Jean Macé,
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CHAPITRE XII |
LE SYSTÈME MÉTRIQUE
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Ramasse-Tout
et Partageur étaient donc rentrés chez eux, marchands de pommes comme devant,
et ils ne s’en trouvaient pas plus mal. Pinchinette avait repris possession de
la gloire qui lui appartenait; mais cette gloire rejaillissait sur ses frères, qu’on traitait partout avec
la plus grande considération. De plus, chose importante, à la suite de tout le
bruit qui s’était fait à leur sujet, leur commerce prit un développement qu’on
pouvait qualifier d’effrayant.
Les voyageurs
et les marchands portèrent en peu de temps de contrée en contrée la renommée du
verger magique et des pommes merveilleuses à propos desquelles l’arithmétique avait
été inventée. Tout le monde voulut en goûter, autant par gourmandise que par curiosité,
car on apprit en même temps qu’elles étaient très bonnes; et des commandes de
pommes tombèrent comme grêle chez nos marchands, de tous les pays étrangers.
Heureusement que les arbres du verger étaient fées, et que, se voyant cueillis
tous les jours, ils se mirent bravement à produire dix fois plus de pommes
qu’auparavant; mais cela ne suffisait pas encore. Tous ceux qui avaient une
fois mangé de ces fruits délicieux en redemandaient à grands cris, et vous pensez
bien qu’il n’était plus question d’âne ni de hotte. On ne rencontrait plus sur
les routes que voiture de pommes qui partaient, à grandes journées, jusque pour
les régions les plus lointaines. Voyant cela, les garçons doublèrent leur prix;
ils le triplèrent; ils le quadruplèrent : rien n’y faisait. Notez bien que
leurs pommes n’étaient pas meilleures qu’auparavant ; mais la renommée s’y
était mise, et si plus tard vous faites jamais du commerce, vous saurez ce que
c’est que la renommée pour les choses qui se vendent. Le prix des pommes à la
mode monta si haut que bientôt les rois et les chanteurs d’opéra auraient été
les seuls à pouvoir en manger, si la marraine des deux marchands n’y avait mis le
holà. Elle déclara très sèchement que le verger leur avait été donné à l’intention
surtout des petits enfants, et menaça de le frapper de stérilité si l’on
s’avisait de vendre trop cher ce qui ne coûtait rien que la peine de cueillir à
l’arbre. Ils se résignèrent donc à gagner moins; mais ils avaient beau jeu :
leur fortune était faite.
Je parierais
bien que vous ne vous doutez guère où je veux en venir avec toutes ces histoires
de ventes à l’étranger. Voici l’affaire.
Dans ce
temps-là, et c’est encore un peu comme cela à présent, mais bien moins, chaque petit
pays, grand comme la main, avait ses mesures, ses poids, ses monnaies à lui,
qui n’avaient aucun rapport avec les mesures, les poids, les monnaies des
autres pays. Il y avait des jours où les malheureux garçons ne savaient plus où
donner de la tête à cause de cela.
Tantôt on
voulait avoir leurs pommes au poids; et les uns, c’étaient des Russes,
demandaient des pouds qui valaient 32
de nos livres actuelles, et quelque chose avec; les autres, c’étaient des Anglais,
demandaient des livres avoir-du-poids,
je ne change rien au nom, qui valaient 453 grammes, et un peu
plus d’un demi-gramme.
Tantôt on les
voulait à la mesure; et les uns, c’étaient des Suisses, demandaient des malters qui valaient 150 litres; les autres ou bien
des scheffels qui valaient 52 litres à un rien près, ou bien
des metze qui valaient 61 litres et demi, ou bien
des sesters qui valaient 15 litres, et toutes sortes
d’autres mesures: ceux-là étaient des Allemands. Les Français demandaient des
boisseaux; mais, à cette époque-là, ils avaient autant de boisseaux que de
villages, de sorte que c’était à ne plus s’y reconnaître.
S’agissait-il
de payer? c’était une bien autre affaire.
