Rachel Boutonnet, Pourquoi
et comment j’enseigne le b.a-ba (conseils et récits d’instits à l’usage des
collègues débutants et des parents curieux), Ramsay, 2005, pp. 94-116.
L'ARTICULATION
ÉCRITURE/LECTURE
Dans l'apprentissage de la lecture, l'articulation
lecture/écriture ne doit jamais être perdue de vue. Écrire ce qu'il lit, c'est
ce qui permet à l'élève de fixer dans sa mémoire la façon dont se lisent les
lettres, les syllabes et les mots. En faisant passer les mots par sa main, en
les reproduisant lui-même, l'élève les intègre beaucoup plus efficacement que
s'il se contentait de les lire.
Toute
leçon de lecture est donc immédiatement suivie par une séance d'écriture :
copie et dictée.
LA MÉTHODE SYLLABIQUE OU GLOBALE ?
La méthode syllabique, ou
méthode alphabétique
Son principe est d'enseigner le son de chaque lettre ou
groupe de lettres — j ph, on, o, eau... Cette
méthode consiste à apprendre aux élèves la lecture des voyelles, puis des consonnes,
et la façon dont une consonne et une voyelle s'accrochent pour former une
syllabe. On considère que l'élève a compris le système du code écrit lorsqu'il
sait déchiffrer les mots syllabe après syllabe. Dès le début, on lui fait lire
des petits mots, en l'incitant à ne pas hacher les différentes syllabes. Les
difficultés sont étudiées les unes après les autres dans un ordre croissant. La
méthode syllabique a été élaborée à la fin du XIXe siècle.
La méthode globale
Elle amène les élèves à déchiffrer le code écrit par une
voie inverse. Les élèves apprennent d'abord des phrases écrites par coeur,
puis, sans faire l'analyse des lettres, ils doivent reconnaître les mots au
premier coup d'oeil. Ils découvrent, guidés en partie par l'enseignant, le
système du code écrit à force d'observer les similitudes et les différences
entre les mots. Ils observent par exemple que maman et marguerite sont
deux mots qui commencent par ma. Ils
en déduisent alors comment se lisent ces deux lettres. Ensuite, ils remarquent
que miroir et maman commencent par un m, et
en déduisent que ce signe à trois jambes fait le son : mmm. Une fois qu'ils ont identifié le son de toutes les lettres,
ils peuvent alors faire le chemin inverse et accrocher les consonnes et les
voyelles, pour faire des syllabes, puis des mots.
La méthode globale est née dans les années 1920.
Les méthodes mixtes, ou à
départ global
Elles commencent par une phase de méthode globale, puis
elles introduisent petit à petit la lecture des lettres et des syllabes. Elles
comptent sur le fait que les élèves vont marier les deux principes pour
apprendre à lire d'autant plus vite.
La proportion entre la part de global et la part de
syllabique est très variable suivant les manuels et les enseignants.
Les méthodes naturelles
Ce sont des méthodes mixtes pratiquées sans manuel, les
textes de lecture étant inventés en classe par les enfants.
La méthode globale pure n'a été pratiquée que très
rarement par quelques «puristes ». Elle a été très vite écartée, parce qu'elle
produisait des résultats catastrophiques.
Aujourd'hui, la méthode syllabique pure est plus que mal
vue par les inspecteurs, les formateurs et les conseillers pédagogiques. Elle
serait vieillotte, ennuyeuse et mécanique, quand les méthodes mixtes seraient
modernes, ludiques et porteuses de sens.
Les méthodes mixtes sont donc les plus répandues. Elles
font consensus. Il est de bon ton de dire qu'entre les deux extrêmes — la
syllabique pure et la globale pure — la vérité se trouve entre les deux. Un
prétendu juste milieu aux franges incertaines.
La lecture globale représente pour moi le danger — et je
l'ai constaté dans de nombreux cas — de donner aux élèves de mauvaises
habitudes dont ils ne parviennent plus ensuite à se dépêtrer : ils cherchent à
deviner au lieu de lire en regardant les lettres. Plus tard, les élèves rencontrent
des difficultés d'orthographe parce qu'ils n'ont pas assez tôt considéré les
mots comme un ensemble d'éléments distincts — les lettres —, entraînés qu'ils
ont été à les regarder comme un tout compact.
