17 décembre 2015

Je suis enseignante : les élèves sont intenables, leur niveau est accablant. C'est l'enfer (31.05.2015)

Je suis enseignante : les élèves sont intenables, leur niveau est accablant. C'est l'enfer
Publié le 31-05-2015 à 08h48 - Modifié le 15-02-2016 à 07h31
Par Sophie L.
Enseignante
LE PLUS. Dans l'Éducation nationale, les difficultés ne se concentrent pas que sur le collège. Alors que la réforme de Najat Vallaud-Belkacem a donné lieu à d'âpres débats ces dernières semaines, Sophie L., enseignante dans le primaire depuis septembre, dépeint une situation désastreuse dans les deux écoles où elle travaille. Elle envisage même de changer de métier.
 
Je suis maîtresse d’école pour des CM2 de ZEP et pour des CE2 dans une zone de plus en plus difficile : je vis un enfer depuis le premier jour. Je n’ai pas été suffisamment préparée à ce qui m’attendait. Ma formation était trop théorique et la réalité du terrain est ignorée par les formateurs.  
 
À un mois des grandes vacances, je compte les jours qui m'en séparent, épuisée, et à bout de nerf, d'autant que plus de 50% de mes élèves ne sont pas prêts à passer dans la classe supérieure. C’est un désastre sans hasard.  
 
Un système qui nuit aux enseignants et aux élèves  
 
Enseigner, ce n’était pas la profession dont je rêvais quand j'étais petite. Mais, au détour d'une crise économique peu favorable à l'épanouissement de mon âme d'artiste et de petits jobs dans le secteur de l'enfance, je me suis finalement décidée à devenir maîtresse d'école. 
 
Plus l’idée mûrissait, plus elle me plaisait. J’ai eu le concours, et en septembre 2014, j’étais lâchée sur le terrain sans plus de formalité. Le choc fut total et dix mois plus tard, j'ai encore du mal à m'adapter.    
 
Je comprends mieux ceux qui dénoncent ce système où de jeunes enseignants sans expérience sont balancés, sans avoir reçu avant une formation appropriée, dans des zones difficiles où la discipline est une matière qui s’impose de force au programme. Au-delà de les comprendre, je les rejoins.
 
Je pense que ce système nuit profondément aux enseignants comme aux élèves. Résultat : les jeunes enseignants sont découragés, et les élèves de primaires passent au collège sans avoir le niveau ou la maturité pour le faire. La réforme du collège pourrait se faire dès la primaire, une manière de devancer le problème plutôt que de le régler après coup.  
 
Je ne suis pas considérée comme "la vraie maîtresse"
 
Le lundi, j’ai donc une classe de CM2 dans une école primaire difficile du 94. Comme je ne suis "que" la maîtresse remplaçante, je n’ai, selon eux, aucune légitimité à leur enseigner quoique ce soit. Ils prennent ma journée de cours pour une continuité de leur week-end. Du côté des parents, c’est pareil. Pour eux, je ne suis pas importante puisque je ne suis pas "la vraie maîtresse".  
 
Bien sûr, je me suis tout de suite remise en question. En en parlant avec le directeur de l’école et l'équipe d'enseignants, je me suis rendue compte que le traitement que je recevais était imputé à mon statut.
 
Toutes les autres remplaçantes étaient traitées avec aussi peu de respect que moi, et ça même si elles avaient plus d'expérience que moi. Même si, il est vrai que le fait que j’aurais pu avoir le même âge que les grandes-sœurs des élèves et que je faisais mes débuts dans l’enseignement n’ont rien arrangé.  
 
Le reste de la semaine et à mi-temps, j’ai une classe de CE2 d’une école d'une ville voisine. L’autre moitié du temps, ils ont une seconde maîtresse, qu’ils voient tout autant. Cette position est nettement moins douloureuse à assumer, puisque j’ai exactement le même nombre d’heures avec mes élèves que l’autre enseignante. Ils me prennent donc davantage au sérieux.  
 
"Mon père va venir t’égorger"  
 
Lors du premier lundi, à la rentrée scolaire, j’ai eu le droit à dix minutes d’attention avant que tous les élèves se dissipent. Ma classe de CE2 est surchargée ; 30 élèves c'est beaucoup trop. Au problème du sureffectif d’élèves, se rajoute celui de l’hétérogénéité des connaissances et du savoir. La première chose à faire selon moi pour améliorer ma vie et celle des élèves : faire des groupes de niveau.  
 
