SUR LA LECTURE : B. DEVANNE
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Lire et écrire en maternelle : 2007-2008
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Un bilan au terme de la grande section
Concluant
cette chronique de deux années, cette dernière contribution sera
naturellement consacrée à un bilan individuel des apprentissages
réalisés dans le contexte de pratiques qui, je le rappelle, n’ont jamais
recours à des activités formelles d’enseignement phonologique ou
alphabétique (le DVD du Ministère paru en 2006, Apprendre à lire, donne
de remarquables illustrations de telles activités), mais consacre au
contraire beaucoup de temps aux lectures magistrales et aux activités de
production de textes « crayon en main ».
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Un deuxième trimestre de grande section en ZEP
La
publication du Journal d'une grande section en ZEP, de janvier à juin
2006, rendait l'évocation de ces deux derniers trimestres d'école
maternelle moins nécessaire : on y lirait vraisemblablement les mêmes
types d'activités, les mêmes compétences construites au fil des mois...
Par ailleurs et surtout, la démonstration que visait cette chronique –
comment, dans la continuité des deux dernières années d'école
maternelle, se développent des compétences en langue écrite parce
qu'elles s'enracinent dans une culture de l'écrit – me semblait
maintenant réalisée pour l'essentiel. L'intérêt demeurait cependant de
présenter une analyse de tous les parcours individuels, ce que je
n'avais pu qu'ébaucher en 2006 dans ce Journal conçu dans l'urgence en
réponse aux représentations simplistes imposées par le ministre
d'alors...
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Un premier trimestre de grande section en ZEP
L'année
2007-2008 en grande section ne commence pas précisément comme je
l'avais indiqué début septembre, en conclusion du compte rendu du
trimestre précédent : Ah., attendu à la rentrée, revient en France pour
emménager à Strasbourg ; Ni. quitte l'école après 5 semaines pour
s'installer en région Centre. Caractéristique de ce quartier, cette
instabilité de la population scolaire réduit d'autant la palette des
exemples que je souhaitais donner des processus d'apprentissages
individuels sur les deux dernières années de l'école maternelle. Je le
regrette d’autant plus que je mesure la qualité et la diversité des
apprentissages réalisés depuis le début de la moyenne section.
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Lire et écrire en maternelle : 2007-2008
Un premier trimestre de grande section en ZEP
Bernard DEVANNE,
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie
L'année 2007-2008 en grande section ne
commence pas précisément comme je l'avais indiqué début septembre, en
conclusion du compte rendu du trimestre précédent : Ah., attendu à la
rentrée, revient en France pour emménager à Strasbourg ; Ni. quitte
l'école après 5 semaines pour s'installer en région Centre.
Caractéristique de ce quartier, cette instabilité de la population
scolaire réduit d'autant la palette des exemples que je souhaitais
donner des processus d'apprentissages individuels sur les deux dernières
années de l'école maternelle. Je le regrette d’autant plus que je
mesure la qualité et la diversité des apprentissages réalisés depuis le
début de la moyenne section.
Les premières semaines
En premier lieu, il importe d'intégrer à cette
dynamique d'apprentissages les nouveaux arrivants : Ki., enfant du
voyage (qui repartira en novembre), Ma., qui vient d'une autre école de
ZEP. Pour les autres, il s'agit de renouer avec les savoirs et
savoir-faire construits l'année précédente, de les réactiver ; de plus,
les enfants arrivant de la moyenne section parallèle, As. d'origine
marocaine, Mu. d'origine turque, tout en ayant travaillé de façon
coordonnée, doivent se familiariser aux manières de faire propres à
cette enseignante et trouver leur place dans le groupe.
Des approches culturelles de la langue de l'écrit
Les lectures quotidiennes sont, je le
rappelle, nombreuses et variées : albums, contes traditionnels,
comptines, documentaires notamment ; les albums lus sont choisis de
manière à faire écho aux lectures de l'année précédente et à s'organiser
progressivement en réseaux ; ainsi la présentation du petit album de
Rascal Le vent m'a pris (Pastel) suggère des liens de plusieurs sortes :
– avec d'autres albums énumératifs familiers des enfants (connus depuis la petite section) : Clown d'Elzbieta (Pastel), Grrr! et Hop! de J. Maubille (Pastel), Que regardent les vaches dans le pré ? de S. Victor (T. Magnier), etc. ;
– avec des réinterprétations de la comptine Loup y es-tu ? : Je m'habille et je te croque de B. Guettier (L'école des loisirs), Et si le loup y était ? de M. Laboudigue (Kaléidoscope) et Loup d'O. Douzou (Rouergue) ;
– pour les grands, avec
d'autres albums jouant sur le narrateur (et connus depuis la moyenne
section), lorsqu’à la fin ils découvrent que c'est l'épouvantail qui
parle ; l'épouvantail est déjà narrateur dans Le journal de Lulu de Bellagamba (Grandir), on le retrouvera pendant l'année dans un autre album de Rascal plus complexe, Le rêve d'Icare (Pastel).
Dans le même esprit, les activités d'écriture
individuelle reprennent les types de situations proposées en moyenne
section, afin de réactiver des procédures de recherches connues, de les
faire découvrir aux nouveaux :
– repérer les noms des
couleurs dans les différentes écritures sur la fiche référence et
s'entraîner à s'en servir en situation d'écriture répétitive ;
– à partir de Hop! de
J. Maubille, « Hop, raplatie la poule ! Hop, raplatie la grenouille
[...] Hop, c'est le kangourou qui raplatit tout ! », poursuivre la liste
des animaux en répétant la même forme exclamative ;
– utiliser les imagiers des
animaux ou les documentaires animaliers pour créer une liste de titres
imaginaires en associant prénoms et animaux – situation inspirée de la
série « Vive les bébés », de P. Bisinski et A. Sanders, albums cartonnés
empruntés à la petite section ;
– utiliser différents imagiers pour écrire, à la manière de Le vent m'a pris > « Le vent m'a pris mes baskets, mes chaussettes... » ; à la manière de Petit coeur d'E. Brami et G. Lemoine, « Je t'ai cherché dans [une couleur] et j'ai trouvé... ». Voici ce qu’ont écrit S. (doc. 1) et Ni. (doc. 2) à cette occasion.
[DOC 1]
[DOC 2]
Les activités orales s'appuyant sur la lecture
de comptines, la recherche de rimes, les comparaisons phonémiques sont
également fréquentes (je rappelle que, dans cette classe, aucun moment
n'est consacré à la « phonologie » à partir des jeux de cartes très
scolaires qui depuis peu envahissent les emplois du temps des grandes
sections) et induisent des productions sur un rythme régulier. En voici
deux exemples, le premier faisant écho à un texte de M.-H. Lafond, le
second à un album de D. Jacques, Mon chien mâtin (La joie de lire).
un bonnet pour l'araignée une cagoule pour la poule une capuche pour l'autruche un foulard pour le renard [...] |
mon chien marron mange Manon mon chien loup a un doudou mon chien chocolat dort avec Laura mon chien lion aime les poissons [...] |
Les comptines ainsi produites collectivement
sont dactylographiées, photocopiées et donnent lieu à des relectures les
jours suivants. D'autres écrits sont convertis en
« situation-problème » de lecture : ainsi, dans la situation Le vent m'a pris..., les productions sont-elles disposées sur une seule feuille, chaque auteur devant retrouver son texte.
Lire-écrire... et découverte du monde
Les lectures de textes documentaires sont
nombreuses et s'accompagnent, nous l'avons dit, de la projection
d'extraits de documents video de façon à rendre « concrets » différents
aspects de la vie des animaux. Une recherche de classification est
amorcée en octobre, et se poursuivra en novembre et décembre.
Travaillant par groupes, les enfants disposent
d'un nombre important de reproductions d'animaux en petit format : ils
doivent associer ceux qui, selon eux, « vont ensemble ». Sur six
groupes, cinq les classent en fonction du nombre de pattes : la suite de
la recherche s'appuie donc sur ce premier critère de classification
identifié. La situation d'écriture du 11 octobre implique une recherche
individuelle dans des imagiers, des documentaires en albums, des
encyclopédies.
[DOC 3]
[DOC 4]
Ces deux écrits font apparaître une maîtrise
comparable de l'écriture cursive, évidemment inhabituelle à ce moment de
la maternelle. Pendant que L. (doc. 3) conduit sa recherche dans les
seuls imagiers (vache, lion, poule, zèbre, panda, girafe, pingouin), Ni.
(doc.4) s'en détache rapidement (lion, chat) pour se plonger dans une
encyclopédie, Les animaux des déserts (Hachette jeunesse)
(coureur de route, républicain, vipère à cornes). En cette première
quinzaine d'octobre, le rapport de Ni. à l'écriture acquiert ce que je
crois pouvoir appeler de l'intensité : la fillette continue à
écrire, s'« accroche » à l'activité quand les autres terminent... Le
résultat est visible : une seule semaine sépare les deux écrits
reproduits (doc. 2, doc. 4). Nous n'en saurons pas plus : Ni. quitte
l'école le lendemain de cette production.
Lire-écrire... et invention d'un « journal de la classe » humoristique
En vue d'élaborer un « journal de classe »
humoristique appuyé sur la découverte d'albums-journaux (la liste en a
été donnée en septembre), diverses recherches sont successivement
proposées :
– imaginer
individuellement, à partir de photos d'enfants inconnus, un personnage
fictif auquel est attribuée une identité (prénom, âge, sexe) ;
– repérer dans le texte de P. Martin Ce que je sais de ma maman
(Albin Michel) certaines formules : la couleur de [ma maman], c'est [le
orange] ; elle est [belle], mais vraiment [belle]) ; et les reprendre
pour définir le caractère et les goûts du personnage (recours à des
imagiers, qui rendent facile la production de listes farfelues) ;
– imaginer ensemble des « petits bonheurs d'école », en s'inspirant de Petits bonheurs de vacances d'H. Meunier (Grasset jeunesse), en écrire individuellement un ou deux.
Ces écrits individuels sont collés dans le
cahier commun à tous les grands, qui devient album par l’inclusion de
photos et d’illustrations dessinées.
De novembre à décembre
Les activités de lecture et d'écriture se poursuivent, en ménageant l'équilibre entre :
– des propositions d'écriture d’inspiration variée, appuyées sur la fréquentation quotidienne des livres ;
– la poursuite des deux « axes » de travail mis en place précédemment : le journal humoristique et la classification zoologique.
Lire-écrire... et invention d'un « journal de la classe » humoristique
Début novembre, la lecture du documentaire Sur les chemins du monde (Milan jeunesse) fait découvrir
aux enfants la variété des moyens de transport utilisés dans le monde.
Certains d'entre eux, inattendus (l'autruche, l'éléphant ; la planche
flottante, le panier...), donnent l'idée d'une nouvelle production
écrite humoristique : chacun imagine comment son personnage pourrait
aller à l'école…
[DOC 5]
C'est l'occasion, pour toute la grande
section, de s'initier à la dérivation lexicale à partir de noms de pays
ou de villes : As. (doc. 5) connaît « les Chinois » et « les
Marocains », mais pas encore « les Espagnols » ; d'autres découvrent
« les Australiens », « les Italiens », personne ne se souvient d'avoir
entendu « les Parisiens »… Cette recherche conduit à l'élaboration d'une
affiche associant noms de villes ou de pays et noms des habitants.
Plusieurs documentaires photographiques
disponibles dans la classe présentent des édifices français célèbres
(monuments ou ouvrages d'art) : le pont du Gard, le château de
Versailles, les châteaux-forts, le viaduc de Millau exercent sur les
enfants une grande attraction... Ils s'entraînent à mettre en relation
les photos reproduites, localisées sur la carte de France, et les
documentaires qu'ils ont en main. Chacun dresse alors la liste des
édifices qu'il aimerait visiter.
Dans l’esprit de l'enseignante, ce journal
devait permettre de lancer et de coordonner des activités d'écriture
pour les premiers mois de l'année : il ne se prolongera donc pas au-delà
du premier trimestre. S'inspirant de plusieurs des ouvrages mis en
circulation, et plus particulièrement du classique album de Ch. Bruel et
A. Bozellec, Ce que mangent les maîtresses (rééd. Etre), il se termine en décembre sur le regard que chacun va « jouer » à porter sur la maîtresse...
Lire-écrire... et découverte du monde
La classification des animaux se poursuit, en
associant au premier critère du nombre de pattes celui du mode de
reproduction. Sur des textes documentaires sont repérés les verbes qui
reviennent régulièrement (mange, pèse, mesure, vit, pond, met bas) ainsi
que les substantifs associés à la reproduction (oeufs, petits).
Après plusieurs repérages, en situation de lecture individuelle, du mode de reproduction d’autres animaux (pond + oeufs ou met bas + petits),
les enfants écrivent à leur tour le mode de reproduction d'animaux
qu'ils choisissent, d'après les connaissances qu'ils croient en avoir.
Quelques écrits individuels sont dactylographiés sur une même feuille,
notamment ceux qui posent problème (exemple : « l'escargot met bas ») et
comparés à des extraits de documentaires, en situation de lecture
individuelle.
Après la séance évoquée dans le point suivant
pour illustrer les compétences, les enfants poursuivent leur recherche
de noms d’animaux imaginaires, notamment en jouant sur la segmentation syllabique de noms réels. Un documentaire vidéo sur les reptiles et les oiseaux permet
de préciser et d'étendre la notion de carnivore, ce qui devrait rendre
possible, avant Noël, d’attribuer aux animaux déjà imaginés de
« vraies » caractéristiques zoologiques – par exemple, hipponours : il a 4 pattes, c'est un mammifère, il est carnivore ; vaubou : il a 2 pattes, c’est un oiseau, il est carnivore.
Quelles compétences au terme de ce premier trimestre ?
Un enregistrement video de la séance du 30
novembre permet de faire le point sur les compétences manifestées par
chacun en situation de lecture-écriture. L'enseignante choisit de
présenter des photocopies d'animaux peu connus, à l'aspect peu commun
(cf. C. Le Troquier et N. Claveloux, Bizarre, mais vrai !,
Hachette jeunesse) : 2 animaux par feuille A4 pour ceux qui écrivent
relativement « petit », un seul pour les autres. Il faut imaginer le nom
de l'animal, en définir la couleur, indiquer le nombre de pattes et
choisir le mode de reproduction. Deux textes référents sont par ailleurs
proposés en photocopie individuelle :
Le jacana Il est noir et blanc. Il a 2 pattes. La femelle pond 4 oeufs. |
La gerboise Elle est marron et blanche. Elle a 4 pattes. La femelle met bas de 4 à 8 petits. |
- Côte à côte, L. et As. se
conduisent de façon parfaitement autonome, avec des échanges entre
elles. Elles ne s'aident ni des textes référents ni des affichages
placés à proximité (liste des couleurs, fiches sur le loup gris, la
tortue verte, classification en cours d'élaboration). L. commence à se
détacher du « modèle recopié » pour écrire à l'oreille, pas encore de
façon phonographique mais en s'appuyant sur des graphies mémorisées
(elle les rose... elle la 2 pattes).
