On parle enfin de la violence dont sont victimes les professeurs de la part de certains élèves. C’est bien, mais ces derniers ne sont pas les seuls à faire pression sur le personnel des écoles…
La violence est aussi le fait de l'Education nationale envers
les professeurs.
Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer en visite dans un
collège de Laval, le 3 septembre 2018. ©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP
On parle enfin de la violence dont sont victimes les
professeurs de la part de certains élèves. C’est bien, mais ces derniers ne
sont pas les seuls à faire pression sur le personnel des écoles…
Education, la parole se libère. C’est formidable. Il y a quelques mois nous sortions du déni sur l’antisémitisme et depuis, ça va beaucoup mieux. Tous les espoirs sont donc permis d’une action efficace une fois les geysers émotionnels retombés. Tous les enseignants devraient vraisemblablement bientôt trouver dans leur boîte mail académique, une vidéo de leur ministre, qui, le regard profond et habité plongé droit dans le leur, affirmera qu’il leur fait confiance et les soutient. Que peut-il faire d’autre ? Un homme seul, ou presque, peut-t-il parvenir à changer une culture d’entreprise ? Nous voici au cœur du problème : ce sont autant les politiques successives que les pratiques managériales en vigueur dans l’Education nationale qui l’ont amenée à ce degré de délabrement. Et en matière de culture d’entreprise dévastatrice, le monde de la maternelle et de l’élémentaire, le plus silencieux, est un cas d’école.
Donne-moi ta main… et prends la mienne
Bien sûr, ici comme dans le secondaire, il y a cette omerta face aux faits de violence dont les journaux se font largement l’écho ces jours-ci, avec les mêmes origines : pression de la hiérarchie, peur du jugement des collègues, autocensure, adhésion de certains à l’idéologie de l’excuse et même peur physique des représailles. Mais il y a bien plus : en raison de l’organisation des écoles, les occasions de maltraitance envers les enseignants sont démultipliées et ne viennent pas uniquement de la part d’élèves turbulents ou agressifs, mais aussi de leur hiérarchie.
Ivan
Rioufol : «En finir avec l'omerta qui abrutit la France !»
CHRONIQUE - Par paresse ou militantisme, les médias se sont
majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Encore
aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter les
euphémismes.
La presse est chatouilleuse: elle aime faire la leçon mais
déteste en recevoir. Certes, les insanités déversées ces jours-ci par Jean-Luc
Mélenchon sur les dos de Radio
France et Mediapart ont dévoilé sa fièvre stalinienne. Ces
outrances contre des journalistes, coupables d'avoir mis le nez dans le
financement de La France insoumise, ont justifié la réplique solidaire, lundi,
des sociétés de journalistes, dont celle du Figaro. Reste que les
procès en superficialité, voyeurisme ou conformisme, instruits contre les
médias, ne sont pas tous infondés. Nombreux sont ceux qui concourent au
décervelage de l'opinion. Deux confrères du Monde, Fabrice Lhomme
et Gérard Davet, débarquent comme les carabiniers, ces jours-ci, pour décrire,
dans un livre salué par la caste, l'islamisation
de la Seine-Saint-Denis. Or cela fait plus de vingt ans que ce
basculement a été identifié par quelques-uns. Mais ceux-là, à en croire Lhomme
et Davet, n'étaient pas crédibles: ils faisaient de l'idéologie, tandis que les
deux compères feraient du journalisme. Quand la presse se laisse ainsi aller à
l'arrogance, elle montre son ridicule.
L'idéologie est bien l'écueil du journalisme. Mais, en
l'espèce, c'est elle qui a incité les sentencieux limiers du Monde à
ignorer la portée des révélations des premiers lanceurs d'alerte. Dès les
années 90, le journaliste du Point Christian Jelen, disparu
depuis, avait tout dit de la France éclatée, des casseurs de la République, de
la guerre des rues. En 2002, les auteurs des Territoires perdus de la
Républiquesonnaient à leur tour le tocsin. Votre serviteur a apporté son
lot, avec d'autres encore. Cependant, parce qu'il ne fallait pas montrer les
banlieues du doigt, ni stigmatiser des minorités, ni discriminer l'immigration,
ni contrarier l'islam, ni faire le jeu du FN, une omerta a été avalisée par les
autruches à carte de presse. Ceux qui ont refusé cette chape de plomb ont,
tous, été marginalisés et caricaturés en fascistes et en racistes. Encore
aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter ses
euphémismes, comme le faisait le lecteur de l'Est sous la censure soviétique:
un «jeune», une «cité sensible», une «voiture folle», un «déséquilibré», un
«migrant» sont des mots flous jetés comme des voiles pudiques.
La violence
à l'école et la perte d'autorité des enseignants font partie de
ces sujets qui s'observent à l'œil nu depuis des décennies, sans avoir pu
percer le mur du déni. «Menacer un professeur est inacceptable», a tweeté
samedi soir le président de la République. Sa réaction a répondu à la diffusion
d'une vidéo montrant un grand gaillard noir, élève d'un lycée de Créteil
(Val-de-Marne), en
train de pointer un revolver à billes sur la tempe d'une
enseignante passive. «Nous allons rétablir l'ordre», a également tonné
Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale. Reste que si cette
scène n'avait pas été diffusée sur les réseaux sociaux, rien n'aurait été
montré de ce qu'endurent des enseignants de certains établissements. Leur
parole se libérerait-elle enfin des silences imposés par le politiquement
correct? C'est ce que semble indiquer le succès que rencontre auprès des professeurs le
hashtag #Pasdevague. Les enseignants y déplorent, sous prétexte de
bienveillance, la lâcheté des hiérarchies.