Les élèves, les meilleurs comme les moins bons, souffrent tous de cette disparité. Résultat : je suis en retard sur tout le programme et plus de la moitié de mon cours est consacré à la discipline, exercice pour lequel nous ne sommes pas du tout formés ni préparés psychologiquement. Pendant ma formation, on m’a appris à délivrer des cours parfaits, à une classe parfaite qui n’existe pas dans la réalité.
 
Face à un élève qui me dit que "son père va venir m’égorger" lorsque je le punis, je suis complètement démunie. Lorsque j’avais l’âge d’être en primaire, je n’étais pas dans une zone spécialement favorisée ni défavorisée, pourtant, les paroles de la maîtresse étaient toujours bues avec une raisonnable attention par l’ensemble de la classe. Ce n’est pas faux de dire que les temps ont changé à l’école.
 
Les enseignants qui ont plus de 20 ans de métier et avec qui j’en parle aujourd’hui notent aussi une détérioration conséquente du respect et du crédit qui sont accordés à la maîtresse ou au maître. Je savais que ce serait difficile, mais si j’avais eu connaissance de ce qui m’attendait, j’aurais réfléchi à deux fois avant de choisir ce métier.  
 
Tout les amuse et rien n’a d’importance
 
Ce métier est extrêmement fatigant aussi bien physiquement que psychologiquement. Certains des enfants à qui je fais cours n’ont pas envie d’apprendre. Ils considèrent qu’ils perdent leur temps et qu’ils seraient mieux chez eux à jouer. Je n’arrive pas à leur faire cours, tout simplement parce qu’ils n’ont pas envie de prendre le savoir que je leur tends.  
 
Ma classe de CM2 est extrêmement dissipée et même les punitions n’y font pas grand-chose. Plus grave encore, ils les contestent sans cesse. Si je punis deux élèves noirs dans la même journée, j'ai la garantie de me faire traiter de raciste.
 
Devoir se justifier là dessus est particulièrement pénible, parce que cela sous-entend que le fait que je leur enseigne le même savoir à tous ne suffit pas à prouver que je ne fais aucune distinction entre chacun de mes élèves. Tout les amuse et rien n’a d’importance. Pire, ils ont toujours réponse à tout.  
 
Par exemple, depuis qu'ils ont étudié le droit à la liberté d’expression, ils profitent pour justifier toutes leurs interventions mal venues ou leurs provocations. Ils savent bien qu’ils dénaturent le concept, mais ils en jouent consciemment. Ils ne sont pas bêtes du tout…
 
Aucun n’a le niveau pour entrer au collège
 
S’ils ne sont pas bêtes, ils sont cependant très en retard. Je ne peux pas réellement leur enseigner le programme de CM2, leur niveau est identique voire en dessous de celui de mes CE2. Les lacunes se sont accumulées et sont aujourd’hui presque insurmontables. À part trois ou quatre élèves, sur un peu plus d'une vingtaine, aucun n’a le niveau pour entrer au collège.  
 
Ils savent tous lire, mais beaucoup ne savent pas s'exprimer par écrit. Au-delà des problèmes d’orthographe, ils ont des problèmes de syntaxe. À quelques mois de la 6e, ils ne savent pas s’exprimer en français. C’est décourageant pour moi, mais c’est surtout très triste pour eux.
 
Les quatre élèves qui s’en sortent mieux que les autres ont la chance d’avoir leurs parents derrière eux. Il n’y a pas de secret. Les moins bons élèves sont ceux dont les parents n’aident pas à faire leurs devoirs ou ne sont pas présents.
 
J’ai par exemple un élève qui doit se réveiller seul et venir seul à l'école tous les matins. Une fois sur deux, il oublie son réveil et loupe le début du cours. Comment lui en vouloir ? D’autres ont déjà leur fratrie à charge alors qu’ils ne sont même pas pubères. C’est normal que l’école passe après tout, quand le tout est déjà si lourd à gérer.
 
J'envisage de changer de métier
 
Maintenant que j’ai analysé la situation, je vois bien qu'il me faudra encore beaucoup de travail pour être à la hauteur de la tâche. D’ailleurs, je ne vois pas quel étudiant sorti de la fac quelques mois plus tôt pourrait relever un tel défi.
 
Mes collègues et les directeurs d’école me disent de ne pas laisser tomber, de m’accrocher. Mais moi, je n’en peux plus. Je me surprends même à envisager de changer de métier, à peine ai-je commencé celui d’enseignant qui finalement ressemblance davantage à celui d’éducateur spécialisé.   
 
 
Propos recueillis par Barbara Krief


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