- Mu. et N. sont tout à fait à
l'aise dans l'activité. Ils inventent des noms, soit par transposition à
partir de noms connus (le cheval de mer), soit par combinaison de
syllabes (le dilion) ; ils sont capables de les « relire » de façon
différée, ils s'en amusent... Dilion = lion que N. sait écrire précédé
du di de dinosaure (la maîtresse lui a précisé « comme la fin de vendredi »).
- B. et S. sont capables de se
maintenir à l'activité et d'y réussir. Cependant, les problèmes qu'elles
rencontrent hors de l'école les empêchent, certains jours plus que
d'autres, d’entrer « l'esprit libre » en activité. A l'inverse, quand
elles sont disponibles, leur implication et leurs résultats sont
comparables à ceux de L. et d'As.
[DOC 6]
[DOC 7]
- K., Ma. et Ad. ont encore besoin d'un
guidage pour organiser leur recherche de mots. Je reproduis un seul des
deux « documentaires » imaginés par Ma. et Ad.
- N'ayant pas écrit l'année précédente, Ma.
(doc. 6) progresse rapidement, prend de l'assurance, gagne en autonomie :
ici, elle essaie d'écrire sans demander d'aide ; la suite « La pond
oeufs » corrigée en « La femelle oeufs » souligne des difficultés de
repérage dans les énoncés proposés. K. éprouve les mêmes difficultés, et
ne sait pas encore revenir sur ce qu'elle a écrit.
- Les maladresses proprement graphiques d'Ad.
(doc.7) ne doivent pas faire oublier qu'en septembre, il n'était
toujours pas capable de « passer en cursive » (par ailleurs, les enfants
découvrent le stylo à bille, moins confortable à utiliser que le crayon
à grosse mine) ; à la différence de Ma., sur 2 textes successifs, il
parvient, avec des aides ponctuelles de l'adulte, à gérer la séquence
des 3 phrases informatives.
L'invention d'énoncés de problèmes a également
été initiée par la maîtresse dès le mois de novembre (plus tôt que dans
la grande section de l'année 2005-2006) : combinées à la classification
des animaux, les additions imaginées ne manquent pas de saveur... à tel
point que certains prennent grand plaisir à en créer au moment de
l'accueil (ces prises d'initiative étant également une part très
significative du bilan). Un seul exemple : samedi matin 1er décembre, L.
commence dès son arrivée en classe, et poursuit longuement et sans aide
(profitant de la plus grande liberté qu'autorise le samedi) sa
recherche de problèmes (doc. 8). Et elle n'est pas la seule ce jour-là :
As. en recouvre quant à elle 2 feuilles A4 ! Ce qui prouve que les
enfants peuvent adorer les lignes d'écriture... à condition qu'ils en
prennent l'initiative.
[DOC 8]
A l'heure où se profile une redéfinition de
l'école maternelle, je voudrais ici souligner ce qui, dans cette classe,
me paraît être au coeur de la question de la réussite pour tous les
enfants des écoles du réseau justement appelé « ambition réussite ».
· Il n'était pas
dans mon propos de développer les pratiques de l'oral à l'école
maternelle ; j'ai cependant relu l'ensemble des contributions ici
publiées. Comment ne pas voir que ce sont justement les rencontres
quotidiennes avec les documentaires, avec la littérature de jeunesse,
qui peuvent fonder une construction élaborée de la langue ?
Les champs lexicaux qui s'appréhendent, par exemple à l'occasion des
découvertes zoologiques, sont ceux-là mêmes qui permettront plus tard
d'accéder aux textes complexes – puisque, pour ces enfants, c'est bien
cette langue complexe qui constitue l’obstacle majeur à la
maîtrise de la lecture. D’un autre point de vue, comment ne pas voir en
creux dans ces pages que des apprentissages discursifs fondamentaux –
raconter, justifier, argumenter – se développent dans le contexte de
lectures ainsi conduites « en réseaux » sans trouver d’équivalent dans
les pratiques ordinaires (a-culturelles, pour aller vite) de l'école
maternelle ?
· Ne pas commencer
l’apprentissage de la lecture en grande section ? Personne ne discute
plus aujourd’hui l’importance décisive d’une approche de l’écrit – des
écrits dans leur diversité – tout au long de l’école maternelle.
Faudrait-il alors éviter soigneusement de mettre les enfants en activité sur l’écrit ? Faudrait-il borner l’apprentissage de l’écriture à celui de l’acte graphique ?
- cela n’irait pas dans le
sens de la logique des apprentissages : les enfants, même avant la
grande section, n’attendent rien d’autre que de pouvoir exercer un
pouvoir réel sur la langue écrite, donc être en acte d’écriture (si
« lire fait grandir », je constate à quel point écrire fait grandir) ;
- cela tournerait le dos à certaines préconisations du document d'application des programmes Le langage à l'école maternelle, 128 pages parues au printemps 2006 ;
- cela enfin ferait bien peu
de cas des travaux des neuroscientifiques, qui mettent en lumière
l'extraordinaire potentiel du cerveau pendant les premières années de la
vie, notamment dans le domaine des apprentissages langagiers.
C’est pourquoi je trouverais profondément
préjudiciable qu'au motif de ne pas « anticiper l'apprentissage de la
lecture », on dénie à l'école maternelle le droit – qui est pour moi un
devoir – d’assurer pour tous une fréquentation assidue de la culture
écrite, donc d’accompagner chacun dans sa découverte de la langue de
l’écrit.
On le répète beaucoup sur les ondes en ce
moment : à l'école, on s'ennuie. Dans une classe où les apprentissages
sont appréhendés selon une perspective culturelle (et je
n'évoque pas dans ces pages les approches concomitantes des arts visuels
ou la musique), je rencontre des enfants qui, au fil des trimestres, se
construisent comme sujets culturels. Vu de très haut, cela peut
paraître une pure abstraction ; mais, sur le terrain de cette zone
« ambition réussite », entendre des parents dire « maintenant, à la
maison, il (elle) veut toujours écrire ! » désigne pour moi – qui sais
ce que, dans cette classe, signifie écrire – l'un des déclics fondamentaux d'une dynamique de réussite.
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Lire et écrire en maternelle : 2007-2008
Un deuxième trimestre de grande section en ZEP
Bernard DEVANNE,
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie
La publication du Journal d'une grande section en ZEP,
de janvier à juin 2006, rendait l'évocation de ces deux derniers
trimestres d'école maternelle moins nécessaire : on y lirait
vraisemblablement les mêmes types d'activités, les mêmes compétences
construites au fil des mois... Par ailleurs et surtout, la démonstration
que visait cette chronique – comment, dans la continuité des deux
dernières années d'école maternelle, se développent des compétences en
langue écrite parce qu'elles s'enracinent dans une culture de l'écrit –
me semblait maintenant réalisée pour l'essentiel. L'intérêt demeurait
cependant de présenter une analyse de tous les parcours individuels, ce
que je n'avais pu qu'ébaucher en 2006 dans ce Journal conçu dans l'urgence en réponse aux représentations simplistes imposées par le ministre d'alors.
Dans le contexte d’une refonte des programmes
dont nous connaissons sans doute, à quelques virgules près, le texte
définitif, cette publication prend une autre signification : les
principes ici mis en oeuvre dans une logique d'apprentissages culturels – et les résultats que j'observe – montrent combien le retour à un enseignement mécaniste
de la langue peut s’avérer catastrophique. Dans le compte rendu de
juin, je montrerai par quels cheminements un enfant peut avoir appris à
lire sans n'avoir jamais subi d'entraînement systématique au
déchiffrement. Pour l'instant, en évitant une relation linéaire des
activités du trimestre, j'organise le présent développement autour des
trois points suivants :
loin de toute « leçon de mots », comment
les multiples questionnements liés, dans cet exemple, à la
classification des animaux alimentent, en même temps que des savoirs sur
le monde, des apprentissages langagiers ;
loin de tout enseignement de la combinatoire, comment progressent les questionnements relatifs au code de l'écrit ;
en absence de toute séance dite de
« phonologie », comment se comporte, fin mars, chacun de ces enfants à
partir d'un questionnement « phonémique / graphémique ».
La classification des animaux : penser la complexité, entre échanges verbaux et activités d'écriture
A l'école maternelle, on élabore souvent de
premières « classifications »... généralement bâties en quelques
séances. On peut donc être surpris qu'un objet conceptuel comme celui-ci
puisse donner prétexte à activités aussi longtemps dans l'année (un
trimestre et demi maintenant) : c'est justement parce qu'il n'est en
aucune manière un prétexte, parce qu'il répond toujours à des
questionnements culturels, qu'il induit logiquement des réflexions
individuelles, des échanges oraux, des situations de lecture et
d'écriture qui font sens. C'est en cela que les problématiques
d'apprentissages complexes sont pour les enfants les plus intéressantes
parce que les plus authentiques.
Des activités de lecture-écriture qui prolongent, organisent, problématisent
Je rappelle que cette classe réunit des
enfants de moyenne et de grande sections. L'effectif des grands s'est
réduit au cours du premier trimestre et s'est stabilisé à 9 ;
simultanément, celui des moyens a augmenté, portant l'effectif total à
23. A partir de recherches dans des documentaires, de visionnements
d'extraits de films animaliers, des échanges sont régulièrement
conduits, souvent d'ailleurs en écho à des propos spontanés. Des
situations de lecture-écriture trouvent leur place à différents moments
de ces élaborations cognitives, les questionnent, les font progresser.
Quelques exemples en janvier et février
> Pour approfondir la notion de régime alimentaire :
compléter des phrases du type « Le tigre
mange des antilopes : _________ » (il est carnivore) ; les enfants
disposent d'un tableau de ce que mangent les herbivores et les
carnivores, et de quelques exemples d'énoncés complets ;
à partir de plusieurs extraits
documentaires, retrouver ce que mange chaque animal, (l'extrait
correspondant étant surligné – ex : « L'autruche mange des lézards, de
l'herbe et des tortues ») ; c'est le début de la constitution de fiches sur les régimes alimentaires ;
à partir d'extraits sur les seuls oiseaux
(à l'exclusion des rapaces), même activité pour préciser la variété des
régimes alimentaires de ceux-ci ;
en prolongement de la lecture de Tous les rapaces du monde (O. Lhote, Milan jeunesse),
même activité avec les mêmes objectifs, à partir cette fois d'extraits
documentaires sur les rapaces ; on découvre que, si tous les rapaces
sont carnivores, beaucoup d'autres oiseaux le sont également.
> Pour approfondir la notion de reproduction :
– à partir d'une photocopie de
documentaires sur différents oiseaux, repérer les pontes et les écrire
selon la structure « La femelle du leipoa pond... » ;
– à partir d'une représentation rudimentaire, « de l'oeuf naît le poussin »… les illustrations de l'ouvrage Mon premier livre d'insectes et d'araignées (Dee Phillips, BK France) montrent que certains animaux passent par un stade intermédiaire : les repérer, en décrire cette forme intermédiaire, élaborer un affichage ;
– à partir d'un document video montrant
la naissance du kangourou, première ébauche de la notion de marsupial ;
en procédant à des repérages sur des fiches consacrées aux mammifères
d'Australie, établir deux listes : les marsupiaux et les autres
mammifères.
On imagine sans peine que les réflexions
conduites à partir de ces situations, comme à partir d'extraits de
documentaires vidéo judicieusement choisis, relancent les
questionnements bien au-delà de la première classification, pertinente
mais sommaire, établie au terme du premier trimestre et traduite sous
forme d'affichage (le nombre de pattes, le type de reproduction).
Ecrire des devinettes au mois de mars
Autre volet de la production d'écrit : dès la
rentrée de mars, un projet d'élaboration de devinettes est mis en place,
à destination de la classe parallèle de
moyenne et grande sections ainsi que de la classe des correspondants.
Des devinettes sur les animaux ont déjà été reproduites dans le Journal d'une grande section, en avril 2006. Ce projet se caractérise par une plus grande exigence sur deux plans :
d'une part, quant aux contenus informatifs, qui seront légitimement plus approfondis que ceux des devinettes de 2006 ;
d'autre part, quand à la gestion de
l'information : chaque devinette est recopiée, segment par segment, sur
plusieurs feuillets agrafés (¼ de format A4) ; l’auteur doit donc
définir l'ordre dans lequel les informations successives devront
apparaître, de la plus opaque à la plus transparente...
A plusieurs reprises, les enfants imaginent
des devinettes en y incluant un nombre croissant d'informations qu'ils
repérent maintenant, de façon autonome pour certains, dans des extraits
documentaires. Par la suite, après avoir décidé du choix des animaux qui
feront l'objet de leur livret (ils s'arrêtent majoritairement aux plus
connus, les grands mammifères africains, mais pas exclusivement – cf.
par exemple « la coccinelle à 22 points » !), ils élaborent
individuellement leurs textes, ou plus justement l'ordre des
informations qu'ils jugent pertinent. Voici la proposition de K.
Les ordres retenus sont comparés, soumis à
discussion... ce qui ne conduit pas à une gestion unique (et
contraignante) de la progression des informations.
c'est un mammifère | elle a 4 pattes |
il a 4 pattes | elle est herbivore |
il est orange et noir | elle vit en Afrique |
il aime les gazelles | la femelle met bas 1 petit, c'est un mammifère |
il court à 110 km/h | elle mesure 5 mètres |
il a des taches | elle est jaune et marron |
le guépard
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la girafe
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Leçons de mots ou découverte du monde ?
L'ouvrage Hommage aux primates (Steve
Bloom, Könemann éd.) a été introduit dans la classe depuis des semaines,
il passionne les enfants. D'autres sujets ont été abordés plus
récemment : les lémuriens, les marsupiaux. A la mi-mars, l'enseignante
pose une question pour laquelle elle attend des réponses hésitantes,
divergentes... qui pourront faire l'objet d'un débat.
E. : Quel est l'animal qui ressemble le plus à l'homme, qui nous ressemble le plus ?
Mu. : le chimpanzé...
Ad., N. : le gorille...
Ma. : le singe...
As. : l'orang-outan !
E. : Pourquoi ?
Ad. : parce qu'il a des mains...
