27 juillet 2011

L'origine de la BÊTISE (Alain)

Reste à comprendre, et ceci est  le point important pour le maître qui enseigne, comment nous en venons à choisir le pire, à nous faire librement bêtes.



Alain prend l'exemple de la géométrie, qui vaut pour la mathématique tout entière.

Comme Descartes, Alain observe que la géométrie, loin d'être obscure, est le modèle même de la clarté déductive. Il n'y a pas de mystère dans la géométrie ; pas d'implicite à deviner ; pas de sens à décrypter. Tout est posé bien à plat dans la lumière des postulats et des définitions. La commune raison, le « bon sens » comme dit Descartes, suffisent pour « s'en rendre maître ».

Comment se fait-il que la chose la plus limpide du monde soit réputée si difficile ?

C'est qu'elle exige la plus stricte probité ; qu'elle ne permet ni supercherie ni faux semblant puisque toute proposition doit être établie avec la même clarté que les propositions liminaires. Les intuitions fulgurantes, l'inspiration géniale, sont hors de propos dans la géométrie élémentaire où démontrer n'est pas synonyme de deviner. Pour démontrer une proposition, il faut et il suffit de décomposer la difficulté en éléments simples, et de procéder par ordre pour ramener l'inconnu au connu.

De plus, la géométrie montre clairement qu'il n'y a pas de degrés dans l'intelligence : Pierre comprend peut-être plus vite que Paul, mais il ne comprend pas mieux que Paul, ni autre chose que Paul. Comme Descartes l'avait remarqué « n'y ayant qu'une vérité en chaque chose, quiconque la trouve en sait autant qu'on peut en savoir ; par exemple, un enfant instruit en l'arithmétique, ayant fait une addition selon ses règles, se peut assurer d'avoir trouvé, touchant la somme qu'il examinait, tout ce que l'esprit humain saurait trouver ».

Où est donc la difficulté si elle n'est pas inhérente à la chose ?

Dans le sujet qui l'aborde, tout simplement : « Rien n'est difficile, c'est l'homme qui est difficile à lui-même. Je veux dire que le sot ressemble à un âne qui secoue les oreilles et refuse d'aller. Par humeur, par colère, par peur, par désespoir ».

Ce qui nous est insupportable dans la géométrie, c'est qu'elle met à nu notre responsabilité absolue dans l'acte d'intellection : si elle est simple et que nous ne la comprenons pas, c'est bien que l'incompréhension est notre faute. Quand je jette le livre en jurant que je ne comprends rien, je confesse que je renonce à comprendre.
J'espérais la grâce, l'illumination passive, et la géométrie me ramène à moi : l'intelligence est un travail, l'intelligence n'est que mon travail.  

Or, comme le remarque Alain, « à raisonner on ne veut pas travailler ». Notre idée de l'intelligence est mystique. Le travail nous semble indigne de l'esprit ; nous attendons la révélation. Nos erreurs, nos errements plutôt, nous mettent bientôt en fureur et, par infatuation, nous nous condamnons : il y a dans les « têtes bornées comme une damnation volontaire ».

Tant que je ne soumets pas mon intelligence à l'épreuve de comprendre quelque chose, je peux croire en mon intelligence. Plutôt tout ignorer, donc, que de m'exposer au risque de l'humiliation.

Faute d'avoir pu nous élever au-dessus de nous-mêmes, nous nous plaçons au-dessous.

Belle leçon pour le maître s'il comprend que l'élève, « cet animal sensible, orgueilleux, ambitieux, chatouilleux, aimera mieux faire la bête dix ans que travailler pendant cinq minutes en toute simplicité et modestie ».

Ce qui signifie que les travaux d'écolier, tous les travaux, « sont des épreuves pour le caractère, et non pour l'intelligence. Que ce soit orthographe, version ou calcul, il s'agit d'apprendre à vouloir ».

Bref, la mesure de l'intelligence, la classification de ses formes, ne sont d'aucun intérêt pour déterminer ni la méthode ni le contenu de l'enseignement. Mais il n'est pas inutile, en revanche, de savoir l'origine de la sottise, afin d'être à même de veiller, comme le souhaite Alain, à ce que l'enfant n'en vienne jamais à se condamner.

TEXTE INTEGRAL :

LES SCIENCES HUMAINES ET L'ÉDUCATION SELON ALAIN

par Yvan Lorvellec 

Alain sur le blog :

1- Propos sur l'éducation

2- Textes

3- Articles

4- Les talents innés ?

5- Le culte de la Raison comme fondement de la République

6- Les sciences humaines et l’éducation

7- L’origine de la bêtise

8- Aptitude et Orientation : La pédagogie prophétique et le fatalisme pédagogique

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