Les réalités le prouvent : par paresse ou militantisme, les
médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des
dénégationnistes. Le discours dominant persiste à occulter tout ce qui peut
abîmer l'image des minorités protégées, surtout quand elles se laissent aller à
la violence, au racisme, à l'antisémitisme, à l'homophobie, au sexisme.
Actuellement, les mouvements LGBT s'indignent d'agressions physiques contre
certains couples homosexuels. Mais les dénonciateurs restent évasifs sur le
profil des brutes. Mardi, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement
supérieur, s'est inquiétée de la
«recrudescence» des actes antisémites dans des établissements de
l'enseignement supérieur, sans en dire davantage. Or, sachant que le moindre
indice suffirait pour dénoncer l'extrême droite, il est loisible d'en conclure
que les réflexes pavloviens ne suffisent plus pour désigner les coupables
rêvés. Le courage de la vérité est l'impératif qui s'impose à ceux qui
s'estiment avoir été bernés par un discours aseptisé. Le conformisme et ses œillères
se révèlent être les ennemis de l'intelligence.
Ecole: agressez-moi s’il-vous-plaît!
S'ils veulent changer la
donne, les professeurs devront parler au grand jour
- 20 novembre 2018
Tranches de vie scolaire, en
direct sur les réseaux sociaux: Gagny (Seine-Saint-Denis, octobre 2017), Laeken,
région bruxelloise, février 2018), Créteil (octobre 2018)... ©DR
La diffusion de la vidéo d’un
lycéen braquant sa prof a provoqué un électrochoc dans le corps enseignant.
Sous le hashtag Twitter #pasdevague, d’innombrables témoignages anonymes confirment
l’ensauvagement de l’école que quantité de livres avaient déjà diagnostiqué.
Mais des témoignages anonymes ne sont pas une parole libre. S’ils veulent
changer la donne, les professeurs devront parler au grand jour.
Depuis le 20 octobre, la vidéo
tourne en boucle : dans une salle de classe, un élève braque un pistolet
vers la tête de son professeur. L’attitude de celle-ci exprime non pas la peur,
mais une résignation qui vient de loin. On entend le rire de celui qui filme,
un autre sautille en faisant des doigts d’honneur. Dans la foulée de ces
images, #pasdevague est lancé sur Twitter par des enseignants.
Ce qu’ils rapportent est sans ambiguïté : la violence de leur métier
provient autant des élèves, dont certains de toute évidence n’ont rien à faire
à l’école, que de l’administration, qui en cas d’agression préfère le plus
souvent les accuser que les soutenir.
Décennie de déni
Il y a seize ans, Les
Territoires perdus de la République, de Georges Bensoussan, évoquaient sans fard une situation déjà
délétère, par le prisme de l’antisémitisme qui s’exprimait dans les
établissements de Seine-Saint-Denis. Bien qu’il soit constitué de faits
rapportés par ceux qui les avaient directement vécus, le livre suscita la
suspicion. Les témoignages recueillis n’étaient pas fiables. La méthodologie
n’était pas rigoureuse. Bensoussan était partisan, prompt à dramatiser pour
gagner les lecteurs à sa cause (sous-entendu, juive). Le sous-texte, c’était la
ritournelle de l’extrême droite à l’affût et du danger de « stigmatisation » raciste
et islamophobe. Car l’antisémitisme évoqué dans le livre étai
….
« La société multiculturelle est de plus en plus
synonyme de société multiconflictuelle »
Entretien avec Georges
Bensoussan, l'auteur des "Territoires perdus de la République"
- 20 novembre 2018
Georges Bensoussan. ©LEEMAGE
Seize ans avant les
journalistes du Monde, l’historien Georges Bensoussan dénonçait
l’islamisation de certains quartiers de la nation dans Les Territoires
perdus de la République. Dans un entretien accordé à Causeur,
il confirme ses observations et rejette les procès en
« idéologie » qui lui sont faits par ces médias qui dressent pourtant
le même constat…
Causeur. Dans votre
discours de réception du Prix national de la Laïcité, vous évoquez avec émotion et
reconnaissance le souvenir de vos deux instituteurs de l’école primaire du
boulevard de Belleville où vous êtes arrivé dans les dernières années de la
guerre d’Algérie. Vous désignez cette école comme la « matrice
morale » où une « laïcité en actes signifiait
l’intégration dans le creuset de la Grande Nation de 1794 et de la
République ». Quel est l’état de cette « matrice
morale » ? La laïcité et l’intégration ne sont-elles pas devenues
des notions quasi suspectes ? Est-il encore permis de lier la notion de
République et celle de nation quand celle-ci ne cesse d’être accusée de tous
les maux par le président qui pourtant la représente ?
Georges Bensoussan. C’était
une matrice morale parce que nous faisions alors société. La domination de l’impératif
économique n’avait pas encore marchandisé totalement la vie, gelé pour partie
les relations humaines dans « les eaux froides du calcul égoïste »
(Marx), ni mué toute activité en spectacle. Nous faisions société aussi parce
que le choc migratoire, doublé ces vingt à trente dernières années d’une
intégration poussive sinon en panne, n’avait pas encore déstructuré la société
française pour la faire plonger dans un affrontement de communautarismes
paradoxalement marqué par le discrédit porté à la notion d’identité.
