28 novembre 2012

La conjugaison et l'EPS : je cours, tu lances, il saute, nous grimpons, etc.

neoinstit a écrit:Moi aussi j'en suis aux verbes en -er au présent. Certains élèves ne savent toujours pas "donner l'infinitif" d'un verbe, trouver le "sujet" d'un verbe.

phi a écrit: Ça, les miens commencent à savoir faire (bon il y a quand même eu énormément de "parter" à la place de "partir" donc je leur ai réexpliqué qu'en conjugaison on ne parlait pas une autre langue bizarre mais bien le français et que je ne pensais pas qu'ils disaient "il faut parter" à la maison, on verra bien...
En revanche on n'a pas commencé à conjuguer... Bon cela étant déjà savoir ce qu'est un verbe et un sujet, et différencier les noms et les verbes, dans une classe lambda c'est bien à cette époque de l'année? Non? Dites moi que c'est déjà pas mal...

doublecasquette (= C.Huby) a écrit : C'est déjà pas mal ! Et je le pense vraiment, en plus... 

Pour la reconnaissance du verbe, et sa conjugaison, vous avez pensé au mime en EPS ?
Un élève (ou un groupe d'élèves, si on veut travailler les personnes du pluriel) tire une étiquette dans un "chapeau" (courir, sauter, lancer, dormir, ouvrir, fermer, chanter, attraper, écouter, etc.), la lit et mime l'action.

Les autres sont partagés en deux groupes ceux qui emploieront la 2e personne et ceux qui emploieront la 3e personne.
Les premiers doivent dire "Tu sautes ?" ou "Vous sautez ?", les seconds doivent confirmer "Oui, il(s) saute(nt) !".
Et l'acteur ou les acteurs répondent à la 1e personne "C'est ça, je saute" ou "C'est ça, nous sautons".
(On peut utiliser un jeu d'étiquettes qui leur rappellera quel pronom ils sont censé employer et utiliser systématiquement les mots clés qu'ils ont de la peine à mémoriser).



Après, en classe, en conjugaison, rappeler ce jeu, réactiver les souvenirs en ressortant le matériel, en faisant lire quelques verbes à l'infinitif avant d'en demander d'autres, ou un ou deux pronoms pour faire "redémarrer la machine".

Ce sont des élèves qui n'ont pas été habitués à découvrir plusieurs mots nouveaux par jour et, surtout, à les réemployer ensuite très régulièrement (la faute aux "séquences" ou "projets"qui, une fois terminés et évalués, sont évacués au profit des suivants). Il faut enclencher ce processus (avec quatre à cinq ans de retard), ça va venir, mais c'est long.

D'ailleurs peut-être n'est-ce pas vous qui en profiterez... On va croiser les doigts pour que l'instit de l'an prochain ne renvoie pas tout ça dans les limbes en procédant lui aussi comme si un cerveau humain pouvait, comme un ordinateur, enregistrer à vie dans sa mémoire sans avoir besoin de réactivations fréquentes !

source : Utiliser Ecrire, Analyser au CE1 (forum Neoprofs)



D'autres textes de Catherine Huby :








Le constructivisme et la main à la pâte sont les deux mamelles de l'échec scolaire en science, telle est la thèse défendue par Catherine Huby dans ce texte polémiquement jouissif.
Pauvre Shéhérazade ! A propos de l'article "L’écrit douloureux de Shéhérazade, candidate à l’enseignement"  (blog Interro écrite) qui montre les difficultés de maîtrise de la langue française d'une étudiante préparant les concours de professeur des écoles, Catherine Huby propose un commentaire passionnant. 

Lecture en grande section : présentation du manuel de Thierry Venot, De l'écoute des sons à la lecture (GS).
L'école maternelle : une proposition de programme d'enseignement ambitieux pour l'école maternelle.

Nuls en maths ! (les élèves n'apprennent pas bien à calculer à l'école)

Manuel Compter, Calculer au CE1 

26 novembre 2012

Refonder l’école ? Élémentaire ! aurait dit Condorcet, par Danièle Cosson-Schéré

Un article de la revue Skhole.fr à ne pas manquer ...

Dans cet article, Danièle Cosson-Schéré, qui prépare une thèse (PhD) sur le projet d'Instruction publique de Condorcet à la School of Education de Boston University, présente le concept d' "élément" dont Condorcet fait le pivot central de son projet d'instruction, et dont la logique et l'orientation se distinguent nettement de celles qui animent aujourd'hui la politique dite du "scole commun".

Refonder l’école ? Élémentaire ! aurait dit Condorcet, par Danièle Cosson-Schéré


Condorcet (source de l'image : http://les.guillotines.free.fr/condorcet.htm)

22 novembre 2012

PISA dans les journaux


Étude Pisa sur les résultats des élèves : Vincent Peillon promet le pire

http://www.lesechos.fr/economie-politique/politique/actu/0203086062400-etude-pisa-sur-les-resultats-des-eleves-vincent-peillon-promet-le-pire-621480.php

Par Marie-Christine Corbier | 23/10 | 19:15 | 8commentaires

Le ministre de l’Education nationale a annoncé ce mercredi à l’Assemblée nationale des résultats catastrophiques concernant l’étude Pisa de l’OCDE, qui doit sortir en décembre. L’OCDE parle de «spéculations».

Vincent Peillon - AFP
Vincent Peillon - AFP
Les résultats officiels ne sont pas encore connus, mais les grandes manoeuvres de communication ont déjà démarré. « Nous sommes sous le choc Pisa, pour l’instant, et ça va être encore pire », a lancé ce mardi le ministre de l’Education nationale, lors de son audition devant la commission élargie (Finances, Affaires culturelles et Education) de l’Assemblée nationale, à l’occasion des débats sur le budget de la mission de l'enseignement scolaire pour 2014.
Réalisée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’enquête PISA est devenue la principale évaluation internationale des systèmes éducatifs. La dernière date de 2009. La prochaine est annoncée pour le 3 décembre. Et Vincent Peillon a visiblement décidé de s’appuyer sur cette étude - qu’il promet catastrophique pour la France - pour mieux justifier les réformes qu’il mène pour l’école.

« Réussir tous ensemble »

« Le système scolaire, et c’est une spécificité française qui va nous être rappelée bientôt, il marche pas mal pour beaucoup d’élèves, ajoutait-il ce mardi. Mais il commence à très mal marcher pour une proportion de plus en plus importante d’élèves. Et c’est à ceux-là que nous devons nous adresser (les 15 à 25  % d’élèves qui ne réussissent pas, NDLR), parce que opposer la réussite des uns à celle des autres, c’est une erreur. » Pour le ministre, les pays qui réussissent le mieux sont «  ceux qui font réussir tous ensemble et qui élèvent le niveau de tous ». « On ne construit pas une élite efficace sur l’échec de 20 à 25  % (d’élèves) », a-t-il ajouté, en précisant que notre élite était « en train de diminuer sur les performances d’excellence ».
Le ministre de l'Education nationale avait déjà annoncé, le 10 octobre, sur Canal + , à propos de l’étude PISA à paraître en décembre  : «  La France décroche totalement, dans les performances de ses élèves. Sur dix ans. Et sur un certain nombre de compétences, ça devient dramatique. Ce n’est pas seulement la lecture. Ce sont les mathématiques. C’est la confiance des élèves en eux-mêmes (...) Et en plus, et ça c’est terrible pour nous tous, c’est le pays dans lequel les inégalités sociales et scolaires s’accroissent le plus. On laisse sur le côté 25  % de notre jeunesse. »

« Spéculations », selon l’OCDE

« Nous nous apprêtons à vivre un recul de deux places au classement Pisa où nous occupons déjà une place médiocre », a abondé, ce 23 octobre, à l’Assemblée, la députée UMP Annie Genevard. En s’appuyant sur des informations parues sur le site de Lexpress.fr en mai et en octobre. « Un enseignant coûte 2 millions d'euros sur toute sa carrière, soit un coût de 120 milliards » au vu des créations de postes envisagées, précise-t-elle. La députée doute de l’efficacité de ces postes et de « l’aspect quantitatif » de la politique du ministre. « C’est dépenser plus pour mieux faire, je l’espère, confie-t-elle aux « Echos ». Mais je n’en suis pas certaine. »
A l’OCDE, les annonces sur le positionnement de la France dans la future étude Pisa sont perçues comme autant de « spéculations ». « Nous n'avons pas encore terminé les études des tendances qui permettent de parler de hausse ou de baisse », confie Eric Charbonnier, expert sur l’éducation.

A la 18e place pour la compréhension de l'écrit
La Finlande est, avec la Corée, le pays le plus performant de l'OCDE en matière de compréhension de l'écrit, avec respectivement 536 et 539 points, selon les résultats des derniers tests Pisa de l'OCDE, réalisés en 2009 sur des élèves de quinze ans et publiés fin 2010. La France, elle, avec 496 pour les tests de compréhension de l'écrit, est passée, entre 2006 et 2009, de la douzième à la dix-huitième place des pays de l'OCDE.
Écrit par Marie-Christine CORBIER
Journaliste
mccorbier@lesechos.fr

D’où viennent les mauvais résultats de l’école primaire en France ? (Maryline Baumard, 22/11/2013)

D’où viennent les mauvais résultats de l’école primaire en France ?

Dans les mois à venir, les programmes du primaire en date de 2008 vont être réécrits. Les enseignants viennent d’être sondés sur leur appréciation et leur application de ces textes. Pourtant, selon le rapport de l’inspection générale intitulé "Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008", que Le Monde s’est procuré, les mauvais résultats de l’école primaire française qui n’apprend à lire et à compter qu’à 80 % des enfants, ont des racines plus profondes que la seule mise en cause des programmes. Dix grandes leçons ressortent du travail collectif remis au ministre en juin 2013.

Leçon 1 : pourquoi trop d’écoliers ne lisent pas
« Ce qui frappe dans ce domaine de la lecture, c’est que la majorité des maîtres ne dispose pas des cadres théoriques minimaux, ce qui ne leur permet pas d’être lucides quant à leurs pratiques. Ils ne différencient pas les composantes des compétences de compréhension et ne peuvent donc pas les faire travailler explicitement. Ils n’ont guère de repères pour juger de la complexité des textes qu’ils proposent et n’ont souvent de critères de choix que la longueur ou le thème : sur cette base, ils ne peuvent pas penser des "progressions" mais seulement des "programmations". »
Si l’on lit bien le rapport de l’inspection générale, signé par Philippe Claus, les enseignants, qu’on devrait former prioritairement à l’enseignement de la lecture, croient bien faire, mais manquent d’abord de compétences. Un effet de la suppression de la formation initiale sous le gouvernement précédent, mais aussi une lacune plus profonde, car l’enquête n’a pas été menée auprès des seuls jeunes enseignants.
Et l’IG d’ajouter que « certes, aucun maître n’est démuni face à la lecture, sans doute parce qu’il y a toujours quelque chose à faire lire, parce qu’il existe des manuels et des fichiers fournisseurs de questionnaires de compréhension et des éditions d’œuvres littéraires aujourd’hui souvent accompagnées d’un corpus d’exercices. De ce fait, le besoin de (re)penser cet enseignement n’est pas ressenti. C’est pourtant urgent. » L’heure est donc grave en la matière !

