Brighelli - Profs agressés : "L'Éducation fait le choix des bourreaux"
Face aux violences contre les enseignants, Najat Vallaud-Belkacem a tardé à répondre. Interview de Fatiha Boudjahlat, secrétaire nationale du MRC à l'Éducation.
Publié le | Le Point.fr
Fatiha Boudjahlat, secrétaire nationale du MRC à l'Éducation, a bien voulu répondre à quelques questions d'actualité. Sans langue de bois.
Jean-Paul Brighelli : Les vacances seules ont mis fin aux agressions d'enseignants, que j'évoquais ici même la semaine dernière . Quel est votre diagnostic, après ces violences qui ont un caractère étrangement systématique ?
Fatiha Boudjahlat : Le télescopage est terrible. Najat Vallaud-Belkacem a communiqué sur un plan de lutte contre l'« absentéisme » (sic) des enseignants la semaine durant laquelle des violences envers le personnel d'éducation se sont multipliées. Sans réaction notable de sa part. Il n'y a pas là un simple hasard de calendrier, une maladresse d'une ministre qui a déjà la tête ailleurs, du côté de Villeurbanne où elle compte se présenter aux législatives devant un électorat largement communautariste. Il y a un vrai aveuglement de nature idéologique. Un parti-pris pour les bourreaux.
Le ministère, les pédagogistes qui le soutiennent, les sociologues qui l'inspirent, le personnel administratif (souvent les conseillers principaux d'éducation) font le choix des bourreaux. Ils les protègent, ils les maintiennent sur les lieux du crime. Parce que pour eux, l'école n'a pas à remplir son rôle de transmission de connaissances, rôle qui indiffère les pédagogistes et le ministère. Florence Robine, directrice de la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), déclarait il y a peu que les enfants disposant de Google en savaient déjà bien plus que leurs enseignants, et que l'informatique résoudrait bientôt tous les problèmes : elle résoudra certainement ceux des fournisseurs de matériel !
Avec ces élèves dysfonctionnels, les pédagogistes retrouvent le caractère sacré, humanitaire de leurs missions : civiliser les (bons) sauvages. Ils se nourrissent de misérabilisme. Et dans l'Éducation prioritaire, ces « sauvages » le sont à cause de la méchante société, bien sûr. L'explication psychologisante se double d'une part sociologique. C'est à cette conjonction d'idéologues et de voyous que l'école doit son empathie, sa patience. Issus de milieux défavorisés, les agresseurs offrent aux pédagogistes l'occasion de faire de l'humanitaire. Les objectifs scolaires sont évacués au profit de la mission humanitaire : c'est la socialisation, naguère dévolue aux familles, qui devient la mission première de l'école, ce que montrent les compétences à valider dans le cadre de la réforme du collège. Les autres enfants, souvent leurs victimes, n'ont qu'à changer d'établissement. Le croira-t-on ? Dans la majorité des cas de harcèlement et de violences, c'est à la victime qu'il est fortement conseillé de changer d'établissement.
Le ministère, par idéologie, fait le choix des bourreaux, qui ne peuvent être issus que de classes sociales défavorisées. On culpabilise même les familles qui « profitent » du public gratuit alors qu'elles ont les moyens d'aller dans le privé. Il y a convergence entre le pédagogisme libertaire d'extrême gauche et la volonté libérale de réduire les coûts du ministère. Le modèle en vue est celui des États-Unis: un système public atrophié destiné à des populations captives non mobiles, les plus difficiles et les plus en difficulté. Et un privé florissant - et payant.
Vous avez la dent dure. Les idéologies pédagogiques en cours depuis trois décennies seraient, selon vous, responsables des violences actuelles ?
Face aux violences physiques terribles qui se sont multipliées récemment, quelle est la réponse des pédagogistes baignés dans leur idéologie méprisante, compassionnelle et misérabiliste ? L'inversion du rôle de la victime et de l'agresseur. Dans leurs récentes tribunes, Éric Debarbieux (qui publie opportunément L'école face à la violence : décrire, expliquer, agir chez Armand Colin), Laurence de Cock, l'inspiratrice déçue des programmes d'Histoire, et Grégory Chambat, qui voudrait clouer au pilori les « réac-publicains », comme il dit, rendent l'école – et ceux qui la défendent vraiment – responsable des violences qui s'y déroulent : c'est le cadre qui est stigmatisant, et la réponse physique violente s'en trouve légitimée. Action-réaction.
Le désir de travailler sans que son intégrité physique ne soit menacée, la volonté de sanction contre ces agresseurs, participent selon eux d'« une croisade pour le retour de l'ordre moral et national », qui n'est qu'« un nouvel épisode de la guerre intellectuelle contre les pauvres ». La réponse aux violences scolaires selon eux ne peut être que pédagogique. Un enfant qui frappe un enseignant, jette un cocktail Molotov dans une cour, fracture une mâchoire, insulte, harcèle un camarade, est un enfant qui s'ennuie en classe, victime de la société mais aussi de cette « machine scolaire ségrégative, inégalitaire et autoritaire ». Il n'y a pas d'élève difficile, il n'y a que des élèves en difficulté. Et des profs qui s'y prennent mal, sans doute.
Et si vous aviez à analyser exactement ce que vous appelez l'idéologie « pédagogiste » ? Que la transmission des savoirs ne soit plus à l'ordre du jour, certes. Mais encore ?