Nous faisions société parce que
le bien commun gardait un sens, et que la gauche, en dépit de ses défauts et de
ses divisions, prenait encore en charge les intérêts des classes populaires.
Nous étions alors à mille lieues de cette gauche mondaine qui s’est épanouie
dans le sillage de l’élection de François Mitterrand en 1981, et plus encore
après le tournant de 1983. Ce n’était pas encore le temps du divorce consommé
avec les classes populaires si bien analysé par Jacques Julliard, avec le
« peuple », cette notion, galvaudée, qui fait ricaner les esprits
forts mais qui demeure pourtant une réalité palpable à la condition de bouger,
de voyager, de s’immerger dans le « pays profond ».
A lire aussi: « Le Monde » et l’islam: avoir raison avec Causeur…
Si la laïcité et l’intégration
sont vues aujourd’hui comme des surgeons du colonialisme, c’est dire que nous
ne sommes jamais sortis du colonialisme. Ce schéma victimaire, cultivé chez les
Indigènes de la République et leur égérie Houria Bouteldja, est entretenu par
une petite partie de la gauche intellectuelle qui en a fait son fonds de
commerce médiatique. Cette vision n’est pas seulement historiquement erronée,
elle induit une culture de l’excuse qui, à son corps défendant, reproduit un
schéma colonial selon lequel l’autre n’est pas vu comme mon égal mais comme un
être diminué par la souffrance que lui infligèrent jadis mes aïeux.
Aujourd’hui, la laïcité et l’intégration sont récusées au nom de
l’indigénisme : nous savions depuis longtemps déjà que l’antienne du
« droit à la différence » déboucherait, un jour, sur la différence
des droits. Nous y sommes.
Le dévoiement idéologique d’une
partie de l’antiracisme accouche donc aujourd’hui d’une régression tribale qui
enferme dans une identité close et assigne à résidence, ad aeternam, du fait de
la naissance : c’est là toute la rhétorique des rassemblements de
« racisés », par exemple, interdits aux blancs. Cette dérive
idéologique, qui rompt avec la notion d’universel, retrouve le primat de la
race comme à la fin du XIXe siècle. Elle est aux antipodes du monde des
Lumières.
Seize ans après la sortie
des Territoires perdus de la République, quelle est la
postérité et l’actualité de ce travail fondateur de description d’un réel que
d’aucuns ne voulaient pas regarder en face ? La situation s’est-elle
encore dégradée ou bien des enseignements ont-ils été tirés de ces
travaux ?
Si seize ans après, j’avais dû
refaire aujourd’hui les Territoires perdus de la République, je
les aurais intitulés les Territoires perdus de la nation. Parce que
la nation est un enracinement, mais sans fermeture à la Barrès, c’est l’identité
ouverte de la Révolution française qui parle en français et s’adresse aux
hommes, et qui ne sépare pas les droits de l’homme des droits du citoyen, parce
qu’il n’y a d’humanité que lorsque les devoirs sont accolés aux droits. La
République, on l’oublie souvent, n’est qu’une forme de régime, même s’il est
vrai, qu’en France, elle est portée par le souffle de 1792, de 1848, de 1870,
sans oublier le rétablissement de l’été 1944. Cela posé, avoir mis sous le
boisseau le mot « nation » par peur de l’identité confondue avec le
nationalisme, l’exclusion et la guerre, a contribué à freiner l’intégration de
millions d’étrangers arrivés depuis cinquante ans. Comment s’intégrer à une
nation qui congédie sa propre histoire et s’en mortifie sans fin ?
La notion d’identité nationale a été caricaturée en machine à
exclure, alors qu’il s’agit d’une longue élaboration conflictuelle entamée au
moins depuis la seconde moitié du XVI° siècle avec les guerres dites « de
religion ». Dans ce vide, s’est glissé un émiettement identitaire vecteur
de violence, une société multiculturelle (à ne pas confondre avec une société
multi-ethnique) de plus en plus synonyme de société multi-conflictuelle.
Seize ans après les Territoires
perdus de la République, la postérité de ce livre se résume surtout à une
formule utilisée jusqu’à plus soif. Ce que nous décrivions alors, après
d’autres (je pense en particulier à Christian Jelen), n’était que les premiers
symptômes d’un pourrissement à venir. Et qui est advenu.
Si l’actualité nous a donné raison
au-delà de ce que nous redoutions, la vraie question porte sur la
responsabilité de ceux qui ont refusé de regarder ce qu’on leur montrait, qui
nous ont insulté, qualifié d’ « idéologues, d’ « esprits
simplistes » puisque l’intelligence, chacun le sait depuis le temps de la
domination culturelle du Parti communiste français au début des années
cinquante, est de leur côté.
La situation s’est-elle
dégradée ? Il y a aujourd’hui en France, plus de 500 quartiers
« difficiles », nommés par antiphrase « cités sensibles »,
ravagés par des trafics en tous genres et marqués par la progression du
salafisme. Des territoires se constituent en dehors de la nation, rétifs à la
loi républicaine où l’autorité de l’État tient parfois du leurre. Qui peut
dire, par exemple, sans ciller, que la loi de 2010 sur l’interdiction du port
du voile intégral est intégralement respectée ?
Les récentes enquêtes de
journalistes qui, tels Davet et Lhomme du Monde, découvrent en
2018 ce que vous évoquiez dès 2002 ne vous donnent-ils pas, un peu tard,
raison ?