J'estime que les méthodes mixtes produisent des résultats
aussi catastrophiques que la méthode globale dans les cas où la part du global
est très importante, et la part du syllabique négligée. Seuls les enseignants
qui ne font du global que quelques semaines et qui introduisent la lecture
syllabique très tôt évitent à leurs élèves de contracter de mauvaises
habitudes. Et encore, certains orthophonistes prétendent que pratiquer ne
serait-ce que quelques semaines la méthode globale peut être dangereux, en
particulier pour les enfants qui accusent un petit retard de maturité.
Seuls les très bons élèves apprennent à lire correctement
avec des méthodes mixtes défectueuses en syllabique. Ils n'échappent pas tous,
cependant, aux difficultés d'orthographe.
Considérant que les méthodes doivent convenir à tous les
élèves, y compris aux plus faibles, et pas seulement à trois élèves
exceptionnellement doués, j'ai adopté avec mes deux classes de CP la méthode
syllabique, que je crois plus sûre et plus efficace. J'ai pris comme manuel de
lecture la célèbre Méthode Boscher (Méthode Boscher, ou la journée des
tout-petits, M. et Mme Boscher, M. Chapron, M. Carre, illustration M.
Garnier, Belin, 1958 ; première parution en 1905 à compte d'auteur), désignée
comme la plus ringarde et la plus caricaturale des méthodes par ma hiérarchie.
Elle date effectivement pour sa première version du début du XXe siècle, mais
il se trouve aussi qu'elle se vend depuis cinquante ans à cent mille
exemplaires par an.
Par ailleurs, et c'est là le plus important, les élèves
l'adoptent immédiatement. Sa présentation claire, avec ses lettres en couleur
et les syllabes détachées à l'intérieur des mots, sa progression simple leur
rendent l'apprentissage de la lecture facile. Grâce à ce manuel, j'ai vu des
élèves sortir en quelques semaines des blocages dans lesquels les avait
enfermés la méthode globale.
Je n'ai jamais constaté que mes élèves s'ennuyaient
lorsqu'ils lisaient les syllabes. Au contraire, c'est presque un jeu pour eux.
Déchiffrer ta, c'est prodigieux parce
que cela signifie qu'ils apprennent à lire. Ils lèvent tous la main avec
enthousiasme pour être le prochain à lire. Quant à l'accès au sens, je ne vois
pas ce qui l'empêcherait dans la méthode syllabique, à partir du moment où les
élèves lisent tout de suite des mots, des phrases, puis le plus tôt possible
des textes, et qu'on surveille qu'ils font attention à ce qu'ils sont en train
de lire en leur posant des questions régulièrement.
Je n'ai pas eu les félicitations de mon inspectrice, mais
celles de certains parents quand mes élèves, en mars, commençaient à se
débrouiller seuls.
LES LEÇONS DE LECTURE
L'alphabet, les lettres,
les chiffres
Tous les matins, nous révisons l'alphabet. Celui-ci est
affiché au mur. Chaque lettre est représentée dans les deux caractères
minuscules — cursive et imprimerie. Les majuscules, ce sera pour le CE1 — bien
que certaines maîtresses les voient dès le CP. Les voyelles sont reproduites
d'une couleur différente des consonnes.
Comme l'alphabet est affiché en classe, les élèves
constatent qu'il y a un nombre limité de lettres et que les connaître toutes
est possible. S'ils hésitent un jour sur le nom d'une lettre, ils récitent la
chanson en regardant l'alphabet, et s'arrêtent sur la bonne graphie.
Je pose ma règle sur la première lettre et les enfants chantent
: «a, b, c, d...» Je leur dis de ne
pas aller plus vite que ma règle, sans quoi ils récitent sans regarder. Je veux
au contraire qu'ils fixent chaque lettre pour qu'ils en mémorisent le nom. De
temps en temps, je m'arrête, et ceux qui récitent machinalement se font repérer
tout de suite, parce qu'ils continuent leur litanie sans s'apercevoir que la
classe s'est tue. Je reprends en passant lentement d'une lettre à l'autre. Pour
les aider à retenir la chanson de l'alphabet, je la leur fais chanter par
tranches, chaque tranche commençant sur une voyelle qu'on appuie davantage : «a,
b, c, d — e, f, g, h — i, j, k, l,
m, n — o, p, q, r, s, t — u, v,
w, x — y, z». Cela donne son
rythme mélodique à la chanson.
