L’Etat islamique a revendiqué un double attentat à Téhéran, mercredi, faisant au moins 13 morts et 46 blessés. Une première dans le plus grand pays chiite. Cet assaut spectaculaire risque d’envenimer les relations entre la République islamique et son rival, l’Arabie Saoudite.
Leader du monde chiite depuis la révolution de 1979, l’Iran a été pour la première fois touché par un double attentat revendiqué par l’Etat islamique (EI), qui a fait 13 morts et 46 blessés au Parlement de Téhéran et dans le mausolée de l’imam Khomeiny. La confrontation semblait inévitable, tant l’EI a érigé en priorité stratégique la division communautaire, entre chiites et sunnites au Moyen-Orient, coptes et musulmans en Egypte, «croisés» et musulmans en Europe. La République islamique fut longtemps considérée comme l’ennemi numéro 1 des Etats-Unis - un statut ravi par l’EI. Avec cette attaque spectaculaire, le régime théocratique et le groupe jihadiste s’engagent dans une lutte sans merci, à rebours des accusations de complaisance de l’un envers l’autre portées par l’Arabie Saoudite et récemment reprises par Donald Trump.
Pourquoi l’EI a attaqué l’Iran ?
L’Iran est d’autant plus une cible qu’il est engagé contre l’EI en Irak, via les Gardiens de la révolution et les milices qu’il soutient. «Les attentats de mercredi sont liés à l’implication des milices chiites actives aux abords de Mossoul. Ces mêmes milices ont coupé les routes qui menaient de Mossoul à la Syrie par où transitaient les jihadistes», explique Pierre-Jean Luizard, historien et directeur de recherche au CNRS. Téhéran est également un soutien indéfectible du président syrien Bachar al-Assad, de confession alaouite (branche du chiisme), à qui il fournit combattants, miliciens, armes et financements. «Longtemps, malgré sa rhétorique, l’Iran n’a pas beaucoup combattu l’EI en Syrie, il ne figurait pas parmi ses cibles prioritaires. Mais depuis que Daech est affaibli par la coalition, Téhéran est plus agressif, cela a pu les pousser à réagir», indique Thierry Kellner, chercheur à l’Université libre de Bruxelles.
L’an dernier, les autorités iraniennes avaient annoncé avoir démantelé une cellule de l’EI à Kermanshah, près de la frontière irakienne, après une intervention des forces spéciales qui s’était soldée par six arrestations et la mort de quatre terroristes présumés. «Des mouvements islamistes étaient jusqu’à présent actifs à la périphérie du pays, au Baloutchistan [près de la frontière pakistanaise, ndlr] ou dans les régions kurdes, relève Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite à l’Institut de hautes études internationales de Genève. Mais cette fois, c’est le cœur de l’Iran qui est touché : la capitale, et deux lieux à la fois emblématiques et très sécurisés.»
Signe d’une volonté accrue de frapper l’Iran, l’EI a récemment traduit en persan quatre numéros de sa revue de propagande en ligne, «Rumiyah». En mars, dans une rare vidéo en persan, il affirmait vouloir «conquérir l’Iran et le rendre à la nation musulmane sunnite». Mais jusque-là, l’EI ne menaçait que rarement l’Iran. L’explication avait été donnée par son porte-parole, Mohammed al-Adnani, dans un message diffusé au printemps 2014. Il expliquait que son organisation obéissait à Al-Qaeda qui souhaitait «sauvegarder ses intérêts et ses lignes d’approvisionnement en Iran».
Des lettres récupérées par l’armée américaine dans la maison d’Abbottabad, au Pakistan, où a été tué Ben Laden en mai 2011, ont montré qu’il existait «une coopération tactique entre Al-Qaeda et l’Iran», comme l’a relevé le Combating Terrorism Center (CTC) qui avait analysé les documents. Des figures majeures d’Al-Qaeda, tel l’Egyptien Abou al-Khayr al-Masri, un proche de Ben Laden, se sont réfugiées en Iran après le 11 Septembre et l’intervention de la coalition en Afghanistan. Certains ont été emprisonnés, d’autres placés en détention surveillée, ou encore laissés libres. «L’Iran a surtout accueilli des membres d’Al-Qaeda lors de la guerre d’Afghanistan. C’était un moyen à la fois d’acheter la paix sur son territoire et de garder une influence sur le mouvement, explique Pierre-Jean Luizard. Mais cela reste sans commune mesure avec l’Arabie Saoudite, où la connivence avec des mouvements salafistes jihadistes atteint certaines branches de la famille royale.»