Mu. : parce que ça se voit que ça ressemble à des hommes, son visage il ressemble presque aux hommes...
Ma. : il a des poils...
S. : on est carnivore et eux ils mangent des feuilles ! [la notion d'omnivore n'a pas été abordée]
N. : ils ont des pieds et des mains pour se balancer, ils peuvent manger avec les mains !
B. : ils sont des primates, ils ont des mains.
N. (geste de sauter de liane en liane) : ils font comme nous...
B. : ils font pareil, des acrobaties...
S. (en se prenant le menton) : ils font comme ça... ils réfléchissent.
Il faut se rendre à l'évidence : il n'y a plus
rien à débattre... De retour chez eux, ces enfants auront peut-être
encore du mal à distinguer, lexicalement parlant, une poële d'une
casserole. Mais, n'en déplaise aux initiateurs des « leçons de mots »,
c'est bien en manipulant des champs lexicaux comme ceux que je prends en
exemple, dans des contextes culturels complexes, qu'ils progresseront
simultanément dans la maîtrise du langage (et pas d'un hypothétique
« vocabulaire ») et dans des élaborations cognitives qui structurent aussi leur capacité à penser.
Ce sont ces échanges langagiers qui induisent des questionnements qui
ne s'inventent pas, et qui feraient à eux seuls la richesse de telles
pratiques : « – Le kookabura mange des souris... – Les souris, c'est des rongeurs ! –
Alors, les souris, elles vont ronger l'oiseau !?! ». La réflexion qui
suit cette exclamation inquiète ne porte pas sur le sens du verbe ronger (question qu'on s'est posée plusieurs semaines auparavant, à l'occasion de la lecture, dans une version du Joueur de Flûte de Hamelin,
de la phrase « Mais les chats ne mangeaient pas ces rongeurs. ») ; elle
porte, chacun l'a compris, sur les notions de prédateur et de proie,
sur une première conceptualisation de chaînes alimentaires...
Les progrès des questionnements sur le code de l'écrit
Je rappelle que les enfants de cette classe
sont régulièment mis en situation d'inventer des textes rimés : cela a
été le cas précédemment à partir de différentes comptines ; c'est le
cas, en ce début de trimestre, à partir de la chanson de Nino Ferrer Le téléfon. Cette
production est élaborée collectivement par le groupe des grands, avec
la contrainte supplémentaire de respecter le nombre de syllabes (exemple
: « Rojin mange des aubergines » ne peut pas se chanter ; continuant à
chercher, les enfants retiennent « Rojin aime la cantine »). L'habitude
de la situation permet une réelle implication de tous, une réelle émulation dans la recherche des idées et des rimes. Une première phase d'écriture aboutit au texte suivant :
Manon, y a le téléfon...Rojin aime la cantine
Pendant qu'Houcine saute dans la piscine
Kelly dort dans son lit
Madame Manon s'occupe du téléfon
(refrain)
Maëlle prépare Noël
Et Chona joue avec Sabrina
Sophie est très jolie
Et Djamel va vider la poubelle
Jordan aime les bananes
Et Omair veut plonger dans la mer
Baris est très très riche
Madame Manon s'occupe du téléfon
(refrain)
Pendant qu'Houcine saute dans la piscine
Kelly dort dans son lit
Madame Manon s'occupe du téléfon
(refrain)
Maëlle prépare Noël
Et Chona joue avec Sabrina
Sophie est très jolie
Et Djamel va vider la poubelle
Jordan aime les bananes
Et Omair veut plonger dans la mer
Baris est très très riche
Madame Manon s'occupe du téléfon
(refrain)
S'agissant plus spécifiquement des questionnements sur le code de l'écrit, voici quatre exemples illustrant des situations aussi différentes que possible.
> En liaison avec des lectures de comptines ou d'albums
Au croisement d'albums répétitifs et de comptines qui jouent sur les répétitions syllabiques, inventer à
son tour de tels mots et les écrire - « bonne nuit mon loulou, bonne
nuit ma laulau ; bonne nuit mon baba, bonne nuit mon chacha... ».
A partir de l'album Et moi, je fais quoi ? de John
Butler (Gautier-Languereau), inventer et écrire des bruits d'animaux :
« Qui fait oil oil ? c'est le lapin ! Qui fait ma ma ? c'est le
koala... ». Les textes sont, comme souvent, tapés, photocopiés, font
l'objet d'une relecture et, dans ce cas, d'un jeu de devinettes écrit.
> Suite à un événement fortuit
L'affiche de la seconde partie du Téléfon ayant disparu, L. et As. sont invitées à la réécrire : elles retrouvent la suite des paroles de leur création, qu'elles connaissent par cœur, et les transcrivent en se débrouillant toutes seules... (mars)
Adrien pormen son chien
et izaël tap sur raphaël
nihat mange des patates
penman s celia tartine du nutella
Mathieu et notre dieu
et Assma la copin de Laura
firdaous mange du coceco couscous
et barbara joue avec vas vanessa
> Lors de recherches explicitement orientées vers la réflexion sur le code
A certains brefs moments, il est proposé aux
enfants d'essayer d'écrire, par deux, des noms d'animaux, sans se
référer à un quelconque écrit ; c'est par exemple, début mars, baleine,
biche, boa, cobra, lapin... écrits ce jour baln, bich, boa, chbra, lapain... L'explicitation des stratégies adoptées et la réflexion collective qui s'ensuit ne relèvent en aucune manière d'une volonté d'enseignement,
elles répondent au contraire au souci légitime de faire partager les
représentations de chacun à ce moment de l'année... et d'en provoquer
l'évolution. Dès le mois de janvier, des affiches recueillent des groupements de mots
à partir des rimes – en « ou », en « on », en « ette », en « ille », et
quelques autres ; d'autres affiches voient le jour en mars, les
groupements étant cette fois appuyés sur les phonèmes situés à l'attaque
(par exemple, « jaune, jeudi, jacadi, jaguar, girafe, Georges,
Geoffroy... »).
> La morphologie du conditionnel en situation d'écriture
Des comportements individuels nouveaux,
souvent inattendus, traduisent des prises de pouvoir sur le
fonctionnement de la langue écrite : à partir de Si le lit s'appelait loup
de Jérôme Ruillier (Casterman), chacun doit écrire d'autres phrases de
même structure, « si..., est-ce qu'il... ». Pour la première phrase, la
maîtresse intervient pour indiquer dans le texte les formes écrites du
conditionnel ; dès la phrase suivante, L. et As. résolvent seules leur
problème : elles retournent à la phrase précédente pour retrouver et
recopier la désinence :
- l'une dans l'énoncé « et si maman s'appelait Chine, est-ce qu'elle serait jaune ? »... et construit la forme aime rait ;
- l'autre dans l'énoncé « et si mon doudou s'appelait un lapin, est-ce qu'il mangerait des carottes ? »... et construit la forme mangrait.
Un bilan individuel à partir d'un questionnement phonémique / graphémique
Fin mars, l'enregistrement vidéo porte sur la
séance suivante : après avoir trouvé des mots commençant par le même
phonème, chaque enfant devra inclure ces mots dans des phrases (une
activité similaire a déjà été conduite précédemment). Un phonème
différent est proposé à chacun, certains recevant des propositions a priori
plus complexes puisqu'ils sont plus avancés dans ces apprentissages. La
rareté des interventions de l'enseignante rend possibles pour chacun
d'authentiques prises d'initiatives. Je réserve une évaluation
individuelle plus globale pour la fin de l'année, la répartition des
réussites et des difficultés individuelles n'étant pas sensiblement
différente de ce que j'avais signalé en décembre.
Pour K., c'est [l], puis [a]
Avec le premier phonème, elle trouve : le, loup ; puis elle se contente de reprendre l'article défini (le tigre, le chat),
ce qui conduit l'enseignante à proposer un autre phonème, plus facile à
identifier dans des substantifs, [a]. Elle trouve alors « à l'oreille »
quelques prénoms commençant par [a] puis, s'appuyant sur des
abécédaires (« Analphabêtes », « Alphabébête »), elle sélectionne les
mots qui conviennent et sait écarter les intrus (autruche par exemple) ; quand elle n'est pas sûre (par exemple, aigle),
elle demande à l'enseignante de lui lire le mot. Après avoir trouvé 8
mots en [a] (après les premiers en [l]), elle a encore le temps d'écrire
« Assma est amoureuse d'Adrien » et de commencer une seconde phrase,
« Un alligator... ».
Pour S., c'est [o]
Elle trouve orange, aubergine, puis Océane... C'est à ce stade qu'elle écrit ce que lui propose Mu. : Omair, opéra de Sidney – ce dernier connu, comme plus loin le Colisée, grâce à un « Jeu de familles » Les monuments du monde (Jeux Sylvie de Soye). Elle reprend sa recherche personnelle et perd de vue la contrainte : elle écrit ours à partir d'un album, oiseau en s'appuyant sur l'affiche de la classification zoologique... Elle n'écrit qu'une phrase, « Omair mange une orange ».
Pour Ma., c'est [m]
Elle progresse rapidement, mais l'absence de
toute pratique de l'écrit en moyenne section est encore pour elle un
handicap. Elle ne parvient pas à dissocier le phonème [m] d'une
émission syllabique et, s'arrêtant à la syllabe [ma], elle n'écrira donc
que des mots commençant comme son prénom. Elle ne commet aucune erreur
(mais, à la différence de S., elle ne s'est peut-être pas trouvée devant
des mots présentant de difficultés, « mau » ou « mai »...). Pour écrire
« Matthieu et Maëlle font du manège », elle demande comment s'écrit font ; ne sachant pas écrire f en cursive, elle prend spontanément son alphabet, le parcourt à mi-voix, y retrouve la correspondance...
Pour Ad., c'est [ʃ]
Compte tenu de ses difficultés, le phonème qui
lui est proposé a déjà fait l'objet d'une recherche collective et d'un
affichage : il y retrouve chat, chien, chameau... Puis, feuilletant un imagier, il y trouve chutes,
ce qui atteste au moins d'une compétence de repérage graphique. Au fil
des minutes, ses difficultés augmentent : il s'arrête à des mots
commençant par la seule lettre c (crocodile). S'il est
maintenant capable de trouver des rimes (quelquefois approximatives, il
prononce encore très mal et a été confié à un orthophoniste), il n'en
est pas encore arrivé à distinguer phonologiquement les « attaques ». En
revanche, très intéressé par les recherches documentaires en classe, il
ose maintenant prendre la parole et ses remarques sont de plus en plus
pertinentes.
Pour B., c'est [ʒ]
Dans un premier temps, elle aide spontanément Ad. en lui épelant chien, chameau... Puis, s'intéressant à son propre problème, elle trouve et écrit sans modèle : jaune, jeudi, je, puis repère jaguar sur l'affiche, et et prend un imagier pour écrire jupe, joue, jeu... et j'observe, j'apprends (« Mon imagier » de C. Bielenski). Elle
imagine deux phrases, la première étant la plus élaborée : « jeudi avec
le jaguar jaune je fais un jeu », la seconde apparemment inachevée :
« j'apprends un jeu.. ».
Pour Mu., c'est [s]
Après avoir écrit serpent, cherchant mentalement, il trouve cerf et l'écrit avec un imagier. Il pense ensuite à sanglier, squelette, stylo, mots qu'il identifie dans un autre album et recopie. Il trouve scotch, mais
l'imagier propose « ruban adhésif » : l'enseignante lui demande de voir
si ce qui est écrit peut être « scotch », et après réflexion il n'écrit
pas ces mots... Il imagine « le serpent est le copain du squelette »,
assisté (pour copain) d'As. et de L. qui lui soufflent en choeur c.o., puis après une brève hésitation p.i.n.
Pour L., c'est [f]
Elle écrit fille sans modèle, puis trouve successivement flamant rose, fais, et fâche : à chaque fois, elle va feuilleter
dans l'espace-livres le livre dans lequel elle sait retrouver le mot,
« Papa se rase » d'A. Le Saux pour le dernier exemple. Elle modifie
ensuite sa stratégie et s'appuie directement sur l'imprimé, trouve falaise, fleuve, forêt... Sa voisine As. lui apporte Aboie Georges, un livre qu'elles arrivent à lire, parce que l'auteur est Jules Feiffer (L'école des loisirs) ! Elle s'arrête sur Philippe
(Corentin) ; la maîtresse qui passe lui dit « Alors, Philippe, ça
commence par quoi ? » ; elle la regarde, mais craignant sans doute un
piège, ne recopie pas le prénom... Elle écrit trois phrases, début d'un
texte répétitif ? « C'est la fraise qui mange la femelle. C'est la
femelle qui mange la fraise. C'est la fée qui mange la fille. »
Pour N., c'est [g]
Il cherche longuement garçon dans un imagier, puis demande à la maîtresse : « Sûrement dans ton carnet bleu – Ah oui ! » ; il recopie garçon, puis garou, gorille... et
cesse de recopier, préférant chercher « dans sa tête » ; pour chacun
des mots qu'il va successivement trouver, il prononce le phonème ou la
première syllabe [ga], trouve gaz, garde, gardien, gâteau... et s'empare de « Guettier » que l'enseignante relisait avec L. sur l'affiche des auteurs. Il écrit Gabriel sans modèle, en prononçant successivement [g], [a], [ri] ; pour gardien, [gar], puis demande à la maîtresse : « Tu mets un d et ça se termine comme Adrien ; – i.n ? – E : oui, i.e.n. ». Il écrit
ensuite ses phrases sans aucune aide : « le garçon et grou (est gros)
qui mange », « le gorille et le garde mange des gaz », « gabriel et gaz
mange des gardien » (il avait déjà pris l'initiative d'utiliser des noms
communs – noms d'animaux – comme prénoms).
Pour As., c'est [k]
Elle écrit certains mots sans modèle, coca... coala, Colisé ; elle cherche dans des livres les mots qui commencent par la lettre c, tout en gardant à l'esprit la contrainte phonologique : elle prononce pour elle-même [k], [k], par exemple pour cache-cache, sachant qu'elle peut rencontrer des mots en [s]. Elle
imagine ensuite une première phrase avec les mots trouvés puis,
oubliant la contrainte en [k], elle se lance : « c'est la femelle qui
pond des oeufs » – plaisir du savoir zoologique, plaisir également de
maîtriser depuis quelques jours une nouvelle structure (c'est ...
qui...) et de savoir l'écrire sans modèle.
Au-delà de tout ce qui a été écrit sur les
nouveaux programmes, je voudrais insister sur ce que nous sommes en
train de perdre de plus décisif : l’ambition, pour chaque enfant, de l’intelligence des choses. Au fil des trimestres, j'ai vu des enfants développer des questionnements authentiques et manifester, très lisiblement, une envie croissante de savoir.
