Par Alexandre Devecchio
Publié le 16/06/2017 à 10:25
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Le gouvernement d'Andalousie en
Espagne ne cache pas sa volonté de séculariser la cathédrale de Cordoue, une
ancienne mosquée, alors même que des musulmans tentaient d'y prier. Le
décryptage de Christophe Barret.
Christophe Barret est historien et spécialiste de l'Espagne.
Il est aussi l'auteur de Podemos, pour une autre Europe (éd. du Cerf; 2015).
Classée au patrimoine mondial de l'Unesco, la cathédrale de
Cordoue a été, lors de l'occupation musulmane de la péninsule ibérique, la plus
grande mosquée après celle de La Mecque avant d'être reprises aux musulmans par
Ferdinand III de Castille en 1236. Depuis, le culte catholique y est célébré
exclusivement et sans interruption. Récemment, le gouvernement socialiste
d'Andalousie a manifesté la volonté de se l'approprier tandis que des musulmans
tentaient de prier dans ce lieu de culte catholique. Une pétition demandant que
la gestion du bâtiment devienne publique a recueilli 350 000 signatures en
2013.
FIGAROVOX. - Doit-on y voir une offensive de l'islam
politique en Europe et plus particulièrement en Espagne?
L'affaire de la sécularisation de la mosquée est le nouvel
épisode de la guerre déclarée par une partie de la gauche espagnole contre une
loi sur l'attribution des biens de l'église datant de 1946.
Christophe BARRET. - Dans une toute petite mesure,
seulement. Il y a déjà quelques mois, un groupe d'islamistes militants avait
réclamé le droit d'aller prier dans la mosquée-cathédrale. Et bien des
militants de l'islam politique qui se sont joints aux pétitionnaires que vous
évoquez.
Mais la plupart de ceux-ci qui réclament le retour de la
cathédrale dans le giron public mènent le combat culturel traditionnel de la
gauche espagnole en faveur de la laïcité. En Espagne, il n'y a pas de religion
d'État. Mais la constitution reconnaît tout de même l'Église catholique comme
celle de «la majorité des Espagnols». Comme en Allemagne ou en Belgique, le
contribuable peut cocher une case correspondant à sa religion sur sa
déclaration d'impôts. Certains voudraient que le système de subvention publique
soit plus strictement encadré, voire supprimé. Podemos, par exemple, milite
pour une séparation complète de la religion et de l'État.
Des pétitions du type de celle que vous évoquez, des
résolutions votées par des instances locales et des recours devant les
tribunaux au sujet de l'affectation des lieux de culte, il y en a des dizaines,
en Espagne! L'affaire de la sécularisation de la mosquée est le nouvel épisode
de la guerre déclarée par une partie de la gauche espagnole contre une loi sur
l'attribution des biens de l'église datant de 1946 - à l'époque de la dictature
de Franco -, revue par le gouvernement d'Aznar en 1998 et qui fait aujourd'hui
grande polémique. Cette loi d'un autre âge permet à l'Église catholique, sur
simple déclaration, faire sienne tel ou tel bien immobilier dont elle a
traditionnellement la charge. C'est ainsi que la mosquée-cathédrale de Cordoue,
effectivement vouée au culte chrétien depuis 1326, n'a été déclarée bien de
l'Église qu'en 2006, au cours du processus de son inscription à l'UNECO. Aussi
curieux que cela paraisse, la question de la propriété, aux yeux de la loi, ne
s'était jamais posée! Autre exemple: à Séville, ce n'est qu'en 2010 que la
cathédrale est devenue officiellement bien l'évêché… Certains de ceux qui
réclament un statut de bien public pour la mosquée de Cordoue rappellent que
l'édifice avait justement été cédé à l'Église par… Ferdinand III.
Les pouvoirs publics de gauche semblent complaisants avec
les revendications communautaristes des musulmans. Est-ce l'embryon d'un
islamo-gauchisme à l'espagnole?
Il y a, en Espagne, une gauche romantique naïvement
nostalgique des «trois cultures» prête à tous les compromis avec les
revendications communautaristes. Par son statut d'ancienne puissance coloniale
- au Sahara occidental, notamment - l'Espagne a, elle aussi, vu naître une
culture tiers-mondiste très perméable aux discours de complaisance vis-à-vis de
tous les «damnés de la terre». Certaines publications en attestent,
revendiquant le «combat contre l'islamophobie». Elles ont fleuri après la
première vague des attentats, en France. Mais, politiquement, cette gauche-là
ne compte pas. Il faut dire qu'en 2004, l'Espagne a été victime de l'attentat
islamiste le plus meurtrier d'Europe.
Podemos défend une lecture très stricte de la laïcité qui ne
s'accompagne d'aucun type de reconnaissance ou de préférence communautaire.
C'est curieusement au plus haut niveau de l'État, sous le
gouvernement de José-Luis Zapatero, que la plus grande imprudence a peut-être
été commise. À l'époque, le Premier ministre avait le projet de constituer une
«alliance des civilisations». C'était à une époque où la Turquie d'Erdogan
était encore sérieusement candidate à une entrée dans l'Union Européenne. La
promotion de cette alliance s'est pourtant concrètement traduite par
l'ouverture d'institutions et d'associations locales, financées sur fonds
étrangers, qui font aujourd'hui le travail de sape qui nous inquiète. Le projet
de José-Luis Zapatero a vécu, mais celui des groupuscules islamistes demeure.
En témoignent, du reste, les réguliers coups de filets de la police dans ces
milieux.
Podemos est-il tenté par une politique multiculturaliste?
Il y a un an, au printemps 2016, une rumeur a circulé, en
France, selon laquelle des élus locaux de Podemos auraient plaidé pour
l'instauration de zones de baignades distinctes, entre hommes et femmes, dans
une municipalité espagnole. Cela en dit long, sur l'état de notre débat
intérieur et sur les tensions pouvant exister en Podemos et certains de ses
adversaires…
Podemos, répétons-le, défend une lecture très stricte de la
laïcité qui ne s'accompagne d'aucun type de reconnaissance ou de préférence
communautaire. Même s'il est vrai que le parti mène prioritairement son combat
contre une Église catholique particulièrement conservatrice.
Cela n'empêche pas, je vous l'accorde, que l'on puisse
trouver dans les rangs du mouvement quelques naïfs tentés par l'expérience
multiculturaliste.
De manière générale, la question de l'identité fait-elle
débat en Espagne comme en France?
Si question d'identité il y a, la chose ne prend pas la même
forme que chez nous. S'il est des communautés dont on se préoccupe, ce sont les
communautés régionales dont l'existence est reconnue par la constitution. Et le
communautarisme qui fait débat, en ce moment, est bien sûr le catalan! Il est à
l'agenda des discussions entre le président de la République et le Premier
ministre espagnol. Mais on n'est plus dans une discussion sur la citoyenneté,
en général. Les mots de la politique sont autres, outre Pyrénées.
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