Quelles conséquences sur la scène intérieure iranienne ?
Le président Hassan Rohani a été largement réélu le 19 mai pour un mandat de quatre ans, sur une promesse : poursuivre et accroître le retour de la prospérité économique. Il a sorti le pays de son isolement diplomatique pour reprendre des relations commerciales, attirer des investissements et aussi des touristes. Jusqu’à mercredi matin, l’Iran semblait épargné par les attentats contrairement à la majorité de ses voisins (Afghanistan, Pakistan, Turquie, Irak). «Ils viennent de commencer à attaquer et ils disent que ce n’est que le début, témoigne la responsable d’un hôtel de Téhéran très couru par les touristes. Et qu’ils aient pu entrer dans le Parlement montre que l’Iran a de sérieux problèmes de sécurité.»
Les opposants conservateurs de Rohani n’ont pas attendu pour attaquer sa politique d’ouverture. «C’est une mauvaise passe pour lui, mais cela ne devrait pas fondamentalement changer les choses, nuance Mohammad-Reza Djalili. La sécurité est le domaine réservé du Guide suprême, Ali Khamenei, pas du président. Depuis la révolution, les ministres des Renseignements sont toujours des membres du clergé, hommes de confiance du Guide.»
Mais dans une période de deuil et d’unité nationale, ces critiques pourraient paraître déplacées. «Une fois l’émotion un peu retombée, chaque camp pourra utiliser cet événement pour attaquer l’autre, commente Thierry Kellner. L’opération pose question quant à l’efficacité des services de surveillance mais, d’un autre côté, on va assister à un réflexe de solidarité dans l’opinion publique iranienne face à un ennemi externe : l’Etat islamique.»
Quelles conséquences diplomatiques ?
Les relations déjà exécrables entre l’Iran et son grand rival, l’Arabie Saoudite, vont encore se détériorer. Sans surprise, quelques heures après le double attentat, les Gardiens de la révolution ont accusé Riyad et Washington d’être «impliqués». «Les Gardiens de la révolution ont toujours prouvé qu’ils ne laissaient pas le sang d’innocents être répandu sans se venger», ont-ils menacé. Lors de sa visite en Arabie Saoudite les 20 et 21 mai, Donald Trump avait violemment attaqué l’Iran. «En attendant que le régime iranien montre sa volonté d’être un partenaire dans la paix, toutes les nations […] doivent travailler ensemble pour l’isoler», avait-il déclaré. Trump a aussi approuvé sur Twitter la décision, annoncée lundi, de plusieurs pays du Golfe (dont l’Arabie Saoudite) de rompre les relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme et, surtout, de vouloir entretenir des relations avec l’Iran.
La fin du califat mettra-t-elle fin aux attentats ?
Non. Les territoires de l’EI se réduisent depuis 2015 en Irak et en Syrie, sans que les attaques ne cessent. Leur fréquence a même augmenté ces dernières semaines. Manchester, Londres, Kaboul, Manille probablement et, désormais, Téhéran. L’EI a eu le temps de se préparer aux attaques contre son territoire. Après Mossoul, où les jihadistes sont retranchés dans la vieille ville, une offensive a été lancée lundi contre Raqqa, capitale de facto de l’EI en Syrie. Ses combattants ont certes beaucoup plus de difficultés à quitter leur califat sans être arrêtés ou tués. Mais les partisans déjà rentrés, ou ceux qui décident de passer à l’action sans avoir jamais rejoint la Libye, la Syrie ou l’Irak, peuvent frapper. La propagande de l’EI les y incite depuis 2014.
Isolement du Qatar : l’Arabie Saoudite joue avec le Golfe
Riyad, suivi par les Emirats arabes unis et l’Egypte, a rompu ses relations avec Doha. Mais derrière les accusations de soutien aux Frères musulmans et à l’Etat islamique, cette décision vise surtout à affaiblir l’activisme diplomatique de l’émirat et à raviver les tensions avec l’Iran.