Cela est évidemment vrai pour des sujets qui les passionnent, comme la
connaissance des animaux ; cela vaut également pour des savoirs plus
complexes, plus abstraits, comme la découverte du code de l'écrit, dès
lors que ces savoirs sont construits à partir d'une riche expérience des
textes et de la langue. J'en ai eu l'illustration probante pendant
notre dernier enregistrement vidéo : en pleine activité d'écriture, l'un
lance « la vache, poil à la tache ! », les autres reprennent sans lever
les yeux diverses variations empruntées à l'album Poil à l'animal (M.-H.
Versini et V. Boudbourd, chez Milan) – ils ne se détournent pas une
seconde de leur projet personnel, comme si le « poil au... » contribuait
en premier lieu, au même titre que d'autres jeux de langue, à enrichir
leur propre expérience du langage.
Lire et écrire en maternelle : 2007-2008
Un bilan au terme de la grande section (ZEP)
Bernard DEVANNE,
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie
Concluant cette chronique de deux années,
cette dernière contribution sera naturellement consacrée à un bilan
individuel des apprentissages réalisés dans le contexte de pratiques
qui, je le rappelle, n’ont jamais recours à des activités formelles
d’enseignement phonologique ou alphabétique (le DVD du Ministère paru en
2006, Apprendre à lire, donne de remarquables illustrations de
telles activités), mais consacre au contraire beaucoup de temps aux
lectures magistrales et aux activités de production de textes « crayon
en main ».
Ce bilan s’appuie notamment sur la comparaison
des « performances » des enfants fixées par des enregistrements vidéo
successifs, d’octobre 2006 à juin 2008. Plus encore que le parcours
de D., qui laissait envisager d’excellents résultats en GS, j’aurais
souhaité évoquer celui de Ni., la plus jeune, qui commençait à prendre
un réel pouvoir sur l’écrit au moment de son départ en octobre. D’autres
enfants sont arrivés à la rentrée de GS, ce qui rend impossible
l’analyse des parcours d’apprentissages sur deux années de chacun des 9
enfants maintenant présents.
Les activités des mois de mai et juin
Dans un premier temps, pour contextualiser
cette évaluation et faire apparaître d’autres ramifications des
apprentissages culturels mis en œuvre dans la classe, je donne un rapide
aperçu des activités menées pendant les mois de mai et juin.
Des activités d’écriture variées : quelques exemples
Encore répétitives…
- Après les vacances de printemps, à partir de la liste des « mots doux » de D. Pennac dans Bon bain les bambins (Gallimard jeunesse) - mon canard, mon écrevisse, mon ours blanc, ma petite éponge, mon petit nuage […], production individuelle sur la structure du dialogue de l’album Je suis une petite fille ! de Peter Elliott (variations sur « Bonjour ma crevette ! – Je ne suis pas une crevette, je suis une petite fille ! »)… puis invention de « mots doux » très personnels destinés à la famille.
… ou appuyées sur la relecture sélective
- A partir de l’album Ce que j’aime faire d’Anthony Browne (Kaléidoscope), « Me voici et voici ce que j’aime. Dessiner… et rouler sur mon vélo. Jouer… et me déguiser. Grimper aux arbres… et taper dans le ballon. […] » : en s’appuyant sur des reproductions (en noir et blanc et petit format) des illustrations, chacun identifie ce qu’il préfère, retrouve les énoncés correspondants dans le texte intégral distribué individuellement (au format A4) et les recopie en cursive.
Jouant sur les rimes…
- A partir d’une comptine extraite du recueil Les bretelles du crayon de F. Lison-Leroy (Ed. du Rocher), « ohé ohé / j’ai inventé / un chapeau à bretelles / qui fait des étincelles », création de textes accompagnant une exposition de sculptures. La comptine de Mu. est reproduite dans son orthographe originale :
Ohé ohé
j’ai inventé
in lion
qui a in pond pond
Ohé ohé
j’ai inventé
une maitresse
qui fait des tresses
Ohé ohé
j’ai inventé
un cochon
qui a peur d’un lion
j’ai inventé
in lion
qui a in pond pond
Ohé ohé
j’ai inventé
une maitresse
qui fait des tresses
Ohé ohé
j’ai inventé
un cochon
qui a peur d’un lion
… ou invitant aux associations « audacieuses »
- A partir du repérage des régularités sur le début du poème de Robert Desnos Il était une feuille, imaginer sa propre composition ; pour ce faire, les enfants ont recours à leur carnet individuel, composé au fil des derniers mois par le relevé des « mots qui plaisent » retenus à l’occasion des lectures poétiques. Voici la production de L., avant toute correction syntaxique :
Il était un opéra avec ses cœurs
cœur de vie
cœur de chance
cœur de roi
Il était un chéri avec ses mers
mer de arc-en-ciel
mer de l’orage
mer de Noël
Il était un amour avec ses rois
roi de princesse
roi de opéra
roi de amour
cœur de vie
cœur de chance
cœur de roi
Il était un chéri avec ses mers
mer de arc-en-ciel
mer de l’orage
mer de Noël
Il était un amour avec ses rois
roi de princesse
roi de opéra
roi de amour
Ces deux derniers exemples illustrent les
effets d’une double construction culturelle poursuivie depuis longtemps
dans la classe :
- la première, qui a trait aux comptines, a inscrit chacun dans un espace humoristique devenu presque « naturel » maintenant ;
- la seconde, plus progressive,
s’appuie sur des textes poétiques nombreux et variés, encore répétitifs
lorsqu’il s’agit de les articuler à des activités d’écriture : cet
espace d’imaginaire poétique est l’occasion pour l’enfant de faire
résonner les mots qu’il aime, d’opéra à arc-en-ciel, de princesse à
amour…
Des cheminements poétiques inspirés d’œuvres peintes
L’exemple de la « découverte du monde », en
l’occurrence la classification zoologique, m’a précédemment permis de
préciser comment s’articulaient présentation magistrale de
documentaires, échanges oraux, pratiques de lecture et d’écriture.
J’évoque ici plus rapidement une situation de lecture-écriture rendue
possible par la fréquentation des livres d’art (dans le domaine des arts
visuels, un projet a été conduit depuis plusieurs mois : la réalisation
de sculptures inspirées des Ateliers Art Terre, notamment du bel album ABC des bestioles).
- Une activité proposée au début du mois de juin s’appuie sur l’ouvrage de Rascal Au point du cœur (Pastel), qui fait dialoguer une sélection de tableaux présentés pleine page avec des textes à caractère poétique commençant tous par « je connais un pays... » :
Je connais un pays où
chaque enfant est Reine ou Roi. Chacun d’eux sait comment les fleurs
naissent et meurent, et comment les ruisseaux deviennent parfois
rivières puis fleuves.
Ils connaissent leurs besoins et savent parler le langage du cœur.
Ils connaissent leurs besoins et savent parler le langage du cœur.
Pour écrire, les enfants disposent d’une vingtaine de reproductions de tableaux : La cinquième Plaie d’Egypte de Turner, Baignade dans la Seine de Renoir, Etretat : la Manneporte, reflets sur l’eau de Monet, Les Bords de la Marne à Créteil de Cézanne, Le moulin enchanté de Franz Marc, des Tour Eiffel de Delaunay, etc. Ces reproductions circulent d’une table à l’autre, offrant à chacun un large éventail de possibles.
La production de Ma. fait successivement écho à des tableaux de Turner, Gauguin, Marc et Delaunay :
Je connais un pays où il y a des pyramides en triangle, du feu, printemps.
Je connais un pays où des Américaines sont assises sur un banc,
où il y a une cascade toute droite.
Je connais un pays où il y a quatre tours Eiffel.
Je connais un pays où des Américaines sont assises sur un banc,
où il y a une cascade toute droite.
Je connais un pays où il y a quatre tours Eiffel.
Les enfants sont
maintenant plus nombreux à « écrire sans recopier », et ces
comportements s’amplifient régulièrement ; plusieurs des productions
obtenues montrent que leurs auteurs prennent la liberté (avec la
compétence que cela suppose !) d’une écriture phono-graphémique : je connais un pays où il y a des la pintur (As.), je connais un pay où les nuage son blanc où les pon sont en boi (N.)… J’apprécie particulièrement je connais un pays où qui jous de la musique
(L.), formulation qui montre une autre compétence : être capable de
coder directement du sens en reproduisant une forme typique de la langue
orale enfantine. Ou encore je connais un pays où il y a un na arc-en-ciel (As.), écrit que Mu. parcourt des yeux, ce qui le fait s’exclamer : « Elle a écrit un na arc-en-ciel, c’est un arc-en-ciel ! ».
- Reprise dans les jours suivants, la même proposition d’écriture s’accompagne d’une contrainte à la fois sémantique et syntaxique inspirée de plusieurs textes lus et relus récemment : imaginer des comparaisons. Après une phase orale collective, les recherches sont individuelles… voici quelques exemples des comparaisons imaginées : je connais un pays où les feux sont comme des automnes (Ad.) ; je connais un pays où les dames sont comme des soleils (K.) ; je connais un pays où les ciels gris sont comme des chevaux (B.) ; je connais un pays où les falaises d’Etretat sont comme des poèmes (Ma.).
Des compétences en situation d’écriture autonome
Proposée le 13 juin, l’activité d’écriture servant à l’évaluation s’appuie sur un petit album de M. Laffon et C. Hawkins, Semaine en ribambelle
(Syros, 1991). Après le début suivant : « Il fait gris… par la fenêtre,
le jardin, endormi, bâille et dit qu’il s’ennuie… moi aussi. A quoi
pourrait-on jouer ? J’ai une idée ! », une double page est consacrée à
chaque jour de la semaine sur une construction répétitive :
Aujourd’hui, Mousse, ça serait lundi – jour des RIVIERES !
Et si l’on devenait rivière ? Léger, ondulant et bleuté, on ferait des ronds pour taquiner les tanches, les goujons, et puis, bercé par la chanson de l’eau, on rêverait en regardant le vent courir dans les roseaux.
Et si l’on devenait rivière ? Léger, ondulant et bleuté, on ferait des ronds pour taquiner les tanches, les goujons, et puis, bercé par la chanson de l’eau, on rêverait en regardant le vent courir dans les roseaux.
L’album étant bien entendu lu dans son
intégralité, seule la partie littéralement répétitive est retenue pour
l’activité d’écriture et reproduite sous forme de document A4
individuel :
Aujourd’hui Mousse, ça serait lundi, jour des rivières !
Et si l’on devenait rivière ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait mardi, jour des fleurs !
Et si l’on devenait fleur ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait mercredi, jour de la mer !
Et si l’on devenait mer ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait jeudi, jour des papillons !
Et si l’on devenait papillon ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait vendredi, jour des lézards !
Et si l’on devenait lézard ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait samedi, jour de la pluie !
Et si l’on devenait pluie ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait dimanche, jour de l’univers !
Et si l’on devenait l’univers ?
Et si l’on devenait rivière ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait mardi, jour des fleurs !
Et si l’on devenait fleur ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait mercredi, jour de la mer !
Et si l’on devenait mer ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait jeudi, jour des papillons !
Et si l’on devenait papillon ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait vendredi, jour des lézards !
Et si l’on devenait lézard ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait samedi, jour de la pluie !
Et si l’on devenait pluie ?
Aujourd’hui Mousse, ça serait dimanche, jour de l’univers !
Et si l’on devenait l’univers ?
Les 9 écrits obtenus ce jour, entre 14h15 et
15h, font apparaître des compétences différentes, mais de vrais progrès
pour chaque enfant. Si l’aspect
« écriture d’invention » est moins marqué que dans certaines activités
précédemment décrites, c’est parce qu’il s’agit d’apprécier le degré d’autonomie
dont est capable chaque enfant, qui doit se repérer dans plusieurs
écrits : sur la feuille, les passages à recopier et, notamment dans le carnet,
les mots à rechercher. L’intérêt est également d’apprécier la capacité
de chacun de se maintenir à la tâche pendant un long moment, d’écrire beaucoup
(on n’oublie pas que, dans les moments d’accueil, beaucoup d’enfants
vont aux tables avec crayons et papier et écrivent spontanément –
écrivent longtemps). En bref, les compétences que nous souhaitons
valoriser ici sont celles qui sous-tendent les apprentissages
fondamentaux, qui sont donc elles-mêmes fondamentales, et doivent être
installées, pour tous, avant la fin de l’école maternelle.
La comparaison de la production d’Ad. avec
celles de l’an passé montre les progrès considérables qu’il a accomplis,
notamment au cours de la GS (Ad. n’utilise plus de modèle d’écriture
cursive depuis peu de temps). D’autre part, les mots n’apparaissent pas
au hasard, ils correspondent à une recherche de sens délibérée (en
oubliant un peu la contrainte initiale) : il écrit par exemple grands livres parce qu’il s’intéresse aux livres d’art qu’il emprunte régulièrement. Il sait retrouver printemps, rose et reine dans son carnet, ce qui traduit un gain d’autonomie appréciable depuis quelques mois.
S., quant à elle, maîtrise bien l’écriture
cursive en situation de copie : ici, le fait qu’elle doive en même temps
rechercher sur d’autres supports altère sa concentration sur l’acte
graphique proprement dit. Toujours à proximité d’As., elle apprend à
« prendre des risques », à raturer, ce qu’elle n’oserait pas
d’elle-même. Elle choisit été qu’elle sait écrire sans modèle, puis ciel et poèmes qu’elle recherche dans son carnet avec, pour le repérage dans la liste, l’aide ponctuelle de la maîtresse.
Comme Ad., K. a beaucoup progressé en grande
section. Elle était auparavant assez autonome, mais avait tendance à
écrire « au hasard » et « au kilomètre » (l’enseignante évitait des
recadrages trop insistants, dont le seul effet aurait été sans doute de
casser sa dynamique d’écriture). Pas du tout aidée par la maîtresse,
elle fait ici preuve de rigueur dans l’enchaînement des jours et des
idées. Parmi les mots qu’elle sait retrouver ou écrire de mémoire, elle
choisit ceux qui lui semblent convenir dans ce contexte.
Les productions de B. et N. présentent des
caractéristiques semblables : même longueur, même rigueur dans la mise
en page. En situation d’écriture, B. et N. sont toujours relativement
lents : longs à se mettre en activité, ils recherchent ensuite une idée précise, un
mot précis. Contrairement à S. ou Ad., ils ne reprennent jamais l’idée
d’un de leurs pairs, ils sont soucieux de l’originalité de leur texte.
