pour qu’on les regarde dans
la rue. Quand elles ont mis leur toilette du dimanche, elles se tiennent
droites comme des cierges et ne veulent pas s’amuser, de crainte de déranger
l’harmonie de leur costume. Oh ! elles trouvent la journée lente à passer,
elles ne sont pas gaies au fond du cœur ; mais on les regarde et leur vanité
est satisfaite. Il y a donc des personnes qui aiment qu’on les regarde.
Lorsque les petites filles qui aiment qu’on les regarde
passent dans la rue, il y en a d’autres plus modestement habillées qui
regrettent de n’être pas belles aussi : « Comme elles sont heureuses, se disent-elles,
d’avoir un aussi beau chapeau, une robe que l’on voit de si loin » Elles sont
un peu jalouses de leurs compagnes élégantes.
Cela compris, je raconterais une histoire :
La petite Marie portait pour la première fois une jolie
robe rose avec une ceinture de même couleur dont les bouts descendaient
jusqu’au bas de sa jupe ; elle avait aussi des nœuds roses aux épaules et un
chapeau garni de fleurs. Georgette et Louise, qui n’avaient pas de rubans à
leur robe et pas de fleurs à leurs chapeaux, la regardaient avec envie. « Quel
dommage, se disaient-elles, que notre papa et notre maman ne gagnent pas assez
d’argent pour nous habiller comme Marie ! » Et elles avaient envie de pleurer.
« Veux-tu jouer avec nous ? demandèrent-elles timidement à la petite fille. – Non,
merci ; maman me l’a défendu ; elle a peur que je ne gâte ma jolie robe. »
Georgette et Louise furent à ce moment accostées par des petits amis et des petites
amies, et l’on organisa une partie de cache-cache. De temps en temps, les
enfants passaient en courant devant le banc où Marie était assise ; elle avait
l’air triste, et, comme ils avaient bon cœur, ils la plaignaient ; ni
Georgette, ni Louise, ne regrettaient plus de n’être pas élégantes. On ne faisait
pas attention à elles quand elles passaient dans la rue, mais au moins elles
s’amusaient librement, et elles comprenaient que les belles toilettes ne font
pas le bonheur.
Les enfants ont-ils bien compris cette petite histoire
; l’ont-ils racontée de façon à vous convaincre que ce n’étaient pas des mots
qu’ils répétaient, mais des idées qu’ils exprimaient : racontez-leur la
fable du Grillon. Quand vous aurez
fini, demandez-leur si l’insecte aux ailes bleues, pourpres et jaunes ne
ressemble pas à une petite fille dont vous leur avez conté l’histoire. Si vos
petits élèves sont intelligents, s’ils sont habitués à réfléchir autant qu’on
le peut à leur âge, ils répondront : « II ressemble à la petite Marie. La
maman de la petite Marie l’habillait avec de belles robes, le papillon est né
paré de belles couleurs. » S’ils n’ont pas trouvé tout seuls, mettez-les sur la
voie : ce petit exercice de comparaison n’est pas trop fort pour eux.
Et le grillon, à qui ressemble-t-il ? La seconde
comparaison coule de source, et rien ne peut désormais rester obscur dans votre
explication. Les petites filles modestement vêtues ont fini par plaindre leur camarade
que ses beaux vêtements empêchaient de jouer ; le grillon se félicite de ne pas
attirer les regards. « Oh ! oh ! dit le grillon, je ne suis plus fâché ; il en
coûte trop cher pour briller dans le monde ! »
[La fauvette]
Les enfants
ne comprennent pas plus les mots qu’ils ne comprennent le sens. On récite une fable qui s’appelle la Fauvette. Cette fauvette, revenant de
faire des provisions, voit avec douleur des « écoliers turbulents » en train de
lancer des pierres dans le nid qui abrite ses oisillons.
La directrice est intelligente ; elle a de l’entrain, elle
aime les enfants, elle explique avec brio ; mais elle va un peu vite, se
contente d’à peu près, et ne se doute pas de la peine qu’il faut prendre pour extirper
une idée fausse logée dans une petite cervelle. « Qu’est-ce qu’un écolier ?