Pour m'assurer que tous apprennent, je fais parfois
chanter l'alphabet individuellement. Je commence par les volontaires, parce que
je me doute qu'ils savent, et que cela fera une bonne révision pour tout le
monde, et je poursuis avec trois autres qui ne se proposent pas, parce que je
sais qu'ils ont besoin de s'entraîner. Je reprends tout avec eux depuis le
début par tranches successives.
Ensuite, j'interroge sur des lettres isolées. Je montre
une lettre et je demande comment elle s'appelle. Pour terminer, quelques élèves
vont au tableau pour montrer telle ou telle lettre avec la règle. Ils sont
ravis de pouvoir se lever et de faire comme la maîtresse.
L'alphabet est su en quelques semaines. Ce qui n'empêche
pas les révisions périodiques.
Les graphèmes
Un graphème est une unité composée d'une, deux ou trois
lettres qui représente un son de la langue. Un même son peut être représenté
par plusieurs graphèmes différents. Ainsi le son in a diverses graphies : in,
ain, ein... ; le son o : o, au,
eau...
J'affiche dans la classe, les unes à la suite des autres,
des fiches mémoire. Sur chaque fiche apparaît un dessin illustrant un graphème.
Il ne s'agit plus de nommer la lettre — ou parfois plusieurs lettres — mais
d'en identifier le son.
Le
premier graphème étudié est le i. L'image
est une île. En dessous de l'image est écrit le mot île, avec le i en rouge,
et, dans les deux coins de la feuille, la lettre i est écrite dans les deux caractères minuscules. (L'ordre dans
lequel on étudie les voyelles varie d'une méthode à l'autre. Par exemple, la Méthode Boscher commence par le i et le u, qui sont les deux voyelles les plus faciles à écrire.)
Je m'inspire ici d'un très beau texte de la fin du XIXe
siècle qui n'a pas pris une ride, un
article du Dictionnaire de pédagogie de
Ferdinand Buisson.
Ferdinand Buisson
(F. Buisson est Inspecteur général de l'Instruction publique en 1878, sous
le ministère de Jules Ferry.)
Dictionnaire de
pédagogie (1882 et 1887)
(Le Dictionnaire de pédagogie est une mine extraordinaire de renseignements de toutes
sortes sur l'école : histoire, méthodes, didactique, développements
philosophiques, aspects juridiques et administratifs; l'ensemble est écrit
dans une très belle langue.)
Article lecture :
« i comme île»
Il y a deux articles « lecture » dans le dictionnaire, l'un, dans la
première partie, qui retrace un historique des méthodes d'enseignement de la
lecture du XVIIe siècle aux années 1880, l'autre, dans la seconde — dont est
tiré l'extrait —, qui reproduit une partie du livre du maître de la méthode
Schüler, l'une des premières méthodes de lecture à avoir mis en pratique la
méthode syllabique.
Article Écriture-Lecture - Auteur James Guillaume. Tome I de
la première partie, pp. 801-803.
Article Lecture - Auteur James Guillaume. Tome I de la première partie, pp. 1534-1551.
Article Lecture- La méthode Schüler -Auteur Charles Defodon. Tome II de la deuxième partie, pp. 1141-1143.
Article Lecture - Auteur James Guillaume. Tome I de la première partie, pp. 1534-1551.
Article Lecture- La méthode Schüler -Auteur Charles Defodon. Tome II de la deuxième partie, pp. 1141-1143.
Article La méthode phonomimique de lecture - Auteur E. Brouard. Tome 2
de la première partie, pp. 2368-2369.
Exemple
: La méthode, avons-nous dit, commence par l'i. La première image est celle
d'une île, au-dessous de laquelle est tracé le signe graphique i.
Première partie
de l'exercice : Discussion sur ce qu'est
une île
Deuxième partie
de l'exercice
1. Les syllabes
D. —
Qu'est-ce que l'île ?
R. —
L'île est la terre entourée d'eau.
D. —
Combien de fois ouvrez-vous la bouche pour dire î-le?
R. —
Pour dire î-le, j'ouvre la bouche
deux fois.
(Le
maître explique qu'un mot a autant de syllabes qu'il faut ouvrir de fois la
bouche pour le prononcer.)