C’est la grande déchirure entre pays arabes sunnites. L’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats arabes unis et le Bahreïn ont annoncé lundi, au surlendemain de l’attentat de Londres, la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar qu’ils accusent de soutenir le «terrorisme». Doha a dénoncé une décision «injustifiée» et «sans fondement». Celle-ci a été prise «avec l’Egypte» et a un «objectif clair : placer le Qatar sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté», a affirmé le ministère qatari des Affaires étrangères. La tension n’a cessé de monter depuis la visite de Donald Trump à Riyad, où il avait appelé les pays musulmans à «chasser» les extrémistes et les terroristes tout en demandant d’isoler l’Iran.
Aux origines de la brouille
Depuis une quinzaine de jours, les échanges d’invectives, d’accusations, les vraies et fausses révélations se sont multipliés entre le Qatar et les autres pays de la région, menés par l’Arabie Saoudite. Le déballage de linge sale a été amplifié par les grands médias arabes, financés, pour la plupart, par l’une ou l’autre des pétromonarchies du Golfe. Mais tout commence le 23 mai lorsque l’agence de presse officielle du Qatar annonce que son site a été piraté et que de fausses informations ont été diffusées. Il s’agit de déclarations prêtées au dirigeant du Qatar, le cheikh Tamim al-Thani. Ce dernier aurait mis en garde ses pairs du Golfe contre une confrontation avec «l’Iran, poids lourd régional islamique qu’on ne peut ignorer», tout en défendant le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais. Repris aussitôt en boucle par les médias saoudiens, égyptiens et émiratis, malgré les démentis qataris, ces propos déclenchent une tempête sur les réseaux sociaux. Quelque 340 000 tweets sont postés en dix heures avec le hashtag #lesdéclarationsdeTamim. En réponse, le Qatar lance le hashtag #TamimLaGloire où les internautes expriment leur soutien au cheikh «face à la campagne de dénigrement médiatique».
La querelle survient au lendemain de la visite de Donald Trump à Riyad (le 21 mai) où a été célébrée en grande pompe l’alliance historique retrouvée entre les Etats-Unis et les pays arabes sunnites longtemps qualifiés de «modérés». A contre-pied de la politique de Barack Obama, marquée par la volonté de conclure l’accord international sur le nucléaire iranien, Donald Trump dénonce dans son discours à Riyad «les interventions déstabilisatrices» de l’Iran chiite dans les pays arabes, accusant Téhéran d’être derrière le terrorisme. «Le soutien de Trump a donné des ailes à l’Arabie Saoudite pour conforter son leadership dans la région et sa ligne dure face à l’Iran, souligne Hasni Abidi, le directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. Toutefois, le «déclencheur Trump», selon l’expression du politologue, a aussi été le révélateur de ressentiments plus anciens entre les pétromonarchies du Golfe. Le grand frère saoudien n’ayant jamais accepté l’hyperactivité politique et diplomatique indépendante du petit Qatar, ni son rapprochement direct avec les Etats-Unis.
Le soutien au terrorisme : un argument prétexte
L’escalade de la crise initiée par Riyad peu après l’attentat de Londres n’est probablement pas fortuite. Au moment où la question du financement du terrorisme fait polémique à la veille des élections générales au Royaume-Uni, survient l’annonce de la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar pour «soutien au terrorisme». Le communiqué officiel saoudien justifiant sa décision souligne que «le Qatar accueille divers groupes terroristes pour déstabiliser la région, comme la confrérie des Frères musulmans, Daech et Al-Qaeda». Des accusations qui mettent sur le même plan les Frères musulmans et les organisations jihadistes extrémistes, y compris l’Etat islamique, ne peuvent qu’emporter l’adhésion de l’Egypte du maréchal Al-Sissi et des Emirats arabes unis, qui ont mis la confrérie sur liste noire. Le premier qui a renversé le président égyptien (Frères musulmans) élu en 2013, rend les islamistes responsables de tous les maux économiques et sécuritaires du pays. Il a surtout un besoin vital de l’aide financière saoudienne. Les Emirats, eux, ont une aversion viscérale pour les Frères musulmans. En outre, la proximité accrue entre le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed, et le jeune, et néanmoins homme fort à Riyad, le vice prince-héritier Mohammed ben Salman, explique que les Emirats aient également décidé de rompre avec Doha. Or, «le Qatar soutient publiquement les mouvements de l’islam politique depuis le début des printemps arabes, les considérant comme une bonne transition pour remplacer les dictatures de la région. Dans le même temps, les Saoudiens veulent faire oublier leur influence historique et leur promotion du salafisme qui a fait le nid des extrémistes», rappelle Hasni Abidi. Doha avait accueilli en asile depuis une vingtaine d’années nombre de chefs opposants islamistes tunisiens, égyptiens, syriens… leur offrant une tribune sur les antennes d’Al-Jezira.