Cela leur est d’autant plus facile qu’ils se repèrent sans difficulté
dans leur carnet et y retrouvent aisément les mots qu’ils cherchent.
Arrivée en septembre, n’ayant jamais écrit et
se sentant un peu « en marge » en début d’année, Ma. a accompli des
progrès spectaculaires : elle écrit maintenant beaucoup, d’une écriture
fine et régulière, et a souci de l’organisation spatiale du texte. Elle
est enfin sûre d’elle : le 13 juin, c’est pratiquement la première fois
qu’elle n’appelle pas la maîtresse (sauf pour identifier le mot
recherché dans la liste). Négligeant la seconde partie de chaque énoncé,
elle parvient jusqu’au dimanche. Elle se repère dans le document de
référence, en éliminant délibérément une ligne sur deux (les lignes 2,
4, 6…) et recopie avec pertinence, en s’arrêtant d’elle-même après les
déterminants, bien que ceux-ci soient variés.
L’écriture cursive de Mu. a beaucoup gagné en
régularité. Sa composition massive (et néanmoins rigoureuse à partir de
la deuxième ligne) ne doit pas masquer le fait qu’il parvient jusqu’à la
4e unité, le jeudi. C’est en toute autonomie qu’il gère son texte, retrouve des mots dans le carnet ; pour l’oubli des mots mer et glace,
la seule intervention de la maîtresse consiste à lui demander, par 2
fois, de relire ce qu’il vient d’écrire – il identifie le problème sans
aide supplémentaire.
L. et As. ont en commun d’avoir « noirci » la
totalité de leur feuille, dans une calligraphie tout à fait
satisfaisante, et en toute autonomie l’une comme l’autre. L. sait ce
qu’elle veut écrire et cherche ensuite les mots dont elle a besoin dans
son carnet (arc-en-ciel) ou dans un livre (marguerite) pour les écrire correctement. Puis elle se saisit d’un Imagier de la terre pour chercher des mots en rapport avec des éléments de paysage dans l’esprit du texte inducteur (étoile, lune).
De son côté, As. se tient tout au long de son texte au choix initial du
domaine animalier. L’une et l’autre prennent également des libertés par
rapport au texte de référence, auquel elles croient pouvoir ne plus se
reporter : L. répète est si l’on devenait ; As. néglige la conjonction et, répète si l’on devenait ou encore reprend la forme ça sairait.
Des compétences de reconnaissance de mots
Nous n’avons pas repris le principe des
« épreuves » passées avec les GS en juin 2006 (qu’on peut retrouver sur
Café sous le titre Bilan d’une grande section en ZEP : juin 2006),
préférant à une évaluation traditionnelle de compétences
décontextualisées une analyse plus fine des comportements réels à
l’égard d’écrits complexes. Pour ce faire, nous avons choisi de
confronter les enfants à des manuels d’enseignement de la lecture au
cours préparatoire… Nous avons retenu Max, Jules et leurs copains (Hachette, 2002) et Grand large (Belin, 2006) :
* pour les quatre enfants les moins avancés, nous avons proposé :
- une comptine numérique illustrée, répartie sur 4 pages - pp. 80 à 83 de Max, Jules… :
1, 2, 3… Savane
1 maman léopard s’avance dans la nuit,
doucement, sans faire de bruit.
2 zèbres ont gardé le pyjama
qu’ils portaient cette nuit-là.
3 éléphants très costauds
boivent de l’eau au marigot.
[…]
doucement, sans faire de bruit.
2 zèbres ont gardé le pyjama
qu’ils portaient cette nuit-là.
3 éléphants très costauds
boivent de l’eau au marigot.
[…]
- et une double page documentaire - pp. 36-37 de Grand large :
Qui sort d’un œuf ?
La mère crocodile pond 30 œufs,
alors que la mère serpent pond 10 œufs.
>L’hippopotame et le singe
sortent du ventre de leur mère.
alors que la mère serpent pond 10 œufs.
>L’hippopotame et le singe
sortent du ventre de leur mère.
De quoi se nourrissent les bébés ?
Le bébé crocodile mange des grenouilles
et le petit serpent gobe des souris.
Le bébé hippopotame boit le lait de sa mère
comme le petit singe.
et le petit serpent gobe des souris.
Le bébé hippopotame boit le lait de sa mère
comme le petit singe.
* pour les autres, nous avons choisi :
- une histoire
répétitive, « Dans la rue » - présentation sous forme d’album, une
couverture et 4 doubles pages, pp.11 à 19 de Grand large :
Lundi, dans la rue,
J’ai vu une sorcière qui vendait des pommes.
Et personne ne m’a crue.
Mardi, dans la rue,
J’ai vu un fantôme qui prenait l’air sur son balcon.
Personne ne m’a crue.
[ ...]
Dimanche, sur la place,
J’ai vu cinq Pères Noël qui jouaient au basket.
Tout le monde m’a crue.
N’importe quoi !
J’ai vu une sorcière qui vendait des pommes.
Et personne ne m’a crue.
Mardi, dans la rue,
J’ai vu un fantôme qui prenait l’air sur son balcon.
Personne ne m’a crue.
[ ...]
Dimanche, sur la place,
J’ai vu cinq Pères Noël qui jouaient au basket.
Tout le monde m’a crue.
N’importe quoi !
- et deux documentaires, « Les animaux sauvages » - pp. 54 à 57 de Max, Jules… (ici les écrits introductifs en caractères gras) :
La girafe
La girafe est le plus grand de tous les animaux.
Elle est aussi haute qu’une maison de deux étages.
Elle est aussi haute qu’une maison de deux étages.
Le lion
Le lion est le roi des animaux.
C’est aussi le seul félin à vivre en bande.
C’est aussi le seul félin à vivre en bande.
J’insiste sur le fait que ces textes sont
inconnus des enfants, et que rien ne leur a été dit pour leur permettre
d’anticiper la forme textuelle, le type de contenu, le sens… des pages
qu’ils découvrent. Compte tenu du caractère inhabituel de la situation
et de la présence de la caméra, nous n’avons pas imposé l’exercice à
chaque enfant pris isolément, nous les avons constitués en binômes en
fonction de leurs compétences. Cette formule permet également
l’observation des interactions d’apprentissage, par exemple la manière
dont l’hésitation de l’un peut remobiliser la concentration de l’autre.
Ce même 13 juin, les binômes se succèdent à
partir de 9h15, au rythme moyen de 10 minutes par binôme. Sur les deux
premiers textes, K. est associée à S., Ma. à Ad. ; sur les autres, N.
est associé à Mu., B. à L. ; la neuvième, As., qui pourrait se
débrouiller seule, est associée à sa copine S. Pour donner une synthèse
rapide, et parce que la nature des documents proposés implique des
postures de lecteur différentes, j’ai retenu une entrée à partir des
textes plutôt qu’à partir des enfants eux-mêmes. Entre crochets [ ] figurent les mots non lus par les enfants et/ou donnés par l’enseignante.
Sur la comptine « 1, 2, 3… Savane »
La connaissance de nombreuses comptines
numériques est un point d’appui indispensable pour les lecteurs les
moins avancés : du fait de leur complexité, les énoncés complets ne
peuvent être attendus. Comme en d’autres circonstances, la maîtresse
rappelle donc aux 4 enfants concernés qu’ils vont lire seulement ce
qu’ils peuvent, qu’ils doivent passer ce qu’ils ne savent pas lire.
C’est déjà une compétence que de ne pas rester bloqué un long moment sur
un mot alors que le contexte immédiatement ultérieur peut en donner le
sens !
K. et S. : K. balaie rapidement,
et avec une certaine aisance, les deux doubles pages pour n’y prélever
que la suite numérique et les noms d’animaux. Au-delà de la
reconnaissance globale de noms d’animaux connus pour la plupart, des
marques de déchiffrement apparaissent : gaazzellles, 6 cro…co …diles … Sur ce texte, S. reste en réserve et ne fait qu’accompagner la lecture de K.
Ma. et Ad. : arrivé à la hauteur de singe,
Ma. prend le temps de lire le mot, alors qu’au vu de l’illustration, la
tentation pourrait être de dire « chimpanzé », terme qui leur est
maintenant familier. Après avoir dit flamant rose, Ad., comme précédemment K., remarque que la couleur n’est pas écrite, et corrige en flamant.
Dans l’ensemble, ce sont K. et Ma. qui sont les plus rapides sur
l’identification des noms d’animaux successifs de la comptine.
Sur les documentaires « Qui sort d’un œuf ? » et « De quoi se nourrissent les bébés ? »
K. et S. : la reconnaissance du type
documentaire animalier (« des textes d’animaux ») ne pose aucun
problème. Ayant toujours l’initiative de la lecture, K. réussit à lire la mère crocodile pond [30] œufs [alors que la mère serpent] pond 10 œufs » ; S. prend alors l’initiative et lit le bébé mange des [grenouilles] et le petit [serpent gobe] des so – des soru…. Puis K. reprend et lit le bébé… hippopotame… [boit le lait] de sa mère. Seule K. est capable de s’appuyer sur de premiers savoirs grapho-phonémiques pour tenter de déchiffrer en contexte.
Ma. et Ad. : Ma. réussit un peu moins que ne l’a fait K. Elle reconnait œufs et la mère ; de son côté, Ad. essaie de déchiffrer pond après avoir anticipé pattes. Ils interagissent mieux sur l’énoncé le bébé [crocodile] mange des [grenouilles] et le petit [serpent gobe] des… des singes ?,
demande Ad. [souris]. Revenant au documentaire « Le lion »
(dans l’autre manuel), ils lisent aussitôt, en un décodage simultané et
enlevé, Le lion. Le lion est le roi des animaux…
Sur le récit répétitif « Dans la rue »
N. et Mu. : Lundi, dans la rue, j’ai vu une sorcière qui vendait des pommes. A deux, ils déchiffrent tout, jusqu’à « personne ». Mu : personne… personne… - N., le reprenant : per… s… on, person !
A mesure des répétitions, etc., la lecture des mots qui se répètent
(« Mercredi, dans la rue… ») devient de plus en plus rapide et aisée.
Sur « en haut d’une maison», Mu : « ça, ça compte pas, le h ! » (une
réflexion a été conduite quelques semaines auparavant, suite à la
confusion des valeurs de h et de ch). La qualité de la compréhension augmente au fil des pages, et à mesure le plaisir de la lecture : un ver de terre… géant ! qui grimpait sur un mur… ouuh ! A
deux, ils parviennent à tout lire, les seuls mots leur résistant étant
quelques verbes (vendait, prenait, grimpait) et quelques noms (monstre,
espion, fauteuil).
B. et L. : les 2 se complètent bien,
repèrent ainsi très rapidement le principe répétitif : elles sont alors
capables d’en tirer parti pour anticiper, « piloter » la construction du
sens, procéder à la reconnaissance des mots.
As. et S. : S. participe beaucoup plus
qu’en binôme avec K., 40 minutes auparavant (ce qui en dit long sur la
relativité d’une évaluation !) : elle profite de brefs silences d’As.
pour glisser, avec pertinence, lundi, différents « petits mots », ou commencer des déchiffrements, celui du mot sorcière
par exemple. As. confirme qu’elle est la lectrice la plus performante
du groupe : elle lit tout, déchiffre des mots complexes comme personne ou monstre sans difficulté. Sur la page du mardi par exemple, le seul mot qui lui résiste est prenait : elle déchiffre pren… et tente promène, tout en marquant une réserve.
Sur les deux documentaires « Le lion » et « La girafe »
N. et Mu. : le second documentaire à peine sous leurs yeux, Mu. commence avec entrain : Oh ! Le lion ! Le lion est le roi des animaux. Puis, tous les deux : C’est aussi le [seul] fe… [félin] à vivre en ba… en ban… de… en bande !. Puis, plutôt Mu., presque sans hésitation : La girafe est le [plus] grand de tous les animaux. Et, plus difficilement : Elle mange… est… aussi… herbe… haute… qu’une maison… de deux é… ta…
[étages] : en fait, à partir de la forme documentaire qui lui est la
plus familière (vient à ce stade la nourriture), Mu. anticipe (d’où mange, herbe) ; il parvient sans aide à invalider son anticipation par le recours au déchiffrage.
B. et L. : L. commence aussitôt Le lion est le roi des animals… des animaux. Puis, en interaction très serrée : C’est aussi le seul [félin] à vivre en [bande]. » L. reprend la main et lit tout : Elle est aussi hau…te qu’une maison de deux é…ta…ges. Et, avec aisance, le surtitre : Les animaux sauvages.
As. et S. : Sur ces deux textes encore, As. lit sans difficulté tous les énoncés mis en relief par la typographie : La girafe est le plus grand de tous les animaux. Elle est aussi haut qu’une maison de… S qui accompagne attentivement la lecture, intervient vivement : deux ! As. : é..ta…ge… étages ! Puis, très rapide devant la seconde double page : Le lion est le roi des animaux. C’est aussi le seul [félin] à vivre en bande. Elle décode également sans hésitation les légendes des photos : La lionne et ses lionceaux et L’heure de la chasse.
On a suffisamment dit qu’en entraînant systématiquement les enfants à l’anticipation, on formait des devineurs,
non des lecteurs. Ce qui me semble ici le plus remarquable, c’est que
tous les enfants entament spontanément un corps à corps avec l’écrit, ne
se découragent pas, hésitent, se reprennent, s’entraident : les moins
avancés « reconnaissent » tout en intégrant à leur stratégie des essais
de déchiffrage, les autres ont déjà recours, dès que nécessaire, au
décodage grapho-phonologique. Ils ne déchiffrent pas pour déchiffrer,
ils s’inscrivent progressivement dans le contexte de ce qu’ils
découvrent et en font la lecture – une lecture de plus en plus
aisée à mesure qu’ils progressent dans le texte : c’est particulièrement
vrai dans l’exemple du récit où, dès qu’ils ont compris le principe
répétitif, ils repèrent vite les formes syntaxiques et lexicales de la
répétition.