Leçon 2 : lire n’est pas que déchiffrer
« 98 % des enseignants du cycle 2 ont le sentiment d’enseigner de manière satisfaisante la 'technique' de la lecture et 96 % pensent faire de même pour ce qui est de la compréhension des textes. Un peu plus de 80 % disent effectuer correctement ce qui est requis d’eux sur les œuvres intégrales et 78 % se montrent satisfaits de ce qu’ils font en matière de lecture à haute voix. Pour certains, le travail pourrait être plus approfondi mais tous disent s’acquitter du programme en matière de lecture. »
Lorsque Philippe Claus interroge les enseignants tout va donc pour le mieux ! Et pourtant l’inspecteur ajoute que « les observations ne confortent pas forcément ces scores satisfaisants. Si quelque chose a évolué dans les dernières années, c’est sans doute la conscience de ce qui est exigible au cours préparatoire et la nécessité alors de mettre en oeuvre un enseignement systématique, structuré, exhaustif des correspondances graphophonologiques. Mais cette avancée a un revers : l’enseignement du code et de la combinatoire est souvent devenu l’affaire du seul CP avec un manque de suivi approfondi au CE1, une absence du renforcement nécessaire pour parvenir à l’automatisation, seul gage de plein succès en lecture. Les élèves les plus faibles ne sont pas pris en charge à proportion de leurs besoins dès cette seconde année du cycle 2, ce qui fait dire à certains inspecteurs que le début du 'décrochage' date de ce moment-là. »
Et ceux qui n’ont pas eu assez de temps en CP ont du mal à combler les lacunes en CE1. « De manière assez générale, le temps de lecture décroît fortement du CP au CE1. Les écarts extrêmes observés au cours de l’enquête vont de plus de cinq heures hebdomadaires au CP à moins de deux heures au CE1. Ce que doit être l’enseignement de la compréhension est encore mal assimilé. La découverte des textes, quand la maîtrise du code commence à s’installer, n’est pas enseignée avec méthode. La compréhension est traitée, en collectif, de manière superficielle et globale, sans distinction entre les composantes cognitives de niveaux différents qui la constituent. Pour les maîtres eux-mêmes les stratégies que les élèves doivent mettre en oeuvre pour apprendre à comprendre ne sont pas explicites. Il manque donc aux maîtres des compétences importantes que la formation ne leur offre pas. Ce défaut semble valoir aussi bien pour les maîtres depuis longtemps dans les classes, qui n’ont donc pas bénéficié des derniers apports de la science et pour les nouveaux venus, sans formation depuis 2008. »

Leçon 3 : les élèves n’écrivent plus
« La pratique de l’écriture manuscrite longue (plus de 10 lignes) reste rare, toutes formes d’activités confondues, ce qui empêche les élèves d’acquérir l’aisance et la vitesse qui seront utiles, dans la prise de notes par exemple. Il est dit que l’effort d’écriture rebute les élèves, et on le leur épargne. » Le constat est sévère. Rien ne permet de l’infirmer si ce ne sont les contre exemples positifs. « Des enseignants qui pratiquent l’écriture libre trouvent que "l’écrit se libère", ce qui rend plus aisée la rédaction sur sujet imposé. Il importe de signaler que ces pratiques ont été observées dans des écoles de l’éducation prioritaire ; leur efficacité montre qu’il est possible d’être exigeant et que, dans ces écoles, les ambitions que l’on se donne le plus communément sont trop réduites. »

Leçon 4 : élaguer les programmes.
L’inspection générale a observé tout au long de son enquête que les 10 heures hebdomadaire de français en cycle 2 et les 8 heures en cycle 3 sont respectées. La demande des enseignants serait même d’en faire plus. « Globalement, les équipes pédagogiques qui ne jugent pas les programmes de français trop lourds, voire "infaisables", sont rares ; ce fut le cas, durant l’enquête, dans une seule école (située en secteur rural, accueillant des élèves de milieux sociaux divers, connaissant une stabilité de ses enseignants). Mais même quand ils considèrent que la charge est excessive, tous les maîtres ne sont pas favorables à un trop grand allégement, notamment quand ils enseignent dans les milieux les plus défavorisés. Ils expriment alors leur conviction que la maîtrise du français – que leurs élèves ne peuvent acquérir qu’à l’école – doit être la première des priorités, mieux calibrée sans doute pour chaque étape de la scolarité. Mais selon eux, ce sont d’autres parties du programme qu’il faudrait supprimer pour mettre l’accent sur l’enseignement de la langue. » Un débat pour le contenu des futurs programmes.

Leçon 5 : rédiger des textes, bof… bof
« 92 % des maîtres interrogés estiment travailler de manière satisfaisante la copie, et 94 % la dictée. Pour la rédaction, ils ne sont plus que 52 % à porter ce jugement favorable sur leurs pratiques », explique le rapport. « Si les cahiers des élèves permettent de vérifier que cette dernière affirmation correspond aux réalités, les écrits n’attestent pas nécessairement un enseignement rigoureux du geste d’écriture. L’observation en classe met en évidence que l’écriture cursive et les pratiques de copie sont souvent mal fixées, avec les conséquences en matière de lenteur et d’approximations graphiques que cela aura inévitablement à plus ou moins long terme. Des inspecteurs qualifient les activités graphiques et de copie d’activités bouche-trou ; ils indiquent ainsi que le maître intervient peu et n’accorde guère d’importance à ces tâches qui relèvent d’un rite scolaire et ne sont pas perçues dans ce qu’elles peuvent avoir de formateur. »

Leçon 6 : l’anglais ? La grande mystification
« L’horaire réglementaire indiqué par les programmes pour l’enseignement de la langue vivante étrangère au cycle 2 et au cycle 3 est de 54 heures annuelles, que les enseignants peuvent décliner hebdomadairement en fonction de leur projet pédagogique. Force est de constater que ces horaires ne sont pas du tout respectés dans 90 % des écoles au cycle 2, où ils varient de 30 minutes à une heure. Seuls onze départements déclarent que les élèves bénéficient d’une heure et demie d’enseignement de langue par semaine. Pour ces derniers, quelques inspecteurs précisent toutefois que la réalité est sans doute inférieure à l’horaire porté à l’emploi du temps. Il semble qu’il soit mieux respecté au cycle 3 dans lequel il se décline majoritairement selon la formule de deux fois quarante-cinq minutes par semaine. Mais, d’une part, beaucoup d’enquêtes notent une nouvelle fois que, si cet horaire est bien affiché, il n’est pas sûr qu’il soit effectivement réalisé, d’autre part les enseignants eux-mêmes avouent, selon les inspecteurs, qu’ils utilisent assez souvent le temps dédié à l’enseignement de la langue étrangère pour rattraper une leçon de mathématiques ou de français. » On comprend mieux pourquoi le niveau des jeunes français est un des bas faibles d’Europe. Même l’Espagne est passée devant nous !

Leçon 7 : des maths dans les programmes ? Ah, bon !
Le rapport de l’inspection reprend un à un les grands domaines de compétences qu’un enfant doit maîtriser en fin de primaire s’il veut pouvoir progresser au collège. La situation est globalement mauvaise. L’analyse de l’apprentissage des mesures, est un bon exemple. « Au cycle 2, près de deux maîtres sur trois (62 %) estiment qu’ils traitent de manière peu approfondie ou trop succinctement les "unités usuelles de longueur, de masse, de contenance et de temps ; la monnaie". Les notions de contenance et de masse sont jugées par certains enseignants non seulement "difficiles" à ce niveau, mais "inutile", ce qui ne manque pas de surprendre puisque ces deux notions sont omniprésentes dans la vie quotidienne des élèves comme des adultes, qui sont amenés à considérer des canettes et des pack de contenances diverses ainsi que des aliments achetés au poids (masse en langage courant). Presque autant de maîtres (58 %) négligent la "résolution de problèmes portant sur des longueurs", grandeur tout aussi essentielle. Et on constate que, paradoxalement, dans ce domaine pourtant directement en prise avec le réel, les élèves sont trop rarement conduits à observer et à agir sur leur environnement. Les outils de mesurage sont insuffisamment utilisés dans des contextes de nécessité ou d’utilités concrètes. Le calcul de coûts semble, lui, échapper à cette distance au réel, et on rencontre plus fréquemment des situations (voyages scolaires ; achats pour la classe...) où les mathématiques sont bien un outil pour agir. Au cycle 3 également, ce domaine du programme est indiqué comme étudié trop succinctement par un nombre important de maîtres : 36 % pour "longueurs, masses, volumes" ; 21 % pour les aires ; 16 % pour les angles ; 14 % pour "repérage du temps, durées" ; 10 % pour la monnaie… et 19 % pour les "problèmes concrets" ». Une expérimentation menée par la direction des études et de la prospective du ministère, intitulée PACES, a montré qu’en 6e les enfants qui retravaillaient ces dimensions progressaient beaucoup plus que les autres qui semblaient s’écrouler par manque de bases.

Leçon 8 : vous avez dit oral ?
On regrette que l’élève français ait plus de mal à s’exprimer en public que ses camarades des pays voisins. La lecture du rapport permet de comprendre que cette lacune trouve tôt ses racines. « L’enseignement de l’oral n’est pas planifié : il ne bénéficie que très rarement de créneaux dans l’emploi du temps et, surtout, ne fait l’objet d’aucune progression. Il n’y a pas en la matière de critères de progrès clairs pour les maîtres (c’est rarissime) qui ne cultivent pas chez leurs élèves une attention personnelle quant au "bien parler" ou au "bien comprendre". De manière concomitante, il n’y a pas d’évaluation réelle même s’il en existe des traces dans les livrets. Interrogés à ce sujet, les maîtres prennent alors conscience qu’ils confondent en fait souvent "participation" et "langage" : leur évaluation est positive si "un élève prend régulièrement la parole".
Les professeurs rencontrés justifient leur abstention dans ce domaine par les arguments du manque de temps et de l’obstacle du grand groupe : il faut "gérer les leaders" pour permettre à tous de parler, ce qui finalement est quasiment impossible ; par ailleurs, souvent, les enfants ne sont pas intéressés par le discours des autres, des problèmes d’attention apparaissent, voire de l’indiscipline. »

Leçon 9 : le « dico », objet d’étude et non d’usage
« La place des dictionnaires ne manque pas d’étonner. Dès le CE1, les exercices sur l’ordre alphabétique sont fréquents et au cycle 3 les activités sur le rangement des mots et sur la lecture d’articles de dictionnaires abondent. Mais alors que le dictionnaire est un objet d’étude attesté, il n’est pas un outil de travail. Rares sont les classes où chaque élève dispose d’un dictionnaire à portée de main et est encouragé à l’utiliser régulièrement dans les tâches de lecture et de rédaction. Interrogés à ce sujet, les maîtres ont tous la même réponse : "ça prend trop de temps". »

Leçon 10 : taper de ses 10 doigts
Vous aimeriez que vos enfants apprennent à taper sur un clavier avec leurs dix doigts ? « Au cycle 2, 10 % des maîtres consultés par questionnaire disent mettre régulièrement leurs élèves en situation d’écrire avec un clavier (c’est une composante explicite du programme) et 54 % reconnaissent ne jamais le faire. D’après les observations en situation, c’est sans doute encore trop dire ; aucune trace n’est visible de ce que les élèves produiraient ainsi, sauf dans les cas rares de blogs d’écoles ou de classes, qui mobilisent d’ailleurs plutôt des élèves de cycle 3. Pour ce qui est des supports numériques pour la lecture ou les recherches documentaires, leur usage est compartimenté dans l’esprit des maîtres : "je le fais en sciences" mais ce n’est plus alors pour eux de lecture qu’il s’agit alors que les compétences de lecture y sont sollicitées à l’évidence. Trois arguments, manque de matériel aisément mobilisable, nécessité de travailler en groupes réduits dès que l’on recourt au numérique et temps à consentir pour cela, sont rédhibitoires pour les professeurs rencontrés. »