D. —
Combien de syllabes a le mot î-le? R.
— Le mot î-le a deux syllabes.
D. —
Dites-moi la première syllabe.
R. — La
première syllabe est i.
D. —
Dites-moi la deuxième syllabe.
R. — La
deuxième syllabe est le.
D. —
Combien de syllabes a le mot tê-te?
R. —
Deux. (L'enfant devra donner une réponse complète.)
D. —
Dites-moi la première.
R. — Tê.
D. —
Dites-moi la seconde.
R. — Te.
D. —
Combien de syllabes distinguez-vous dans les mots : ai-le, plu-me, bec, oeil, noir, blanc?
2. Les sons
D. —
Quand vous prononcez le mot île, comment
faites-vous d'abord ?
(Le
maître répète le mot en insistant sur l'i
: i i i île.)
R. — Je
fais d'abord i. (Le maître explique
que cela s'appelle «émettre un son ».)
D. —
Quel son entendez-vous en premier quand vous dites île? (appuyez au besoin sur l'i.)
R. —
J'entends le son i.
D. —
Cherchez d'autres mots où vous commencez par dire i (par émettre le son i.)
R. — Hibou, il, Isidore, Isabelle et
d'autres. (Le maître aide au besoin par des questions.)
D. —
Quel son entendez-vous au commencement du mot usine?
R. —
J'entends au commencement du mot usine le
son u.
3. Troisième
partie de l'exercice
D. —
Combien de syllabes a le mot î-le?
R. — Le
mot î-le a deux syllabes.
D. —
Quel est le son de la première syllabe?
R. — Le
premier son du mot î-le est i.
D. —
Nous allons maintenant apprendre à écrire le son i, que nous venons d'émettre.
Chaque matin, nous commençons par revoir tous les
graphèmes qui sont affichés depuis le début de l'année : i comme île, u comme usine, a comme avion, o comme os, e comme cheval -- seul cas où le mot ne commence pas par la lettre étudiée
parce que le e ne fait jamais le son e en début de mot —, p comme poisson, t comme tortue. Normalement, les élèves ne
doivent prononcer que le son de la lettre, mais cela devient difficile pour
certaines consonnes (p, b, t, d), si
bien que je leur apprends à ajouter un discret euh. Le p se lit donc peuh, le r rrreuhh.
Comme pour l'alphabet, nous chantons d'abord tous les
graphèmes ensemble, puis je fais réciter les élèves individuellement. Je
reprends plusieurs fois la file à partir de son milieu ou de la fin.
J'interroge ensuite les élèves un par un en leur montrant un graphème au
hasard. Puis c'est eux qui viennent désigner avec la règle le graphème que j'ai
prononcé.
Ce qui peut surprendre, c'est que certains enfants
n'entendent pas les sons dans les mots. Ils n'entendent pas, par exemple, a dans avion. Dans ce cas, la mémorisation du son de la lettre grâce à
l'image ne fonctionne pas comme prévu.
Ensuite, nous étudions le nouveau graphème. Je présente
l'image et demande aux élèves ce qui y est représenté. Nous discutons un moment
sur l'objet, ce qui donne lieu au passage à une leçon de vocabulaire. Je leur
demande alors quel est le premier son que l'on entend dans le mot qui désigne
l'objet. Quand ils l'ont trouvé, ils apprennent la petite chanson : «i comme île », en appuyant bien sur le i.
Je laisse la fiche mémoire au tableau
toute la journée et, le lendemain, les élèves la trouvent au mur, affichée à
côté des précédentes.
Ils aiment voir la file des fiches
s'allonger au fil de l'année. Ils cherchent quelle sera le prochain graphème
étudié en soulevant la pile d'images destinées aux prochains cours, qui se
trouve sur mon bureau.
L'enseignement des consonnes
Mme Albert
Pour enseigner la lecture des consonnes, je cherchais des mots de deux
syllabes dont la dernière syllabe était composée de la consonne que je voulais
enseigner, suivie d'un e muet : ne comme la lu-ne; me comme la pom-me; re
comme ver-re. Il vaut mieux que le
rythme soit de deux temps. C'est très important. Si vous choisissez comme
référence un mot avec trois syllabes, c'est moins efficace.