Puisqu’il faut bien conclure…
J’ai déjà dit ici (dans l’introduction au
compte-rendu « Un premier trimestre en moyenne section ») en quoi une
des réponses reçues des chercheurs que j’avais interpellés en juin 2006
m’avait paru particulièrement choquante : « On pourrait penser à vous
lire que ces enfants n’ont pas bénéficié d’un enseignement systématique
du déchiffrage. Je pense qu’il n’en est rien […]. » J’ai vu pendant 2
ans des enfants découvrir de multiples albums, se montrer de plus en
plus intéressés, se familiariser avec la production d’écrit en même
temps qu’avec l’écriture, imaginer des comptines collectives, les voir
écrites, passer de l’oral à l’écrit… et de l’écrit à l’oral. J’ai vu des
enfants devenir, très naturellement, sensibles aux composantes
phoniques de l’oral, aux composantes graphiques de l’écrit (et bien souvent s’appuyer sur les secondes pour mieux entendre les premières). J’ai vu des enfants construire leurs compétences dans de véritables dynamiques d’apprentissages, où la qualité des médiations
évitait sans doute de devoir glisser dès l’année suivante sur la pente
souvent fatale de la remédiation. Pourquoi, avant l’effondrement des
ambitions des programmes de 2008, les pratiques de l’école ne sont-elles
pas parvenues à mettre en œuvre de tels dispositifs d’apprentissage ?
D’une manière générale – et, me semble-t-il,
cette chronique sur 2 ans le fait bien apparaître – l’effort de
l’enseignante a porté sur trois vecteurs fondamentaux : il a été d’abord
de toujours proposer des contextes culturels riches, appuyés sur des
objets de savoir très différents, et d’y faire vivre la lecture et
l’écriture non comme des « instruments » mais comme des pratiques culturelles ; il a été aussi de toujours penser l’apprentissage de l’écrit à partir des actes du sujet écrivant ;
il a été enfin de ressourcer constamment les propositions d’écriture
dans de nouveaux albums, et de veiller aux « continuités
problématiques » (qui n’ont rien à voir avec les « continuités
thématiques » ordinaires de l’école maternelle). Grâce à
ce travail et aux observations qu’il m’a permis de conduire, j’ai
renforcé une conviction déjà ancienne : pour les enfants les plus
fragiles, la réussite des apprentissages de la langue écrite se gagne en amont de tout enseignement standardisé, donc à l’école maternelle.
En termes d’apprentissages, la question
fondamentale est celle de la continuité de l’accompagnement de chaque
enfant. Puisque, on le voit bien, rien ne commence au début du CP
(c’était l’objet premier de ma démonstration), l’imposition d’un manuel d’enseignement, accompagné de ses fichiers d’exercices, peut poser problème à chacun :
- à As. justement parce qu’elle sait quasiment tout lire ; c’est en lui donnant des occasions quotidiennes de lire, d’écrire-lire,
en situations authentiques, qu’elle mettra en système par sa propre
activité intellectuelle (c’est le seul sens que je comprenne au mot
« systématiser ») les composantes morphologiques et phonographiques de
la langue écrite - au contraire, le fait d’ignorer ses compétences peut
provoquer au fil des mois un réel découragement ;
- à Ad., pour des
raisons inverses, parce que son entrée dans l’écrit est encore bien
fragile ; le rythme imposé du manuel, associé à l’insignifiance des
exercices proposés, risque de provoquer un décrochage (vous savez : « il
ne suit pas », l’un des verbes les plus criminels de la langue
de l’école) dont la conséquence sera le glissement des activités réelles
d’apprentissage vers les prises en charge à finalité remédiante.
Pour éviter tout cela, on avait me semble-t-il
imaginé en 1989 le cycle des apprentissages fondamentaux, censé
articuler étroitement la grande section et le CP. En confortant la
croyance, déjà bien ancrée chez les traditionalistes, que le CP est le
lieu où commencent enfin les choses sérieuses (donc un lieu de ruptures), quelles difficultés l’idéologie distillée depuis 30 mois programme-t-elle pour beaucoup de ces enfants ?
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Journal d'une grande section en ZEP
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Bilan du journal d'une grande section en ZEP : juin 2006
Une
brochure intitulée Apprendre à lire vient d'être diffusée par le
Ministère de l'Education nationale à toutes les écoles primaires. En
page 10, sous le titre "Un point de vue scientifique sur l'enseignement
de la lecture", elle reproduit les extraits suivants d'une lettre au
Monde de l'éducation de mars 2006.
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mai 2006
Pendant les mois de mai et juin, un dernier projet d'écriture est dédié à l'invention poétique individuelle.
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avril 2006
Les
premiers jours du mois, en même temps qu'ils préparent la venue
d'Edouard Manceau (cf. journal de mars), sont consacrés à l'écriture de
nouvelles comptines, sous une forme répétitive inspirée par celle de Luc
Bérimont, extraite de L'esprit d'enfance
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mars 2006
L'intérêt
de la situation d'écriture inspirée des "Drôles de petites bêtes"
d'Antoon Krings (cf. journal de février) n'étant pas épuisé, les
premières activités de production individuelle de mars la prolongent et
l'amplifient.
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février 2006
Dans
l'académie de Caen, les vacances d'hiver commencent le 17 février, et
les bestiaires doivent parvenir à Paris au début du mois de mars.
Beaucoup de temps est donc consacré à mener à bien le projet, notamment à
réaliser les « portraits » des animaux fantastiques à partir de
techniques variées..
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janvier2006
Voici
deux productions d'enfants de la grande section évoquée dans ma lettre
au Ministre (l'école compte 2 classes de moyenne et grande sections ; la
classe qui me sert d'exemple réunit 7 enfants de moyenne section et 13
enfants de grande section). Ces productions individuelles ont été
obtenues, parmi d'autres évidemment, le 17 janvier. [...]
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JOURNAL D'UNE GRANDE SECTION EN ZEP : Janvier 2006
Voici
deux productions d'enfants de la grande section évoquée dans ma lettre
au Ministre (l'école compte 2 classes de moyenne et grande sections ; la
classe qui me sert d'exemple réunit 7 enfants de moyenne section et 13
enfants de grande section). Ces productions individuelles ont été
obtenues, parmi d'autres évidemment, le 17 janvier.
Ces textes sont bien des productions individuelles réalisées crayon en main,
et non par la médiation de la « dictée à l'adulte ». Ils donnent à lire
(et cela doit sauter aux yeux), en même temps qu'une compétence
créative déjà assurée pour quelques enfants, une véritable jouissance du
pouvoir de l'écriture... et il est vrai que l'on n'obtient pas cette
maîtrise du geste graphique (tous les enfants de cette grande section écrivent maintenant en cursive sans modèle) si l'on n'a pas l'occasion d'écrire beaucoup, et tous les jours.
Le premier texte est celui de S..., originaire de Mayotte. Le voici sous une forme plus conventionnelle.
Le gitapir
Le gitapir vit en Amérique. Il pèse 500 kg. Il mesure 30 m. Il mange des fourmis bleues. La femelle met bas 1000 petits.
Le second texte est celui de H..., l'enfant d'origine syrienne que j'ai évoqué dans le courrier au Ministre.
Le goro
Le goro, il mange des coccinelles. Il vit en France.
Ces
deux productions font apparaître, à deux niveaux d'appropriation
différenciés, des « compétences culturelles » dans le champ zoologique
d'une part (les enfants ont vu, tout au long de leur scolarité
maternelle, beaucoup de documentaires en video), et d'autre part dans le
domaine de la connaissance des textes (des albums documentaires ainsi
que quelques ouvrages encyclopédiques leur sont régulièrement lus et
sont donc devenus familiers).
Les
enfants de cette classe vont participer au concours national «
Bestiaires et maxi-monstres » : il s'agit d'imaginer des « monstres
hybrides combinant les caractéristiques d'au moins trois animaux
existants ».Depuis la rentrée de
janvier, une attention particulière est consacrée à repérer, dans des
fiches documentaires « allégées », les informations essentielles
(inspirées directement de Faune des cinq continents, chez Gründ,
ces fiches seront bientôt intégralement proposées). Une affiche a été
réalisée pour lister, en écriture cursive, les expressions récurrentes :
« il vit, il mange, il pèse, il mesure, la femelle met bas, la femelle
pond »...
Alors que plusieurs des enfants ont encore du mal à se repérer dans ces écrits documentaires complexes, ils réussissent beaucoup mieux, chacun selon son propre cheminement, la production du 17 janvier. Cela est pour moi une preuve de plus que c'est en rencontrant quotidiennement des propositions d'écriture authentiques que tous
les enfants, dans ce corps à corps patient, exigeant, quotidien,
parviendront à s'approprier réellement les composantes complexes de la
langue écrite.
Qu'en
est-il maintenant de la représentation de chacun du code de l'écrit ?
La création d'animaux imaginaires invite à lire des bestiaires
fantastiques, à observer la licorne, le griffon, la chimère...
Collectivement dans un premier temps, on imagine des « animaux-valises
», dont la maîtresse écrit les noms au tableau. Puis, les jours
suivants, les enfants s'y essaient individuellement, en faisant appel
aux animaux et aux mots qui leur plaisent à ce moment : N... [d'origine marocaine] imagine le tapir rose pendant qu'O... [française] imagine le laitcochon, O... [turque] le gidinosaure, Z... [franco-marocaine] le dino, A... [mahoraise] le gidapi...
Gidapi
? Partant de « girafe », A... reprend la fin d'un énoncé qu'elle a
plaisir à écrire fréquemment, le matin au moment de l'accueil, « pomme
de reinette et pomme d'api ». Pour écrire « le goro », H... s'est
débrouillé sans aucun recours à l'écrit et, au moment de la relecture,
il pense qu'il a écrit « le joro »… (graphie vraisemblablement inspirée
par les mots rouge, girafe qui lui sont familiers).
Dans
les jours suivants, confrontés à d'autres situations d'écriture du même
type, les enfants ont plus souvent recours à des comportements
phonographiques pour écrire les mots dont ils ont besoin. Un seul
exemple : S... veut écrire « mouton » et dit qu'elle ne sait plus
comment l'écrire. Tout en continuant à s'occuper d'une table voisine, la
maîtresse suggère : « Eh bien, [mu]... », S... : « un m... » ; la maîtresse répète : « [mu] », S... : « un o et un u ». L'échange se poursuit, exactement sous la même forme, pour la deuxième syllabe.
Je
termine par la reproduction d'une « recherche de caractéristiques des
animaux » due à H..., qui écrit en toute autonomie « il la une p » puis «
une poch » (le e final répond à une intervention de la maîtresse).
Comment
se fait-il qu'on puisse rencontrer en ZEP des enfants aussi nombreux à
un tel niveau de compétences dès le mois de janvier de la grande section
? L'explication en est simple, du moins dans son principe : alors que
d'ordinaire on traque en ZEP tous les risques potentiels de difficultés
de façon à prévenir l'échec annoncé, et que l'on consacre de ce fait, et de plus en plus tôt, l'essentiel de son énergie à des remédiations, les enfants de cette classe ont, depuis la petite section, été considérés comme courant le risque de la réussite,
à condition que l'on se donne les moyens de déployer pour eux, de façon
très volontariste, les environnements les plus porteurs en même temps
que les plus exigeants au plan de la culture générale d'une part, de la
culture des textes et de la langue d'autre part. En bref, que l'on
procède quotidiennement à des médiations culturelles, ce qui est, je le répète, tout simplement conforme aux programmes.
Bernard Devanne,
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
A voir également :
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Février 2006
Mars 2006
Avril 2006
Mai 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
A voir également :
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Février 2006
Mars 2006
Avril 2006
Mai 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
JOURNAL D'UNE GRANDE SECTION EN ZEP : Février 2006
Dans
l'académie de Caen, les vacances d'hiver commencent le 17 février, et
les bestiaires doivent parvenir à Paris au début du mois de mars.
Beaucoup de temps est donc consacré à mener à bien le projet, notamment à
réaliser les « portraits » des animaux fantastiques à partir de
techniques variées : collage de matières, inclusion de fragments de
photocopies, dessins et recharges au pastel ou à l'encre, recherche de
fonds, etc. Je ne présente pas ces aspects du travail de février, qui
n'ont pas un rapport direct avec l'objet de ce journal.
J'en
reviens donc à l'élaboration des textes. Après avoir écrit, lors d'une
première séance, « Le goro. Le goro, il mange des coccinelles. Il vit en
France. », H... poursuit son documentaire imaginaire au fil des jours
(ci-dessous, à gauche). Le texte définitif est obtenu après un travail
de réorganisation des informations conduit par petits groupes ; il
figure dans l'album tel qu'il est reproduit ci-dessous, à droite (le nom
de l'animal, maintenant orthographié joro, transcrit la « forme phonique » voulue par H...).
Tous
les textes des enfants de grande section sont présentés de la même
façon, dans la version manuscrite de leur auteur. Sur l'exemple de H...,
on voit à quel point la contrainte de l'écriture d'un texte long dans
l'espace somme toute resserré d'un format A4 conduit le scripteur à
réduire la dimension des lettres, à les tracer de façon plus homogène, à
« écrire droit », à ménager des espaces réguliers entre les lignes -
bref, à manifester de réels progrès dans la maîtrise de l'écriture
cursive.
La semaine précédant les vacances, les textes du bestiaire étant achevés, deux nouvelles situations d'écriture sont proposées :
- - une première, le mardi 14, à partir de certains titres des albums d'Edouard Manceau, auteur qui viendra dans l'école lors du salon du livre d'avril : Toc la poule, Badaboum le lion, Tic-Tic la girafe, Chtok-Chtok le chameau. C'est l'occasion d'un jeu sur les relations phonies-graphies. La production de S... (ci-dessous, à gauche) n'est pas la plus consistante obtenue ce jour ;
- - une seconde, les jeudi 16 et vendredi 17, en prolongement de la précédente, à partir d'une liste des « drôles de petites bêtes » d'Antoon Krings : Adèle la Sauterelle, Barnabé le Scarabée, Carole la Luciole, Frédéric le Moustique, etc. Chacun peut choisir des prénoms sur les listes des enfants des différentes classes de l'école.
S... sait écrire de mémoire cochon, vache et renard
; elle sait lire les noms des autres animaux, qu'elle recherche donc de
façon délibérée dans des documentaires pour pouvoir les « reproduire ».
Elle écrit kiki, bibi, popo, titi, joujou, foufou, tata, baba, tac tac sans aucune aide, donc selon une démarche proprement phono-graphémique. Pendant ce temps (document non reproduit), A... écrit toto le lézard... après avoir écrit cinq lignes au-dessus tautau le cheval : elle avait demandé à la maîtresse « comment j'écris [o] ? » et celle-ci l'avait invitée à se débrouiller toute seule.
Le 16 février, O... propose : Randy-Bruce la puce / Rosalie la pie / Jennifer la vit père / Axel la truite arc-en-ciel / Jo le mancho / Naomie l'agouti. Les réussites de cette production s'expliquent par des conduites de plusieurs sortes :
- - le repérage de l'agouti est le résultat d'une recherche dans une faune d'Amérique du Sud pour trouver une assonance à Naomie, alors que les mots truite arc-en-ciel et pie sont identifiés, sur un index d'encyclopédie, par simple similitude graphique ;
- - l'écriture de vit père suppose une décomposition syllabique mentale, suivie d'une recherche de graphies disponibles (affichées, ou connues) ; à partir d'une analyse syllabique identique, celle de mancho résulte d'une transcription phono-graphémique.