Conclusion : former les maîtres ou réformer les programmes ?
Le rapport fait le constat que les maîtres n’enseignent pas certains point du programme qu’ils trouvent « trop difficiles », ou « prématurés ». Les inspecteurs généraux estiment qu’il faudrait « procéder, selon le cas, à un accompagnement des maîtres par de la formation, à des reports sur l’année ou le cycle suivant ou à des ajustements dans les niveaux de maîtrise attendus ». Ce qui signifie donc autant revoir la formation des enseignants que les programmes !
Maryline Baumard

21 novembre 2012

Alain Lefèvre, le pianiste qui parle aux enfants

Photographies: Caroline Bergeron
Depuis 23 ans, loin des caméras, des estrades et des micros, le pianiste Alain Lefèvre s’attache à sensibiliser les oreilles des enfants à la musique classique, en visitant bénévolement des écoles partout dans le monde. Pour la première fois, en exclusivité pour Forces, Alain Lefèvre a accepté de partager cette expérience avec un journaliste. Son engagement viscéral pour la cause de l’éducation et de l’ouverture à l’art est passionnel. Et pour cause : « C’est ce qui est le plus sacré pour moi, c’est la mission dont mon père m’a chargé, personne ne peut y toucher », confie le pianiste…
 Il faut avoir la foi chevillée au corps. En ce jeudi après-midi de mai, à l’École Joseph-de-Sérigny de Longueuil, les enfants du primaire, qui suivent pourtant tous un cours d’une heure de musique par semaine, sont passablement agités. Même si le silence se fait lorsqu’Alain Lefèvre se met au piano, cela ne dure pas, et la période de questions se déroule dans une sorte de surexcitation générale. Le pianiste ramène le calme avec fermeté.
            En entrevue, il avoue ne pas envier le sort des enseignants : « Au niveau de l’éducation, il y a une forme de démission totale, puisque le professeur n’accède même plus à l’étape où il peut enseigner; il doit faire constamment de la discipline en se demandant comment faire passer l’heure. » C’est précisément cette expérience de lente dégradation que son père, venu de France enseigner la musique dans les années soixante, a vécue. « Mon père, professeur de musique, militaire de carrière, en est mort. Il est arrivé en 1967, comme professeur dans les écoles publiques, et il a vu, au fil des ans, la tâche devenir impossible. »
            La séance à Joseph-de-Sérigny compte quelques beaux moments : l’exaltation des enfants quand Alain Lefèvre leur demande de quel pays vient telle ou telle musique, où lorsque la petite Jenny, qui pratique le piano deux heures par jour, vient jouer, avec beaucoup de musicalité, un morceau de Schubert.
            Les questions, elles, sont plutôt terre-à-terre  : « Comment t’as fait pour apporter ton piano ? » Cela – Alain Lefèvre en est fier –, c’est Yamaha qui s’en charge. En effet, Lefèvre est « artiste Yamaha », mais ne touche aucune redevance en échange. Par contre, il demande à Yamaha de mettre à sa disposition un piano dans les écoles qu’il visite partout dans le monde. Le pianiste ne touche pas un cent en tant que missionnaire de la musique auprès des jeunes. Si, pendant 23 ans, il a fui les caméras et les journalistes, c’est pour ne pas encourir le soupçon d’en tirer quelque gloriole pour faire mousser sa carrière. Il s’agit d’une mission, et cette mission est sacrée. Cela, on le comprend très vite en en discutant avec l’artiste.

Un million d’oreilles


            En 23 ans, à raison de 23 000 à 28 000 écoliers par an, c’est un total de 500 000 enfants (un million d’oreilles !) qu’Alain Lefèvre a touchés partout dans le monde. Car cette activité ne se limite pas à notre pays. Lorsque le pianiste part en tournée, il a recours au réseau des ambassades du Canada pour organiser les rencontres. « J’ai couvert plus de trente pays et des centaines de villes. J’ai une entente avec le ministère des Affaires étrangères et Commerce international Canada pour faire connaître notre pays et notre culture. »
            L’appui apporté à Alain Lefèvre par le réseau des ambassades n’est pas financier, mais logistique. « Quand des concerts sont prévus dans un pays, j’écris à l’Ambassade du Canada de ce pays : “ Vous savez ce que je fais depuis vingt ans ; pouvez vous me donner les moyens techniques de rencontrer dans telle ou telle ville des enfants dans des écoles ? ” Je fais cela gratuitement. Je demande simplement que l’on assure mon transport et que l’on prévoie la présence d’un traducteur. »
            On sent l’émotion affleurer dans la voix du pianiste quand il évoque certaines expériences, par exemple le premier concert classique donné à Sarajevo après la guerre de Bosnie. « Le lendemain, j’ai rencontré de jeunes enfants victimes de la guerre. Là, j’ai joué les quatre Ballades de Chopin : quarante minutes dans un silence complet devant quarante jeunes filles qui pleuraient. »
            Les défis les plus grands à l’étranger, Alain Lefèvre les a connus dans certains pays musulmans, où la musique classique occidentale est parfois taboue. Le pianiste a pourtant rencontré des jeunes en Syrie, en Libye, en Jordanie et dans les Émirats arabes unis. Il se souvient comme si c’était hier de cette jeune Libyenne à Tripoli, qui, voilée de la tête aux pieds, lui a joué une valse de Chopin.
            Le territoire le plus délicat a été la Syrie, « pays plein de contradictions » aux yeux du pianiste. « La Syrie, à l’époque soutenue par l’Union soviétique, s’est retrouvée avec un conservatoire, à Damas, rempli de professeurs russes et de pianos fabuleux. J’ai donné des classes de maître au conservatoire devant des jeunes qui voulaient apprendre. Mais je me suis aussi retrouvé dans des écoles “normales”, devant des enfants qui n’avaient aucune notion de musique classique. Il me fallait alors faire attention à tout ce que j’allais dire, puisque je parlais d’une culture radicalement différente de la leur, d’une musique judéo-chrétienne qui pouvait être perçue comme une musique ennemie ! » Les choses se sont bien passées : « Le message que j’y porte est que la musique n’a pas de frontières, pas de langue, pas de religion, et qu’elle véhicule et représente la beauté. J’ai connu des expériences extraordinaires, où je jouais la Quatrième Ballade de Brahms dans un silence absolu – chose que, souvent, je ne peux plus faire dans nos pays occidentaux. » En Syrie, les enfants ne sont pas gâtés : « Imaginez ce que cela représente de venir dans une école en Syrie avec un piano à queue et de jouer Brahms. D’un coup, sans que les enfants sachent d’où ça vient, quelque chose se passe; il y a une émotion à couper au couteau, véritablement transcendante. »



Jouer sur une table de cuisine
            Même après des expériences aussi fortes, il y a encore une place pour un inattendu encore plus inattendu… Nous sommes en Algérie, en mai 2005. Alain Lefèvre y donne une série de concerts, à Alger et à Oran. Le 29 mai, à Alger, il déclare au quotidien algérien El Watan : « C’est le début d’une grande histoire. Il y a, ici, des potentialités incroyables ».
            C’est qu’en marge de ses prestations, il a fait, à Oran, une rencontre étonnante : « Un adolescent est venu au piano et a joué le Troisième Impromptu de Schubert. Toute la salle s’est mise à pleurer. Alors, je lui ai demandé : “ Depuis combien de temps joues-tu du piano ? ” Il m’a répondu : “C’est la deuxième fois que je joue sur un vrai piano.” »
            Ce jeune Algérien avait travaillé à Oran pendant cinq ans sur un piano fictif dessiné par son père sur une table de cuisine ! Aujourd’hui, Mehdi Ghazi étudie au Conservatoire de Montréal. Alain Lefèvre salue l’action de « l’Ambassadeur du Canada en Algérie, Robert W. Peck, qui a permis à Mehdi Ghazi, enfant d’une famille pauvre, de réaliser quelque chose de fabuleux, un rêve hallucinant. » Grâce à cet ambassadeur, qui, à la demande d’Alain Lefèvre, a écouté ce jeune prodige, Mehdi Ghazi a pu quitter Oran pour aller étudier au Conservatoire de Montréal.
            « Avec ces enfants qui n’ont rien peut s’opérer la vraie révolution à laquelle j’aspire. Un jeune musulman algérien qui joue du piano se retrouvera peut-être dans dix ans sur la scène de Carnegie Hall à New York; un jeune artiste qui ne sera pas issu de la tradition classique jouera Chopin et, qui sait, changera peut-être le cours des choses. »

Déficit d’attention
            Le travail de sensibilisation musicale des enfants dans les pays occidentaux devient paradoxalement de plus en plus délicat : « J’ai vu une érosion de la concentration. Nos enfants incarnent la génération du zapping. »
            Il y a 23 ans, l’objectif était de faire entendre aux enfants, « en vrai », la musique de Chopin, Mozart, Beethoven ou Debussy. Aujourd’hui, « je ne fais que 10 % de ce que je faisais il y a 23 ans, constate Alain Lefèvre. Il y a toujours un pourcentage d’enfants qui écoutent, mais celui-ci diminue, et il serait aujourd’hui impossible de présenter un concert classique dans une école. »
            Ce constat inquiète beaucoup le pianiste : « Les gens, sur la planète classique, veulent devenir pianiste ou violoniste, ils veulent faire carrière, ils veulent bâtir de nouvelles salles de concert. Tout cela est merveilleux, mais à quoi bon, si on ne renouvelle pas le public ? » Sans pour autant s’en plaindre, Alain Lefèvre souligne la difficulté de la mission qu’il s’est assignée. « Il faut le voir pour le croire… On ne peut plus demander à des institutions comme les orchestres symphoniques de Montréal ou de Québec de faire le travail à la place des autres, parce que c’est injuste pour les musiciens des orchestres. Si 700 enfants ne sont pas capables de garder le calme pendant deux minutes, on ne peut quand même pas dire : “Allez, on va droper les enfants à l’OSM et ils vont écouter un orchestre symphonique.” C’est de l’utopie, et ce n’est pas vrai que l’OSM ou l’OSQ auront du public dans l’avenir si nous ne sommes pas capables de promouvoir l’écoute de la musique au niveau primaire. »
            Le constat n’est évidemment pas spécifique au Québec. Dans beaucoup de pays occidentaux, il lui est de plus en plus difficile pour Alain Lefèvre d’arriver au but, c’est-à-dire de parler de musique classique. « À l’École Mitchell-Montcalm de Sherbrooke, par exemple, ça va ; mais ailleurs, ce n’est pas toujours facile… », dit-il avec dépit.      
            En Angleterre, toutefois, le musicien a constaté une « véritable qualité d’écoute ». Il attribue cela au fait que ce pays a su préserver la présence de la musique dans les écoles et que les enfants y font de la musique et chantent, même dans des écoles de quartier.
          
