Les CPE refusent d'assumer cette charge
Par Michel
Segal - 23 novembre 2018
La multiplication des violences commises à l’école envers
les élèves ou les professeurs coïncide étrangement avec la disparition du
surveillant général, remplacé par le conseiller principal d’éducation (CPE), et
donc de toute fonction de police au sein des établissements.
Pour comprendre l’évolution de la violence scolaire et sa
place dans le débat public, on peut penser aux plaques tectoniques. Depuis leur
origine jusqu’à leur destination, celles-ci sont animées d’un mouvement lent et
pendant ces périodes de calme apparent, ronronnent alors les discours servant
les tartes sucrées de la gauche : l’école est trop exclusive, les
enseignants ne sont pas assez formés et la violence est avant tout un problème
social.
Après chaque agression, les mêmes tartes à la crème…
Mais parfois, le déplacement accumulé des plaques provoque
une forte secousse qui se répercute spectaculairement en surface, telle la
vidéo d’un élève braquant son professeur. Cette fois, politiques et
chroniqueurs se précipitent, tous tempêtent et assènent les réactions de la
droite : entrée de la police à l’école (voire des militaires), proclamation du retour de l’uniforme ou de l’autorité (sous-entendu brutale et
inflexible) et cabinets de crise. Ces gesticulations n’ont évidemment aucun
impact sur la réalité, et le mouvement invisible continue à vitesse
constante, comprimant les matières pour générer davantage de tension et rendre
la prochaine secousse d’autant plus brutale.
A lire aussi: Ecole: agressez-moi s’il-vous-plaît!
A chaque fait divers pire que le précédent, les politiques
se relaient pour nous ressortir d’un ton grave ces mêmes poncifs qui sont
devenus de véritables propos de comptoir et qui n’ont jamais débouché sur
aucune application sérieuse, ni sur aucun résultat.
Une énième illustration de ce cycle a été donnée
récemment avec l’encouragement à punir, le fantasme de la création de centres fermés, la suppression des allocations familiales et un
« comité stratégique » avec le ministère de l’Intérieur. Rien de
nouveau depuis 40 ans que les problèmes de ce type ont émergé, l’action
prioritaire reste la communication, la situation continue d’empirer et le
prochain tremblement de terre sera peut-être l’assassinat d’un enseignant. La
violence scolaire est avant tout le symptôme de la lente et inexorable dérive
de l’école, à l’image de celle des continents.
Surveiller, c’est un métier
Sans se plonger dans une analyse statistique, il faut
distinguer les violences entre élèves de celles dirigées contre les
enseignants. Ces deux catégories sont très différentes, même si elles explosent
ensemble dans les climats de désordre. Entre élèves, les désirs de violences
sont « naturels » dans la mesure où ils existent à l’intérieur de
n’importe quel groupe – dans tous les milieux et à tout âge – dès qu’un
individu veut prendre l’ascendant sur un autre. Cette volonté de domination de
quelques-uns existe depuis que le monde est monde, autant dans une cour de
maternelle que dans le bureau central d’un parti politique. D’une tout autre
nature est la violence contre les enseignants car elle est porteuse d’un
message lourd de sens, notamment le refus de l’autorité par les élèves,
leur volonté de combattre l’institution et même parfois l’existence d’un désir
de vengeance personnelle.
A moins de contrôler les mots et les regards, on
n’éradiquera jamais les violences entre élèves, mais on pourrait en revanche parfaitement
les contenir jusqu’à garantir la totale sécurité des enfants dans un périmètre
raisonnable. Cela serait réalisable si les établissements disposaient de
quelques moyens comme de vrais surveillants (ce devrait être un vrai métier
avec des perspectives de carrière), des lois autorisant certains personnels à
fouiller les sacs, à confisquer des téléphones, à déposer plainte au nom des
harcelés, à coller des élèves en dehors des jours de classe, à dresser des
contraventions, mais aussi à poursuivre systématiquement les auteurs
d’intrusions et obtenir des sanctions lourdes à leur encontre. La réponse
devrait ainsi être exclusivement répressive, dénuée de tout contexte,
totalement dépersonnalisée, sans incidence sur la scolarité mais aussi sans
dramatisation car, répétons-le, ce type de violence est un phénomène naturel de
groupe. On ne décourage pas un élève de racketter ses camarades en lui
demandant une réflexion sur la citoyenneté, pas plus qu’on ne l’empêche de
maintenir un petit en esclavage en l’envoyant consulter un psychologue (et il
s’agit là de deux réponses fréquentes de l’école). Quand on connait les jeunes
adolescents, on sait que si les cours de récréations restaient sans
surveillance, il suffirait d’une semaine pour que s’y produisent des meurtres –
et dans tous les milieux sociaux. Cela permet de comprendre que, dans ce
domaine, une répression systématique, bien organisée et sans état d’âme est une
nécessité et constitue la meilleure des préventions.