Dans certains manuels de lecture, le d
et le b sont souvent l'un à côté
de l'autre. De même que le m et le n. Je pense que c'est une erreur. Il
vaut mieux éloigner deux lettres qui se ressemblent et attendre que la première
soit bien intégrée pour étudier la deuxième.
Il faut prendre des mots très simples
et apprendre aux élèves la gymnastique de la syllabation. Il faut que le dessin
soit autant que possible figuratif... Ma fille, également institutrice en CP,
avait pris le mot cave, pour le son ve. Mais comme elle ne savait pas
dessiner une cave, elle avait dessiné un escalier. Une conseillère pédagogique
lui a un jour demandé : « Quel est le rapport entre ve et l'escalier? » Et elle a répondu : « C'est l'escalier pour
descendre à la ca-ve. » Et, de fait,
les élèves s'étaient très bien habitués. En regardant l'escalier, ils disaient
: « ve comme ca-ve».
U comme tonneau
Mme Albert
Dans mon premier manuel de lecture, un Bellot-Deminard-Courcelle, les premières
lettres étudiées étaient le i et le o. Ces lettres sont faciles à mémoriser,
surtout si on exagère bien les mouvements de la figure pour les prononcer. Plus
tard venait le u. Le dessin qui
accompagnait le u était celui d'un
magnifique fût. Il fallait ainsi que
les enfants disent pour mémoriser la lettre : « u comme le fût!» Mais ils
ne connaissaient pas le mot fût. Ils
m'ont donc dit, en chantant joliment comme d'habitude : « u comme le tonneau! » Ils
l'ont dit un certain temps, malgré mes rectifications. Et cela leur convenait
très bien! Les enfants vous disent aussi bien : « i comme le chat! » Ça ne les gêne pas. Ils
n'entendent pas nécessairement les sons dans les mots. Je l'ai appris dès les
premiers jours de ma carrière! Pour le v,
le dessin représentait des oiseaux en vol de façon très stylisée. Les enfants
disaient : « v comme le zoiseau qui vole!» C'est un moyen
mnémotechnique comme un autre! Ce n'est pas grave, vous laissez passer! Au
passage, vous vous amusez bien.
LECTURE
SUR LE LIVRE
Toutes les pages de la Méthode Boscher présentent une leçon de
lecture complète.
Les premières leçons sont consacrées
aux voyelles (i, u, a, o, e). Suivent
les consonnes (f, t, r, s, m...). Viennent
ensuite les sons voyelles à double-graphème (ou, oi, an, in), les sons consonnes à double-graphème (gu, ph, fl...), puis les sons voyelles à
trois graphèmes (eau, ain...). Les
difficultés vont en augmentant. En dernier, sont étudiées les difficultés
particulières : le y, les lettres
muettes, le tion...
Chaque leçon comporte une illustration
en couleur, en haut de la page, qui fait toute la largeur de la feuille. C'est
la première chose que les enfants regardent.
Au-dessus de l'image, se trouve une
ligne de révision de tous les graphèmes précédemment étudiés. Sous l'image,
une courte phrase décrit la scène représentée. En dessous, en gros et en rose,
le nouveau graphème est écrit en cursives et en caractères d'imprimerie. En
dessous, se trouve une ligne de syllabes, en gros caractères d'imprimerie, qui
décline toutes les combinaisons possibles de ce graphème avec les autres
lettres : par exemple fu, fé, fo, fe, fê, fi, fa,
fè. Suivent des lignes en caractères
d'imprimerie, d'abord de petits mots, ensuite de groupes nominaux, et enfin de
petites phrases. Après un trait de séparation, on trouve le même exercice, mais
en lettres cursives : lignes de syllabes, puis lignes de mot ou groupes
nominaux, et enfin une phrase complète.
Dans les mots et les phrases, les
syllabes sont détachées par un espace et les mots par un espace plus large. Un
point sépare toujours les éléments de lecture : les syllabes dans les lignes de
syllabes, les mots dans les lignes de mots, les groupes nominaux dans les
lignes de groupes nominaux. Les phrases sont bien sûr aussi terminées par un
point.
Après un trait de séparation, on trouve
de petits exercices de calcul. À gauche de la page de lecture, et à côté du
gros graphème rose, sont dessinés des objets dont le nom contient toujours le
graphème étudié. Sous chaque objet, son nom est écrit en petit, et le graphème
étudié souligné.