L’Iran au cœur du différend
Au moment où le royaume wahhabite veut constituer un axe sunnite fort face à la république islamique chiite (son grand rival régional), le Qatar vient brouiller les cartes. Or, l’appel du cheikh Tamin, le leader du Qatar, à améliorer les relations des pays arabes avec l’Iran a pu apparaître comme un casus belli aux yeux de l’Arabie Saoudite. «Mais ce n’est pas la raison principale de la rupture», estime Hasni Abidi, qui souligne notamment que plusieurs membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont les Emirats arabes unis et le Qatar entretiennent des relations de voisinage correctes avec Téhéran. «Cette division au sein du CCG - qui est un ensemble régional cohérent et réussi, et dans lequel l’Iran a toujours vu une menace - ne peut que réjouir Téhéran», ajoute l’expert. Face à la querelle entre Arabes, l’Iran en profite pour afficher «sa sagesse», allant jusqu’à proposer ses services de médiateur à ses voisins du Golfe. «La résolution des différends dans les pays de la région n’est possible que par des moyens politiques et pacifiques, et un dialogue franc entre les parties», indique un communiqué de Bahram Ghasemi, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères. «L’usage de sanctions dans le monde interdépendant d’aujourd’hui est inefficace, inacceptable et condamnable», a-t-il ajouté. Mais en mettant en avant sa rivalité avec l’Iran, «l’Arabie Saoudite veut surtout faire oublier ses déboires intérieurs et extérieurs, notamment dans la guerre au Yémen», observe Hasni Abidi. Embourbée depuis deux ans dans un conflit sans résultat, la coalition arabe sous commandement saoudien a trouvé dans le Qatar un bouc émissaire. Peu après l’annonce de la rupture des relations diplomatiques, la coalition militaire, intervenant contre les Houthis, ces rebelles chiites pro-iraniens, a décidé d’exclure le Qatar.
Une querelle de famille aux conséquences limitées
Considérée comme la crise la plus grave entre les pays arabes du Golfe depuis la création du CCG en 1981, elle n’est toutefois pas la première. En 2014 une querelle semblable avait également conduit l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn à rappeler leurs ambassadeurs au Qatar pendant huit mois. Le soutien de Doha aux mouvements islamistes (en Tunisie, en Egypte, à Gaza avec le Hamas, en Syrie avec des groupes rebelles) était à l’origine de cette précédente brouille. Le rabibochage après moins d’un an de rupture a été possible au prix de quelques concessions du Qatar qui a expulsé vers Riyad des opposants saoudiens et interdit d’antenne sur Al-Jezira un célèbre prédicateur islamiste égyptien, le cheikh Al-Qaradawi.
Une médiation prochaine devrait calmer le jeu. Elle peut venir du Koweït ou du sultanat d’Oman, les deux membres du Conseil de coopération du Golfe qui n’ont pas pris partie dans la querelle. La Turquie, qui entretient des rapports étroits avec les monarchies du Golfe, s’est déclarée prête à aider au dialogue. Mais c’est surtout l’appel du Secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson «aux pays du Golfe à résoudre leurs désaccords», qui devrait constituer une pression forte. «Il s’agit finalement d’une querelle de famille entre enfants gâtés», résume Hasni Abidi.
L’Arabie saoudite et ses alliés rompent avec le Qatar, accusé de «soutenir le terrorisme»
L’Arabie saoudite et ses alliés ont rompu lundi leurs relations avec le Qatar, provoquant une crise diplomatique majeure au Moyen-Orient quinze jours après un appel de Donald Trump à l’unité des pays arabes face au terrorisme.