L’apparition du CPE et l’essor de la violence scolaire
Malheureusement, ce type de politique n’a aucune chance
d’être mise en œuvre, et ce n’est pas parce que les moyens cités plus haut
n’existent pas. La raison se trouve au début des années 70, quand le ministère
a supprimé la fonction de maintien de l’ordre à l’école assurée jusque-là par
le surveillant-général. Celui-ci a été emporté par les réformes succédant à Mai
68, et remplacé par un conseiller principal d’éducation (CPE). Il suffit de
comparer les deux titres pour comprendre la nature du changement et depuis
1972, plus personne n’est spécifiquement en charge de la discipline et de la
répression. En devenant l’affaire de tous, l’ordre n’est évidemment plus
l’affaire de personne. Pire encore, la répression a été de fait personnalisée
et contextualisée puisque variable selon les personnels. Les élèves ont ainsi
été fondés à penser : tel enseignant m’a puni parce que c’est un salaud ou
parce qu’il me déteste. Faut-il s’en étonner, c’est précisément pendant ces années
que la violence scolaire prendra son essor, au point de susciter le premier
rapport du genre en 1979 qui sera tenu secret. Ignorant les dégâts provoqués,
une circulaire de 1982 insiste sur les missions post-68 du CPE et celui-ci
se voit confier le vivre-ensemble, la citoyenneté, la santé, la sexualité, la
sécurité routière, etc. A part le contrôle de présences, le CPE n’a plus rien
de commun avec son prédécesseur dont la mission première était de punir pour
faire régner l’ordre. Un CPE est aujourd’hui formé pour considérer comme
dévalorisant le travail de police, et pour opposer répression et prévention. Ce
poste attire souvent des pédagogistes convaincus, impatients de prouver que
l’écoute est l’essentiel de leur métier, et que la répression est une mauvaise
solution d’un autre âge. Dans un rôle proche du travailleur social, le CPE est
formé pour décourager les enseignants de prononcer des retenues ou des
exclusions de cours (considérées comme des échecs), pour le plus grand
soulagement du chef d’établissement.
L’entretien de la violence
Pour bien comprendre ce que le ministère attend de ses CPE,
on peut lire sur un site satellite du ministère l’interview d’une formatrice dans les ESPE (IUFM) dont
le discours est parfaitement conforme aux directives. La doctorante en sciences
de l’éducation y qualifie sans détour le travail de maintien de l’ordre de
« sale boulot » dont elle regrette que les enseignants
veuillent « le refiler » aux CPE « qui ne sont pas là
pour ça ». Elle oublie simplement de rappeler qu’il n’y a plus
personne là pour ça. Et se demande même si le CPE ne doit pas
aussi protéger les élèves contre les enseignants, contre une autorité abusive.
A lire aussi: Je ne suis pas encore prof mais je n’en peux déjà plus
Mais le mal produit par l’école n’y est pas circonscrit car
elle apprend aux enfants par l’exemple que la mission de la
police ne présente aucun intérêt et ne mérite pas plus de considération. Ainsi,
s’il est indéniable que l’école a une responsabilité déterminante dans la
gravité des violences aujourd’hui, il est probable de plus que son discours
incite au mépris et à la détestation des forces de l’ordre en dehors de ses
murs.
Lorsque l’on s’intéresse aux directives du ministère de
l’Education nationale, on est sidéré de voir qu’elles sont soumises à une
légende teintée de rousseauisme benêt selon laquelle l’enfant serait bon
(ou intelligent) par nature, et ne commettrait le mal (ou n’aurait de mauvais
résultats) que parce qu’il souffre d’un environnement défavorable, voire d’une
pathologie.
Ne se souciant ni de ses mauvais résultats ni des dégâts
qu’elle provoque, l’institution garde son cap et ignore ses erreurs. Elle suit
ainsi obstinément depuis 40 ans la fausse piste consistant à lutter en vain
contre le désir de violences entre élèves – qu’elle croit pathologique.
Plutôt que d’en dissuader simplement les auteurs par des moyens efficaces et
convaincants, le ministère aura choisi de mettre fin aux fonctions de police à
l’intérieur de l’école, créant ainsi lui-même la première cause des violences
scolaires.
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