22 mai 2016

L'éducation aux mains de Jean-Michel Blanquer, de l'ESSEC au pain sec ? (Daspe, 22.05.2017)

Francis Daspe

Francis Daspe

Francis Daspe est co-auteur avec Paul Vannier du livre « Manifeste pour l’école de la 6° République » (éditions du Croquant, août 2016). Il est également responsable de la Commission nationale Education du Parti de Gauche et Secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée. 
En ces temps de confusions, la politique a besoin d’heureuses clarifications, même quand ces dernières annoncent du gros temps. Il en va ainsi des nominations gouvernementales. Celles de deux membres de Les Républicains aux fonctions économiques, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, confirmaient le choix initial de désigner Edouard Philippe Premier Ministre : l’extrême finance est bien de droite. Une autre des clarifications concerne l’éducation. A ceux qui croyaient que l’éducation pouvait être une question de « bon sens » (certains parlant de gérer l’école en « bon père de famille » en dehors des enjeux idéologiques) échappant aux clivages politiques, un démenti cinglant est apporté. L’éducation se situe au cœur d’un projet de société et de ce fait possède une forte dimension idéologique. La nomination de Jean-Michel Blanquer rue de Grenelle l’illustre parfaitement.
En 2012, le Parti de Gauche avait pris le risque d’indiquer que le quinquennat de François Hollande se traduirait par des déceptions en matière d’éducation. C’était un pari osé au regard du quinquennat d’airain duquel nous sortions avec Nicolas Sarkozy et des fortes attentes qui existaient. Nous avions argumenté notre position autour des concepts de « renoncements politiques » et de « contresens idéologiques » que nous pronostiquions à un moment où la tendance était de donner un blanc-seing à celui qui avait désigné la finance comme son ennemie. Nous avions vu juste. Ce n’était pas de la divination, mais au contraire le fruit d’une analyse rationnelle : l’indétermination du projet de société des socialistes ne pouvait que conduire à ces déconvenues et ces impasses.
Il a nommé des hommes de droite aux secteurs stratégiques pour l’appliquer ; l’éducation en fait partie
Aujourd’hui, la situation est plus claire. Voire limpide. Le Président de la République est le représentant de la finance ; son programme est celui du Medef ; il a nommé des hommes de droite aux secteurs stratégiques pour l’appliquer ; l’éducation en fait partie. Le curriculum vitae du nouveau ministre le prouve sans ambigüité. Attachons-nous plutôt à indiquer les grandes orientations qui attendent l’Ecole de la République au cours des prochaines années comme autant de défis.
La promotion de l’entrepreneuriat sera un des fils conducteurs de la politique ministérielle. L’assujettissement de l’école à des intérêts particuliers et sa marchandisation vont se poursuivre, à l’encontre d’une autre forme de laïcité. L’urgence serait pourtant de procéder à la séparation en bonne et due forme de l’école et du Medef.
L’austérité appliquée au service public d’éducation va s’intensifier : le concours des suppressions de postes garde de beaux jours devant lui. Les personnels devront composer avec la rengaine du « faire mieux avec moins » utilisée pour faire avaler les pilules les plus amères et les dégradations des conditions de travail les plus mal ressenties.
Cela ira de pair avec l’appesantissement d’une gestion managériale infantilisante et culpabilisante : car si l’école sera soumise aux intérêts de l’entreprise, elle devra aussi fonctionner en interne comme une entreprise. L’autonomie, le culte de l’évaluation permanente et le « new management public » y contribueront de manière décisive, avec leur cortège de d’expérimentations, dont est friand le nouveau ministre, souvent hasardeuses et parfois franchement kafkaïennes qui fragilisent les enseignants. C’est d’ailleurs l’objectif recherché du « new management public » : créer de l’insécurité chez les salariés pour diminuer leur capacité de résistance.
Le projet d’une école à deux vitesses et de la reproduction des dominations sociales apparaît clairement en filigrane à travers la conception du savoir du nouveau ministre. Elle est clairement minimaliste et utilitariste dans la lignée du socle commun et des compétences morcelées qui furent introduits par le ministre François Fillon en 2005. Les invocations compulsives de l’égalité des chances et de l’excellence ne seront que les justificatifs commodes de la sélection scolaire et de l’évitement social.
Cette école là est celle des oligarchies, pas celle du peuple aspirant à l’égalité pour tous et à l’émancipation de tous. Les tropismes connus de Jean-Michel Blanquer font craindre que la trajectoire de l’école de la République sous le quinquennat d’Emmanuel Macron se réduise à cette formule : « de l’ESSEC au pain sec… ». Au moins, il y a corrélation entre le projet de société porté par le Président de la République et les marottes du ministre de l’Education. A n’en point douter, la résistance sera à l’ordre du jour.

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