Vous me citez le travail de ces
deux journalistes du Monde à propos de l’islamisation de la
Seine-Saint-Denis et vous évoquez l’idée que leurs travaux nous donnent raison
a posteriori. Vous n’obtiendrez jamais ce type de reconnaissance de
la part de ces gens qui considèrent, comme ils l’ont dit à différents micros,
que nous étions dans l’ « idéologie » tandis qu’ils
avaient fait, eux, un « travail scientifique ». Il
n’y a rien à répondre à cette mauvaise foi, sinon rappeler quelques
faits : en 2002, Le Monde nous enveloppait d’un épais silence.
En 2015 et plus tard, ne pouvant plus garder le silence, ils nous voyaient
multiplier les « propos limites » et flirter avec les « idées
nauséabondes » propres, chacun le sait, aux « heures sombres… »,
etc. Croyez-vous donc ces gens capables d’humilité au point de reconnaître que
d’autres, avant eux, avaient perçu les craquements de cette société, alors
qu’en tant que journalistes (ce que nous n’étions pas) ils auraient dû être les
premiers à les voir et à les dire ? C’est leur manquement professionnel
qu’ils ne sont pas prêts de nous pardonner.
Par ailleurs, la stigmatisation
sous l’étiquette d’« idéologie » mérite plus ample explication. Que
disent, en effet, ces deux journalistes : « L’idéologie nous est
étrangère », et c’est là, justement, une posture éminemment idéologique en
ce qu’elle reflète le légitimisme du pouvoir en place, lequel ne saurait
accepter d’être qualifié d’idéologique sous peine de remettre en cause le
magistère qu’il exerce.
Chez beaucoup demeure l’idée
qu’il n’existerait qu’une seule parole légitime, celle émanant de cette
incarnation du pouvoir établi qu’est le journal dit « de référence ».
Car ce qui est en jeu derrière l’accusation d’ « idéologie », opposée
à la « rigueur scientifique », c’est bien une querelle de légitimité.
C’est à dire une lutte pour les places. Car qualifier ainsi un
livre de manière générale, sans une argumentation précise, et relative à des
faits déterminés, ne relève pas d’une appréciation objective mais banalement,
j’allais dire trivialement, d’un procédé rhétorique visant à délégitimer in
abstracto, et donc de facto à faire taire, telle ou telle voix jugée
dérangeante.
Par ailleurs, et dans ce cas
précis, l’opposition artificielle érigée entre « idéologie » et
« travail scientifique » a l’avantage de masquer certaines des
faiblesses inhérentes au travail de journaliste, qui demeure toujours, quelles
qu’en soient les qualités, souvent grandes, l’expression d’un regard extérieur
aux témoins immergés dans la vie qu’ils prétendent décrire. C’est ce qui
faisait la force des témoignages des enseignants que j’avais rassemblés dans
les Territoires perdus de la République, des professeurs
travaillant parfois depuis plus de dix ans au cœur de ces quartiers dits
« sensibles ». C’était là une différence majeure avec des
journalistes, aussi rigoureux soient-ils, qui eux, n’étaient que de passage
plusieurs mois durant.
Quel regard portez-vous sur
l’action actuelle de l’exécutif quant à la question de la laïcité ? La
ministre de la Justice a annoncé récemment un probable assouplissement de la
loi de 1905 afin de faciliter la constitution d’un Islam de France tandis que
le grand discours sur la laïcité tant attendu d’Emmanuel Macron n’est toujours
pas arrivé. Que vous inspire cette tendance ?
Toucher à la loi de 1905, c’est
entrer dans la voie des accommodements et des renoncements qui, mis bout à
bout, paveront le chemin d’une servitude collective. Si nous n’arrivons pas à
comprendre qu’une guerre nous a été déclarée, qu’elle oppose frontalement deux
visions du monde fondamentalement incompatibles, et que l’islam, dit
fondamentaliste, n’a rien à voir avec l’idéal des Lumières sur lequel est bâti
notre mode de vie, nous allons vers des lendemains difficiles. Et c’est là une
litote… Encore faut-il entendre ce distinguo entre l’islam comme réalité
sociale, c’est à dire la multitude des pratiques de la foi musulmane, pour
beaucoup pacifiées, et l’islam comme corps de doctrine théologique et surtout
politique et juridique qui, lui, n’a rien à voir avec ce qu’il est convenu
d’appeler les Lumières.
Vous avez cité les mots
redoutablement lucides de Martin Luther-King : « A la fin,
nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis mais des silences de nos
amis », alors que vous sortez à peine de 30 mois de procédures ourdies
par les spécialistes du djihad judiciaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur
ces amis dont vous estimez que leur silence, leur complaisance auront été
préjudiciables et coupables ?