La problématique va bien au-delà de l’école. Pour le virtuose, c’est un défi qui se pose à toute la société. Il se reconnaît assurément dans les études scientifiques de l’Institute of HeartMath, en Californie – qui ont comparé, à la fin des années 1990, les effets de la musique classique, du rock grunge et de la musique nouvel âge sur le comportement des individus –, lorsqu’il déclare : « C’est un pari qui dérange, le pari que la musique classique a un impact direct sur le cerveau et sur le comportement des enfants. Des études montrent qu’un enfant qui entend souvent du rock aura un comportement plus agressif qu’un enfant qui écoute beaucoup de musique classique. Il s’agit de poser des équations qu’on voulait éluder, c’est-à-dire que même si toutes les musiques sont intéressantes, il y a des effets très graves
de certaines musiques rock, qui rendent les gens extrêmement nerveux et violents. » [On notera que ce débat sur la corrélation entre la musique et le comportement – qui a notamment refait surface après l’attaque perpétrée au Collègue Dawson – n’est pas tranché. Les conclusions de HeartMath ont été contestées par plusieurs autres chercheurs aux États-Unis et par le Groupe de recherche et d’étude sur la musique et la socialité de l’Université de la Sorbonne, à Paris.]
            Cela dit, Alain Lefèvre a assurément raison de constater l’amplification du bruit à notre époque : « Aujourd’hui, dans une émission de télévision, quand un invité arrive ou dit une phrase qui fait mouche, il ne s’agit plus d’applaudir, mais de crier. C’est comme au cinéma : il faut que ce soit énorme. S’il n’y a pas 300 voitures qui explosent en une heure et demie, l’attention n’est pas captée. »
Art, culture et société
            L’attention, Alain Lefèvre l’obtient à tout coup lors de ses apparitions auprès des handicapés et des jeunes en difficulté. « J’ai amené la musique classique à l’École Saint-Pierrre-Apôtre et à l’École Irénée-Lussier, où il y a des enfants déficients intellectuels et à motricité réduite, et j’ai obtenu des résultats extraordinaires avec certains autistes. »
            Le pianiste est aussi engagé dans le projet Art et culture de la Cité des prairies, auprès « d’enfants qui savent à quel point cela peut être bon pour eux, parce qu’ils ont vécu le pire. » Il considère qu’Art et culture peut être « un vrai phénomène pour ceux qui s’y engagent, car l’art a des incidences extraordinaires pour l’enfant; il l’incite à la réflexion, au calme et à la prise de recul par rapport à sa situation. »
            Alain Lefèvre évoque ici ces après-midi où « on n’entend pas une mouche voler », alors qu’il y rencontre « beaucoup d’enfants de 15 à 17 ans qui n’ont jamais été amenés à entendre ne serait-ce que 30 minutes de musique classique. » C’est pour cela que l’heure des questions a sonné : « Quand je vois que dans une école d’autistes et de déficients intellectuels, j’ai une écoute plus attentive que dans une classe d’enfants dits “normaux”, c’est que la problématique devient complexe. »
            Une partie de la faute incombe à une dérive au sein même de la cellule familiale : « Dans nos pays, depuis vingt ans, la cellule familiale a instauré la négociation systématique avec les enfants. Or, à mon avis, s’il y a excès de négociation, il y a impossibilité de transmission. » Ce phénomène s’amplifie dans les centres urbains : « Dès qu’on s’éloigne de Montréal et qu’on va dans les régions, on a plus de chances de rencontrer une soif de savoir. C’est toujours le même principe : les enfants qui reçoivent une surenchère de cadeaux s’en désintéressent, alors que ceux qui ont accès à moins sont plus réceptifs. » Alain Lefèvre est encore impressionné de sa visite auprès des enfants de maternelles et pré-maternelles de l’École Sainte-Lucie à Val d’Or, en Abitibi, en début d’année : « Vous auriez été estomaqué de voir la qualité de la préparation, de la tenue et des questions dans ces classes. »
            Il ne faut hélas pas compter sur les médias pour pallier quelque carence que ce soit. « Si le média le plus respecté actuellement – la télé – n’est pas capable de parler un peu de culture réelle, on ne peut pas demander aux parents de le faire. Si des institutions étatiques diffusent des blocs culturels dans lesquels il y a ni la volonté ni la discipline de dire de manière quotidienne que la peinture, la musique, la littérature et le théâtre, ça existe, et font disparaître systématiquement cette culture millénaire au profit des derniers potins sur Britney Spears, Avril Lavigne ou Christina Aguilera, ils disent en fait à toute une société, prise en otage : “On ne vous donnera plus la possibilité d’accéder à ce que nous avons de plus précieux ; on vous donnera exactement tout ce que vous voulez”. » Selon le pianiste, cette pente est très dangereuse : « Aujourd’hui, cela touche la culture. Bon, on se dit que ce n’est pas si grave ; mais demain, ce sera un politicien qui ne sera plus compris et qui devra tenir des discours simplistes pour se faire entendre ou diffuser. »
            Les politiciens ne sont pas non plus irréprochables dans cette dérive : « L’exercice de la démocratie ne se fait plus. On ne peut en effet pas dire que les enfants ont choisi de ne pas écouter de musique classique, puisqu’il ne leur en est pas proposé. Nous porterons une lourde responsabilité si nous permettons que soit mise en jeu cette préservation de notre culture. »
            Sommes-nous confrontés à ce qu’Alain Minc appelle le « nouveau barbarisme » ? Sommes-nous en train d’entrer dans une période de grands bouleversements qui verra des pays comme la Chine, qui portent attention à des cultures autres que les leurs et ont davantage soif de connaissances, prendre le pas sur nos « grandes nations » ?
            Voilà encore de quoi entretenir de fidèles insomnies…

Le futur des dindons (les conséquences de la "Refondation")

Mowgli sur le forum Neoprofs s'amuse à esquisser un aperçu de l'avenir de l'Education nationale :

La réforme envisagée par Peillon est "un petit investissement qui peut rapporter gros à l'Etat...

Acte 1 : on investit une petite somme (petite par rapport aux gains attendus) pour faire passer une réforme qui permet de faire un premier pas vers la territorialisation des PE par l'intermédiaire des PEL (Plans Educatifs Locaux) . En apparence, ça ne mange pas de pain. Dans ce cadre, les enseignants, encore sous statut de fonctionnaire d'Etat, commencent à faire juste un petit peu de périscolaire (la 24ème heure) sous la tutelle des collectivités territoriales.

Acte 2 : par simple décret, on augmente légèrement la part du périscolaire dans le service de ces enseignants. En apparence, ça ne mange pas encore trop de pain.

Acte 3 : toujours par simple décret, on augmente encore la part du périscolaire et on rédéfinit la mission des PE, qui sont dès lors chargés, à côté de quelques heures d'enseignement, de coordonner les équipes d'intervenants municipaux et associatifs, de plus en plus nombreux.

Acte 4 : un nouveau statut pour les PE, dont le temps d'enseignement est désormais déconnecté de celui des élèves, et dont la principale mission est à présent d'assumer le rôle de contremaître des intervenants municipaux et associatifs. A ce stade-là, il n'y a plus besoin que de quelques PE dans les écoles, la majorité des adultes étant des intervenants.

Acte 5 : le nombre de fonctionnaires d'Etat a fortement diminué, le retour sur investissement s'avère excellent et Bercy ainsi que Bruxelles sont satisfaits !

C'est le projet qu'avait élaboré Allègre pour Jospin dans la Charte pour l'Ecole du XXIème siècle. Les ministres suivants ont continué à faire avancer le dossier et Peillon s'apprête à le finaliser. Very Happy


Micaschiste : et l'Etat continuera à se plaindre que les collectivités territoriales ont trop augmenter leur masse salariale. Cela a déjà été le cas avec les transfert de compétences pour les routes par exemple.

Etape 1 : L'état a laissé se dégrader un tas de routes nationales, anticipant le fait qu'ils allait les transmettre aux territoires locaux. L'état a donc fait de premières économies.

Etape 2 : transfert des compétences pour les routes dégradées qui passent de nationales à départementales avec subvention à la hauteur de ce qu'elles étaient avant le transfert (mais montant ne permettant pas l'entretien, puisque que ces routes étaient à peine entretenues)

Etape 3 : Les départements ont des tas de routes pourries à gérer sans les moyens donc augmentation des impôts locaux...."

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source : http://www.neoprofs.org/t54029p660-reforme-des-rythmes-scolaires-les-pe-seront-les-dindons-de-la-farce#1723923


Voir aussi ...
Réforme des rythmes scolaires : les PE seront les dindons de la farce



Annexe :


A propos du licenciement des fonctionnaires
Un texte de 1980, l'autre de 1998

Tendance historique des réformes de la Fonction Publique :


Caporalisation et management renforcés :
licenciement des auxiliaires,  emploi massif de contractuels,
auxiliarisation des titulaires

Au moment où l'on parle dans les médias de  la possibilité de licenciement des fonctionnaires en l'envisageant à court terme, par le petit bout de la lorgnette et en se perdant dans les détails, il  il importe au contraire de donner les grands axes et orientations des réformes depuis la fin des années 70, grands axes qui seuls permettent, justement, de comprendre les détails. Ceci est d'autant plus important que la stratégie adoptée par le pouvoir depuis les années 75, stratégie conseillée par de nombreux sociologues et conseillers en communication, consiste justement en une stratégie de l'araignée incompréhensible pour qui n'a pas de recul.

En résumé,  sur un fond global de 30 ans de précarisation de la majorité des titulaires et des non-titulaires, pour contrer les rigidités du statut de fonctionnaire, rigidité dont le comble était qu'elle interdisait de licencier, les réformes peuvent être comprises globalement comme un double processus diminuant tendanciellement les rigidités que sont essentiellement le manque de mobilité fonctionnelle et géographique du fonctionnaire
-  aggravation du sort des non-titulaires : remplacement des auxiliaires par des contractuels
- dualisation de la situation des titulaires : auxiliarisation de la majorité des titulaires /  renforcement des garanties et du pouvoir de la hiérarchie 

20 novembre 2012

Effondrement du niveau d'orthographe : "Une bonne orthographe fait de bons lecteurs"

Une bonne orthographe fait de bons lecteurs

le Mardi 19 Novembre 2013 à 11:45

Réconcilier les enfants avec l'orthographe permettrait aussi d'en faire de très bons lecteurs. C'est ce qu'affirme le chercheur et formateur André Ouzoulias, dans une série d'articles qui viennent de sortir sur le site Le Café pédagogique.

