Publié le 26/09/2017 à 16h55
TRIBUNE - Idéologie, sectarisme
et poids des réseaux font des ravages dans l'enseignement supérieur sans que
l'opinion en soit informée, s'alarme l'universitaire Jean-Claude Pacitto.
L'Université devrait constituer
l'espace de débat par excellence et l'a assurément été à certaines périodes de
son histoire. L'est-elle aujourd'hui? Deux exemples récents, révélateurs du
climat intellectuel pesant qui règne à l'Université, démontrent le contraire.
Fabrice Balanche a brisé
l'omerta sur certaines pratiques de sélection et de recrutement des candidats
dans des établissements d'enseignement supérieur. Il a mis en lumière les
vraies raisons - clientélistes, politiques - qui président à des exclusions, en
particulier dans les sciences humaines et sociales
Le cas de Fabrice Balanche est
exemplaire. Enseignant-chercheur à l'université de Lyon-2, agrégé de géographie
et docteur en géographie politique, ce spécialiste du monde arabe et du
Moyen-Orient a vécu dix ans au Liban et en Syrie. Or, il a été exclu du
processus final de sélection à un poste de maître de conférences sur le monde
arabe à l'IEP de Lyon pour un motif surréaliste: sa sur-qualification! Pour
tous ceux qui suivent le conflit syrien, Fabrice Balanche n'est pas un
inconnu. Il livre sur ce conflit des analyses très fouillées qui vont à
rebours de ce qui est avancé d'ordinaire. L'enseignant-chercheur avait
établi que le régime de Damas, quelles que soient ses turpitudes, disposait de
réels soutiens dans la population syrienne et était plus solide qu'on ne le
prétendait habituellement. Facteur aggravant, ses analyses se sont avérées justes.
Fabrice Balanche, après cette
exclusion, ne s'est pas laissé faire. Il a formé un recours devant le tribunal
administratif, qui a annulé la décision du comité de sélection de Sciences Po
Lyon au motif que celui-ci a commis une «erreur manifeste d'appréciation» et,
plus grave, a méconnu «le principe d'impartialité». L'enseignant-chercheur a
ainsi brisé l'omerta sur certaines pratiques de sélection et de recrutement des
candidats dans des établissements d'enseignement supérieur. Il a mis en lumière
les vraies raisons - clientélistes, politiques - qui président à des
exclusions, en particulier dans les sciences humaines et sociales. Fabrice
Balanche a révélé la domination de certains courants de pensée sur les études
consacrées au Moyen-Orient, souvent marquées soit par une complaisance envers
l'islamisme, soit par un prisme d'extrême gauche, soit par les deux à la fois.
Précisons que Fabrice Balanche, de guerre lasse, s'est expatrié aux États-Unis
et est aujourd'hui chercheur invité au think-tank Washington Institute for Near
East Policy.
Dans le système de recrutement
qui est celui de notre Université, un indépendant a peu de chance de survivre.
Dès ses premiers pas dans la carrière, le chercheur comprend que c'est sa
dépendance qui sera sa planche de salut
Le cas de Marc Crapez est aussi
révélateur. Brillant chercheur indépendant dans le domaine des idées
politiques, il a publié de nombreux ouvrages dont deux dérangeants s'agissant
de l'histoire de la gauche: La Gauche réactionnaire, ouvrage issu
de sa thèse, et Naissance de la gauche. Nombre de spécialistes de
l'histoire des idées ont qualifié ces livres de remarquables, avec raison. Mais
problème, Marc Crapez démontre qu'il a existé au XIXe siècle, au sein de
la gauche, un courant antisémite, voire racialiste. Il montre aussi que le
clivage gauche-droite tel qu'on le connaît aujourd'hui ne s'est constitué qu'au
moment de l'affaire Dreyfus. On se doute de la suite décrite par l'auteur dans
un chapitre au titre évocateur: «Comment on ne devient pas universitaire».
Il n'existe qu'une discipline
caractérisée par le vrai pluralisme qui devrait être la règle dans toutes les
sciences sociales, c'est l'économie. C'est d'ailleurs une situation
insupportable pour des centaines d'enseignants-chercheurs en économie qui se
proclament «hétérodoxes», «atterrés» et prennent la pose de résistants face à
l'hégémonie prétendue de leurs collègues libéraux. Curieusement, les mêmes ne se
soucient nullement de la liberté d'expression et de recherche des
enseignants-chercheurs de sensibilités minoritaires en sociologie ou en
histoire, disciplines où le pluralisme est soit très faible, soit inexistant.
On aurait tort, pour autant, de
penser que cette situation dramatique pour l'enseignement supérieur et la
recherche en France ne serait que la conséquence d'un étouffement de la droite
par la gauche à l'université. Les nouveaux progressistes sont assez éloignés de
la gauche historique. Et des indépendants classés à gauche comme Michéa ou
Onfray auraient été confrontés aux mêmes problèmes que les impertinents de
droite ou classés comme tels.
La réforme universitaire de
2007 due à Valérie Pécresse n'a fait que généraliser ces pratiques en octroyant
aux présidents d'université les pleins pouvoirs - dont celui académique - en
oubliant que ces mêmes présidents, qui se présentent volontiers comme des
gestionnaires neutres, sont très souvent des politiques
Dans le système de recrutement
qui est celui de notre Université, un indépendant a peu de chance de survivre.
Dès ses premiers pas dans la carrière, le chercheur comprend que c'est sa
dépendance qui sera sa planche de salut. Dépendance interpersonnelle et
dépendance par rapport aux réseaux qui font une carrière. Marcel Gauchet,
lorsqu'il parle de mœurs mafieuses (revue Le Débat, no 156,
septembre-octobre 2009), emploie les mots justes. Un sociologue italien, Diego
Gambetta, a explicité les ressorts de ce processus dans un article de la revue
des Annales des Mines,«Gérer & Comprendre»(septembre 2006),
article intitulé «La valeur de l'incompétence: de la mafia tout court à la
mafia universitaire: une approche méthodologique».
Cette dépendance entraîne le
conformisme de la pensée et l'esprit courtisan dont beaucoup s'accordent à
penser qu'il est un des fléaux de l'Université. La réforme universitaire de
2007 due à Valérie Pécresse n'a fait que généraliser ces pratiques en octroyant
aux présidents d'université les pleins pouvoirs - dont celui académique - en
oubliant que ces mêmes présidents, qui se présentent volontiers comme des
gestionnaires neutres, sont très souvent des politiques. Donner aux universités
le pouvoir de recruter et promouvoir tous leurs enseignants-chercheurs en
supprimant l'échelon national du Conseil national des universités serait, de ce
point de vue, désastreux. La déconnexion entre pouvoir gestionnaire et pouvoir
académique est une absolue nécessité et devra être mise en œuvre. Dans une même
perspective, il serait souhaitable que, pour les disciplines concernées, la
majorité des épreuves du concours de l'agrégation dite du supérieur soient
anonymes et écrites.
Ce manque de pluralisme et cette
chasse - car c'est le mot - aux esprits indépendants à l'Université
interrogent. La France n'est-elle jamais sortie de cette tentation toute
soviétique qui consiste à envisager le débat qu'en termes d'élimination des
adversaires? Élimination physique hier, élimination ou marginalisation
professionnelle et sociale aujourd'hui. Et qui s'en inquiète?
* Maître de conférences
en sciences de gestion à l'université Paris-Est.
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