Au fur et à mesure que l'on avance dans
le livre, les lettres sont plus petites, les espaces entre les syllabes se
réduisent, et les lignes sont plus nombreuses. À la fin du livre, on trouve
l'alphabet, présenté dans tous les caractères possibles, ainsi que de petites
histoires et des poèmes. Les auteurs, dans l'introduction, précisent que les
nombres étudiés ne vont pas jusqu'à 100 — le dernier est 59 — parce que
l'apprentissage de la lecture n'est censé durer que quelques mois.
Je demande d'abord aux enfants de
décrire l'image et de trouver les objets dont les noms portent le son du
graphème vu ce jour-là. J'écris au tableau tous les mots qu'ils me donnent, en
soulignant le graphème étudié. Je n'attache pas une extrême importance à cet
exercice, parce que chez des enfants de six ou sept ans, la capacité d'analyse
des sons est encore limitée. L'exercice est profitable pour ceux qui
distinguent déjà correctement les sons, et, pour les autres, c'est aussi une
occasion de les faire parler, et de leur faire acquérir du vocabulaire. À
chaque mot donné, nous nous arrêtons pour discuter de sa signification.
Ensuite commence la séance de lecture à
proprement parler.
Nous lisons d'abord la ligne de
révision, qui se trouve en haut de l'image. Trois ou quatre élèves la lisent.
Puis nous passons à la ligne de syllabes. Je la lis une fois. Toute la classe
répète, plusieurs fois. Puis trois ou quatre élèves la lisent. Nous descendons
alors aux mots et aux phrases en caractères d'imprimerie. Un élève lit la
première ligne, un autre la deuxième, un autre la troisième, un autre la
quatrième. Et nous remontons à la ligne de syllabes et chaque élève lit une
ligne, jusqu'à la fin des lignes en caractère d'imprimerie.
Les élèves prennent l'ardoise et je
dicte quelques syllabes et quelques mots que nous venons de lire.
Lors de la séance de lecture suivante,
nous reprenons tout depuis la ligne de révision, et enchaînons avec les lignes
en cursives, que je fais relire plusieurs fois. Puis nous reprenons la page en
entier une dernière fois. Si j'ai le temps, je termine la séance par une petite
dictée sur l'ardoise. La page sera reprise le lendemain.
Parfois, je commence une séance de
lecture en faisant relire les syllabes en gros caractères d'imprimerie des
leçons précédentes.
Je demande aux élèves de bien s'arrêter
aux points. Il est bon qu'ils en prennent tout de suite l'habitude. Je leur dis
aussi de ne pas s'arrêter avant le point. J'essaie ainsi de leur éviter de
hacher les mots. Ils peuvent lire lentement, mais ils doivent lier les syllabes
entre elles, ainsi que les mots entre eux.
De temps en temps, je les arrête et
leur demande : «Répète ce que tu viens de lire. De quoi parle la phrase ? Que
veut dire ce mot?»
Je
commence toujours par faire lire ceux qui lisent le mieux, afin que les autres
puissent en profiter avant de commencer. Les enfants apprennent beaucoup par
imitation, de la maîtresse et de leurs camarades. Si certains enfants sont trop
lents dans la lecture, pour ne pas faire attendre toute la classe, je les
arrête, et les fais lire à part pendant les moments où les autres travaillent
sur leur cahier ou sur des fiches. Il m'arrive aussi d'en garder certains
pendant une partie de la récréation pour les aider à combler leur retard.
La première fois que nous lisons une
page, en particulier au début de l'année, les séances sont longues et
laborieuses, très fatigantes pour moi, qui dois soutenir les efforts de ceux
qui peinent tout en veillant à ce que la classe se tienne tranquille pendant
qu'un camarade lit. Pendant les premières séances de lecture, les élèves ont
tendance à se dissiper, à regarder par la fenêtre, à feuilleter le livre. Ils
mettent quelques jours à savoir rester concentrés et à suivre attentivement
pendant toute la leçon de lecture.
L'envie de lire
Mme Lutz
Certains enfants ont déjà le goût des
livres en arrivant à l'école. Mais beaucoup n'en ont pas à la maison et n'ont
jamais vu leurs parents lire. Pour les inciter à aller vers les livres, il faut
qu'ils en aient beaucoup à disposition en classe.