Bien écrire est important pour savoir bien lire. © Fotolia.com
Le Café pédagogique, site internet sur l'actualité de l'enseignement, rappelle ces données alarmantes : "les performances en orthographe des élèves se sont littéralement effondrées dans les vingt dernières années. Le niveau des élèves de 5e de collège en 2007 était similaire à celui des élèves de CM2 de 1987 ! Et le niveau des élèves de ZEP de 3e marquait une baisse plus dramatique encore, de 4 années environ".
Et cela a des conséquences directes sur le niveau en lecture...
Oui. C'est ce qu'explique le chercheur André Ouzoulias, pour qui l'orthographe "sert principalement à lire de manière véloce et efficace et, pour le jeune lecteur, à enrichir plus aisément son vocabulaire à travers ses lectures".
Pour vous en convaincre, il prend un exemple difficile à traduire à la radio, mais vous pouvez faire le test sur le site web du Café pédagogique : il rédige une phrase de manière strictement phonétique. Elle commence par le mot "le client", mais orthographié "Leu  kliyan". Vous verrez alors que l'on comprend la phrase, mais que cela exige un effort considérable. Vous pouvez ainsi vous "représenter la procédure utilisée par un lecteur peu familier de l'orthographe lexicale : la disparition des marques orthographiques l'a obligé à utiliser systématiquement le décodage", explique le chercheur. Pendant que le lecteur décode, il n'accède pas au sens.
Mais personne n'écrit comme ça...
Non. Le problème le plus courant, ce sont les fautes d'orthographe. André Ouzoulias propose ainsi un second test dans lequel il utilise des homophones, c'est-à-dire des mots qui se prononcent pareil. Au lieu d'écrire "si", il écrit "scie", et au lieu d'écrire "tous", il écrit "toux".
Là aussi le test est concluant : quand votre œil fixe le mot "scie", "il se représente irrépressiblement l'outil du menuisier" si bien que "pour comprendre cet énoncé à l'orthographe loufoque, explique Ouzoulias, il doit inhiber ses connaissances orthographiques, ce qui rend cette situation plus difficile que la précédente".
Il établit ainsi le lien entre lecture facile et maîtrise de l'orthographe.
Exactement. On mobilise en permanence et sans s'en apercevoir nos connaissances en orthographe quand on lit. Ceux qui ont une mauvaise orthographe doivent effectuer un effort considérable pour accéder au sens.
Ce qui affecte leur accès aux savoirs dans toutes les disciplines.
Absolument, ce n'est pas un problème de français, cela veut dire qu'on comprendra moins bien un cours d'histoire comme un énoncé de mathématique, mais aussi qu'on apprendra plus difficilement les nouveaux mots. C'est vraiment un effet domino.
C'est rédhibitoire ?
Non. Certains élèves faibles en orthographe finissent par devenir de bons lecteurs. En fait, ça marche surtout dans l'autre sens : les bons en orthographe, eux, deviennent massivement de bons voire de très bons lecteurs. Et ça se joue tôt : une étude a montré que "les connaissances orthographiques à l'entrée au CE2 constituent le meilleur prédicteur de l'ensemble des apprentissages en français jusqu'à la fin du primaire", apprentissages qui comprennent notamment la compréhension en lecture, les capacités rédactionnelles, l'enrichissement du vocabulaire.
L'auteur cite une autre chercheuse, Linea Ehri : "Apprendre à lire et apprendre à orthographier, c'est la même chose ou pratiquement la même chose".
On a pourtant souvent dit que la maîtrise de l'orthographe n'était pas la seule compétence qui entre en jeu dans l'accès au sens.
Et c'est vrai. Mais "c'est un facteur déterminant", notamment pour les enfants de milieux populaires : "Une faiblesse dans l'orthographe les pénalise bien plus que les enfants des milieux favorisés, dit l'auteur, car ces derniers ont de multiples occasions d'enrichir leur vocabulaire sans passer par l'écrit, à travers les interactions orales dans leur milieu social".
Ce qu'on appelle avoir un vocabulaire riche...
Oui. C'est ce qui vous permet de distinguer seau, saut ou sot en fonction du contexte car vous savez que ce son peut avoir diverses orthographes et recouvrir diverses significations. Ça aide aussi à deviner le sens des mots qui appartiennent à la même famille et dont l'orthographe est dérivée.
Alors y a-t-il de bonnes méthodes pour enseigner l'orthographe ?
Pour ce qui est de l'orthographe dite lexicale, la façon dont on écrit un mot en dehors des considérations grammaticales, l'essentiel repose sur la mémorisation. Mais on mémorise mieux en retrouvant un mot dans une phrase qui veut dire quelque chose qu'en apprenant des listes de mots. Je cite encore André Ouzoulias : "La mémorisation des mots écrits est d'autant plus facile que le matériau est analysé, relié à d'autres connaissances et organisé".
Et pourtant, quand on fait écrire les élèves, on leur dit parfois "ne faites pas trop attention à l'orthographe".
C'est pour éviter la "surcharge cognitives", c'est-à-dire le trop plein de problèmes à gérer. Mais ce n'est pas une bonne idée selon Ouzoulias. Selon lui, "l'erreur d'orthographe lexicale ne peut que nuire à la mémorisation du lexique orthographique".
Il distingue ce qu'on appelle en langage courant erreur d'orthographe et erreur de grammaire – dans le second cas, on peut expliquer l'erreur, la comprendre, par exemple si on a oublié d'accorder un adjectif, en revanche dans le premier cas, c'est arbitraire.
Comment faire alors ?
Il suggère des approches alternatives, par exemple une dictée dans laquelle l'enfant a le choix entre plusieurs possibilités :
  • Je connais le mot, je l'écris,
  • Je ne le connais pas, je le cherche et je le copie,
  • Si je ne le trouve pas, je le demande au maitre - ou à mes camarades - s'ils le connaissent.
D'autres pistes dans cette série d'articles...
Oui, accessibles sur le Café pédagogique.


http://www.neoprofs.org/t68319-effondrement-du-niveau-d-orthographe-une-bonne-orthographe-fait-de-bons-lecteurs

Démocratiser l’enseignement de la lecture-écriture : Quatrième domaine : l’acquisition de l’orthographe, un enjeu crucial 

Dans ses trois premiers textes, André Ouzoulias a successivement abordé l’apprentissage de la langue orale en maternelle, l’enseignement de la graphophonologie à la charnière GS-CP et la production d’écrits. Il plaide pour consacrer à l’écriture une pédagogie active, appuyée sur la production de textes courts, dans des situations qui rendent les enfants autonomes et créatifs. La question qui se pose en toute logique maintenant porte sur l’articulation entre ces ateliers d’écriture et les exigences orthographiques. Si l’on vise l’abondance des productions des enfants tout au long de la scolarité, peut-on simultanément espérer qu’elles soient orthographiquement correcte ? N’y a t’il pas un risque de « surcharge cognitive » ? Pour André Ouzoulias, les connaissances orthographiques sont un enjeu crucial de la démocratisation. Il souligne l’importance de ces connaissances dans le développement de la lecture experte et il précise de quelle manière elles favorisent l’acquisition du vocabulaire en lecture. Il préconise d’organiser les tâches et l’environnement des élèves de sorte qu’ils puissent, dès le début, écrire beaucoup, sans trop d’erreurs et sans ressentir la « surcharge cognitive » que l’on pourrait redouter.

Les résultats de l’école française dans ce domaine sont alarmants. Les performances des élèves se sont littéralement effondrées dans les vingt dernières années. C’est ainsi que le niveau des élèves de 5e de collège en 2007 était similaire à celui des élèves de CM2 de 1987 ! Et le niveau des élèves de ZEP de 3e marquait une baisse plus dramatique encore, de 4 années environ 1 !

Or, l’orthographe est cruciale pour faciliter l’acquisition des connaissances dans toutes les disciplines qui recourent fortement à l’écrit et elle est déterminante pour l’ensemble de la scolarité au-delà du CM2. Mais il faut commencer par souligner que, si l’orthographe sert bien sûr à écrire, en fait, elle sert principalement à lire de manière véloce et efficace et, pour le jeune lecteur, à enrichir plus aisément son vocabulaire à travers ses lectures. Contrairement à des affirmations très répandues, l’orthographe n’est pas un domaine d’apprentissage mineur à l’école. Elle constitue, notamment pour les enfants des milieux populaires, une compétence cruciale pour bénéficier pleinement de l’enseignement prodigué à l’école, au collège et au lycée.

Une bonne orthographe assure une lecture efficace et véloce  2

De bonnes connaissances orthographiques rendent possible une identification directe des mots donnant un accès immédiat à la signification portée par le contexte . Chez le lecteur habile, c’est cette voie orthographique (dite aussi « directe ») qui est massivement empruntée, la voie indirecte, celle du décodage, restant toujours disponible pour identifier des mots rares.

Demandons au lecteur du présent article de lire la phrase suivante, écrite selon un système fictif soumis aux seules exigences de la régularité graphophonologique : Leu  kliyan  pri  ün  bêl  émrôd  dan  sa  min  é,  passiaman, l’opsêrva  d’in  euy  ki  parêssê  seului  d’in  ékspêr.
Cette situation permet au lettré de se représenter la procédure utilisée par un lecteur peu familier de l’orthographe lexicale : la disparition des marques orthographiques l’a obligé à utiliser systématiquement le décodage (transformation des fragments écrits en formes sonores et interprétation de celles-ci sous forme d’une énoncé sensé). Cette procédure est plus séquentielle et beaucoup plus lente que la reconnaissance directe via l’orthographe lexicale.

Demandons maintenant au lecteur du présent article de lire cette autre phrase : – « Scie  tue  bûche  toux  lait  jour  six  tares,  thon  fisse nœud  verrat  plu  ça  maire … » Tous les mots de cet énoncé sont des homophones. Mais leur orthographe a été contrefaite pour induire des significations sans rapport avec l’énoncé, sur le modèle du rébus. Ainsi, quand l’œil du lecteur fixe le mot scie, il se représente irrépressiblement l’outil du menuisier, exemple d’une lecture par la voie orthographique. Pour comprendre cet énoncé à l’orthographe loufoque, il doit donc inhiber ses connaissances orthographiques, ce qui rend cette situation plus difficile que la précédente . 4

Ces deux situations visaient à asseoir cette conviction : si les lettrés ont conscience d’utiliser leurs connaissances orthographiques en situation d’écriture, ils ne doivent pas ignorer qu’ils les mobilisent constamment, le plus souvent de façon non consciente, en situation de lecture. En réalité, les connaissances orthographiques servent principalement à la lecture et c’est sous cet angle qu’il conviendrait d’aborder en priorité la question de l’enseignement de l’orthographe. Du reste, le vrai motif de l’exigence du respect de l’orthographe en écriture — les élèves aussi doivent le comprendre — c’est de prendre soin des destinataires, pour leur rendre plus aisée la compréhension du texte qu’on écrit pour eux et non de se conformer à des règles auxquelles l’école confèrerait un caractère sacré.

De là, on peut pressentir que le développement des connaissances orthographiques est crucial dans celui des capacités de lecture. C’est bien ce que montrent les études sur ce sujet 5. Ainsi, sur plusieurs centaines d’élèves de 3e et de 6e années, Bruck & Waters  6 trouvaient certes des sujets faibles en orthographe et bons lecteurs (en compréhension), mais elles ne trouvaient aucun sujet qui, ayant de bons résultats en orthographe, fût mauvais lecteur (en compréhension). Dès lors, lorsqu’un enseignant accorde insuffisamment d’attention à l’orthographe de ses élèves, bien sûr, certains deviendront quand même de bons lecteurs mais s’il y est particulièrement attentif, ils le deviendront tous ou presque. Plus récemment, Suchaut & Morlaix 7, à partir d’une étude longitudinale portant sur 700 sujets d’une même circonscription primaire, concluaient que les connaissances orthographiques à l’entrée au CE2 constituent le meilleur prédicteur spécifique de l’ensemble des apprentissages en français au cycle 3 (compréhension en lecture, capacités rédactionnelles, enrichissement du vocabulaire, etc.).

Ce lien entre orthographe et compréhension en lecture devrait également conduire à étudier l’hypothèse selon laquelle la baisse des résultats moyens des élèves français dans les dernières années en lecture pourrait être liée à celle qui a été observée durant cette même période en orthographe 8. Concluons en tout cas sur ce point avec Linea Ehri : « Apprendre à lire et apprendre à orthographier, c’est la même chose ou pratiquement la même chose » .9

Les connaissances orthographiques facilitent l’enrichissement du vocabulaire en lecture

On vient de le rappeler, la familiarité avec l’orthographe lexicale rend possible l’identification directe des mots écrits. L’accès à leur signification étant quasi immédiat, la lecture est moins séquentielle et plus véloce que par la voie indirecte (le décodage). Du coup, toutes choses égales par ailleurs, dans une même durée, les élèves qui ont de bonnes connaissances orthographiques peuvent aussi lire une plus grande quantité de textes que leurs camarades moins avancés en orthographe et plus dépendants du décodage et les comprendre plus facilement. Ils peuvent alors bénéficier d’une plus grande fréquence des rencontres avec des mots nouveaux à l’écrit, ce qui augmente d’autant le nombre d’occasions d’enrichir leur vocabulaire, entretenant ainsi une spirale d’autoperfectionnement : plus les élèves ont une pratique aisée de la lecture, plus ils augmentent les opportunités de découvrir des mots nouveaux et plus ils améliorent leurs habiletés de lecteurs. Soulignons aussi qu’à partir du CE2, sur l’ensemble des mots nouveaux dont les enfants acquièrent la signification, les trois quarts, et progressivement plus, sont rencontrés en lecture.