demande-t-elle. – C’est un enfant polisson, répond une petite fille. – C’est un
enfant polisson », répondent en chœur tous les enfants, et la jeune femme passe
outre. Mais… je l’arrête. « Est-ce que vous êtes des polissons, mes enfants ? –
Oh non ! madame. – Cependant vous êtes des écoliers. Est-ce que, par hasard,
vous ne savez pas ce que c’est que des écoliers ? » Et ils l’ignoraient en
effet ; nous nous figurons trop facilement que les enfants sont familiarisés
avec tout ce qui, pour nous, est usuel. La maîtresse, invitée à donner
l’explication, s’en tire à merveille, puis demande à tous les enfants : «
Qu’est-ce qu’un écolier ? C’est un enfant qui va à l’école. – Très bien. » Et
encore une fois elle se dispose à passer outre. « Pas encore, lui dis-je ;
adressez-vous individuellement à la petite fille qui, tout à l’heure, vous a
fait une réponse erronée. » – « Qu’est-ce qu’un écolier ? lui demande de
nouveau avec beaucoup de bonne grâce la maîtresse. – C’est un enfant polisson
», reprend la fillette, qui en était restée à son idée primitive. Et alors, il
a fallu travailler ! « Tu viens à l’école, et parce que tu viens à l’école tu
es une écolière. Pourquoi es-tu une écolière ? – Parce que je viens à l’école. –
Comment s’appelle une petite fille qui va à l’école ? – Une écolière. – Et un
petit garçon qui va à l’école ? – Un écolier. – Quand les enfants sont sages à l’école,
ce sont des écoliers ? … – sages. Et quand ils sont polissons, ce sont des écoliers
?... – polissons. – Tu comprends bien maintenant que tous les écoliers ne sont
pas polissons, puisqu’il y a ici beaucoup d’enfants sages ? – Oui. – Eh bien,
dis-moi maintenant ce que c’est qu’un écolier. – C’est un enfant qui va à l’école. –
Bravo ! »
Vous vous tromperiez, chères lectrices, si vous croyiez
que la victoire a été aussi rapide que je le raconte au paragraphe précédent ;
il y a eu plusieurs tâtonnements ; mais, enfin, l’enfant y est venue
d’elle-même, et tout à fait
d’elle-même, sans qu’il ait été nécessaire de lui souffler les premières syllabes
de sa réponse. Les vingt minutes réglementaires en ont été fort écornées mais
personne n’avait perdu son temps. D’abord, et c’est le point principal, la
maîtresse avait compris : 1° qu’il ne faut jamais laisser un enfant avec
une idée fausse ; 2° qu’il est parfois très difficile de remplacer une idée
fausse par une idée juste ; 3° que tout ce qui nous paraît couler de source
pour nous-mêmes est une nouveauté pour le petit enfant ; 4° que nous sommes de
grands coupables quand nous n’essayons pas de surprendre les procédés de
compréhension de nos petits élèves. Enfin la petite fille avait appris – pour
un moment, car il faudra recommencer cent fois – qu’il s’agit de réfléchir pour
bien répondre ; ses petits camarades, que j’avais associés à la leçon,
l’avaient appris eux aussi ; quant à moi, j’étais contente, comme je le suis
toutes les fois que je crois avoir fait la conviction dans l’esprit d’une
maîtresse.
[Ceux que j'aime]
Autre exemple : Ceux que j’aime.
J’aime maman,
qui promet et qui donne
Tant de baisers à son enfant.
Je tiens infiniment à cet exemple parce que les deux
vers et l’idée qu’ils expriment sont d’une simplicité telle qu’il ne peut venir
à l’idée de personne que les enfants n’ont pas compris.
A personne, ai-je dit ? Ce n’est pas tout à fait exact
parce que, dès le premier vers et d’après la façon dont il était coupé, j’ai
été persuadée que les enfants n’y avaient vu que du feu. En effet, ils avaient
récité sur le ton criard de la lecture :
« J’aime maman, qui promet et qui donne » ; ils s’étaient
arrêtés là, comme si l’idée était achevée, et, un peu plus tard, ils avaient ajouté :
« tant de baisers à son enfant ». C’était bien cela, en effet, les enfants
n’avaient pas compris que le second vers était le complément indispensable de
l’idée ébauchée dans le premier ; et il a fallu du temps et de la peine
pour les faire respirer après « promet » et leur faire dire sans interruption «
et qui donne tant de baisers à son enfant ».
Mais le résultat obtenu, voici bien une autre
difficulté : le mot « baiser » n’est pas du vocabulaire des gens du
peuple. Ils embrassent leurs enfants
; ils ne leur donnent pas de baisers. Vous doutez peut-être de mon assertion ?
Eh bien, voyez un peu : « Vous aimez votre maman parce qu’elle vous donne
quelque chose, leur ai-je dit. Que vous donne-t-elle ?