Le Qatar a réagi avec colère à cette décision annoncée à l’aube en accusant ses voisins du Golfe de vouloir le mettre «sous tutelle» et de l’étouffer économiquement. La Bourse de Doha a chuté de 8% à l’ouverture des transactions avant de clôturer en baisse de 7,58%. Des habitants de la capitale qatarie se sont rués sur les produits alimentaires, vidant des rayons entiers de supermarchés, a rapporté le site en ligne Doha News. La rupture des relations avec le Qatar intervient 15 jours après une visite à Ryad du président des Etats-Unis qui avait exhorté les pays musulmans à se mobiliser contre l’extrémisme. Elle a provoqué une réaction mesurée de Washington qui a invité les pays du Golfe à rester «unis».
Cette crise diplomatique est la plus grave depuis la création en 1981 du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui regroupe l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar. Ce dernier y a toujours occupé une place à part, poursuivant sa propre politique régionale et affirmant son influence par le sport, grâce notamment à l’organisation du Mondial-2022 de football. Ryad, Abou Dhabi et Manama ont justifié la rupture avec Doha par son «soutien au terrorisme», y compris Al-Qaïda, le groupe Etat islamique (EI) et les Frères musulmans, confrérie classée «terroriste» par l’Egypte et des pays du Golfe.
Selon l’Arabie, Doha soutient aussi «les activités de groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif (est)», où se concentre la minorité chiite du royaume saoudien, ainsi qu’à Bahreïn, secoué depuis plusieurs années par des troubles animés par la majorité chiite de ce pays. Ryad et Téhéran ont rompu leurs relations diplomatiques en janvier 2016 à la suite de l’exécution d’un chef chiite en Arabie. Le Qatar a également été exclu de la coalition militaire arabe qui combat des rebelles pro-iraniens au Yémen. Une décision saluée par le gouvernement du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi qui a aussi rompu avec Doha en l’accusant de soutenir -malgré sa participation à la coalition arabe- ses adversaires, les rebelles Houthis.
«Sans fondement»
Le Qatar a qualifié d'«injustifiée» et «sans fondement» la décision de certains pays du Golfe, prise «en coordination avec l’Egypte». Elle a un «objectif clair: placer l’Etat (du Qatar) sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté» et est «totalement inacceptable», a affirmé le ministère des Affaires étrangères à Doha. Le Qatar, dirigé par le jeune émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, «n’interfère pas dans les affaires d’autrui» et «lutte contre le terrorisme et l’extrémisme», a-t-il assuré.
Outre la rupture des relations et le rappel des diplomates, les trois pays du Golfe ont pris des mesures de rétorsion sans précédent: fermeture des espaces aériens, des accès terrestres et maritimes, interdiction de voyager au Qatar et d’entrée pour les ressortissants du Qatar. La suspension des vols avec le Qatar a été annoncée par les grandes compagnies aériennes Emirates (Dubaï) et Etihad (Abou Dhabi). L’Egypte a pour sa part décidé de fermer ses frontières «aériennes et maritimes» avec le Qatar qui, selon son ministère des Affaires étrangères, «insiste à adopter un comportement hostile vis-à-vis» du Caire.
Appel de Trump
Cette crise intervient alors que les autorités qataries ont affirmé la semaine dernière avoir été victimes de «hackers» ayant publié sur le site internet de l’agence de presse officielle QNA de faux propos attribués à l’émir Tamim. Ces propos controversés rompaient avec le consensus régional sur plusieurs sujets sensibles, notamment l’Iran, vu comme un allié stratégique alors qu’il vient d’être accusé par l’Arabie saoudite d’être «le fer de lance du terrorisme». Ils contenaient aussi des commentaires négatifs sur les relations entre l’administration Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des Etats-Unis.
La visite du président Trump à Ryad, son premier déplacement à l’étranger, avait été couronnée par la signature d’un accord sur «une vision stratégique» pour renforcer les relations économiques et de défense entre le royaume saoudien et les Etats-Unis. Dans un discours le 21 mai à Ryad devant des dirigeants du monde musulman, M. Trump avait appelé à «chasser» les extrémistes et «les terroristes», en référence aux groupes jihadistes, auteurs d’attaques dans plusieurs pays. Il avait aussi demandé à la communauté internationale «d’isoler» l’Iran.