Quand l’ennemi nous a déclaré la
guerre, nous n’avons pas à nous plaindre des coups qu’il nous porte. En
revanche, lorsque le camp que l’on croyait ami garde le silence, voire joint
ses coups à ceux de nos adversaires, c’est là la pire situation qui se puisse
concevoir. Je pense à cette partie de la gauche qui a dévoyé l’antiracisme pour
en faire un instrument du « politiquement correct », un concept tout
sauf anodin, une machine de guerre en vérité qui finit par tuer dans l’œuf
toute vie intellectuelle transformée en un tribunal permanent où dans le box
des accusés s’entassent les auteurs d’innombrables « dérapages »…
Passons sur l’aberration de voir
la Licra siéger en janvier 2017, contre moi, aux côtés des islamistes. Ce fut
là, on le sait, la décision d’un quarteron de personnalités oscillant entre
haine et bêtise. Une décision qui a profondément divisé cette organisation. Le
silence des amis, ce fut plutôt la kyrielle des petites lâchetés de qui craint
pour sa place, pour son poste, redoutant de s’écarter de la doxa et du
conformisme qui vous dispense de penser, craignant de déplaire, et parfois
même, dans le contexte professionnel du Mémorial d’où je fus évincé, étouffé
par la peur de s’exprimer dans un lieu qui aurait pourtant dû être un modèle de
démocratie et de liberté. Las…
Je crains d’ailleurs que,
pilotée par de tels dirigeants, étroits d’esprit et à mille lieues de l’âme des
pères fondateurs, la mémoire de la catastrophe juive ne vire à un moralisme des
plus plats. A un projet politique et pédagogique limité au nombre de visiteurs,
de scolaires et de professeurs en formation ayant franchi le seuil de
l’institution. Je crains que cette gestion comptable ne favorise une réflexion
des plus pauvres, un brouet mêlant « devoir de mémoire », promotion
de la « tolérance » pour finir par l’éloge de la
« diversité » et du « vivre-ensemble ». Un fade moralisme
peu à même de déceler dans le terreau culturel de notre époque et dans nos
« sociétés post-nazies » selon le mot de Pierre Legendre, les germes
des politiques massivement meurtrières de demain. En perdant de vue cette
seule, mais majeure, interrogation politique : comment une société évoluée
a-t-elle pu concevoir Treblinka ? Car, à travers la destinée singulière du
peuple juif, là demeure la question de fond.
Dans vos travaux sur la Shoah
notamment, vous insistez sur la nécessité de ne pas trivialiser, banaliser ces
épisodes tragiques de l’Histoire en les instrumentalisant, en multipliant les
cérémonies mémorielles et les invocations moralisantes. Que vous inspirent, de
ce point de vue, les recours désormais constants à la commémoration par le
pouvoir politique et les multiples torsions et interprétations de
l’Histoire auxquelles se prêtent les pouvoirs publics depuis quelques années et
encore davantage depuis quelques mois ? A ce titre, que vous inspire par
exemple le projet de Musée-Mémorial des victimes du terrorisme alors même que
le parquet n’hésite pas à poursuivre des historiens qui, comme vous, tentent de
faire leur travail librement ?
Vous le faites remarquer judicieusement,
le projet de « Mémorial aux victimes du terrorisme » a lieu
concomitamment à la poursuite en justice d’un certain nombre d’intellectuels
accusés simplement de dire ce qu’ils voient. Cela fait partie de la dichotomie
d’une société qui multiplie les invocations moralisantes et les imprécations,
les condamnations et les mises à l’encan en se gardant de nommer la source du
mal.
Concevoir un Mémorial des
victimes du terrorisme quand la guerre qui nous est faite n’est pas terminée,
c’est reconnaître, à part soi, notre impuissance à agir. On se réfugie dans la
mémoire quand on a renoncé (ou qu’on n’a pas pu le faire) à l’action. En
rappelant que comparer n’est pas assimiler, comment oublier que le projet de
Yad Vashem remonte à 1942, quand la majorité des victimes était encore en vie ?
Il fallait penser la tragédie au passé parce que les jeunes sionistes du Foyer
national juif étaient sans prise aucune sur le présent.
Ici, la situation est
différente, mais quand on refuse de nommer un islam n’ayant toujours pas
accompli une réforme de fond (le pourra-t-il ?), et qu’au carnage on
répondra toujours : « Vous n’aurez pas ma haine », c’est un boulevard
qu’on ouvre à la défaite.
C’est pourquoi, il me semble
qu’évoquer un Mémorial des victimes du terrorisme sans désigner la source de
cette violence restera comme la manifestation de notre impuissance à affronter
la guerre qu’on nous fait. Depuis plusieurs années déjà, je cite à ce propos
ces quelques mots d’un sermon prononcé par Bossuet à Pâques 1662 : «
Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets des maux dont ils chérissent
les causes. » Encore faut-il noter qu’il ne s’agit même pas ici de
chercher « les causes », mais seulement de garder un silence timoré
devant le péril.
Price: EUR 24,90
(38 customer reviews)
24 used & new available from EUR 14,99
Price: EUR 9,00
(23 customer reviews)
10 used & new available from EUR 9,00
Price: EUR 20,00
(29 customer reviews)
22 used & new available from EUR 14,80
Ivan Rioufol : «En finir avec l'omerta qui abrutit la France !»
CHRONIQUE - Par paresse ou militantisme, les médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Encore aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter les euphémismes.
La presse est chatouilleuse: elle aime faire la leçon mais déteste en recevoir. Certes, les insanités déversées ces jours-ci par Jean-Luc Mélenchon sur les dos de Radio France et Mediapart ont dévoilé sa fièvre stalinienne. Ces outrances contre des journalistes, coupables d'avoir mis le nez dans le financement de La France insoumise, ont justifié la réplique solidaire, lundi, des sociétés de journalistes, dont celle du Figaro. Reste que les procès en superficialité, voyeurisme ou conformisme, instruits contre les médias, ne sont pas tous infondés. Nombreux sont ceux qui concourent au décervelage de l'opinion. Deux confrères du Monde, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, débarquent comme les carabiniers, ces jours-ci, pour décrire, dans un livre salué par la caste, l'islamisation de la Seine-Saint-Denis. Or cela fait plus de vingt ans que ce basculement a été identifié par quelques-uns. Mais ceux-là, à en croire Lhomme et Davet, n'étaient pas crédibles: ils faisaient de l'idéologie, tandis que les deux compères feraient du journalisme. Quand la presse se laisse ainsi aller à l'arrogance, elle montre son ridicule.