– Du pain ! de la viande ! de la soupe ! du vin ! du café
! »
Bref, de tout excepté des baisers. Je veux les ramener
vers l’idée de la poésie. « Oui, leur dis-je, votre maman vous donne bien de
tout cela ; mais elle vous donne aussi autre chose qui vous fait bien plaisir.
Rappelez-vous ce que vous avez récité : « J’aime maman, qui promet et qui
donne tant de baisers à son enfant ». Réfléchissez bien. Que vous donne-t-elle,
votre maman ?
– De la viande ! du vin !» etc. Alors, j’ai
pris un enfant sur mes genoux, je lui ai dit : « Comme tu es bien
gentille, je vais te donner un baiser ». Après le lui avoir donné : « Tu
vois bien, c’est ça un baiser ; je t’avais promis un baiser et je te l’ai donné
; maintenant, je te promets deux baisers : les voici ; et encore je te promets
beaucoup, beaucoup de baisers, autant de baisers que tu en voudras », et je
l’ai couverte de baisers.
On avait compris.
Hélas ! il y a beaucoup d’enfants qui ignorent non seulement
le mot, mais la chose ! Que leur apprendrons-nous, si ce n’est cette chose
exquise qui leur manque, le baiser,… presque autant que le mot.
L’enseignement exclusivement collectif des poésies
donne lieu aux méprises les plus regrettables. Si quelques enfants, parmi les
plus avancés, entendent et répètent exactement, la plupart des autres se
laissent tromper par les analogies des sons, et entassent avec candeur dans
leur mémoire non-sens sur énormités.
[L'Araignée et le Ver à Soie]
Ainsi on récite l’Araignée
et le Ver à soie. Disons, en passant, qu’entre autres idées fausses ayant cours
dans les écoles, il faut noter celle de l’inutilité des fils de l’araignée. On
les compare à ceux du ver à soie, et l’on n’a pas assez de mépris pour les
premiers, tandis que l’on ne sait pas assez exalter les seconds. Au point de
vue industriel, c’est permis ; mais en histoire naturelle, est-ce qu’il n’y
a pas identité absolue ? Et cette observation, lancée, revenons à notre poésie.
Pour moi, mon travail est utile,
Si je fais peu, je fais bien.
Ces deux vers sont, par altération, remplacés pour une
quantité d’enfants par ceux-ci :
Pour moi, mon travail étudie,
Si je fais peur, je fais bien.
Comment ne pas emporter une tristesse navrante d’une
école où l’on a entendu de pareilles énormités ? Croyez-vous vraiment que si
l’explication avait été bien faite, les résultats seraient aussi décevants ? Croyez-vous
aussi que si les mots avaient été bien détachés, bien prononcés par la
maîtresse d’abord, puis par quelques enfants, choisis surtout parmi ceux qui
ont besoin d’être suivis avec plus de sollicitude, croyez-vous que si l’on
avait fait réciter ensuite à tous, sans leur permettre de crier, pour éviter le
brouhaha, croyez-vous enfin que si l’on avait fait chaque jour réciter quelques
élèves individuellement, on n’aurait pas mieux réussi ?
[Grenouille verte, Danseuse alerte]
Dans le même ordre d’idées, voici deux autres vers qui
font partie d’un chant d’école :
Grenouille verte,
Danseuse alerte.
Les enfants chantent ainsi :
Gre-nouille verte,
Dan-seusalerte.
Ici c’est le chaos intellectuel et malheureusement presque
inextricable. Avec beaucoup de peine, nous arrivons à faire un mot des deux
parcelles séparées gre-nouille, l’animal est assez familier aux enfants ;
l’adjectif « verte », qui s’adapte à grenouille, est fait pour nous aider
plutôt que pour nous entraver. Quant au second vers, que de peines ! Il faut
avoir assisté à ces séances de redressement intellectuel pour s’en faire une
idée. Nous avons d’abord détaché le mot alerte, puis nous l’avons expliqué par le fait séance tenante – l’inspectrice
générale faisant d’abord le tour de la classe d’un pas lourd, puis faisant un
second tour d’un pas leste, vif, alerte… et tous les enfants l’imitant ensuite
dans les mêmes conditions.
« Eh bien, maintenant que vous êtes des marcheurs
alertes, faites-moi voir si vous êtes aussi des danseurs alertes. » Vous croyez
peut-être que la seconde expérience alla toute seule ? pas du tout. Il fallut
encore danser lourdement, puis lestement pour faire comprendre la danse alerte
; il fallut parler de danseurs alertes, avant d’en arriver aux danseuses
alertes, et enfin à la « danseuse alerte » de la poésie, et je ne suis pas bien
sûre d’avoir fait pleine lumière dans les esprits.