Le Qatar s’est plaint d’être victime d’une campagne hostile concernant un soutien présumé aux groupes islamistes. La dernière crise ouverte dans le Golfe remonte à 2014 lorsque trois pays du CCG (Arabie, Bahreïn et Emirats) avaient rappelé leur ambassadeur à Doha pour protester contre le soutien présumé du Qatar aux Frères musulmans. Contrairement à l’Arabie, aux Emirats et à Bahreïn, les deux autres pays du Golfe --le Koweït et le sultanat d’Oman-- ont observé lundi un silence total sur la crise avec le Qatar.
QATAR
En Israël, une satisfaction relative
Les pressions sur le Qatar renforcent l’axe sunnite. L’Etat hébreu espère ainsi un affaiblissement de l’Iran, chiite, malgré le risque de perdre la médiation de Doha avec le Hamas.
A l’instar du ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, les responsables israéliens ne cachent pas leur satisfaction de voir l’Egypte, l’Arabie Saoudite, le Yémen et Bahreïn rompre leurs relations diplomatiques, commerciales et aériennes avec le Qatar, accusé de financer le terrorisme. Aux yeux des Israéliens, ce geste constituerait un premier pas vers l’officialisation de l’axe sunnite voulu par Donald Trump et avec lequel l’Etat hébreu espère collaborer contre l’Iran, le Hezbollah libanais, et l’Etat islamique. Mais surtout contre le Hamas, dont la direction politique est installée à Doha.
Au début de la semaine, Benyamin Nétanyahou s’est d’ailleurs réjoui d’apprendre que le Qatar venait, sous la pression, entre autres, de l’Arabie Saoudite, d’expulser plusieurs cadres du Hamas installés chez lui. Parmi ceux-ci, Salah al-Arouri, le responsable de la branche armée de l’organisation islamiste en Cisjordanie. Un dur qui a passé quinze ans dans les prisons de l’Etat hébreu avant de s’installer en Turquie. Prié par Ankara de déguerpir en 2015, Al-Arouri s’est exilé au Qatar avant de se chercher une autre terre d’exil. Il se trouverait aujourd’hui en Malaisie.
Ambassadeur.Tout bénéfice pour Israël ? A priori, les déboires du Qatar servent les intérêts régionaux de Jérusalem. Sauf que l’état-major de Tsahal et les services de renseignements émettent de gros bémols. Car l’émirat joue depuis plusieurs années un rôle méconnu - mais important - de médiateur avec le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza.
Basé à l’hôtel Al-Mashtal de Gaza City, un cinq étoiles inauguré en 2011, Mohamed al-Emadi y dirige en effet officiellement le Comité qatari pour la reconstruction de la bande de Gaza. En réalité, il est l’ambassadeur officieux de l’émirat auprès du Hamas. A ce titre, il fait office de relais entre l’organisation islamiste, qui ne reconnaît pas «l’entité sioniste», et Israël, qui prétend «n’entretenir aucun contact avec les terroristes». Le Qatar a commencé à jouer un rôle central à Gaza peu après l’opération «Plomb durci», en 2009. Ce rôle est devenu d’autant plus important que l’émir Hamad ben Khalifah al-Thani a déversé environ 500 millions de dollars sur Gaza, avant de s’y rendre en visite officielle en 2012.
Depuis lors, l’émirat supplée régulièrement à de nombreux besoins de la population gazaouie. En finançant la construction de logements, en versant le salaire des fonctionnaires de l’enclave ou, comme ce fut le cas au début de l’année, l’achat de fuel pour la centrale électrique.
Messages.Mohamed al-Emadi joue évidemment un rôle central dans ce dispositif. Selon nos informations, il est aussi en contact régulier avec le général israélien Yoav Mordechai, le chef de l’Unité de coordination des activités gouvernementales israéliennes dans les territoires palestiniens.
Cette discrète médiation qatarie permet à Israël et au Hamas de se faire passer des messages. Certains sont purement techniques et touchent à l’approvisionnement de l’enclave mais d’autres sont plus politiques. Ils servent notamment à faire baisser la tension lorsque des factions islamistes de Gaza tirent des roquettes sur le sud d’Israël.
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