24 octobre 2014

Méthodes de lecture : halte aux intimidations idéologiques !

Méthodes de lecture : halte aux intimidations idéologiques !

par Rachel Boutonnet (Le Figaro, 04/09/2006)


Je suis maîtresse d'école primaire depuis septembre 2000. Après deux CP et quatre CE 1, je retrouve un CP en cette rentrée. Je m'apprête à y enseigner la lecture par une méthode alphabétique, comme je l'ai fait dans chacun de mes deux CP précédents, ainsi que chaque fois que j'ai eu à rattraper le retard en lecture d'un de mes élèves de CE 1. Le support de cet enseignement est un livre dont la première édition remonte à 1906, et qui connaît depuis des années un franc succès de librairie : la «Méthode Boscher», ou La Journée des tout-petits (Belin, 1984).

Les leçons portent d'abord sur les voyelles et les consonnes simples. Elles enseignent le son des lettres et entraînent à pratiquer la combinatoire l'accrochage consonne/voyelle – introduisant au bout de quelques pages des mots et des phrases. Suivent les voyelles doubles, puis les consonnes doubles, avant les voyelles et les consonnes triples, et enfin celles qui s'écrivent avec quatre lettres. Le livre s'achève, au bout d'une cinquantaine de leçons, avec l'étude des lettres muettes et les marques du pluriel.

En suivant cette progression rigoureuse, alliée à une pratique quotidienne d'écriture, de copie et de dictée, les élèves sont capables, au bout de quelques mois, de lire des textes courts. En fin de CP, ils peuvent lire tout ce qui se présente à eux. Certes, leur lecture n'est pas encore fluide, mais si on continue à les exercer, elle le deviendra progressivement au cours des quatre années suivantes, et ils parviendront à une lecture à haute voix expressive ainsi qu'à une lecture silencieuse rapide.

Je n'ai jamais appliqué de méthodes dites «mixtes» ou «idéovisuelles», qui ont supplanté à partir des années 1970, les méthodes alphabétiques. Ces méthodes commencent l'apprentissage de la lecture par une phase «globale» pendant laquelle les élèves sont entraînés à reconnaître et à mémoriser des mots, uniquement à partir de leur silhouette, avant de travailler sur les lettres et sur la combinatoire.

Il m'a toujours semblé absurde de commencer la lecture parce qu'elle n'est pas une reconnaissance globale de mots. J'ai constaté par la suite que quand la phase globale de la méthode mixte est trop longue – ce qui est souvent le cas –, les élèves ont du mal à se défaire du geste qui consiste à reconnaître, à deviner ou à déduire un mot comme on leur apprend à le faire dans la «phase globale», et pratiquent très difficilement la lecture alphabétique, d'autant plus si cette dernière a été trop peu pratiquée, et de surcroît selon une progression chaotique, comme en présentent de nombreux de manuels de lecture à méthode mixte.

Non contentes de former des mauvais lecteurs et d'occasionner des troubles s'apparentant à des dyslexies graves, ces méthodes entraînent chez un grand nombre d'élèves des dysorthographies tenaces. Le choix d'appliquer avec mes élèves une méthode alphabétique plutôt qu'une autre relève d'un principe affirmé dès la fondation de l'instruction publique, celui de la liberté pédagogique, qui exige de l'enseignant des résultats, le laissant libre de choisir ses méthodes. Il se trouve que mes élèves ont correctement appris à lire dans mes classes. Alors que tout aurait dû me conduire à faire état publiquement de mes choix pédagogiques, j'ai pourtant, au cours de mes premières années d'enseignement, caché à ma hiérarchie la manière dont j'enseignais la lecture. Depuis les années 1970, la pratique des méthodes dites mixtes ou «idéo-visuelles» est imposée aux instituteurs par tous les canaux de l'institution, toute autre pratique devenant passible de remontrances voire de sanctions. Or l'imposition d'une méthode par l'intimidation me semble encore plus grave que sa simple existence.

Car c'est bien parce que l'apprentissage de la lecture est devenu une question idéologique aux mains de théoriciens dogmatiques que la méthode alphabétique a pratiquement disparu des classes de l'école primaire et que l'école produit tant de non-lecteurs tous les ans. On peut parier que si le principe de la liberté pédagogique était respecté, et que si discuter des méthodes était possible, on verrait refleurir dans les classes des méthodes efficaces.

Je me prononce donc beaucoup moins contre les méthodes à départ global qui peuvent rester efficaces si les enseignants font un travail précis et intensif sur la lecture alphabétique – que pour que les méthodes alphabétiques, et pour qu'elles soient effectivement et non seulement théoriquement, comme c'est le cas aujourd'hui, autorisées.

J'aurais aimé que Gilles de Robien comprenne le problème de cette façon et rédige en ce sens sa circulaire de février 2006. Mais cette dernière, interdisant les méthodes globales sans faire de nuances, commet la maladresse de porter atteinte au principe de la liberté pédagogique, et risque, par les réactions indignées qu'elle suscite, d'être contre-productive.

M.de Robien aurait dû se contenter de rappeler que le choix d'une méthode de lecture, notamment alphabétique, relève de la liberté pédagogique et qu'aucun enseignant ne pouvait être sanctionné pour ses choix pour peu que les résultats obtenus soient satisfaisants. En ce qui concerne les méthodes mixtes, il aurait suffi qu'il rappelle les dangers d'une phase globale prolongée trop longtemps et l'importance d'un travail intensif et rigoureux sur les lettres et la combinatoire.

Cependant, cette circulaire inhabile aura au moins eu le grand mérite de faire renaître le débat sur la question de la lecture et de redonner à la méthode alphabétique une autorisation officielle. Les effets ne peuvent manquer de suivre : les enseignants partisans d'une méthode alphabétique, hier tremblants de s'exprimer, vont pouvoir exposer leurs arguments au grand jour, et peut-être convaincre autour d'eux, tandis qu'une partie de ceux qui hésitaient, par peur des représailles, à l'adopter se sentiront enfin libres de se lancer.

Il ne faut pourtant pas compter que cessent totalement, à partir de cette rentrée, les intimidations de la part des partisans des méthodes «mixtes». Tandis que certains formateurs, conseillers pédagogiques ou inspecteurs se contenteront de relayer la circulaire sans prendre parti, ceux d'entre eux qui, depuis trente ans, se sont engagés dans la bataille pour la méthode mixte et contre la méthode alphabétique, et qui doivent parfois leur carrière au fait d'avoir défendu ces positions, ne se laisseront pas menacer leur pouvoir aussi facilement. La preuve en est la brochure diffusée à cinq cent mille exemplaires – une première ! – cette rentrée par divers syndicats, véritable manifeste en faveur des méthodes «mixtes» et contre les méthodes alphabétiques.

On ne lève pas un lièvre sans provoquer d'effervescence. Si la guerre des méthodes était gelée depuis trente ans par les partisans des méthodes «mixtes» qui contraignaient leurs adversaires au silence, elle vient aujourd'hui, grâce à la circulaire Robien, de commencer réellement. Les «assiégés» peuvent se montrer virulents et prêts à un long combat.


Par Rachel Boutonnet, professeur des écoles, membre du groupement de réflexion interdisciplinaire sur les programmes, et auteur du Journal d'une institutrice clandestine et de Pourquoi et comment j'enseigne le b.a.ba (Ramsay).


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