Tous les jours, je prends dix minutes
pour leur lire un chapitre d'une histoire. Je commence par tous les contes
traditionnels : Blanche-Neige, Le Petit
Chaperon rouge..., car les enfants ne les connaissent plus. Ces contes ont
une portée extraordinaire dans l'imaginaire et les enfants les adorent.
J'ai mis mes vieux livres d'enfance
dans la bibliothèque de la classe. Quand ils ont fini leur travail, les élèves
ont le droit de consulter un livre. Avant même de savoir lire, ils aiment
choisir des livres que je leur ai lus et font semblant de les lire, en
regardant les images. Ils aiment beaucoup les vieux livres — leurs
illustrations, leur odeur particulière...
S'il faut leur donner l'envie de lire,
il faut aussi immédiatement travailler sur le code. Le contact avec les livres
n'apprend pas à lire en soi. Plus les élèves sont en difficulté, plus ils sont
issus de milieux défavorisés, plus il faut structurer, plus il faut faire du
syllabique très rapidement. Quand les enfants ont envie de lire, ils accrochent
très vite à la technique de lecture et ils font des progrès très rapides.
Pour
varier un peu, je leur fais parfois lire des lignes de révision au tableau.
Toujours
pour consolider la lecture, je donne à mes élèves les fiches du cahier
d'exercices de la méthode Boscher.
Elles comportent un peu d'écriture, des exercices de discrimination des sons,
des petits exercices de lecture, agrémentés de dessins. Elles sont assez
difficiles pour les élèves qui rencontrent quelques difficultés. Je les en
dispense parfois, et les fais lire à la place, ou leur fais faire une petite
dictée sur l'ardoise, pendant que les autres travaillent.
QUELQUES CONSEILS EN PRÉVISION DES DIFFICULTÉS
Il
y a plus de cinquante leçons de lecture à faire dans l'année. Le nombre varie
suivant les méthodes. Certaines choisissent de regrouper les graphèmes, là où
d'autres les séparent.
L'année
scolaire comprend trente-cinq semaines de classe. Lorsque l'on construit ses
progressions, il vaut mieux n'en compter que trente — enlever les semaines
d'interrogations et la semaine de la fin de l'année, où les élèves commencent à
être absents. Le rythme à tenir est donc d'au moins deux leçons de lecture par
semaine, si on veut espérer étudier tous les graphèmes et se donner le temps de
faire des révisions en fin d'année.
Plus
on peut enchaîner rapidement les différents graphèmes, mieux c'est. Et le plus
tôt possible, on commence à lire des petites histoires, et à faire écrire de
petits textes aux élèves. Une institutrice m'a dit qu'en décembre ses élèves
écrivaient la lettre au Père Noël.
Bien
sûr, les élèves ne progressent pas tous au même rythme. À partir du moment où
ils ont compris le système de la lecture, les meilleurs poursuivent seuls leur
apprentissage. Ils se repèrent dans l'alphabet, qui leur donne des indications
sur le son des lettres. Par ailleurs, ils parviennent parfois à trouver
d'eux-mêmes comment se lisent certains graphèmes complexes d'un mot (comme le ph), en s'appuyant sur leur connaissance
des autres lettres du mot. L'étude des nouveaux graphèmes, pour ceux qui savent
lire, est donc une révision. En revanche, avec ceux qui sont encore à la
traîne, on revient systématiquement sur les bases qui leur manquent. On
n'hésitera pas à solliciter ceux qui ont pris de l'avance pour donner l'exemple
et stimuler leurs camarades. En mars, a
priori, tous les enfants savent lire, même si l'apprentissage se poursuit
jusqu'en juin pour les plus faibles. Il restera des graphèmes à revoir en début
de CE1. La lecture sera de toute façon à consolider et à entretenir ensuite
pendant plusieurs années.
Certains
élèves comprennent tout de suite le système d'accrochage entre les voyelles et
les consonnes. D'autres mettent un peu plus de temps.
Il
arrive aussi que les enfants aient compris comment cela fonctionne avec p, la première consonne qu'on introduit,
mais que quand on passe au t, ils ne
fassent pas le rapprochement et se révèlent incapables de reproduire le
mécanisme qui est pourtant exactement identique. On y revient le lendemain et
le déclic s'opère. On retravaille la distinction t/p pendant les dictées.