L’efficience des traitements dans l’identification des mots écrits grâce à de bonnes connaissances orthographiques n’est évidemment pas le seul facteur dans l’appropriation du vocabulaire en lecture. Mais, pour les élèves des milieux populaires, pour lesquels la lecture est la source principale des apprentissages de la langue, c’est un facteur déterminant. Une faiblesse dans l’orthographe les pénalise bien plus que les enfants des milieux favorisés qui ont de multiples occasions d’enrichir leur vocabulaire sans passer par l’écrit, à travers les interactions orales dans leur milieu social.

De plus, de bonnes connaissances orthographiques permettent un meilleur contrôle sur les ambiguïtés engendrées par les homophones. Soit un élève qui connait l’orthographe (et la signification) des mots seau et saut et qui rencontre pour la première fois le mot sot en lecture : il sait aussitôt que ce sot porte une signification spécifique (ce n’est ni le récipient, ni le bond).

S’il connait déjà sot à l’oral, il lui est facile de l’intégrer à son lexique orthographique (son « dictionnaire mental »). Mais s’il n’en dispose pas à l’oral (dans son lexique phonologique), cela l’aide tout de même à le traiter comme un nouveau mot et à l’interpréter : tout en prenant en compte le contexte syntaxique (c’est un adjectif) et le contexte sémantique (idée d’un défaut de jugement), il peut écarter d’emblée les significations parasites portées par les homophones plus fréquents (ce n’est ni le récipient, ni le bond).

Soit, en revanche, un élève qui ne connait pas l’orthographe des mots seau et saut. Ceux-ci, de même que sot, étant pour lui visuellement indistincts, il est devant autant de significations possibles, ce qui favorise la survenue de faux-sens ou de contresens, surtout s’il ne connaît pas le mot « sot » à l’oral. Seul le contexte peut lui permettre de saisir les significations différentes. En l’occurrence, il faut donc à cet élève un contrôle renforcé sur l’élaboration du sens de la phrase orale correspondante pour écarter les significations parasites et saisir qu’il est devant un mot nouveau pour lui. On est en droit de penser que ce cout cognitif plus élevé rend aussi plus difficile l’assimilation de ce nouveau mot.

En outre, de bonnes connaissances orthographiques facilitent le repérage des dérivés morphologiques en lecture. L’élève qui sait orthographier un radical donné (client, par exemple, et non clillan, clillent, clyant, etc.) est capable de décoder aisément un mot de la même famille qu’il rencontre pour la première fois (clientèle, par exemple) et d’en comprendre la signification. Dès que la construction est transparente, il peut même réaliser cette tâche sur le mot isolé, sans appui sur le contexte.

Comme la grande majorité des nouveaux mots découverts en lecture sont des dérivés morphologiques 10, il s’agit là de la voie la plus féconde d’enrichissement du vocabulaire en lecture. Cette forte proportion de dérivés a ainsi conduit des chercheurs et des pédagogues à expérimenter un enseignement de la morphologie lexicale dès le CP 11, pensant qu’il améliorerait fortement l’efficacité des élèves en lecture dès le traitement des mots écrits . 12

Au-delà du CP, bien au-delà, cet enseignement reste bien sûr pertinent. Il favorise à la fois le traitement des marques écrites et l’acquisition du vocabulaire en lecture. Toutefois, cet enseignement a des effets différents sur les élèves selon leurs connaissances de l’orthographe des radicaux, car elle conditionne l’assimilation des dérivés. Ainsi, l’élève qui connait déjà aiguille mémorise aisément le dérivé aiguillage qu’on lui fait analyser, bien plus aisément que l’élève pour qui l’orthographe du radical est au départ incertaine.

Comment les enfants apprennent l’orthographe

L’appropriation de l’orthographe lexicale ne repose pas sur les mêmes processus psychologiques que le développement de l’habileté dans les traitements morphosyntaxiques . 13 Dans le cas de la morphosyntaxe et des flexions verbales (s ou ent ? é ou er ? etc.), les traitements mettent en œuvre des analyses formelles de l’organisation de la phrase à partir de concepts généraux : GN vs verbe, sujet vs complément, COD vs autre complément, singulier vs pluriel, masculin vs féminin, … L’apprenti doit comprendre ces concepts et raisonner à partir d’eux pour produire et contrôler les significations en lecture ou résoudre des problèmes d’orthographe en écriture.

En revanche, pour les bases de l’orthographe lexicale (par exemple, maison, méson ou mézon ?), chaque mot apparait comme un cas particulier et l’apprenti doit mémoriser des données qui semblent n’obéir à aucune logique.

Parmi les facteurs qui favorisent cette mémorisation, il y a celui de la répétition des rencontres avec l’orthographe correcte (en lecture et, surtout, en écriture). Plus le sujet lit, plus il s’imprègne de l’orthographe des mots et plus il en consolide la connaissance. Ces apprentissages implicites (sans intention du sujet) sont un des phénomènes les plus importants mis en évidence par la recherche en psychologie dans les deux dernières décennies. Et l’on sait que ces apprentissages commencent dès les premières rencontres avec les mots écrits. Mais la mémorisation des mots écrits est d’autant plus facile que le matériau est analysé, relié à d’autres connaissances et organisé.

Le premier type d’organisation est celui de la graphophonologie. Pour un sujet qui n’a pas compris le principe des relations graphème-phonème, la mise en mémoire d’un mot comme maison nécessite de retenir 6 unités (les 6 lettres), qui paraissent alors totalement arbitraires. En revanche, pour un sujet qui sait décoder, l’orthographe de ce mot se clarifie. 14 L’analyse graphophonologique permet en effet de repérer les graphèmes m et on, qui sont incontournables. Elle permet de comprendre aussi que ai représente [] et que s représente [z]. Il faudra encore retenir ce ai et ce s, mais l’effort ne porte pas sur la totalité du mot, et les alternatives sont, malgré tout, peu nombreuses (essentiellement é/ai/ei et s/z). Du fait que la graphophonologie forme la base du « plurisystème orthographique » du français 15, il n’y a donc pas de connaissances orthographiques sans connaissances graphophonologiques, autrement dit aussi, pas de voie directe sans voie indirecte.

Un deuxième type d’organisation est la relation d’analogie, qui porte sur une suite de graphèmes : maison comme mai, maitresse, semaine, mairie… maison peut devenir à son tour une matrice analogique pour saison, raison, comparaison… Ainsi, plus le sujet connait de mots écrits et plus il lui est facile d’en mémoriser de nouveaux, car les premiers constituent des modèles auxquels les mots nouveaux seront ensuite assimilés. Les premiers apprentissages orthographiques sont donc déterminants.

Le troisième type d’organisation est la morphologie : maison explique maisonnée, maisonnette, etc., mais aussi, via l’étymologie, ce mot peut être relié à masure (et à mas) dont le a perdure dans maison. Encore faut-il que ces liens soient repérés par les élèves avec l’aide de l’enseignant.

Une pratique extrêmement risquée : laisser inventer l’orthographe en écriture

Les enseignants ont un gros problème à résoudre : favoriser le développement de l’orthographe des élèves tout en les faisant écrire beaucoup. Or, en situation de production de texte, comme les élèves doivent surtout se concentrer sur les idées, le plan et la cohérence textuelle, il semble évident que si on leur impose simultanément le contrôle de leur orthographe, ils sont menacés de « surcharge cognitive ». On conclut ainsi en général en formation initiale et continue qu’en situation d’écriture, il faut décharger les enfants de l’orthographe lors d’un « premier jet ». D’où des recommandations faites aux élèves comme : « Pour votre premier jet, ne vous préoccupez pas trop de l’orthographe, pensez surtout au contenu de votre texte » ou : « Si vous avez un doute, vous pouvez écrire comme vous entendez. 16 Nous ferons la toilette orthographique de vos textes à la fin. »

Disons-le d’emblée, ces pratiques sont extrêmement risquées. Si les erreurs orthographiques produites sont plausibles sur le plan graphophonologique (par exemple mézon écrit par un élève de CP ou le participe passé ballansé écrit par une élève de CM1), le sujet se donne à concevoir, à écrire et à relire des formes qu’il peut difficilement rejeter parce qu’il n’a aucune raison à leur opposer. Il y a deux candidats rivaux (et parfois plus…) pour un même siège en mémoire et un phénomène d’interférence est alors quasiment inévitable. Les enseignants font régulièrement l’expérience de ce phénomène psychologique pour des mots peu fréquents. Leur maitrise de l’orthographe se trouve localement déstabilisée à la lecture des travaux de leurs élèves dont l’orthographe lexicale est mal assurée. C’est ce même phénomène que nous ressentons devant des mots imprimés (traffic ; accompte ; algorythme…) dont l’orthographe est erronée. Or les interférences sont d’autant plus déstabilisatrices pour les élèves qu’ils sont novices en orthographe.

L’erreur d’orthographe lexicale ne peut que nuire à la mémorisation du lexique orthographique. Le statut de l’erreur lexicale et celui de l’erreur morphosyntaxique sont radicalement différents. Pour les erreurs morphosyntaxiques, comme dans un problème de mathématiques, le sujet peut trouver en lui-même les raisons de rejeter une forme erronée. Dans ce domaine, toute erreur, si elle est repérée et interprétée, est un pas sur le chemin de l’apprentissage. Les « ateliers de négociation orthographique », s’ils ne concernent que la morphosyntaxe, sont ainsi une bonne manière de développer l’orthographe.17 .

L’erreur lexicale ne serait pas si pénalisante si la lecture restait indemne. Or, il est vraisemblable que l’enfant qui a en tête les mots mézon ou ballansé, repasse par le décodage pour identifier maison et balancé en lecture. Au bout du compte, le temps gagné lors du premier jet se paie d’un temps de correction et de mise au propre important, qui fait hésiter les maitres devant la réitération des projets d’écriture. Cette pratique engendre pour beaucoup d’élèves un retard dans l’acquisition de l’orthographe lexicale, parfois aux confins de la dysorthographie, ce qui peut les maintenir dans une lecture peu véloce et à faible rendement sémantique. Et dès le cycle 2, les élèves tendent ainsi à automatiser une procédure d’écriture : « J’encode à partir des « sons », le maitre me corrige, je recopie ». Il faudra alors une myriade d’exercices jalonnant un long parcours de rééducation, parfois au-delà du bac, pour parvenir à remédier aux difficultés orthographiques de nombre de ces élèves. On peut l’affirmer avec certitude : l’orthographe lexicale s’apprend tôt ou s’apprend mal.

Une pratique alternative : outiller les élèves et développer chez eux, dès le CP, la conscience orthographique

Quelle alternative à cette pratique ? Il n’est pas envisageable de conseiller aux élèves de se servir d’un dictionnaire classique. Cet outil est déjà très difficile à utiliser par les débutants pour la recherche de la signification des mots nouveaux rencontrés en lecture. Pour celle de l’orthographe des mots, il est pratiquement inutilisable pour des élèves peu avancés en orthographe. Où chercher par exemple l’écriture de aiguille : à ég, à hég, à aig… ? Et comme les besoins orthographiques des élèves touchent de très nombreux mots et des expressions comme on est allé, l’an prochain, l’anniversaire… qui ne sont pas accessibles dans un dictionnaire classique là où les cherchent parfois les élèves (nétallait, lanprochin, la niversère), l’usage de celui-ci entrave plutôt qu’il ne libère la production du texte.