Alors
arrivaient :
La livre sterling d’Angleterre, qui valait 25
francs 20 centimes ;
Le thaler prussien, qui valait 3 francs 71
centimes, plus 2 dixièmes de centime;
Le florin autrichien, qui valait 2 francs
60 centimes, en forçant un peu, et le florin
du Rhin, qui valait 2 francs 12 centimes, en diminuant quelque chose;
Les deux roubles russes, le rouble argent, qui valait 4 francs, et le rouble papier, qui n’en valait qu’un;
Le dollar américain, qui valait 5 francs 34
centimes, et un peu plus d’un demi-centime;
La piastre espagnole, qui valait 5 francs
26 centimes moins 2 dixièmes de centime; j’entends la nouvelle piastre, car il
y avait encore l’ancienne piastre qui valait 5 francs 49 centimes, et une autre
ancienne piastre qui valait 6 centimes de moins.
Voilà
beaucoup de monnaies, n’est-ce pas? Eh bien! remerciez-moi de toutes celles que
j’ai passées.
Et, pour
mieux compliquer la besogne des infortunés marchands de pommes, on avait imaginé,
afin de faire gagner un peu ceux qui maniaient l’argent, une invention
très-jolie qui s’appelait le change,
et en vertu de laquelle la livre sterling, par exemple, valait un jour 25
francs 20 centimes, le lendemain 25 francs 25 centimes, le surlendemain 25
francs 15 centimes; et de même pour les thalers, les florins, les piastres, les
dollars : le tout au choix de cep messieurs.
Vous concevez
combien c’était amusant poux nos petits négociants quand il fallait faire là-dessus
leur compte de tocars , et combiner tout cela avec les malters, les pouds et
les scheffels. Plus d’une fois, Pinchinette fut obligée le venir à leur secours
; mais elle y perdait aussi son latin, elle qui le savait si bien, et bien
souvent sa pauvre petite tête n’en pouvait plus.
— Pinchinette,
lui dit un jour Ramasse-Tout, qui la regardait d’un œil attendri recommencer pour
la troisième fois un compte allemand de deux pages, où les scheffels
s’entortillaient avec les thalers, et les sesters avec les deux florins; Pinchinette,
chère petite sœur, est-ce que tu ne pourrais pas imaginer des. monnaies, des
poids et des mesures qui soient les mêmes pour tous les pays du monde? Voilà
qui vaut la peine qu’on s’en occupe ! Cs serait un fier service que tu rendrais
à tous les hommes!
— Oh !
je voudrais bien, répondit la bonne petite fille; mais c’est trop fort pour
moi. Où veux-tu que j’aille chercher cela?
— Attends, il
me vient une idée. Le jour où tu as trouvé les fractions dans la salle du
trône, j’étais là ne sachant quoi faire, et je regardais le pied du roi.
Sais-tu qu’il a un bien beau pied, plus long que tous ceux que j’aie jamais
vus! Si on le prenait pour mesurer en long, et qu’on parte de là pour arranger
le reste?
— Eh !
mon pauvre Ramasse-Tout, les autres pays n’en voudront pas. Chacun dira que
c’est son roi qui a le plus beau pied.
— C’est
juste. Le pied du roi d’ici n’a pas son pareil, j’en suis parfaitement sûr;
mais si on l’imposait aux autres peuples, cela pourrait bien les humilier.
Partageur était
tout oreilles à cette conversation, et vous allez bien vite comprendre pourquoi.
Avec sa rage de tripoter les pommes, il s’était empressé dans les commencements
de leur vogue de s’offrir pour faire le service des envois étrangers, et il
sentait bien qu’il finirait par en devenir fou. Que de fois n’avait-il pas envoyé
des malters pour des sesters, et des pouds pour autre chose! C’étaient alors
des plaintes infinies. Parfois on renvoyait la marchandise, et cela faisait de
gros frais. Il aurait bien donné la moitié de ses bénéfices pour être délivré
de tous ces ennuis. Tout à coup il eut une inspiration.
— Est-ce
qu’il n’y aurait pas moyen, dit-il, de trouver quelque chose de commun à tous
les hommes qui n’appartint pas davantage à un pays qu’à l’autre? De cette
façon-là, personne ne serait humilié.