Outre l'aveuglement idéologique de bourgeois s'encanaillant à approcher la misère, de pédagogistes considérant que le savoir est en soi stigmatisant, alors qu'eux-mêmes le possèdent, il y a surtout une méconnaissance sur le nécessaire caractère éducatif de l'école. Les normes, les limites aident l'enfant à se structurer. Il ne s'agit pas d'une violence sociale. Il s'agit au contraire de transmettre les codes nécessaires pour s'émanciper.
D'ailleurs, le récent rapport scientifique du Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) dénonçant cette école qui amplifie les inégalités sociales établit entre autres qu'en zone prioritaire, le temps d'apprentissage est réduit. La gestion de l'indiscipline fait perdre aux élèves l'équivalent de 7 semaines et demie d'enseignement. Parce qu'il faut garder ces deux-trois élèves perturbateurs en classe, au collège. Quitte à nuire à tous les autres. Or, ce sont essentiellement ces enfants des zones rurales et urbaines défavorisées qui ont besoin de cet enseignement dont ils ne trouveront pas l'équivalent à la maison. Alors que l'attention des misérabilistes se focalise sur les plus perturbateurs, ce sont les autres élèves qui souffrent le plus de ce climat : le rapport du Cnesco établit qu'un tiers d'entre eux disent se sentir en insécurité. Et ce climat détérioré nuit à leurs apprentissages.
Mais François Dubet et Marie Duru-Bellat, dans Dix propositions pour changer l'école (Seuil, 2015), un livre salué par le noyau dur du pédagogisme, ou plus récemment encore Agnès Van Zanten (directrice de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po, NDLR), bref, la fine fleur de cette sociologie de la misère qui marque aujourd'hui la misère de la sociologie, préfèrent remettre en cause la proportion de femmes dans l'enseignement plutôt que de restaurer le pouvoir de sanctionner ! Lecture misérabiliste de ce sociologue indigéniste et hostile à la laïcité : les garçons d'un certain milieu populaire toléreraient mal l'autorité féminine. Moins de femmes professeurs des écoles, plus d'hommes, moins d'incivilités. Vision d'une grande complexité sociologique en effet.
Condorcet ne pensait-il pas que l'école doit instruire, et que c'est aux familles d'éduquer ? Que s'est-il passé pour que l'école se retrouve en première ligne dans le champ éducatif ?
Nous avons affaire aujourd'hui à des parents qui sont les amis de leurs enfants. Qui confondent prodigalité, consumérisme et éducation parentale. Les enfants sont enfermés dans un conflit de loyautés entre les exigences, de moins en moins nombreuses, de l'école et l'anomie familiale. La réponse la plus simple ? Taper sur les profs. Au sens propre pour certains enfants, au sens figuré pour les pédagogistes et le ministère – mais aussi pour certains candidats à la présidentielle. Ayant renoncé à tout, à la résorption des inégalités sociales et scolaires, à combiner ambition et massification scolaire, la seule variable sur laquelle ils ont encore pouvoir, c'est le nombre, le temps et les modalités de travail des enseignants.
On somme ces enseignants, face à un effectif de 28 à 30 élèves, de s'adapter à chacun. Plutôt que de consacrer des moyens réels à corriger les difficultés scolaires, et la sanction et l'exclusion figurent au nombre de ces moyens, les enseignants sont noyés sous les injonctions de bienveillance. Des élèves de 6e qui écrivent phonétiquement ? Bienveillance des évaluations, les professeurs devant s'attacher à l'idée que l'élève a voulu communiquer. Les PAI (Projets d'accueil individualisés) étaient auparavant gérés par les médecins scolaires. Il n'y en avait plus assez, le ministère a chargé les enseignants de les établir. Les Projets personnalisés de réussite éducative ne reviennent en fait qu'à augmenter la police de caractère, si je puis dire, réduire les exigences, se montrer bienveillants, et finalement renoncer à toutes les exigences. Ces PAI et PPRE concernaient deux ou trois enfants par classe il y a quelques années. Les parents exigent maintenant leur multiplication, pour que la particularité de leurs enfants, ainsi médicalisée, soit normalisée, prise en compte mais aussi engoncée dans une gangue d'immunité. Ne corrigeons pas les difficultés, adaptons-nous, pour près d'une dizaine d'élèves par classe en éducation prioritaire. Les enfants sont valorisés et minéralisés dans leurs difficultés, y compris comportementales. Parce qu'elles sont un symptôme social.
L'éducation prioritaire devrait relever du ministère de la Santé. Parce que les pédagogistes et le ministère attisent l'incendie en faisant mine de l'éteindre. Ce faisant, ils trompent les parents puisque leurs enfants ne seront pas préparés à entrer dans le monde des adultes et le monde du travail. Parce que, interdisant et criminalisant les sanctions, ils entretiennent les enfants dans une impunité dont Montherlant écrivait qu'elle « crée le crime ». L'équivalent existe au ministère de l'Intérieur et de la Justice depuis Christiane Taubira, qui avait déclaré sur Canal+ qu'on ne laissait rien passer aux jeunes dans ce pays, qu'on était trop durs avec eux. Les policiers ne doivent pas intervenir, pour ne pas créer de trouble à l'ordre public plus grand que celui qui nécessitait leur intervention. Ce sentiment de toute-puissance et d'impunité rend l'État faible et sans autorité. On ne peut plus parler de sauvageons, mais de barbares. Créés de toute pièce par la philanthropie misérabiliste des élus, des hauts fonctionnaires et des pédagogistes. Une fausse générosité aux frais de la société et au prix de la réussite du plus grand nombre.
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