Lecture : Le point de vue de scientifiques
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/contribs_ramus.aspx
Dans
le débat sur "les méthodes de lecture", la Science a bon dos. Invoquée à
la fois par le Ministre de l'Education Nationale et par ses opposants,
elle semble se plier aux différents points de vue. Pourtant, après
maints débats alimentés de citations tronquées, les nuances d'un point
de vue qui vise à l'objectivité scientifique n'ont toujours pas réussi à
se faire entendre. Il nous paraît donc important de clarifier ce que
les recherches scientifiques permettent (ou pas) de dire.
Tout
d'abord, nous affirmons avec force que la question de l'efficacité
comparée de différentes pratiques pédagogiques est une question qui peut
et qui doit être abordée de manière scientifique. En médecine il est
devenu un lieu commun que l'approche scientifique, et elle seule, permet
de déterminer lequel de deux traitements est le plus efficace (en
comparant statistiquement leurs effets sur deux groupes de patients
suffisamment nombreux). Il en est de même dans le domaine de
l'éducation. Les enseignants ont une expérience incomparable des enfants
et de leurs propres pratiques, et ils en tirent parfois des idées
novatrices, mais ils ne sont pas en position (pas plus que les médecins
traitants) d'évaluer de manière objective l'efficacité de leurs
pratiques. Si leurs observations et leurs idées sont une source
irremplaçable qui doit alimenter et enrichir la recherche scientifique,
seule cette dernière, en menant des études rigoureusement contrôlées,
est en mesure de déterminer avec certitude quelles pratiques sont
objectivement les meilleures.
Que dit donc la recherche scientifique sur les méthodes d'enseignement de la lecture ?
Tout
d'abord deux précisions. Si les recherches que nous citons sont
essentiellement anglophones (car beaucoup plus nombreuses), elles
incluent également quelques études francophones dont les résultats vont
globalement dans le même sens. Deuxièmement, les mots "syllabique" et
"globale" ne font pas partie du vocabulaire scientifique car trop
ambigus. Les recherches se sont plus précisément attachées à comparer
l'efficacité des méthodes en fonction de l'importance accordée au
déchiffrage (des lettres en sons, ou plus précisément des graphèmes en
phonèmes) : le déchiffrage est-il enseigné ou non, de manière
systématique ou pas, précocement ou pas ? Les résultats sont les
suivants :
- l'enseignement systématique du déchiffrage est plus efficace que son enseignement non systématique ou absent;
- l'enseignement systématique du déchiffrage est plus efficace lorsqu'il démarre précocement que lorsqu'il démarre après le début de l'apprentissage de la lecture;
- les enfants qui suivent un enseignement systématique du déchiffrage obtiennent de meilleurs résultats que les autres, non seulement en lecture de mot, mais également en compréhension de texte (contrairement aux idées reçues sur les méfaits du déchiffrage qui conduirait à ânonner sans comprendre) ;
- l'enseignement systématique du déchiffrage est particulièrement supérieur aux autres méthodes pour les enfants à risque de difficultés d'apprentissage de la lecture, soit du fait de faiblesses en langage oral, soit du fait d'un milieu socio-culturel défavorisé;
- du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l'approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot).
Les programmes de 2002 tiennent-ils compte de ces résultats ?
Ils
s'en sont largement inspirés, ce qui est déjà un progrès considérable.
Pourtant, après un long passage explicitant l'enseignement du
déchiffrage, vient un paragraphe plus ambigu : "On considère souvent
aujourd'hui que [les méthodes globales comportent] plus d'inconvénients
que d'avantages […] On peut toutefois considérer que la plupart de ces
méthodes […] parviennent aussi à enseigner […] les relations entre
graphèmes et phonèmes. Il appartient aux enseignants de choisir la voie
qui conduit le plus efficacement tous les élèves à toutes les
compétences fixées par les programmes ". Ainsi, les programmes sont
globalement compatibles avec les connaissances scientifiques, mais un
court passage laisse la porte ouverte à toutes les méthodes.
Y a-t-il donc lieu de décréter l'état d'urgence ?
Probablement
pas. Il semble qu'une grande majorité de professeurs des écoles
enseignent effectivement le déchiffrage dès le début du CP, et la
plupart des manuels publiés respectent l'esprit des programmes.
Néanmoins, il faudrait à tout prix éviter que dans une minorité de
classes les enfants perdent les premières semaines voire les premiers
mois du CP à faire semblant de lire en devinant les mots. Pour cette
raison, une clarification des programmes serait utile, tout comme le
suivi de leur mise en application effective, en relation avec les
personnels des IUFM et des différents corps d'inspection.
Faut-il donc revenir aux vieilles méthodes enseignant exclusivement le B-A-BA de manière répétitive et dénuée de sens ?
Certainement
pas. Sur ce point nous rejoignons largement l'avis du monde enseignant
pour dire que les méthodes qui, dans l'état actuel de l'art, semblent
optimales, initient l'enfant non seulement au déchiffrage, mais
également à la morphologie, à la syntaxe, à la compréhension de textes
ayant un sens, ainsi qu'à l'écriture. Simplement, le déchiffrage doit
être présent dès le début du CP.