— Eh !
bien sûr, s’écria Pinchinette, c’est là ce qu’il faudrait faire; mais comment
venir à bout de trouver une chose qu’on puisse tenir dans les mains, et qui
n’appartienne à aucun pays? Pour le coup, j’ai beau chercher, je donne ma langue
au chat. .
Ils se
prirent tous les trois par la main, et commencèrent à courir sur le chemin qui
conduisait chez leur marraine.
La bonne fée se
mit à rire en les voyant entrer tout essoufflés, car elle savait déjà ce qui les
amenait.
— Ce que vous
venez me demander, mes chers enfants, leur dit-elle, est impossible à l’heure
qu’il est. Les hommes attendront encore bien longtemps avant de jouir d’un
bienfait aussi précieux. Mais si vous me promettez de n’en rien dire à
personne, pour ne pas faire de jaloux, je vais vous apprendre d’avance comment
cela s’arrangera quand le moment sera venu.
Il arrivera
une époque où, grâce aux effort mille fois répétés de tous ceux qui auront passé
sur la terre, et tu y seras aussi pour ta bonne part, ma petite Pinchinette, il
arrivera donc une époque où la science des hommes leur permettra des
entreprises dont vous ne sauriez vous faire aucune idée dans ce moment. Ils
pèseront le soleil et la lune; ils mesureront la distance qui nous en sépare,
et vous pouvez vous figurer sans peine qu’ils ne seront pas bien embarrassés après
cela pour mesurer cette grosse boule qui s’appelle la terre, sans plus de
façons que vous en mettriez à mesurer une de vos pommes en l’entourant d’un
cordon.
Il se
rencontrera alors un peuple dont il y aura peut-être bien des choses à dire qui
ne seront pas toutes à son avantage; mais il y en aura une du moins qui le
rendra plus grand par un côté que tous les autres. Il s’occupera moins de
lui-même que de tout le monde, c’est-à-dire : moins de ses intérêts et de ses
vanités personnelles que de la vérité, de la justice et du bien général. En
conséquence, c’est lui qui sera choisi pour accomplir cette grande réforme, au
profit de tous les hommes.
Tenez, nous
allons la supposer faite, pour un instant. Il me sera plus facile ainsi de vous
l’expliquer.
Voyez-vous ce
petit globe que je viens de tracer? C’est la terre. C’est bien là assurément quelque
chose de commun à tous les hommes. Aucune nation, si orgueilleuse qu’on la
prenne, aucune nation ne peut dire que c’est à elle, et la mesure qu’on
parviendrait à lui emprunter, tous ses habitants pourraient bien l’accepter,
sans se sentir humiliés. Eh bien ! faites attention à ce qui va suivre.
Ayant la
mesure d’une de vos pommes, il vous serait bien facile de trouver la longueur
du cordon qui serait nécessaire pour l’entourer. Ayant la mesure de la terre,
il n’a pas été plus difficile le trouver la longueur de la ligne qui pourrait l’entourer.
Naturellement,
cette longueur-là ne pouvait pas servir à mesurer la taille des petites filles ni
ce qu’il faut d’étoffe pour leur faire une robe. Qu’a-t-on imaginé? On a pris
sa 40 millionième partie.
— Comment
dis-tu, marraine? s’écrièrent les trois enfants à la fois.
— Je dis sa 40
millionième partie. Vous pouvez bien vous représenter ce que c’est qu’un million
: c’est mille fois mille, un gros nombre, n’est-ce pas? Eh bien !
prenez-le 40 fois, vous aurez le nombre de parties imaginé pour diviser cette
ligne gigantesque qui ferait le tour de la terre en passant par ses deux pôles.
Une de ces parties était donc 40 millions de fois plus petite, et l’on pouvait
s’en servir assez commodément pour mesurer.
C’est là ce
qu’on est convenu d’adopter pour mesure universelle, pouvant servir à tous les hommes;
et, de peur de laisser prise par quelque bout à la jalousie, on n’a même pas
voulu lui donner un nom pris dans la langue du peuple chez qui se faisait ce
grand travail, on l’a appelé
MÈTRE,
d’un mot
emprunté à une langue des anciens temps, la langue grecque, et signifiant mesure.
Le mètre,
c’était donc la mesure, la mesure par excellence, celle qui devait servir à
trouve: toutes les autres.
