L’exercice classique par excellence, c’était déjà
autrefois et c’est encore aujourd’hui la dictée. Sitôt qu’un enfant sait
écrire, on lui fait faire des dictées. Il en fait une tous les jours pendant
tout le temps qu’il fréquente l’école ; parfois même, à l’approche des examens,
il en fait plusieurs par jour. C’est qu’aussi la dictée est la pierre de touche
du savoir des candidats dans tous les examens scolaires. Pour obtenir son
certificat d’études, l’élève doit avant tout faire une bonne dictée. L’épreuve
de la dictée n’était-elle pas, naguère encore, éliminatoire à l’examen du
brevet de capacité ? On s’explique qu’on lui accorde tant d’importance. Et puis
l’exercice est si commode ! On prend un livre, quelquefois le premier venu ; on
en dicte une page ; on fait épeler et l’on corrige. Les élèves sont occupés ;
la discipline est facile ; aucune fatigue pour le maître.
Il y aurait peut être d’autres exercices plus
efficaces pour faire acquérir aux enfants la connaissance de la langue
française et même celle de l’orthographe. On ne remarque pas assez que la
dictée est surtout une vérification. Parfaitement à sa place dans un examen, où
il s’agit de constater ce que les élèves savent en orthographe, elle convient
certainement moins comme exercice préparatoire à cet examen. Qu’on fasse faire de
temps en temps une dictée aux élèves pour voir où ils en sont et pour les
aguerrir, rien de mieux; mais qu’ils soient chaque jour soumis à cette vérification
pendant six ans, même quand ils sont arrivés à faire des dictées sans faute, ou
à peu près, il y a certainement abus.
Quoi qu’il en soit, la dictée est une tradition ;
avant d’essayer de la détrôner, il faudrait être sûr que les exercices qui la
remplaceront vaudront mieux ; et puis on romprait difficilement avec une habitude
déjà presque séculaire. Donc la dictée restera longtemps encore l’exercice de français
fondamental dans nos écoles primaires. Mais alors au moins faudrait-il qu’il
fût bien conduit et qu’il servit le mieux possible à son objet.
Ce que la dictée devrait être aux termes de l’instruction ministérielle du 20 août 1857. Ce qu’elle est encore trop souvent.
« Les dictées, graduées avec discernement, analysées
au point de vue des idées, du sens des mots, de l’orthographe, ayant pour objet
un trait d’histoire, une invention utile, une lettre de famille, un mémoire, le
compte rendu d’une affaire» : tel devrait être, aux termes de l’instruction du
20 août 1857, le fondement de la langue française dans les écoles primaires.
Mais, en général, on ne tire pas de la dictée tout le parti qu’on pourrait en
tirer. On a renoncé sans doute à ces dictées composées à dessein pour amener le
plus de difficultés possible ; cependant celles qu’on donne ne satisfont pas
toujours aux prescriptions ministérielles. Trop souvent elles ne sont pas bien
choisies, elles n’ont pas trait aux choses qu’il importe le plus à l’enfant de
connaître, et cela, parce que le maître les tire d’un livre, les unes à la
suite des autres, ou du journal que chaque semaine lui apporte ; mais surtout
on y voit trop un exercice d’orthographe et pas assez une étude de composition
et de style. Cependant il y a sur cette matière des pratiques nouvelles qui se
répandent et qui sont à encourager.
Pratiques à encourager en ce qui concerne la dictée.
Ici, le maître donne en dictée le morceau qui a fait l’objet
de la leçon de lecture. Le procédé est commode pour celui qui est seul et qui
doit diriger deux cours : ce morceau étant connu n’a plus besoin d’être
expliqué et un élève peut le remplacer pour en faire la dictée à ses camarades.
Mais il ne peut qu’être bon dans tous les cas, parce que l’orthographe s’apprend
surtout par les yeux et que les élèves, sachant que ce qu’ils lisent va faire l’objet
d’une dictée, ne se préoccupent pas seulement, au moment de la lecture, de lire
et de comprendre ce qu’ils lisent, mais qu’ils remarquent aussi comment les
mots s’écrivent, de quelles lettres ils se composent et qu’ils tâchent de ne
pas l’oublier. C’est une habitude qu’ils contractent, qu’ils gardent ensuite
dans leurs autres lectures et qui ne peut qu’aider puissamment à la connaissance
de l’orthographe.
Là, le maître prépare la dictée oralement avant de la donner,
au moins dans le cours élémentaire, mais aussi dans les autres cours pour les
mots les plus difficiles. Rien de plus raisonnable. Un élève se trouve en face
d’un mot qu’il ne connaît pas. Comment va-t-il l’écrire ? S’il n’y fait pas de faute,
ce sera pur hasard et il n’est pas prouvé, comme il n’a fait aucun effort, qu’il
le garde bien dans sa mémoire. Ne vaut-il pas mieux que le maître signale d’abord
ce mot à son attention, qu’il lui en fasse chercher l’étymologie et qu’en le
rapprochant d’autres mots de la même famille qui lui sont plus connus, il lui
fasse découvrir à lui-même comment il s’écrit et les raisons qu’il y a de l’écrire
ainsi. Au moins l’élève ne retient que des choses qui ont d’abord passé par son
intelligence et il les retient d’autant mieux.
Frappés de ce fait que si des élèves ne font plus ou presque
plus de fautes dans leurs dictées, l’exercice n’a pas grande utilité au point
de vue spécial de l’orthographe, certains maîtres ont imaginé de recourir à un
procédé imité de ce qui se fait à l’école La
Martinière, à Lyon[1]. Au
lieu de faire écrire chaque phrase tout entière, ils la lisent et se bornent à
faire écrire, à la craie sur une planchette, les mots qui présentent une
difficulté réelle. Après chaque mot écrit, tous les élèves retournent leur
planchette à un signal donné; le maître vérifie, donne les raisons; on efface
et l’on passe à un autre mot. Le procédé est commode et rapide : il permet de
résoudre en fort peu de temps de nombreuses difficultés d’orthographe usuelle
et même d’orthographe de règles.
Enfin,
la dictée corrigée, au lieu de la mise au net d’autrefois, qui était un pur exercice
de copie, les élèves reproduisent les explications données au cours de la
correction et spécialement le sens des mots difficiles ; ce qui constitue un
excellent exercice de langage et de jugement. Mais il pourrait se faire
également sur la leçon de lecture : il y aurait économie de temps.
Quoi
qu’il en soit, et malgré les défectuosités qu’on peut relever encore dans la
pratique de cet exercice, la dictée en somme se fait aujourd’hui avec
intelligence, et par la variété des sujets qu’elle permet d’aborder, elle
contribue puissamment à élargir le champ jusqu’alors si restreint de l’instruction
primaire. Plus qu’aucune autre matière du programme, elle peut éveiller toutes
les facultés de l’esprit et favoriser leur développement.
Extrait de : L'Enseignement de la lecture, de l'écriture et de la langue française dans les écoles primaires, par Irénée Carré (1889)
Extrait de : L'Enseignement de la lecture, de l'écriture et de la langue française dans les écoles primaires, par Irénée Carré (1889)
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