Peut-on espérer d'une telle réforme l'éradication de l'illettrisme ?
L'obligation
d'enseigner le déchiffrage dès le début du CP serait un net progrès
pour la minorité d'enfants qui actuellement n'en bénéficieraient pas.
Cela réduirait sans doute marginalement l'illettrisme, sans pour autant
l'éradiquer. Les causes de l'illettrisme sont multiples, incluant de
nombreux facteurs socio-culturels et une faible maîtrise de la langue
orale. L'école (notamment maternelle) a un rôle important à jouer à ces
niveaux aussi. Quant à la dyslexie, elle concerne un groupe très
minoritaire d'enfants souffrant d'un trouble spécifique de
l'apprentissage de la lecture, pour qui l'enseignement précoce du
déchiffrage est aussi bénéfique, à défaut d'être réellement curatif.
L'évaluation scientifique des méthodes et pratiques remet-elle en cause la liberté pédagogique des enseignants ?
Dans
l'état actuel des connaissances, les données scientifiques ne
conduisent qu'à une seule recommandation forte: enseigner
systématiquement et précocement le déchiffrage, en parallèle avec les
autres compétences langagières. Cela laisse toute latitude aux
enseignants pour déterminer les modalités de cet enseignement.
Néanmoins, les études scientifiques dont nous avons fait état
n'explorent qu'une infime partie des paramètres sur lesquels on pourrait
jouer pour améliorer encore l'enseignement de la lecture. La recherche
scientifique appliquée à l'éducation doit donc encore être développée et
soutenue. Toutes les pratiques pédagogiques en vigueur à l'école sont
largement perfectibles, encore faut-il disposer d'études fiables pour
fonder les évolutions.
Franck Ramus, Chargé de Recherches au CNRS
Séverine Casalis, Maître de Conférences à l'Université Lille 3
Pascale Colé, Professeur à l'Université de Savoie
Alain Content, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
Jean-François Démonet, Directeur de Recherches à l'INSERM
Elisabeth Demont, Professeur à l'Université de Strasbourg
Jean Ecalle, Maître de Conférences à l'Université Lyon 2
Jean-Emile Gombert, Professeur à l'Université Rennes 2
Jonathan Grainger, Directeur de Recherches au CNRS
Régine Kolinsky, Chercheur qualifié du FNRS, Communauté française de Belgique
Jacqueline Leybaert, Chargée de Cours à l'Université Libre de Bruxelles
Annie Magnan, Professeur à l'Université Lyon 2
José Morais, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
Laurence Rieben, Professeur à l'Université de Genève
Liliane Sprenger-Charolles, Directrice de Recherches au CNRS
Sylviane Valdois, Directrice de Recherches au CNRS
Pascal Zesiger, Professeur à l'Université de Genève
Johannes Ziegler, Directeur de Recherches au CNRS
Séverine Casalis, Maître de Conférences à l'Université Lille 3
Pascale Colé, Professeur à l'Université de Savoie
Alain Content, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
Jean-François Démonet, Directeur de Recherches à l'INSERM
Elisabeth Demont, Professeur à l'Université de Strasbourg
Jean Ecalle, Maître de Conférences à l'Université Lyon 2
Jean-Emile Gombert, Professeur à l'Université Rennes 2
Jonathan Grainger, Directeur de Recherches au CNRS
Régine Kolinsky, Chercheur qualifié du FNRS, Communauté française de Belgique
Jacqueline Leybaert, Chargée de Cours à l'Université Libre de Bruxelles
Annie Magnan, Professeur à l'Université Lyon 2
José Morais, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
Laurence Rieben, Professeur à l'Université de Genève
Liliane Sprenger-Charolles, Directrice de Recherches au CNRS
Sylviane Valdois, Directrice de Recherches au CNRS
Pascal Zesiger, Professeur à l'Université de Genève
Johannes Ziegler, Directeur de Recherches au CNRS
Pour en savoir plus
Le site Education & Devenir reproduit un long débat sur les méthodes de lecture
entre différents chercheurs (Franck Ramus, Roland Goigoux, Jean-Emile
Gombert, Liliane Sprenger-Charolles, Jonathan Grainger...).
Le site du National Reading Panel sur lequel on peut télécharger le rapport (en anglais) dans lequel figure une méta-analyse de plusieurs dizaines d'études scientifiques comparant l'efficacité de diverses méthodes d'enseignement de la lecture. C'est la base principale des 5 conclusions que nous énumérons ci-dessus.
Les programmes de 2002 pour le CP (voir section 2 - lecture) : version html version pdf
L'Observatoire National de la Lecture et notamment son dernier rapport sur l'apprentissage de la lecture.
Le site du National Reading Panel sur lequel on peut télécharger le rapport (en anglais) dans lequel figure une méta-analyse de plusieurs dizaines d'études scientifiques comparant l'efficacité de diverses méthodes d'enseignement de la lecture. C'est la base principale des 5 conclusions que nous énumérons ci-dessus.
Les programmes de 2002 pour le CP (voir section 2 - lecture) : version html version pdf
L'Observatoire National de la Lecture et notamment son dernier rapport sur l'apprentissage de la lecture.
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