L'idéologie est bien l'écueil du journalisme. Mais, en l'espèce, c'est elle qui a incité les sentencieux limiers du Monde à ignorer la portée des révélations des premiers lanceurs d'alerte. Dès les années 90, le journaliste du Point Christian Jelen, disparu depuis, avait tout dit de la France éclatée, des casseurs de la République, de la guerre des rues. En 2002, les auteurs des Territoires perdus de la Républiquesonnaient à leur tour le tocsin. Votre serviteur a apporté son lot, avec d'autres encore. Cependant, parce qu'il ne fallait pas montrer les banlieues du doigt, ni stigmatiser des minorités, ni discriminer l'immigration, ni contrarier l'islam, ni faire le jeu du FN, une omerta a été avalisée par les autruches à carte de presse. Ceux qui ont refusé cette chape de plomb ont, tous, été marginalisés et caricaturés en fascistes et en racistes. Encore aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter ses euphémismes, comme le faisait le lecteur de l'Est sous la censure soviétique: un «jeune», une «cité sensible», une «voiture folle», un «déséquilibré», un «migrant» sont des mots flous jetés comme des voiles pudiques.
La violence à l'école et la perte d'autorité des enseignants font partie de ces sujets qui s'observent à l'œil nu depuis des décennies, sans avoir pu percer le mur du déni. «Menacer un professeur est inacceptable», a tweeté samedi soir le président de la République. Sa réaction a répondu à la diffusion d'une vidéo montrant un grand gaillard noir, élève d'un lycée de Créteil (Val-de-Marne), en train de pointer un revolver à billes sur la tempe d'une enseignante passive. «Nous allons rétablir l'ordre», a également tonné Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale. Reste que si cette scène n'avait pas été diffusée sur les réseaux sociaux, rien n'aurait été montré de ce qu'endurent des enseignants de certains établissements. Leur parole se libérerait-elle enfin des silences imposés par le politiquement correct? C'est ce que semble indiquer le succès que rencontre auprès des professeurs le hashtag #Pasdevague. Les enseignants y déplorent, sous prétexte de bienveillance, la lâcheté des hiérarchies.
Les réalités le prouvent: par paresse ou militantisme, les médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Le discours dominant persiste à occulter tout ce qui peut abîmer l'image des minorités protégées, surtout quand elles se laissent aller à la violence, au racisme, à l'antisémitisme, à l'homophobie, au sexisme. Actuellement, les mouvements LGBT s'indignent d'agressions physiques contre certains couples homosexuels. Mais les dénonciateurs restent évasifs sur le profil des brutes. Mardi, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, s'est inquiétée de la «recrudescence» des actes antisémites dans des établissements de l'enseignement supérieur, sans en dire davantage. Or, sachant que le moindre indice suffirait pour dénoncer l'extrême droite, il est loisible d'en conclure que les réflexes pavloviens ne suffisent plus pour désigner les coupables rêvés. Le courage de la vérité est l'impératif qui s'impose à ceux qui s'estiment avoir été bernés par un discours aseptisé. Le conformisme et ses œillères se révèlent être les ennemis de l'intelligence.
Écouter la sagesse collective
Les partis politiques sont les victimes de l'infantilisation des discours. Ce petit monde roupille sur des idées dépassées. Elles sont de moins en moins comprises par la société civile: elle n'a jamais rencontré l'univers cotonneux du vivre-ensemble. Les plus lucides des militants commencent, comme à La République en marche, à prendre conscience du vide qu'il leur faut remplir. Tous ont à s'extraire des idées fausses colportées depuis trente ans. L'audience que rencontre #Pasdevague n'est autre que le besoin des gens de témoigner sans interdits de ce qu'ils vivent dans le monde réel. L'Internet offre cette liberté. La macrocrature a raison de craindre cette glasnost: elle annonce le bouleversement du jeu politique, confisqué aux mains des professionnels, des technocrates, des experts. Les Français en colère ne se laisseront plus museler. Actuellement, des automobilistes, assommés de taxes, se mobilisent sur le Net pour manifester le 17 novembre.
Ce réveil de la société civile est une aubaine. L'utilisation du Web a réussi à déstabiliser les citadelles médiatiques, souvent contraintes de suivre les révélations des réseaux sociaux. Donald Trump, honni des médias, a construit sa stratégie en s'appuyant sur cette démocratie directe. La mise en valeur de cette intelligence collective, qui alimente Google et Wikipédia, reste une perspective politique à exploiter. Émile Servan-Schreiber a parié depuis longtemps sur ce bon sens collectif qu'il utilise dans les marchés prédictifs. Il invite à aller plus loin (1) afin de rendre plus intelligentes nos démocraties fatiguées. L'auteur écrit: «Les responsables politiques pourraient interroger systématiquement la sagesse collective des Français, via un marché prédictif moyen.» Il propose la mise en place d'un ministère des pronostics. L'heure est venue, pour le peuple raisonnable, de reprendre son destin en main.