Ce n’est pas assez connu par les praticiens et les formateurs, mais il est possible de gérer les besoins des élèves en orthographe lexicale lors d’ateliers d’écriture autrement qu’en s’y intéressant dans un second ou troisième jet et autrement qu’en utilisant le dictionnaire. C’est même possible dès le début du cycle 2, avant même que les élèves soient autonomes en lecture, tout en les faisant écrire abondamment. Pour le montrer, commençons par observer ces travaux d’élèves de CE1 (ci-dessous) en soulignant qu’il s’agit dans les deux cas d’un premier jet de deux élèves représentatifs de leur classe .

Figure 1 : Antoine, CE1, 14 janvier.
Situation générative à partir de l’album  Je voudrais, PEMF, collection Histoire de mots.
 
NB : L’enseignante est intervenue sur ce premier jet dans la première phrase pour ajouter un S à arbre. Elle a omis d’ajouter un e à « fair » dans la dernière. 18



Figure 2 : Tannina, CE1, 9 mai. Récit de vie.




NB : L’enseignante est intervenue sur ce premier jet dans la troisième phrase pour ajouter un S à classe et, dans la dernière phrase, pour ajouter un trait d’union entre pique et niqué.

L’enseignante, dans la lignée des recherches de Rieben et al. 19, suivant les préconisations de pédagogues comme De Keyzer 20 ou Daumas & Bordet 21, a élaboré, pour ses élèves et avec eux, depuis le CP, des outils d’autonomie : textes-référence, imagiers, glossaires illustrés, listes, etc. (on peut en amorcer l’usage dès la GS). Chaque jour, dès le début du CP, à travers des situations d’entrainement 22, des courts récits de vie personnels ou collectifs et des situations d’écriture génératives, un journal des apprentissages (par exemple : « Aujourd’hui, j’ai appris que l’ours blanc mange des phoques »), etc., ses élèves sont conduits à utiliser intensément leurs outils pour écrire de sorte qu’ils en ont une connaissance approfondie. À la fin du CE1, ce dictionnaire vivant (textes, listes et glossaires) contient jusqu’à 1500 mots, soit environ 95 % des mots dont ils ont besoin en situation d’écriture.

Lorsqu’ils écrivent, ils sont fermement incités à ne pas inventer l’orthographe des mots, à utiliser leurs outils pour écrire (plutôt que les oreilles… !) et à exercer le doute orthographique. L’enseignante cherche à éviter le plus possible que les élèves utilisent la procédure « J’encode, l’enseignant corrige puis je recopie ». Elle cherche plutôt à développer leur conscience orthographique et à leur faire adopter un habitus d’expert 23 . Elle privilégie donc cette procédure alternative :
Je connais le mot, je l’écris ;
je ne le connais pas, mais il est dans mes « outils pour écrire »,
je le cherche et je le copie ;
s’il n’y est pas, je le demande au maitre (ou à mes camarades s’ils le connaissent).
Dans certains classes, dès la fin du CE1, les élèves utilisent des dictionnaires orthographiques (à entrée phonologique). L’un d’eux est particulièrement efficient : Euréka. 24

Les enseignants qui explorent cette démarche invitent les élèves, quand ils ont besoin de leur aide, à ne pas interrompre la production de leur texte en attendant la venue du maitre. Ils leur demandent de tracer, à l’emplacement du mot-problème, un trait de quatre carreaux. Les élèves peuvent ainsi écrire à droite de ce trait la suite de leur texte et ils lèvent la main pour appeler l’enseignant. Certaines classes utilisent aussi des cubes bicolores, verts et rouges, qui servent de signal visuel (vert en haut = tout va bien ; rouge en haut = j’ai besoin d’aide) et dispensent les élèves de lever la main.

Bien sûr, il reste des erreurs, surtout des erreurs de morphosyntaxe et des confusions d’homophones. L’enseignant les corrige directement sur le texte de l’enfant. Ces erreurs peuvent faire l’objet de reprises collectives ultérieures, si l’enseignant juge que la plupart des enfants sont prêts à tirer parti de l’observation d’une série de faits analogues. Comme l’élève cherche fréquemment des mots dans ses « outils pour écrire », il est conduit à relire régulièrement des textes familiers et à passer en revue toutes sortes de mots bien orthographiés, ce qui contribue à consolider ses connaissances orthographiques.

En outre, dès la GS et tout au long de leur scolarité élémentaire, les élèves peuvent utiliser des lexiques que l’enseignant met à leur disposition pour les projets d’écriture (par exemple, un glossaire des animaux et de leur nourriture pour écrire un Bon appétit, Madame Girafe, une liste des verbes d’interlocution pour écrire un dialogue, des mots du champ lexical de la patinoire pour écrire un récit de vie sur une sortie, etc.). C’est ainsi l’occasion de découvrir des mots nouveaux et de les employer en écriture, de les revoir et de les dire lors de relectures ultérieures « dans sa tête » et à haute voix. Ce faisant, d’un même mouvement, les élèves étendent leur vocabulaire et leurs connaissances orthographiques.

Pour chaque enfant, chaque nouveau texte écrit, après correction et mise au propre (ou mieux encore, après impression), peut être ajouté à l’ensemble de ses « outils pour écrire ». Ainsi se met en route un effet boule de neige : les enfants sont de plus en plus autonomes en écriture et de plus en plus performants en orthographe.

L’enseignant complète ce dispositif par des moments de structuration de l’orthographe lexicale. Ils commencent le plus souvent par une question sur un nouveau mot utilisé dans un texte d’enfant : « Comment pourrait-on faire pour retenir l’orthographe de grillage, dont Léa a eu besoin ? » (dans une classe de CM1). D’où la relation analogique avec habillage, coquillage, maquillage, … mais aussi avec fille, bille, quille… et la relation morphologique avec grille, grillagé… voire étymologique avec gril, griller, grillade… Il arrive parfois qu’on puisse aussi utiliser un moyen mnémotechnique, par exemple ici : le i et les deux l de grillage sont comme les fils de fer parallèles d’un grillage. L’enseignant évite bien sûr d’écrire des formes erronées telles que griage ou gryage qui pourraient interférer avec grillage, mais il évite aussi de présenter à ce moment des termes dont la prononciation est proche mais dont l’écriture est différente, comme pliage ou voyage et qui pourraient engendrer eux aussi des interférences.

On part toujours de ce qu’on voit. Il en ressort des listes analogiques, de familles de mots, voire des associations mnémotechniques (exemple : « Chaque semaine du mois de mai, le maitre va de sa maison à la mairie avec un bouquet, mais c’est du maïs »).

Remarquons enfin qu’au CP, lorsque la quasi-totalité des enfants ont découvert le principe alphabétique et pour renforcer et accélérer l’apprentissage des relations graphème-phonème, les enseignants éprouvent souvent le besoin de faire écrire leurs élèves dans un contexte où la priorité est accordée à la plausibilité de la graphophonologie. L’enseignant peut alors proposer des séances durant lesquelles les élèves sont invités à encoder des onomatopées 25 ou des pseudomots, par exemple les noms propres des animaux d’un cirque imaginaire ou d’une ferme fictive inventés par l’enseignant en fonction de la progression graphophonologique en cours. Cette façon d’exercer les compétences graphophonologiques permet d’entrainer l’analyse des syllabes orales en phonèmes, de réviser les relations phonème-graphème et de poser en contraste la situation d’écriture de textes où « l’on n’invente pas l’orthographe des mots », car les mots ne sont ni des bruits ni des noms propres de fiction.

Reconstruire un enseignement de l’orthographe

La démarche qui vient d’être décrite fait l’objet d’une recherche-action dans plusieurs écoles de la ZEP des Mureaux (Yvelines) depuis plus de deux ans 26 27. Les résultats, parfois spectaculaires, qu’obtiennent les maîtres qui participent à cette recherche dans leurs classes de GS, CP, CE1 et CE2 ne peuvent que les encourager dans cette voie.

Leur démarche et leurs outils s’inspirent tout particulièrement de ceux qu’a mis au point Danielle De Keyzer . Les principes qu’ils cherchent à suivre peuvent être résumés ainsi :

1.         Les apprentissages s’appuient sur une pratique intense et régulière de l’écriture de textes, dès le CP (et même, dès la GS) : tous les jours, les élèves écrivent des textes divers, très souvent des textes courts pour lesquels les maîtres empruntent les démarches oulipiennes, ce qui permet de se reposer sur des structures existantes et évite ainsi d’aborder de front, dans les mêmes séances, l’apprentissage de la cohérence textuelle et celui de la langue.

2.         Les élèves sont invités à ne pas inventer l’orthographe des mots (apprentissage du doute orthographique) et à utiliser des outils ergonomiques (donc pas le dictionnaire classique) : glossaires illustrés, textes-référence, puis glossaires thématiques et, dès la fin du CE1, dictionnaires orthographiques à entrée phonologique. C’est là une première différence importante avec les autres conceptions. Il s’agit aussi de former dès le début un habitus de scripteur expert. Si nécessaire, c’est le maître qui « dépanne ». Dans toute la mesure du possible, dans une même école, les enseignants des niveaux de classe successifs s’efforcent d’intégrer les outils successivement élaborés dans les classes précédentes, tout en les étoffant. Il s’agit de favoriser la continuité des apprentissages et l’autonomie des élèves.

3.         Comme il reste des erreurs (le plus souvent, elles ne sont pas encore perçues comme telles par les élèves), c’est le maître qui corrige les travaux des élèves. Dès la fin du CP, en général, il n’y a pas besoin d’un second jet pour améliorer l’orthographe.

4.         Quand une même correction commence à être perçue comme récurrente par les élèves, l’enseignant leur demande de rechercher dans leurs textes imprimés ou corrigés des occurrences des variations orthographiques en jeu et de construire des listes analogiques (exemple, en octobre au CP, les occurrences de et / est, puis de a / à, de on / ont, etc.). Après avoir appris, grâce à quelques exercices, à se servir de ces listes pour résoudre des problèmes similaires, les élèves sont invités ensuite à s’y référer pour déterminer si le mot qu’ils doivent écrire, par exemple pour « son crayon [e] tout petit », c’est et ou est. Avant toute théorisation (formulation d’une règle), l’enseignant favorise ainsi un raisonnement par analogie fondé sur l’intuition de la langue. Ces listes analogiques sont recensées sur des affichages collectifs et dans un cahier individuel d’observation de la langue qui complètent, en situation d’écriture, les outils évoqués au point 2. L’apprentissage est ancré dans la pratique. Il en vient et il y retourne immédiatement. C’est là une deuxième différence importante avec les autres conceptions.

5.         Ce n’est que lorsque les enfants ont intériorisé et automatisé ce savoir-faire au cours des activités banales d’écriture que l’enseignant propose, bien plus tard donc, une situation qui les conduit à expliciter (théoriser) la notion sous-jacente et à construire une première conceptualisation « savante », par exemple au CE1 : « On écrit et entre deux noms, deux adjectifs, deux verbes. » La théorisation n’est pas au départ de l’apprentissage, elle le couronne. Elle lui donne tout à la fois une assise logique (on peut expliciter la notion), une valeur sociale (on accède à une notion partagée par les adultes) et une dimension  institutionnelle (elle est inscrite dans les programmes).

Soulignons en outre que l’automatisation précède la conceptualisation savante et non l’inverse. Si des enfants comprennent mal les notions en jeu (par exemple pour l’accord en nombre du verbe avec son sujet), le savoir-faire reste intact. Ces élèves continuent à accorder les GN (avec ou sans s), et les GV (avec ou sans ent) en s’appuyant sur des listes analogiques. Bien sûr, ils seront sollicités à nouveau, plus tard, pour comprendre ces notions.