Qu'en est-il des autres,
ceux que je n'ai pas cités jusqu'à présent ? Sur les 13 enfants de
grande section, 2 peuvent être considérés comme étant « en difficulté »,
ou tout au moins sensiblement en retard par rapport aux conduites
d'apprentissages développées par la majorité des autres enfants. C'est
Y... qui a pour l'instant les compétences les plus « fragiles ». Y... a
peu fréquenté la petite section. En moyenne section, une fréquentation
plus régulière n'a pas permis de progrès sensibles, un manque de sommeil
manifeste rendant difficile tout effort de concentration. En grande
section, un changement de cadre de vie permet un « partenariat » avec la
famille : si les progrès en écriture cursive sont sensibles dès le
premier trimestre, les problèmes de compréhension et de mémorisation ne
se résolvent pas aisément.
Y... écrit le 14 février :
Des compétences apparaissent :
- - Y... comprend et mémorise le « sens » de la situation d'écriture, elle se tient à la tâche sans oublier ce qu'elle doit faire, ce qui constitue un acquis récent ;
- - elle écrit « beaucoup » et de façon autonome (dans cette situation, elle ne bénéficie que d'interventions ponctuelles, comme les autres enfants) ;
- - elle utilise spontanément l'écriture cursive, et manifeste sa satisfaction de pouvoir le faire (« moi, j'écris qu'en attaché ») ;
- - elle repère seule les noms d'animaux (dans des mini-documentaires comme Dans la nuit, Sur la banquise...) et pense à donner un « nom propre » à chacun ;
- - elle imagine ces noms en cohérence avec ceux de l'inducteur proposé ;
- - elle recherche Bébécédaire, de Bénédicte Guettier, et y retrouve toute seule le mot tétée qu'elle recopie ;
- - si elle ne réussit pas à contrôler son écrit quand elle trace lollolo, elle y parvient peu après avec titi et toto.
Comme les autres enfants, Y... vit quotidiennement ce corps à corps
avec des situations d'écriture, qui induisent un rapport physique, on
peut dire sensuel, à la langue écrite. Quand on voit comment ces enfants
construisent, chacun selon ses propres cheminements, leur identité de sujet de langage dans ces moments d'écriture répétés, on ne peut ignorer qu'ils occupent déjà le coeur même de leurs apprentissages fondamentaux. Leur engagement, leur jubilation pourraient en faire réfléchir plus d'un sur ce qu'est une situation d'apprentissage.
Pour
terminer, je voudrais faire partager un des « petits bonheurs » de ces
dernières semaines. Une affichette a été apposée sur la porte d'entrée, Les poux sont revenus,
et certains enfants ont demandé qu'on leur lise cet écrit. Plus tard,
dialoguant avec un petit groupe, la maîtresse est amenée à écrire un pou. S... lui dit : « T'as oublié le x ! - Non, là il n'y a qu'un pou... ». S... se met à rire, pensant que la maîtresse se trompe, et s'exclame : « Quand i en a plein, c'est un s, pas un x ! ».
Bernard Devanne,
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
A voir également :
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Janvier 2006
Mars 2006
Avril 2006
Mai 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
A voir également :
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Janvier 2006
Mars 2006
Avril 2006
Mai 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
JOURNAL D'UNE GRANDE SECTION EN ZEP : Mars 2006
L'intérêt de la situation d'écriture inspirée des "Drôles de petites bêtes" d'Antoon Krings (cf. journal de février)
n'étant pas épuisé, les premières activités de production individuelle
de mars la prolongent et l'amplifient : toute situation nouvelle suppose
en effet un temps de familiarisation, et c'est progressivement, au fil
des jours et des reprises, que les enfants les moins avancés peuvent y
réussir. Cela donne aussi l'occasion, dès la rentrée de mars, de
s'entraîner à écrire sur des lignes assez peu espacées.
Malgré
des difficultés certaines dans l'acte d'écrire lui-même, Z. [d'origine
franco-marocaine] réussit des associations proprement phonétiques,
puisqu'il n'y a pas d'identité graphique à la rime entre Asma et chat, Omer et mammifères, Axel et pipistrelle, Lucie et douroucouli. Pipistrelle et douroucouli supposent le feuilletage d'ouvrages encyclopédiques, alors que mammifères est directement repris de la couverture de l'un d'eux.
En
même temps, Edouard Manceau, attendu dans l'école lors du salon du
livre d'avril, est l'objet d'une attention particulière : ses petits
albums de la collection "La petite étincelle" (Frout-Frout le cochon, Tougoudou l'escargot…
et ceux déjà cités) expliquent des transformations animalières dans des
textes extrêmement brefs, dont l'humour naïf les destine surtout aux
petits et moyens. En grande section, ils suggèrent une piste d'écriture à
hauteur des compétences des enfants de la classe. A partir du 20 mars,
chacun imagine ainsi une transformation pour l'animal qu'il a choisi, et
l'événement qui l'a provoquée. Le texte reproduit a été imaginé et
écrit sur deux séances par N. [d'origine marocaine], fillette que l'on
avait peu citée jusqu'à présent ; il témoigne de progrès très
démonstratifs en quelques semaines seulement.
Plus
inattendu, l'énoncé de problème est également l'objet de moments
d'écriture ludiques, au point que certains enfants en écrivent
spontanément pendant le temps de l'accueil (je rappelle que, tous les
matins, sont disposés sur les tables, aux côtés des puzzles, jeux de
memory, points à relier... du papier et des crayons). En écho aux
énoncés humoristiques régulièrement proposés par l'enseignante, les
enfants produisent à leur tour des énoncés, qui répondent maintenant à
la règle d'une " cohérence thématique " : fruits, légumes, fleurs,
instruments de musique, etc.
Le
texte de Z. [d'origine turque] du 24 mars, d'une écriture encore
hésitante, traduit néanmoins, pour elle également, de remarquables
progrès pendant ce second trimestre.
Cette
situation me conduit à poser la question du "vocabulaire" à acquérir à
l'école maternelle. On ne peut pas traiter sur le même plan lavabo, baignoire, gant de toilette et fruits, fleurs, instruments de musique, encore moins mammifère, reptile, insecte. Pour ces trois derniers termes, on a affaire à des constructions notionnelles
(impliquant catégorisations, ébauches d'une classification) qui
prennent corps patiemment dans le contexte des lectures documentaires,
et "les mots pour les dire" ont exactement l'importance de la
connaissance, même parcellaire, qu'ils sous-tendent à un moment donné.
Plus modestement, c'est également le statut de termes génériques comme fruits, fleurs ou instruments de musique.
En tout état de cause, à moyen et long termes, les champs lexicaux les
plus " efficaces " ne sont pas ceux du quotidien, mais ceux des textes
documentaires et des textes narratifs que les élèves doivent savoir lire
et écrire " avant même la fin du cycle 2 ", selon les termes des
programmes.
F.,
l'enfant "déjà lecteur évoqué dans mon courrier au ministre, a été
longuement absent en janvier-février. Il n'a pas pour autant perdu ses
compétences... Un matin au moment de l'accueil, à la mi-mars, il écrit
spontanément le texte suivant sans aucune aide et sans aucun recours à des écrits (l'enseignante a simplement rappelé, à un moment de relecture, la marque du pluriel pour chat et chien).
L'organisation
textuelle que s'" impose " F. est remarquable : prénoms en position de
sujets, animaux en position de compléments d'objet, qu'accompagne la
chaîne numérique, permanence du verbe, et, entre sujets et verbes, la déclinaison des jours de la semaine. De façon spontanée, F. accomplit ce jour la synthèse de plusieurs des situations d'écriture précédemment rencontrées, ce qui induit une construction syntaxique complexe.
En même temps que la construction d'un lexique efficace au sens où je
l'ai défini, la maîtrise d'une syntaxe suffisamment élaborée est une
condition tout aussi indispensable à la capacité de lire des textes
authentiques.
A
ce moment de l'année, il me semble utile de faire un point sur les
progrès que révèlent certaines conduites repérées, dans ces moments
d'écriture, quant au traitement du code alphabétique. De façon assez
sommaire, je distinguerai trois niveaux de compétences.
- "Lorsque Z. décide d'écrire Izaël la coccinelle, elle prend la liste des enfants de petite section, dans laquelle elle sait que figure le prénom... Après avoir cherché, elle désigne Léa et demande "C'est ça, Izaël ?". La rime en [aEl] traduit la compétence phonologique de Z., qu'elle confirme d'ailleurs en toutes situations. En revanche, la représentation du code écrit, bien que fondée sur une prise d'indices réelle, est encore très approximative.
- "Lorsque, à l'occasion de la production "E. Manceau", et après avoir écrit Et puis un jour, A. demande à la maîtresse "Comment ça s'écrit «il y a eu de la pluie» ?", celle-ci répond " Tu peux écrire il, après je viens... ". Mais elle ne vient pas vite... Lorsqu'elle arrive, A. a écrit il a udelapli.
- "Lorsque F. écrit spontanément le texte reproduit ci-dessus (doc.4), il sait parfaitement lire les séries lexicales des jours de la semaine, des nombres, des animaux "familiers" qu'il utilise. S'il les écrit sans modèle, et sans approximation graphique, c'est qu'il en a mémorisé précisément les composantes orthographiques et leur organisation, qu'il y accède par "voie directe".
Une dernière remarque, relative au problème redoutable qu'un "tout combinatoire" pourrait poser plus particulièrement à ces enfants d'origine étrangère. Lorsque, dans un moment d'écriture libre, L. écrit bobo puis ronard,
elle pense avoir écrit bonbon et, bien sûr, renard.
L. parle en nasalisant, ce qui "opacifie" la distinction de phonèmes
d'articulation voisine. Et si la langue maternelle de ces enfants est
quelquefois le français, ce n'est pas le français prononcé comme langue maternelle, mais comme langue seconde.
Il suffit de fréquenter une classe comme celle-ci pour se rendre compte
que les classiques oppositions "sourdes/sonores" ([p/b], [t/d], [k/g],
etc.), qui font la base de bien des leçons des manuels de lecture,
placeront ces élèves dans une situation phonologique inextricable (et ce
n'est qu'un exemple). Et je suis profondément désolé de ne voir jamais
cet argument majeur utilisé pour contester, de manière radicale, la pertinence de la "méthode phonétique-synthétique".
Bernard Devanne,
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
A voir également :
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Janvier 2006
Février 2006
Avril 2006
Mai 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
A voir également :
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Janvier 2006
Février 2006
Avril 2006
Mai 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
JOURNAL D'UNE GRANDE SECTION EN ZEP : Avril 2006
Dans l'académie de Caen, les vacances de
printemps commencent le 21 avril. Les premiers jours du mois, en même
temps qu'ils préparent la venue d'Edouard Manceau (cf. journal de mars),
sont consacrés à l'écriture de nouvelles comptines, sous une forme
répétitive inspirée par celle de Luc Bérimont, extraite de L'esprit d'enfance : "Je donne pour Paris / Un peu de tabac gris // Je donne pour Bruxelles / Un morceau de ficelle […]". Avec Mayotte et galette, A. choisit deux mots présentant une simple similitude graphique, alors que N. (évoquée le mois dernier) réussit bien, comme nous en avons donné précédemment d'autres exemples pour d'autres enfants, de véritables rimes phoniques : Afrique/Frédéric, Asie/souris,
en se donnant de surcroît la contrainte de la série des continents
(seule une partie des comptines écrites par A. et N. est reproduite).
Le plaisir est grand également de voir Y. (dont nous avions décrit les difficultés au mois de février)
parvenir à écrire, de façon relativement autonome, "Je donne pour
Mayotte / une culotte // Je donne pour l'océan / une dent // Je donne
pour Lyon / Manon" (le texte est ici reproduit intégralement). Au moment
de la mise en commun des productions, des comparaisons entre Mayotte, galette, culotte - par exemple - invitent à un questionnement sur le rôle de la voyelle dans la composition de la rime.
Une
autre activité d'écriture, proposée sur plusieurs séances à partir du
10 avril, va me permettre de faire apparaître les progrès de Si., enfant
mahorais que je n'ai jamais encore évoqué. Ses difficultés du début de
l'année n'étaient pas identiques à celles de Y. : il se repérait mieux
dans les écrits et, de façon plus générale, entrait plus facilement en
activité et s'y tenait. Il était cependant incapable de passer de
l'écriture en "majuscules bâtons" à l'écriture cursive. Jusqu'à Noël,
ses tentatives, sans doute trop contraignantes pour lui, se terminaient
souvent par des gribouillages… ou pour le moins ne donnaient rien de
lisible.
En janvier, à l'occasion des recherches sur les documentaires animaliers (cf. journal de janvier),
il trace avec encore bien des difficultés, mais maintenant de façon
lisible : "elle vit mange". En février, dans une situation de lecture
relativement complexe (il s'agit, à partir de 4 reproductions d'animaux
légendées - un koala, une mouche, un canari, une araignée - et d'une
liste des nombres écrits à la fois en chiffres et en lettres, de
renseigner le tableau proposé), il résout sans difficulté le problème
cognitif posé, mais 2 des 4 réponses attendues sont encore plus ou moins
illisibles.
Ce
qu'il écrit en avril peut donc d'autant plus donner satisfaction.
L'activité proposée consiste à inventer des devinettes : les enfants
doivent, individuellement, repérer quelques caractéristiques d'animaux
qu'ils choisissent (parmi ceux que tout le monde connaît) et les écrire ;
à la séance suivante, les feuilles circulent et chacun doit bien
entendu répondre aux devinettes qu'il reçoit. Les écrits les moins
lisibles peuvent entre temps être passés au traitement de texte. Or,
dans cette situation, Si. réussit ce qui pour lui était encore
impossible quelques semaines auparavant : ses devinettes sont
calligraphiées de telle manière qu'elles peuvent circuler dans la classe
sans aucun problème. Les trois exemples donnés, comparables à d'autres
productions de la classe, en montrent l'intérêt et la diversité.
Voici
encore l'exemple d'un moment d'écriture caractéristique, souvent répété
- ici celui du 20 avril. Après avoir vu un documentaire sur le zoo de
Doué-La-Fontaine, chaque enfant va écrire au tableau le nom d'un des
animaux... Certains reprennent des noms déjà bien connus (zèbre, girafe,
tigre), d'autres sont volontaires pour écrire des noms inconnus : S.