La Commission européenne, qui a rejeté mercredi le projet de budget de l'Italie pour 2019, n'entend visiblement rien de l'aspiration des peuples à leur souveraineté. Le dogmatisme dont Bruxelles fait preuve accélère sa séparation d'avec la démocratie.
(1) Supercollectif, Fayard.
La rédaction vous conseille :
A l’école, la violence contre les profs ne vient pas que des élèves
Elle est aussi le fait de l'Education nationale envers les professeurs
Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer en visite dans un collège de Laval, le 3 septembre 2018. ©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP
On parle enfin de la violence dont sont victimes les professeurs de la part de certains élèves. C’est bien, mais ces derniers ne sont pas les seuls à faire pression sur le personnel des écoles…
Education, la parole se libère. C’est formidable. Il y a quelques mois nous sortions du déni sur l’antisémitisme et depuis, ça va beaucoup mieux. Tous les espoirs sont donc permis d’une action efficace une fois les geysers émotionnels retombés. Tous les enseignants devraient vraisemblablement bientôt trouver dans leur boîte mail académique, une vidéo de leur ministre, qui, le regard profond et habité plongé droit dans le leur, affirmera qu’il leur fait confiance et les soutient. Que peut-il faire d’autre ? Un homme seul, ou presque, peut-t-il parvenir à changer une culture d’entreprise ? Nous voici au cœur du problème : ce sont autant les politiques successives que les pratiques managériales en vigueur dans l’Education nationale qui l’ont amenée à ce degré de délabrement. Et en matière de culture d’entreprise dévastatrice, le monde de la maternelle et de l’élémentaire, le plus silencieux, est un cas d’école.
Donne-moi ta main… et prends la mienne
Bien sûr, ici comme dans le secondaire, il y a cette omerta face aux faits de violence dont les journaux se font largement l’écho ces jours-ci, avec les mêmes origines : pression de la hiérarchie, peur du jugement des collègues, autocensure, adhésion de certains à l’idéologie de l’excuse et même peur physique des représailles. Mais il y a bien plus : en raison de l’organisation des écoles, les occasions de maltraitance envers les enseignants sont démultipliées et ne viennent pas uniquement de la part d’élèves turbulents ou agressifs, mais aussi de leur hiérarchie.
Education, la parole se libère. C’est formidable. Il y a
quelques mois nous sortions du déni sur l’antisémitisme et depuis, ça va
beaucoup mieux. Tous les espoirs sont donc permis d’une action efficace une
fois les geysers émotionnels retombés. Tous les enseignants devraient
vraisemblablement bientôt trouver dans leur boîte mail académique, une vidéo de
leur ministre, qui, le regard profond et habité plongé droit dans le leur,
affirmera qu’il leur fait confiance et les soutient. Que peut-il faire d’autre ?
Un homme seul, ou presque, peut-t-il parvenir à changer une culture
d’entreprise ? Nous voici au cœur du problème : ce sont autant
les politiques successives que les pratiques managériales en vigueur dans
l’Education nationale qui l’ont amenée à ce degré de délabrement. Et en matière
de culture d’entreprise dévastatrice, le monde de la maternelle et de
l’élémentaire, le plus silencieux, est un cas d’école.
Donne-moi ta main… et prends la mienne
Bien sûr, ici comme dans le secondaire, il y a cette omerta
face aux faits de violence dont les journaux se font largement l’écho ces
jours-ci, avec les mêmes origines : pression de la hiérarchie, peur du
jugement des collègues, autocensure, adhésion de certains à l’idéologie de
l’excuse et même peur physique des représailles. Mais il y a bien plus :
en raison de l’organisation des écoles, les occasions de maltraitance envers
les enseignants sont démultipliées et ne viennent pas uniquement de la part
d’élèves turbulents ou agressifs, mais aussi de leur hiérarchie.
A lire aussi: Jean-Michel Blanquer, le ministre « pas de vague »
Pour comprendre la situation, il faut savoir qu’un directeur
n’est pas, comme un proviseur ou un principal de collège, un chef
d’établissement. Il n’a donc aucun pouvoir hiérarchique sur les membres de son
équipe, il n’est que l’un d’entre eux et assume souvent un temps de classe en
plus de sa fonction de direction. Il ne dispose d’aucune aide administrative,
puisqu’en ces temps de vaches maigres, les rares contrats aidés ont été
supprimés à la rentrée 2017, au motif que, selon le ministère « des actions
sont menées pour alléger les tâches administratives des directeurs. Le
recours à l’informatique y contribue » (Réponse ministérielle à Dimitri Houbron, député LREM
du Nord). L’intégralité des consignes ministérielles doit donc être
absorbée par le directeur et les enseignants.
C’est cette spécificité qui va permettre de maximiser
l’impact de deux techniques de management dévastatrices, maniées avec art
par la hiérarchie : l’injonction paradoxale et le principe de l’avalanche.