Et, d’abord,
il fallait penser aux cas où l’on aurait besoin soit de la multiplier, soit de
la diviser, c’est-à-dire de mesurer des longueurs plus grandes ou plus petites
que la sienne.
On s’est
servi ce jour-là de ce que tu as trouvé, Pinchinette. On est allé, comme toi,
toujours de dix en dix, en multipliant le mètre comme en le divisant, et l’on a
fait d’abord des mesures de 10
mètres, de 100
mètres, de 1.000 mètres, de 10.000 mètres, puis
des mesures d’un dixième, d’un centième, d’un millième de mètre. Au delà d’un
millième, c’était bien petit. On a trouvé qu’on pouvait s’en passer.
Vous êtes
peut-être curieux de savoir quels noms l’on a donné à ces nouvelles mesures. Je
vais vous le dire.
Toujours pour
n’humilier personne, on est allé chercher ces noms hors de la langue du peuple qui
s’était mis en avant, et l’on a pris d’abord à celle qui avait déjà fourni le
mètre ceux de ses mots qui signifiaient : dix, cent, mille, dix mille. On les a
conservés tels quels, y touchant à peine, et plaçant mètre au bout, et l’on a
eu :
Déca
|
mètre,
|
10 mètres.
|
Hecto
|
mètre,
|
100 mètres.
|
Kilo
|
mètre,
|
1.000 mètres.
|
Myria
|
mètre,
|
10.000 mètres.
|
Voilà pour les
grandes mesures. Pour les petites, on ne pouvait plus se servir des mêmes mots,
qui auraient fait confusion, et l’on est revenu au latin de Pinchinette, qui a
donné aussi ses mots de dix, cent, mille. L’on a eu de la sorte :
Déci
|
mètre,
|
dixième de mètre.
|
Centi
|
mètre,
|
centième de mètre.
|
Milli
|
mètre,
|
millième de mètre.
|
Rappelez-vous,
mes enfants, le mal que vous avez tous les jours avec ces florins de 60 kreuzers, dont chacun vaut 4 pfennings, comme, vous avez pu le voir
dans vos écritures; avec ces thalers de 30 silber-groschen,
dont chacun, vaut 12 pfennings; ces
livres sterling de 20 schillings,
dont chacun vaut 12 pences; ces pouds
de 40 livres, dont chacune vaut 32 loths. Rappelez-vous
tous ces nombres biscornus dont aucun ne ressemble à l’autre, et qui s’en vont
boitant à la file comme les marches d’un escalier dont les unes auraient six
pieds, et les autres six pouces; rappelle-toi, ma pauvre Pinchinette, tout ce
tas de multiplications et de divisions que tu avais à faire tout à l’heure pour
sortir du compte dont tu n’es pas sortie, et dites-moi, à vous trois, si ce
n’est pas là quelque chose de bien préférable, allant régulièrement du commencement
à la fin, sans qu’on ait rien à faire qu’à placer les chiffres les uns sous les
autres„ chacun à son rang!
— Dis donc,
marraine, s’écria Partageur qui se laissait gagner à l’éloquente indignation de
la bonne fée contre les nombres biscornus, dis donc, marraine, comme ce serait
commode de faire une addition, si Pinchinette avait dit qu’il faudrait 60
unités pour faire une dizaine, 4 dizaines pour faire une centaine, 30 centaines
pour faire un mille, et 12 mille pour faire une dizaine de mille !
Là-dessus les
voilà partis tous d’un grand éclat de rire. Il n’y a rien qui fasse rire comme l’idée
d’une absurdité dont on n’a pas l’habitude : et voyez comme les hommes
sont drôlement faits : les absurdités dont ils ont l’habitude, ils se fâchent
quand on en rit.
— Maintenant,
chère marraine, dit Pinchinette quand le calme se fut un peu rétabli, dis nous,
je t’en prie, comment du mètre on est arrivé aux autres mesures. Je suis
vraiment curieuse de savoir par quel moyen nous pourrions venir à bout de
mesurer ou de peser nos pommes, en nous servant de cette 40 millionième partie
du tour de la terre.
— Pour
mesurer les pommes, prends un vase qui ait un décimètre de haut, un décimètre
de long et un décimètre de large.