écrit alpaga, F. tamarin ; dans ces deux cas, le codage
phono-graphémique "littéral" réussi par S. et F. correspond à la forme
orthographique. Puis l'enseignante demande : "Et perroquet gris ?". Certains proposent pai, d'autres pé... La maîtresse rétablit perr. Puis après le o, les graphies proposées sont successivement k, q, et qu. Pour [e], la maîtresse indique : "Ce n'est pas é, c'est comme dans toi et moi", ce qui induit deux propositions, et puis est.
Quels
rôles la production très régulière d'écrits joue-t-elle dans cette
classe depuis le début de la grande section… ici en continuité avec les
moments d'écriture crayon en main mis en place dès la moyenne section ?
- En produisant des écrits (presque) tous les jours de classe, ces enfants développent, en premier lieu, une maîtrise graphique qu'il importe de travailler le plus tôt possible, notamment pour ce qui est des enchaînements graphiques complexes et de la rapidité du tracé.
- Cette compétence a pour conséquence une assurance croissante à l'égard de la "chose écrite", ce qui fait de la page blanche un territoire d'expériences dès le moment de l'accueil (nous l'avons souligné précédemment), alors qu'à l'école élémentaire, elle devient vite "lieu de l'angoisse", si la production d'écrit n'a pas été apprivoisée de bonne heure.
- Parce qu'elles s'inscrivent dans des contextes spécifiques et diversifiés, ces activités d'écriture impliquent des recherches différenciées dans les écrits affichés, les ouvrages de l'espace-livres, les documents reproduits... donc la structuration progressive de stratégies de recherche propres à chacun.
- Enfin, dans l'acte même de production de la trace écrite, l'enfant "scrute" les identités des mots : il découvre peu à peu la régularité de certaines correspondances phonèmes-graphèmes, ce qui induit des tentatives d'encodage de plus en plus fréquentes (nous en avons donné divers exemples depuis janvier).
Ces
compétences se confortent mutuellement et, pour des enfants comme F. ou
S., rendent dès maintenant possible l'automatisation de la
reconnaissance de mots en nombre croissant : ainsi se développe un savoir lire<>écrire
que des évaluations individuelles, inspirées d'exercices d'évaluation
habituels au CP, mettront en évidence en fin d'année scolaire.
Bernard Devanne,
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
A voir également :
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Janvier 2006
Février 2006
Mars 2006
Mai 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Janvier 2006
Février 2006
Mars 2006
Mai 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
JOURNAL D'UNE GRANDE SECTION EN ZEP : mai 2006
Les
enfants de cette grande section ont, tout au long de l'année, entendu
des poèmes de plus en plus éloignés des comptines lues depuis la petite
section, de façon qu'ils se construisent un double ensemble de
références : au côté du plaisir plus immédiat des mots, des jeux avec
les sonorités et les rythmes, l'inscription progressive dans l'univers
des images poétiques, dans le " travail " de l'imaginaire poétique.
Pendant
les mois de mai et juin, un dernier projet d'écriture est dédié à
l'invention poétique individuelle. Dès la rentrée de mai, les lectures
magistrales se concentrent sur les formes brèves et imagées, en donnant
une place importante aux haïkus (voir par exemple Mon carnet de haïkus - 200 haïkus pour les moments de tous les jours,
d'Anne Tardy) ; à partir de la mi-mai, les enfants commencent à écrire
ce que leur inspirent des reproductions de tableaux, notamment
impressionnistes. La maîtresse choisit ceux-ci en tenant également
compte des titres, qui peuvent être à la fois source d'inspiration et
aide à l'écriture : à titre d'exemples, Falaise au bord de la mer de Caillebotte, Paysage de la Martinique de Gauguin, Les coquelicots à Argenteuil de Monet, ou encore Au bord du lac,
de Berthe Morisot... Pour Z. comme pour les autres enfants, l'écrit
spontané (à gauche) est "réfléchi" par la relecture de textes poétiques
et le dialogue avec les pairs : la "pensée poétique" commence à prendre
corps, on évoque l'importance des saisons, d'où cette réécriture de Z. :
DOC 1 | DOC 2 |
Les
écrits poétiques obtenus sont très divers, comme en témoignent les deux
autres exemples ci-dessous, dus à H. et S.. Une analyse réflexive se
dessine, sous une forme typique des enfants de cet âge : à la lecture de
nouveaux haïkus, N. s'exclame "Il fait comme nous !" Ces écrits très
brefs sont autant d'occasions de s'entraîner à l'écriture cursive avec
la contrainte du papier ligné. Par la suite, ces textes seront
calligraphiés, mis en espace, sur un beau papier non ligné. A la fin de
l'année scolaire, chaque enfant devrait repartir avec le livret
individuel qui en résultera (un texte par page, format ½ A4) et le
recueil dactylographié de l'ensemble des productions de la grande
section.
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DOC 4 |
Il
me semble important de souligner que la variété des situations
d'écriture évoquées depuis le début de ce journal (bestiaire d'animaux
fantastiques, inventaires de "drôles de petites bêtes", composition
narrative, énoncés de problème, comptines, devinettes) a toujours
répondu à un double souci : d'une part, conduire les enfants à
rencontrer en actes de production crayon en main les types
d'écrits et de textes proposés en lectures magistrales régulières dans
l'espace-livres (à l'exception des contes évidemment, et d'autres textes
complexes) ; d'autre part, leur permettre de s'impliquer dans des
formes contrastées, chacune créant un "appel d'écriture" plus ou moins
fort selon les personnalités, ce que manifestent clairement les prises
d'initiative d'écriture lors des moments autonomes de l'accueil, qui se
doublent de réelles prises d'assurance. Parce qu'elles sont
profondément "identitaires", ces conduites individuelles sont marquées
par d'autres initiatives, à caractère plus ludique, qu'il est
fondamental d'accepter : ainsi F. signe maintenant ses travaux super F., puis super F. batman jacques... S. commence à l'imiter, et voir leur plaisir est un vrai plaisir.
Les
situations de lecture - à proprement parler - progressent parallèlement
: titres de nouveaux albums ou de recueils de poèmes, textes
répétitifs, comptines, écrits des pairs... En cette fin du mois de mai,
la préparation pour juin d'une journée au bord de la mer, et plus
spécifiquement celle de la visite de la " Maison de la mer " à
Courseulles, est l'occasion de découvrir de nouveaux documentaires sur
la faune marine acquis pour l'occasion (notamment Les poissons des côtes de France,
éd. Ouest-France) et d'accéder à une foule d'informations sans
lesquelles cette visite serait moins fructueuse : sur l'hippocampe, le
syngnathe (ou grande aiguille de mer), la raie, le requin, la murène, la
rascasse, etc. Dans le prolongement des travaux conduits notamment en
janvier (cf. journal de janvier), la comparaison de ces nouvelles
notices, entre elles et avec les précédentes, conduit les enfants à
s'approprier des formes plus élaborées de l'organisation d'un
documentaire et à rencontrer une autre terminologie.
Une
situation de lecture-écriture pensée pour être "problématique" m'a
permis, le 19 mai, de faire une analyse précise des comportements des
enfants dans les phases successives de l'activité. Comme, dans les
moments d'accueil, certains d'entre eux dressent régulièrement des
listes (prénoms, objets, couleurs...), l'idée était de finaliser cette
habitude. Le petit Poucet vient d'être lu, relu, ainsi que Jacques et le haricot magique. La maîtresse s'appuie sur un texte de Régine Detambel extrait de Le Mémo des gens merveilleux
(dans une version simplifiée). On note qu'aucun indice externe ne
permet d'en anticiper la fonction ou le sens, et qu'il faut donc le décoder littéralement.
LE PETIT POUCET Liste des choses à mettre dans mes poches pour ne pas me perdre dans la forêt |
des cailloux de couleurs vives un sac de miettes de pain une boîte de craies pour tracer des flèches sur les pierres une boîte de mouchoirs rouges (à accrocher aux branches) de la peinture fluo |
Ce
document est d'abord proposé à la lecture individuelle. Côte à côte et
s'épaulant mutuellement, F. et S. décodent à mi-voix l'intégralité de
l'écrit (d'autres y parviennent partiellement) : la longue et complexe
phrase nominale servant de sous-titre, délibérement conservée, ne leur
résiste pas plus qu'un autre énoncé. Après relecture magistrale, les
enfants commentent collectivement la fonction du message et interprètent
chacune des lignes de la liste. Puis, sur une autre feuille, ils
découvrent, à nouveau en lecture individuelle, l'énoncé suivant imaginé
de toutes pièces :
JACQUES Liste des choses à ne pas mettre dans mes poches pour pouvoir grimper au haricot magique |
Dans cette situation, Ö. se prend au jeu et remplit deux pleines pages, certes dans une ample calligraphie : un
éléphant, un manège, un gratte-ciel, un toit, une ferme, un moulin, un
chalet, un lit bleu, une commode, une ambulance, une locomotive, un
hélicoptère, un paquebot, une église, une usine, une ancre, un phare, un
sous-marin, un château-fort, un carrosse, un bâtiment, une maison.
Après avoir écrit le premier substantif, Ö., qui a parfaitement compris
le "sens" de cette liste, cherche dans un gros imagier les pages
consacrées aux bâtiments, aux meubles, aux moyens de transports, et
prend un plaisir manifeste à choisir les objets les plus impossibles à
glisser dans les poches - c'est la première fois qu'il parvient à gérer
une situation d'écriture en totale autonomie, la pratique de la langue
française ayant constitué pour lui jusqu'à une période récente un
obstacle majeur.
La liste proposée par H. mérite la reproduction intégrale dans sa version originale.
DOC 5 |
Voici
une occasion de comparer plus précisément les représentations de la
langue écrite que chacun des enfants a élaborées à quelques semaines de
la fin de la grande section :
- - H. a besoin de réaliser un " encodage strict ", notamment pour les mots qui lui sont peu familiers, ce qui doit lui donner l'assurance qu'il écrit bien ce qu'il veut écrire - à tel point que lorsqu'il recopie il était, il ne voit pas la nécessité de placer le t final ; sa prononciation peu aisée de la langue française (il ne vit en France que depuis début 2005) le conduit, par exemple, à écrire daragon... ce qui pour lui a plus de sens que de rechercher et recopier " dragon " ;
- - F. est attentif, de façon continue, à la composante orthographique de la langue écrite, il ne se laisse jamais tenter par écrire " ce qu'il entend " : s'il ne sait pas orthographier des mots (mais il en connaît beaucoup), il se réfère aux affichages, aux livres, etc.;
- - des enfants comme S., A. ou N. conjuguent les deux conduites : conscientes de la dimension orthographique de l'écrit, elles se posent régulièrement la question des lettres finales, mais peuvent aussitôt après coder de façon phonographique - dans cette situation, S. écrit par exemple un âne oh galo ;
- - d'autres encore, notamment les enfants qui sont arrivés depuis peu et/ou n'ont que peu fréquenté l'école maternelle, ne dépassent guère la vision syncrétique des termes qu'ils recopient ; ils deviennent néanmoins progressivement capables de les retrouver seuls et, en certaines circonstances, commencent à établir des comparaisons graphémiques qui induisent des questionnements grapho-phonémiques.
Il me semble que ces observations montrent de façon peu contestable qu'il
n'y a pas une seule voie pour accéder à la conscience phonographique et
à la conscience orthographique, de même qu'il ne peut y avoir un unique
rythme d'apprentissage pour tous les enfants d'une classe. Imposer à
F., à S., à N., à H., à A. et aux autres le b-a ba au début du CP,
c'est vouloir ignorer que ces enfants sont déjà très avancés dans leurs
apprentissages fondamentaux de la langue écrite (et que rien ne commencera
pour eux au 1er septembre du CP), c'est refuser de comprendre que ces
compétences remarquables ont été gagnées par l'écriture individuelle en
situation d'activités finalisées (et non par l'alphabétisation
collective et la répétition mécanique (in-signifiante) d'exercices in-signifiants
pour les enfants), c'est faire comme si tous allaient apprendre au même
rythme et selon les mêmes cheminements cognitifs... Toutes choses
évidemment inacceptables, sur lesquelles je demanderai au Ministre de se
prononcer (c'était ma conclusion du courrier au Ministre de janvier)
ainsi qu'aux chercheurs qui lui fournissent sa caution scientifique, à
partir d'évaluations individuelles conduites en juin sur la base
d'exercices caractéristiques des manuels d'enseignement de la lecture au
CP.
Bernard Devanne,
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie
A voir également :
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Janvier 2006
Février 2006
Mars 2006
Avril 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
- Le "Journal d'une grande section en ZEP" a commencé en janvier :
Janvier 2006
Février 2006
Mars 2006
Avril 2006
- Une tribune de B. Devanne :
"Il ne sait pas lire i2l"
- Une tribune de B. Devanne :
"A propos de la brochure Apprendre à lire"
- 2007 - Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section
Lire et écrire en moyenne section 2006-2007
|
Le deuxième trimestre 2006-2007
Dans
l’académie de Caen, ce deuxième trimestre est relativement court : 5
semaines du 8 janvier au 9 février, 5 semaines à nouveau du 26 février
au 30 mars.
C’est pourquoi je ne distinguerai pas ces deux périodes : les progrès
des enfants, sensibles pour la plupart d’entre eux, ne sont lisibles
qu’à l’échelle du trimestre (certains enfants de grande section, au
contraire, franchissent sur de brèves périodes des caps importants dans
la maîtrise du lire-écrire).
| ||
Le troisième trimestre 2006-2007
Ce
troisième trimestre est rarement celui d'une transformation profonde
des attitudes ou des résultats scolaires. Les enfants de moyenne section
en donnent une nouvelle illustration : ceux qui ont précédemment
beaucoup progressé confirment leurs progrès, d'autres avancent plus
lentement... Après l'évocation des activités du trimestre et le bilan de
fin d'année, la parution de cette chronique en ces jours de rentrée est
l'occasion de préciser le projet pédagogique « langue écrite » qui va
être mis en oeuvre avec ces enfants, maintenant en grande section.
| ||
1er trimestre 2006-2007
il
m'a semblé important de saisir la nouvelle opportunité qui m'était
offerte d'accompagner, cette fois-ci, un groupe d'enfants du début de la
moyenne section jusqu'à la fin de la grande section, en juin 2008. Les
interrogations de nombreux lecteurs devant les productions écrites
reproduites dans le "Journal d'une grande section en ZEP", comme devant
les compétences évaluées au mois de juin dernier, devraient ainsi
trouver quelques éléments de réponse...
|
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