C’est là une troisième différence importante avec les conceptions plus classiques de l’apprentissage de la grammaire de phrase. Comme on le voit, celle qui est décrite ici s’inscrit explicitement dans la tradition pédagogique inaugurée par Freinet : les savoir-faire de la grammaire de phrase naissent des exigences de la pratique régulière de l’écriture de textes et c’est dans cette même pratique qu’il convient de les construire. Il s’agit de se préoccuper dès le départ du problème cardinal du transfert des connaissances grammaticales dans la production de textes.

6.         On distingue nettement les processus psychologiques liés à la morphosyntaxe et ceux liés à l’orthographe lexicale. Dans le premier cas, il y a des concepts et l’on peut donc discuter sur des problèmes (par exemple dans la « phrase du jour »), car il est possible de faire valoir des preuves. Dans l’autre, hormis les dérivations possibles, il faut connaître des faits et on peut seulement se poser des questions. Ainsi, savoir si tremble prend s ou ent est un objet légitime de débat ou de négociation, mais non savoir si l’on écrit tremble ou tramble. Pour mettre les élèves à l’abri des phénomènes d’interférence (tremble ou tramble ?) qui retarderaient la mémorisation, l’enseignant évite d’exposer la classe à des écrits erronés lorsque l’erreur est du type tramble (erreur de graphème ou erreur d’orthographe lexicale). En revanche, il n’hésite pas à écrire au tableau — ou à donner à analyser sur fiche — des phrases comme « les maison trembles sous le vent » (erreurs d’orthographe grammaticale). De même qu’on distingue les deux types de processus, il faut distinguer les deux types d’erreurs : elles n’ont pas du tout le même statut psychologique. L’une est source potentielle de progrès, pas l’autre, qui peut même l’entraver.

Concernant la morphosyntaxe et les homophones, les unités qui servent à l’analyse ne sont jamais des mots isolés, mais des groupes de mots ou des mini-phrases saisies dans les textes imprimés lus par les élèves ou dans ceux qu’ils ont écrits. C’est la condition du montage des séries d’exemples qui, seules, permettent de solliciter l’intuition de la langue.

Une spirale de réussite

Pour les enseignants qui organisent le travail de leurs élèves selon cette méthodologie, il n’y a pas de meilleur moyen d’enseigner les bases de la lecture : il faut faire écrire abondamment les élèves dès le cycle 2 et dès la GS, et le faire d’emblée en prenant grand soin de l’orthographe. Ils rompent ainsi avec l’idée que la lecture précède naturellement l’écriture. Du même coup, ils rompent avec l’idée jumelle selon laquelle le développement normal se déroulerait en deux phases : apprentissage de la graphophonologie jusqu’au CE1, apprentissage de l’orthographe au-delà. Ils en sont convaincus par l’observation de leurs élèves : l’orthographe peut et doit être apprise en même temps que la graphophonologie.

Ils observent que leurs élèves sont très investis dans ces situations d’écriture et que cela influence positivement l’ambiance de classe : ambiance de travail et de coopération.

Quant aux compétences en écriture, les élèves sont performants en orthographe en production libre ; ils écrivent bien plus aisément et bien plus abondamment que dans les démarches classiques ; ils gagnent progressivement en autonomie et écrivent avec plaisir ; leurs textes s’allongent et se structurent peu à peu ; assez tôt, ils exercent un contrôle métacognitif sur leurs connaissances orthographiques (développement de la conscience orthographique) ; ils perdent peu de temps en corrections diverses ; ils n’ont guère besoin de leçons d’orthographe lexicale…

Mais au-delà de ce pouvoir sur l’écriture de textes, le plus spectaculaire est l’impact sur la lecture : leurs connaissances en orthographe en font des lecteurs efficaces et rapides dans les traitements des marques écrites.

Avec cette plus grande efficience et cette plus grande vélocité, ils peuvent lire beaucoup plus de textes dans une même durée et multiplier ainsi les occasions de découvrir de nouveaux mots. Ils échappent plus aisément aux difficultés que suscite la rencontre avec un mot nouveau lorsqu’il a un homophone plus fréquent. Et, comme ils acquièrent dès le début du CE2 les bases de l’orthographe lexicale, ils peuvent très souvent analyser de façon autonome un nouveau mot dérivé d’un radical connu d’eux, le comprendre et l’assimiler. Oui, dans le domaine de l’enseignement de l’orthographe aussi, un autre monde existe.

André Ouzoulias

Voir aussi :
1- L'enseignement de la langue orale en maternelle
2 - De la graphophonologie à la charnière GS CP
3- Faire écrire les enfants

Notes
1  Manesse D., en collaboration avec Begin C., 2009 « L'orthographe des adolescents : le cas des élèves en grande difficulté au collège », Langage et pratiques n° 43, p. 19-29. Voir aussi : Manesse D. & Cogis D., 2007, Orthographe, à qui la faute ? ESF. Notons toutefois que la baisse des performances observée par ces deux chercheuses touche principalement la morphosyntaxe : marques du féminin, du pluriel (s, x, ent) et distinction er/é, etc.; elle n’affecte que légèrement l’orthographe lexicale.
2  Le passage qui suit reprend en grande partie un article paru en 2011 sur le site Eduscol : http://media.eduscol.education.fr/file/Dossier_vocabulaire/94/9/Andre_Ouzoulias_111209_C_201949.pdf
  3 Cette identification directe donne également un accès direct à la phonologie du mot, par « adressage lexical », comme dans les écritures logographiques (idéogrammes chinois, kanjis japonais, écritures chiffrées des nombres, etc.). Si le sujet doit prononcer ces signes, la prononciation n’est alors pas construite « par morceaux », par décodage, elle est immédiate, comme dans cette phrase arithmétique : « 5 + 3 = 8 ».
4  Pour le lecteur très faible en orthographe, la seconde situation est quasiment équivalente à la première (les graphèmes y sont seulement plus complexes).
5  Voir par exemple : Rieben L., Fayol M. & Perfetti C., 1997, Des orthographes et leur acquisition, Delachaux et Niestlé . Voir aussi Fayol M., L’acquisition de l’écrit, Collection Que sais-je ?, PUF, 2013,
6  Bruck M. & Waters G., 1990, « An analysis of the component spelling and reading skills of good readers-good spellers, good readers-poor spellers, and poor readers-poor speller », in Carr T. & Levy B., dir., Reading and its development, 161-206. San Diego Academic Press.
7  Suchaut Bruno et Morlaix Sophie, 2007, « Apprentissages des élèves à l’école élémentaire : les compétences essentielles à la réussite scolaire », Note de l’IRÉDU, 07/1.
8  Sur le « niveau » en lecture, voir Baudelot & Establet, 2010, L’élitisme républicain. L’école française à la lumière des comparaisons internationales, Seuil, qui analysent les résultats des épreuves PISA-2009 et Ouzoulias (2008) qui analyse ceux de PIRLS-2006 : « M. Darcos, maitre en déclinologie », Café pédagogique, http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/pages/2008/ouzouliasdeclinologuesmentent.aspx
9  In Rieben L., Fayol M. & Perfetti C., 1997, op.cit.
10  Cellier M. rappelle que 80 % des 35 000 mots du Robert méthodique sont des dérivés morphologiques, proportion tirée d’une étude de Rey-Debove J. (1984). De plus, à mesure que les élèves avancent dans leur scolarité, la densité des dérivés morphologiques augmente dans les textes qu’ils lisent. Voir Cellier M. 2008, Guide pour enseigner le vocabulaire, Retz.
11  Par exemple, Gombert JE et al., 2010, Croque-lignes, Méthode de lecture CP, Nathan.
12  De multiples recherches le montrent. Voir par exemple les études citées par Colé P. & Royer C., 2004,  « Apprentissage de la lecture et compétences morphologiques », in Apprentissage de la lecture et dyslexies développementales : de la théorie à la pratique orthophonique et pédagogique, sous la dir. de Valdois S., Colé P. & David D., Solal, Marseille.
13  Voir les analyses de Cogis D., 2005, Pour enseigner et apprendre l’orthographe, Delagrave, de Fayol M. & Jaffré JP, 2008, Orthographier, PUF et de Chervel A., 2008, L’orthographe en crise à l’école, Retz.
14  Voir Linnea E., 1989, « Apprendre à lire et à écrire les mots », in Rieben L. & Perfetti C., op. cit.
15 Catach N., 1980, L’orthographe française, traité théorique et pratique, Nathan.
16  D’une maitresse à ses élèves de CE2 : « Si vous avez un doute, écrivez avec les oreilles (sic) ; on reverra l’orthographe après ».
17  Sur l’erreur d’orthographe lexicale, voir Brissiaud R., 2006, « L’erreur orthographique, l’apprentissage implicite et la question des méthodes de lecture-écriture », article en ligne sur le site des Cahiers Pédagogiques :
18 http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2174.
19  Merci à l’enseignante de cette classe, Valérie Seyve, qui m’a autorisé à publier ces travaux. Précisons que l’école scolarise des enfants venant d’un secteur HLM et d’un secteur pavillonnaire.
20  Rieben L., Meyer A. & Perregaux C., 1989, « Différences individuelles et représentations lexicales : comment cinq enfants de six ans recherchent et copient des mots », in L’apprenti lecteur, sous la dir. de Rieben L. & Perfetti C., Delachaux et Niestlé, Neufchâtel.
21  De Keyzer D. & al., 1999, Apprendre à lire et à écrire à l’âge adulte : la méthode naturelle de lecture-écriture pour les apprenants illettrés débutants, coédition Retz-PEMF.
22  Daumas M. & Bordet F., 1990, L’apprentissage de l’écrit au cycle 2 : écrire pour lire, Nathan.
23  Par exemple la « dictée-recherche » décrite dans Ouzoulias, 2004a, op. cit. (note 19), la « dictée sans erreur » décrite dans Ouzoulias A., 2004b, Favoriser la réussite en lecture : les MACLÉ (Modules d’approfondissement des compétences en lecture-écriture), Retz. La dictée sans erreur a fait l’objet d’une étude scientifique par JP Fischer chez des élèves de cycle 3  (Fischer J-P, 2006, « La dictée sans erreur », Psychologie et éducation, n° 3, pp. 43-59).
  Nous reprenons ici le terme d’habitus dans ce contexte à Sémidor P., 2011, « La genèse d’un habitus orthographique : un objectif pour l’enseignement de l’écriture au CP ? », in Spirale, n° 47, Lille.
24 Demeyère J., 2007, Euréka, De Boeck, Bruxelles. Il contient l’orthographe des 5 000 mots les plus fréquents (non leur définition). Il peut donc être utilisé tout au long de la scolarité primaire et même au-delà. Il existe d’autres dictionnaires orthographiques faciles à utiliser. Citons les Répertoires orthographiques de PEMF et notamment, pour le cycle 2, Chouette, j’écris ! et Mes mots.
25  Voir des exemples avec dessins des scènes correspondantes dans la mallette Prévelire, Ouzoulias, 2008, op. cit. (note 21).
26  Cette recherche-action, que je coordonne avec l’équipe de  circonscription s’intitule : Vers un enseignement renouvelé de l’orthographe lexicale et syntaxique à l’école élémentaire (du CP au CE2). Elle est l’un des deux volets d’une recherche dirigée par Danièle Manesse, professeur en Sciences du langage, (GRAC, laboratoire DILTEC-Paris 3).
27  De Keyzer D., 1999, op.cit. (note 45). Voir aussi le double DVD de l’ICEM Apprendre à lire naturellement : http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/629.
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