Regarde,
voilà la longueur d’un décimètre. Tu peux bien te figurer un vase ayant cette
taille-là en tous sens. On appelle cela un LITRE.
Un vase contenant
dix litres s’appelle décalitre.
Un vase contenant
cent litres s’appelle hectolitre, d’après la méthode employée pour le mètre.
De même, le
dixième d’un litre s’appelle un décilitre, et le centième un centilitre.
Voilà â peu
près les seules mesures de ce genre-là qu’on ait jugées nécessaires; de fait, elles
peuvent suffire.
— Et pour
peser les pommes ?
— C’est la
même chose. Prends un tout petit vase qui ait un centimètre de haut, un centimètre
de long et un centimètre de large.
Tu vois qu’il
n’est pas gros. Remplis-le exactement d’eau bien pure. Le poids de cette eau s’appelle
un gramme, et avec le gramme nous allons
faire tous les autres poids :
Décagramme,
|
10 grammes.
|
Hectogramme,
|
100 grammes.
|
Kilogramme,
|
1.000 grammes.
|
Myriagramme,
|
10.000 grammes.
|
_____________
Décigramme,
|
dixième de
gramme.
|
Centigramme,
|
centième de
gramme.
|
Milligramme,
|
millième de
gramme.
|
Trouves-tu
que cela soit assez simple ?
— Mon
Dieu ! c’est simple comme bonjour. Mais les monnaies ! ce n’est pas
facile de tailler une pièce de monnaie dans la 40 millionième...
— Ne va pas
si vite. Le gramme vient du mètre, n’est-ce pas? C’est son fils. Eh bien !
la monnaie vient du gramme. C’est la petite-fille du mètre.
5 grammes d’argent font un FRANC.
Celui-là n’a
pas tant de camarades. Il est seul et unique de son espèce, et se compte comme
n’importe quoi dix francs, cent francs, mille francs, et comme cela indéfiniment,
tant que tu pourras en avoir.
Ses divisions
ont pourtant reçu des noms; mais ils échappent à la règle générale d’après laquelle
le dixième du franc aurait dû s’appeler décifranc,
le centième centifranc. On dit : un décime,
un centime.
Voyez-vous,
mes enfants, on a beau faire des systèmes bien savants, il s’y glisse toujours
des exceptions pour l’argent.
— Qu’est-ce
que cela, marraine, un système? s’écria Ramasse-Tout que le mot avait effarouché.
— Un système!
mon cher petit. J’ai bien peur que tu ne comprennes pas tout de suites ;
mais enfin, voilà ce que c’est : c’est un ensemble de choses qui servent
toutes à un usage commun, et qui se rattachent toutes à un centre commun. Les
diverses combinaisons, par exemple, que je viens de vous expliquer, servent toutes
à un même usage, à mesurer, et se rattachera toutes au mètre, qui en est comme
le point central. On a nommé leur ensemble :
SYSTÈME
MÉTRIQUE.
Voilà,
j’espère, un nom que vous n’oublierez plus maintenant.
Eh ! mon
Dieu ! fit la fée en se reprenant vivement, qu’est-ce que je dis là? Ces
pauvres enfants, garder le système métrique dans leur mémoire! C’est
impossible, son moment n’est pas arrivé. Il faut, au contraire, que je souffle là-dessus
pour qu’ils ne puissent en parler à personne. Je ne puis pas déranger pour eux l’ordre
des temps.
— Oh !
marraine, je t’en supplie, avant de souffer dessus, dis-moi du système métrique
une chose qui m’intéresse on ne peut plus.
— Et
laquelle, mademoiselle ?
— Quand
arrivera le moment du système métrique, ce sera une bien grande joie sur la
terre, n’est-ce pas? Tous les peuples ne feront-ils pas des fêtes, et ne
donneront-ils pas des récompenses à celui d’entre eux qui leur en aura fait cadeau,
comme le roi d’ici voulait m’en donner à moi pour avoir fait cadeau de l’arithmétique
à son peuple? Est-ce qu’ils ne jetteront pas tous bien loin leurs anciennes
mesures pour prendre les nouvelles à l’instant même?