Certains
enfants cherchent les complications. Ils pensent que le système de lecture ne
peut pas être aussi simple que le simple accrochage entre une consonne et une
voyelle : b-a = ba. Avec une de mes
élèves, je me suis battue de septembre à fin janvier, parce qu'elle ne voulait
pas comprendre que c'était simple. Elle bloquait. Elle n'arrivait pas à
admettre qu'elle avait compris le mécanisme.
Les
confusions sont fréquentes et naturelles, particulièrement entre consonnes
sourdes et sonores : f/v, s/z, ch/j, k/g,
p/b, t/d. Un bon nombre d'élèves
confondent un certain temps le p et
le t, ainsi que le in, le an et le on. Beaucoup
confondent aussi des lettres proches par leurs graphismes n/m, p/q, b/d. Il est utile de donner aux élèves des moyens de
vérifier eux-mêmes qu'ils ne se trompent pas. Par exemple, j'ai dit un jour à
un garçon qui confondait le m et le n qu'il n'avait qu'à se rappeler que
dans une, qu'il savait bien lire,
c'était le son n.
Il
y a les difficultés attendues.
D'autres peuvent surprendre.
On
rencontre ainsi des enfants qui, en début d'apprentissage de la lecture,
lisent, mais qui sont incapables d'écrire ce qu'ils prononcent. Il y a deux
ans, j'avais une élève qui avait du mal, mais qui s'accrochait. Elle s'était
assise au premier rang. Elle comprenait que m et i donnait mi, mais quand je lui demandais d'écrire
mi sous la dictée, juste après
l'avoir lu, elle n'y arrivait pas. Au CP, on se trouve souvent devant le mystère
de l'incompréhension d'un élève. Il faut beaucoup de force pour réussir, sur
le coup, à prendre suffisamment de recul et se dire qu'il doit y avoir une
raison pour que l'élève ne réussisse pas une chose aussi simple. On ne trouve
pas toujours cette raison. Parfois, c'est simplement une question de timidité,
si bien que, par moments, l'enfant ne sait plus rien faire du tout. Quand le
blocage arrive, il vaut mieux arrêter et reprendre plus tard calmement.
La
collègue qui m'a remplacée pendant mon congé de maternité a soutenu cette
petite jusqu'à la fin de l'année. Pendant tout le mois de juin, elle l'a fait
travailler vingt minutes par jour à son bureau. Elle l'a ainsi amenée à la
lecture. En CE1, elle lisait enfin assez bien. Il avait fallu se battre jusqu'à
la fin de l'année.
Un
autre de mes élèves a eu du mal à mémoriser le son des lettres que nous
apprenions depuis le début de l'année, que nous révisions tous les matins, que
nous écrivions en dictée sur l'ardoise tous les jours. Les autres élèves les
savaient sur le bout des doigts, à quelques exceptions près, mais lui était
arrivé à l'école trois semaines après les autres et, d'après les maîtresses de
maternelle, il venait depuis toujours à l'école de façon très irrégulière.
Un
matin, je l'aide à lire narine. Je
l'accompagne dans ses recherches. Quelle est la première lettre ? Il regarde
les affichages, il cherche cette lettre et tombe sur le dessin : «nuage ». Le
premier son de nuage est nnn, donc
cette lettre fait le son nnn. À côté,
c'est un a. nnn et a, cela fait na. Syllabe suivante : quelle est la première lettre ? Son affiche
comporte un râteau, le premier son de râteau, c'est rrrr, donc cette lettre fait le son rrr, ensuite c'est un i, rrr et
i, cela fait ri. Enfin, la dernière syllabe : la première lettre, on l'a déjà
vue tout à l'heure, c'est nnnn, ensuite
c'est e, donc cette syllabe, c'est ne. Je lui demande de relire le mot en
entier. Il ânnone : «na-ni-ne». Je lui dis de bien regarder car, dans la
deuxième syllabe, la première lettre est un r. Il se reprend : «ra-ri-re ».
Bien. On recommence.
Cet
enfant savait lire à la fin de l'année, malgré ses débuts hésitants.
Toutes
les difficultés des élèves finissent par se résoudre, avec le rabâchage. C'est
parfois long. Pour un quart environ des élèves de la classe, les débuts sont
très durs, et c'est très dur aussi pour la maîtresse, qui doit soutenir,
porter, encourager, leur insuffler son énergie.
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