Ah ! si l’on avait fait dire d’abord « grenouille », et
pas gre-nouille ! si l’on avait montré une grenouille, – il y a presque partout
un tableau qui la représente ; – si l’on avait fait dire ensuite « danseuse »
en ajoutant « C’est la grenouille qui danse. C’est une danseuse. Elle danse
légèrement, comme vous, lorsque vous ne faites pas de bruit ; c’est pour cela
qu’on l’appelle danseuse alerte. »
Si, si, si…
[La Laitière et le Pot au Lait]
Une autre fois c’était la Laitière et le Pot au lait. Le ton de la récitation, les mots
écorchés me chagrinèrent, il me semblait impossible qu’un morceau de poésie
ainsi « crié » eût été compris. Je priai la directrice de désigner l’enfant qui
savait le mieux la fable, et quand il eut fini :
« Comment s’appelait la laitière ? » lui demandai-je,
Il resta muet ; je renouvelai ma question, je m’adressai
à quelques-uns de ses camarades. Même insuccès dont je ne fus d’ailleurs pas
surprise, les enfants ayant récité « Perrettesursatête », comme s’il se fût agi
d’un seul mot : «Perrettesursatête».
Je vins donc à leur secours. « Elle s’appelait
Perrette, comme d’autres s’appellent Mariette, Georgette, Antoinette. Comment
s’appelait-elle ?
– Perrette.
– C’est bien.
– Que portait-elle sur sa tête ? »
Cette seconde question n’eut pas d’abord plus de succès
que la première ; cependant je finis par obtenir cette réponse :
«Une laitière !
Comment ! une laitière ! Perrette portait une femme
sur sa tête ? »
source : http://elle-brode.over-blog.com/article-la-laitiere-et-le-pot-au-lait-64392386.html |
Ici la maîtresse intervint : « Dans ce pays, me dit-elle,
« laitière » est synonyme de « pot au lait » ; le vase dans lequel on
met le lait s’appelle une laitière. »
Vous voyez d’ici le malentendu. Mais alors que comprenaient
les enfants lorsqu’ils disaient : « Notre laitière ainsi troussée comptait
déjà dans sa pensée»? etc., etc.
Oh ! mon Dieu ! ils ne comprenaient rien ; c’était du
fouillis, du galimatias !
Il tombe sous le sens cependant que lorsqu’il s’agit
d’un exercice de langage, et l’étude d’une poésie est l’exercice de langage par
excellence, on doit faire traduire
d’abord en français les expressions du terroir. Dans le cas présent, le
titre de la fable lui-même, la Laitière
et le Pot au lait, appelait, exigeait cette traduction. Car, enfin, dans
l’esprit de ces enfants pour lequel une « laitière » signifiait un « pot au
lait » que devenait le pot au lait indiqué dans le titre ? S’agissait-il
de deux pots au lait ? C’est à s’y perdre !
Et puis : « Racontez donc la fable comme un conte
! »
« Il y avait une fois une marchande de lait (comment
appelle-t-on les marchandes de lait ?) qui s’appelait Perrette (comment
s’appelait cette laitière?). Un jour, elle allait vendre son lait à la ville. Elle
avait mis son pot au lait sur sa tête ; mais le pot au lait était en terre
durcie, ou bien en bois, ou bien en fer battu, ou bien en cuivre, et c’était
lourd et dur sur la tête de Perrette ; alors elle avait mis un petit coussin,
un coussinet », etc.
Ces enfants étaient intelligents, vivants, charmants
j’ai passé avec eux un moment inoubliable !
…………………………………………………………………………………
[Conclusion.]
Et si l’on me demande la conclusion de ces nombreuses
pages, je dirai : L’enfant a un corps qu’il faut soigner, une âme qu’il
faut respecter, une intelligence qu’il faut développer ; en transformant notre
école maternelle en école préparatoire, en traitant l’enfant en « matière
scolaire », nous sommes coupables envers son corps, envers son âme, envers son
intelligence. Si nous péchons, c’est par ignorance, ignorance de l’enfant
lui-même dont nous avons la charge, et c’est ici ou jamais le cas de dire «
charge d’âme » ; tous nos efforts doivent donc tendre vers les études
psychologiques. Il y a de bons livres ; il faut les lire et les vivre ; mais il
y a surtout l’enfant, le livre vivant ; il faut le pénétrer, ce qui équivaudra
à le respecter, à l’aimer.
Pauline Kergomard, L'éducation maternelle dans l'école, deuxième série, 1895
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