— Tu as trop
d’esprit , ma pauvre Pinchinette; et tu es trop bonne pour bien connaître les
hommes.
Comme
première récompense du cadeau, les voisins du peuple en question commenceront
par essayer de l’exterminer, pour le punir et de cette réforme-là et de bien
d’autres, plus importantes encore, dont nous n’avons pas à nous occuper.
Mais ce n’est
rien encore auprès de ce qui me reste à t’apprendre. Soixante-dix ans passés après
l’adoption du MÈTRE, en séance
solennelle, des peuples qui se diront les premiers du monde ne voudront pas
encore en entendre parler, et continueront de se traîner dans les malters, les pouds,
les livres sterling et les silber-groschen.
Pinchinette
se mit à pleurer.
— Ah !
marraine, si cela doit aller ainsi, souffle bien vite, afin que je n’en sache
plus rien.
La fée
souffla sur elle, puis sur ses frères qu’elle congédia tout doucement, car
c’était déjà l’heure où elle avait l’habitude de travailler avec Pinchinette
dans le jardin.
— Allez,
chers petits, leur dit-elle; pour satisfaire votre curiosité, je vous ai levé
un coin du voile qui vous cache de bien belles choses; mais celles-ci ne sont
pas encore de votre temps. Allez vendre vos pommes, et n’y pensez plus. Ces
choses-là viendront à leur jour.
Partageur et
Ramasse-Tout s’en retournèrent vendre leurs pommes. Ils devinrent de grands calculateurs
que rien n’embarrassait, et qui ne s’embarrassaient aussi de rien, comme il
arrive malheureusement quand on veut trop calculer. Ayant oublié les bonnes
mesures, ils se consolèrent des mauvaises en gagnant beaucoup d’argent. Ils en
gagnèrent tant qu’ils finirent, après bien des années, par se bâtir un beau palais
où ils étaient bien moins à leur aise que dans la petite cabane qui les avait
vus naître et grandir; et ils ne laissaient pas d’être assez fiers de ce
palais, bien que ceux qui les avaient connus petits, du temps de l’âne et de la
hotte, l’eussent surnommé le palais des
pommes, pour se moquer d’eux. Pour dire vrai, ils y avaient mis des tableaux
d’un grand prix qui n’en avaient aucun pour eux, parce qu’ils n’y entendaient
rien, des meubles si beaux qu’ils n’osaient pas s’en servir, et une bibliothèque
digne d’un prince, dont ils n’ouvraient jamais les livres. Mais tout cela ne
les empêcha pas de mourir, comme ils auraient fait dans la petite cabane, un
peu plus tôt peut-être, voilà tout; et on les eut à peine enterrés qu’il
n’était plus question d’eux. Ils savaient pourtant bien l’arithmétique, à
laquelle ils devaient leur fortune; mais ils avaient trop oublié que si
l’arithmétique est une belle science, il y en a d’autres, et que, si c’est une
bonne chose de gagner de d’argent, cela ne suffit pas dans la vie.
Quant à
Pinchinette, je voudrais bien pouvoir vous dire qu’elle épousa le prince Oscar,
quand ils eurent grandi tous les deux; mais je ne saurais, car il n’en fut
rien. Sa marraine se contenta de lui faire épouser un petit homme bien gentil,
qui l’aimait de tout son cœur, qui gagnait honorablement sa vie, et qui la
rendit la plus heureuse des femmes. Elle eut de jolis enfants qui lui donnèrent
toute la satisfaction qu’une mère pouvait désirer, parce qu’elle leur avait appris
de bonne heure à être courageux au travail, à se rendre compte de tout, et à
penser aux autres en toute occasion. Les égoïstes ont beau dire, c’est encore
là le meilleur des calculs, et ce qui a été fait pour les autres l’emporte toujours
sur ce que l’on a fait pour soi.
C’est pour
cela que notre système métrique finira forcément par avoir le dessus sur toutes
les mesures qu’on voudrait conserver ailleurs; et ceux qui l’accepteront les
derniers en seront bien honteux plus tard. Et dès à présent les entêtés qui
s’obstinent devraient bien tous rougir d’avoir fait pleurer Pinchinette.
Nota : Voir page 107 un Exposé du Système métrique.
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