Va à droite et en même temps à gauche
L’injonction paradoxale consiste à transmettre deux
obligations ou injonctions contradictoires, qui, s’interdisant
mutuellement, induisent une impossibilité logique à les exécuter. Les exemples
foisonnent. Exiger que l’on aille ouvrir un portail, situé à l’autre bout de
l’école, à tout parent emmenant son enfant en retard, tout en interdisant de
laisser sa classe sans surveillance. Demander d’organiser des cachettes pour le
confinement en cas d’attaque terroriste mais exiger l’approbation du texte qui
explique où elles se trouvent en conseil d’école, devant des parents élus dont
on ignore si, investis d’une mission de transmission, ils ne diffuseront pas
l’information via les outils numériques. Donner la consigne de s’entraîner aux
évacuations incendie, mais ne pas former les enseignants au maniement des
extincteurs. Prévoir dans les textes un coin-parents ouvert à tous, même à ceux
éventuellement fichés S et faire respecter le plan Vigipirate…
Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas…
A cela s’ajoute le principe pervers de l’avalanche. Les
cadres de l’institution sont parfaitement conscients que bien des missions
demandées au personnel des écoles sont irréalisables. Leur souci est donc
double : assurer malgré tout la transmission de l’ordre qui vient d’en
haut mais éviter qu’une question embarrassante ne remonte, où que parfois, un
outil utile à sa défense ne tombe aux mains d’un fonctionnaire et qu’il n’en
fasse usage. L’avalanche est alors la solution. Il faut avoir, une fois, ouvert
un courrier venant d’une inspection académique pour prendre la mesure de la
perversité de l’acte : multiples pièces jointes, contenant des liens,
ouvrant sur d’autres liens. Erratum. Envoi différé de pièces complémentaires.
Désinhibée par l’absence de frais de port, l’administration se lâche. Tout est
bon pour submerger le destinataire et lui faire endosser toutes les
responsabilités en douce : il est informé, il sait. S’il faillit, c’est
qu’il n’a pas accompli correctement la mission dont on l’avait chargé, il est
donc le seul fautif car nul n’est censé ignorer la parole de la hiérarchie.
Enseignants sans défense
C’est aussi grâce à cette méthode que les cadres sont
parvenus, jusqu’à ce jour, à priver les enseignants d’un important moyen de
défense : le C.H.S.C.T. et le registre santé et sécurité au travail. Les
missions du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (C.H.S.C.T.)
sont de contribuer à la protection de la santé physique et mentale, à la
sécurité des salariés, à la prévention, à l’amélioration des conditions de
travail et d’assurer une veille sur l’observation des prescriptions légales
prises dans ce domaine par l’employeur. Le registre santé et sécurité permet à
tout personnel ou usager de signaler une situation qu’il considère comme
anormale ou dangereuse, il assure la traçabilité de la prise en compte du
problème, conserve l’historique et permet éventuellement sa remontée au
C.H.S.C.T.
La place des incidents recensés par le hashtag #PasDeVague
est avant tout dans ces registres dont la plupart des professeurs des écoles
ignorent l’existence. Tout comme l’est celle de tous les faits qui sont de
nature à mettre en danger la santé physique et mentale du personnel :
agressions et violences des élèves ou des parents, agressivité verbale répétée
d’un inspecteur, manque de personnel formé aux gestes de premiers secours,
risques psychosociaux liés aux mauvaises conditions de travail, inadaptation
des locaux à la mise en œuvre du Plan particulier de Mise en Sécurité face aux
risques d’intempérie ou d’intrusion… L’Education nationale n’a pas su ou voulu
mener une campagne volontariste concernant l’accès à ce moyen
d’institutionnalisation de la demande d’aide face aux difficultés. Les syndicats,
englués dans une culture de la cogestion, n’ont pas su se saisir de cet outil
dont leurs homologues des grandes entreprises, plus combatifs et innovants dans
les moyens de lutte, font usage depuis longtemps.
Des paroles et des actes ?
L’effet lampe torche du hashtag #PasDeVague ne doit pas
rejeter dans l’obscurité qui règne en dehors du halo, le fait que la violence
n’est pas seulement celle des élèves mais aussi celle de l’institution
qui refuse de donner les moyens d’agir et de se protéger à son personnel et le
bâillonne. L’action de Jean-Michel Blanquer ne sera complète et crédible que
si, au-delà de sa volonté de rétablir l’ordre dans les établissements, il
manifeste, par des actions concrètes, celle de redonner la parole sur leurs
difficultés aux enseignants. L’instauration d’une médecine du travail et
la mise en fonctionnement effective d’outils institutionnels de dialogue tels
que le C.H.S.C.T. seraient un minimum.
Enfin, une rupture dans l’usage dévastateur de la
communication et des éléments de langage à double tranchant serait aussi un
signe fort. Le ministre ne peut ignorer que les visites Potemkine dans des
établissements soigneusement sélectionnés par ses équipes ont autant vocation à
redorer le blason de l’Education nationale qu’à faire la leçon à l’ensemble de
la profession. Cette méthode du « Regardez, eux ils y arrivent »,
déconnectée de toute analyse d’une réussite qui n’est peut-être due qu’à des
paramètres conjoncturellement favorables, relevant de l’exception, est, elle aussi,
destructrice. Tout comme l’est l’insidieuse injonction du slogan ministériel
« école de la confiance » qui comporte sa part de « Ne trahissez
pas celle que je mets en vous » et de « Débrouillez-vous, je ne veux
rien savoir ».
Il y a donc beaucoup à faire. Au fil des décennies,
management pathogène et plan de communication sont venus s’ajouter à une
gestion comptable de l’Education nationale. Le hashtag #PasDeVague est une
soupape éphémère et les solutions proposées par Jean-Michel Blanquer, contraint
par un contexte gouvernemental très « start up nation », se limitent
à la question de la violence des élèves. Mais ne soyons pas dupes, le mal est
plus profond.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Aidez-moi à améliorer l'article par vos remarques, critiques, suggestions... Merci beaucoup.