8 juin 2016

Michel Houellebecq : comment peut-on être islamophobe ?

Michel Houellebecq : comment peut-on être islamophobe ?

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Michel Houellebecq : comment peut-on être islamophobe ?
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Dans une interview au quotidien britannique The Guardian, Michel Houellebecq affirme qu'il est probablement islamophobe. L'occasion de revenir sur l'origine et la définition de ce terme controversé.

Isabelle Kersimon est journaliste indépendante.
Jean-Christophe Moreau, spécialiste de l'histoire du droit, est diplômé de l'École des hautes études en sciences sociales et de la Faculté de droit et de sciences politiques de l'université Aix-Marseille III.

Michel Houellebecq était interviewé par le quotidien britannique The Guardian ce dimanche. A la question de savoir s'il est islamophobe, l'écrivain répond: «Probablement, oui, mais le mot phobie signifie peur plutôt que haine». La peur du terrorisme, précise-t-il. L'occasion de revenir sur le terme d' «islamophobie». Que signifie-t-il? Quelles sont les origines de ce terme?
JC Moreau - Disons que la notion d'islamophobie varie en fonction des intérêts poursuivis... Dès son apparition en France au début du vingtième siècle, certains (des administrateurs coloniaux) l'utilisaient pour s'élever à juste titre contre la diabolisation politique des musulmans, tandis que d'autres (des orientalistes convertis à l'islam) l'invoquaient non seulement pour dénoncer cette diabolisation, mais aussi pour dénoncer des propos jugés blasphématoires. Après être longtemps resté en sommeil, le terme s'est progressivement imposé au sein des institutions internationales sous l'impulsion de l'Organisation de Coopération Islamique qui, dès la fin des années quatre vingt-dix, a fait pression auprès des Nations Unies pour obtenir l'instauration d'un délit de «diffamation des religions» au nom de la «lutte contre l'islamophobie». Sachant que cette campagne a d'abord été portée par le Pakistan et le Yémen - dont les législations prévoient la peine de mort en cas de blasphème contre l'islam pour l'un, et en cas d'apostasie pour l'autre - on comprend que la méfiance suscitée en France par le terme d'islamophobie n'est pas seulement le fruit d'un «excès de nominalisme». Cela étant, les mots ont le sens qu'on veut bien leur donner, et force est de constater que «l'islamophobie» est une réalité si l'on entend par là les violences et les discriminations commises contre des personnes en raison de leur appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane, ou plus largement les discours qui, sans forcément tomber sous le coup de la loi, participent d'un processus de racialisation des musulmans (lequel consiste à prêter aux musulmans une «nature» dont ils seraient prisonniers malgré eux, et qui primerait tout autre sentiment d'appartenance).
Isabelle Kersimon - Le terme d'islamophobie, forgé par les administrateurs ethnologues français de l'époque coloniale au début du XXe siècle, a réinvesti le débat public, les sciences sociales et les médias avec la parution des essais de Vincent Geisser (La Nouvelle Islamophobie) en 2003 et Thomas Deltombe (L'islam imaginaire: la construction de l'islamophobie médiatique) en 2005, après avoir transité par la Grande-Bretagne où une définition en a été proposée en 1997 par le Runnymede Trust, un think tank multiculturaliste, dans son rapport intitulé Islamophobia, a challenge for us all.
Ce courant centré sur l'islamité (réelle ou supposée) des populations immigrées issues de pays à majorité musulmane correspond à la réislamisation des musulmans français notamment autour de l'UOIF (Union des organisations musulmanes de France) et de l'intellectuel suisse Tariq Ramadan respectivement à partir des années 1970 et 1990.


L'islamophobie peut-il être assimilé à du racism e?
Isabelle Kersimon - Si nous considérons que l'islamophobie peut être assimilée à du racisme, nous validons le slogan du CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France, créé au moment des débats sur le voile à l'école en 2003), selon qui «l'islamophobie n'est pas une opinion, c'est un délit».
Or, il n'existe pas de délit d'islamophobie dans notre législation. Quant à ceux que recouvre cette notion imprécise lorsqu'elle dénonce par exemple les atteintes aux lieux de culte, ils s'inscrivent dans le cadre strict de lois existantes relatives aux profanations, par exemple.
Le racisme, en revanche, est défini et réprimé par nos lois en tant que tel. Or, la promotion du concept d'islamophobie semble, ces dernières années, avoir fait disparaître le racisme anti-arabe (entendons par là anti-maghrébin principalement pour ce qui concerne la France et son histoire). C'est d'ailleurs une tendance que l'on observe actuellement, en contradiction complète avec l'idée républicaine: confessionnalisation et racialisation des débats occultent les questions strictement sociales qui, auparavant, transcendaient ces aspects.
La sociologie inspirée par les post-colonial studies anglo-saxonnes argumente en faveur de l'islamophobie comme racisme, je ne cautionne pas ce point de vue. Non seulement parce qu'il importe de n'enfermer personne dans une «identité religieuse» supposée ; mais aussi parce que, en principe, il est permis à chacun de sortir de sa religion. Comme l'écrit Bernard Godard, le spécialiste de l'islam en France: «Le propre des antimusulmans est d'amalgamer toute personne ayant un lien culturel ou autre à une islamité supposée.» Or c'est précisément ce que font les zélateurs de l'islamophobie comme racisme, un paradoxe confinant à la schizophrénie.
Le ministère de l'Intérieur préfère d'ailleurs, à juste titre, parler d' «actes à caractère antimusulman» plutôt que d'islamophobie.
Cela dit, il existe une véritable hostilité à l'égard de l'islam, voire des musulmans. Elle est principalement nourrie par des groupuscules d'extrême droite qui, sous couvert de dénoncer l'islam dit radical, fédèrent tout un fatras de ressentiments exclusivement adressés aux musulmans et utilisent à leur encontre les mêmes outils idéologiques et iconographiques que les antisémites contemporains.
Comme l'écrivait Charb dans son pamphlet publié en avril: «Non, vraiment, le terme “islamophobie” est mal choisi s'il faut nommer la haine que certains tarés ont des musulmans.»
JC Moreau - Comme toujours avec «l'islamophobie», tout dépend de quoi l'on parle. Lorsque des administrateurs coloniaux français dénonçaient l'islamophobie de ceux qui désignaient les musulmans comme des «ennemis héréditaires» de l'Occident, il s'élevaient bel et bien contre une forme de racisme culturel. Et nul ne peut nier qu'il existe aujourd'hui un racisme spécifiquement anti-musulman se traduisant en actes par des violences et des discriminations contre les femmes voilées: celles-ci ne sont pas ciblées en raison de leurs origines mais de leur appartenance religieuse. En l'occurrence, le problème est que les principaux acteurs de la «lutte contre l'islamophobie» voudraient aussi, et surtout, imposer l'idée que même la peur de l'islamisme est criminogène par essence et doit être étouffée dans l'œuf.


Quelle est la différence entre antisémitisme et islamophobie?
JC Moreau - Si l'on considère «l'islamophobie» dans son acception sociologique - c'est-à-dire comme processus de racialisation des musulmans -, le parallèle avec l'antisémitisme semble aller de soi puisque, dans les deux cas, il est question de remettre en cause l'appartenance d'une minorité ethnico-religieuse à la communauté nationale (au motif que les individus issus de cette minorité formerait un groupe inassimilable et qui poursuivrait uniquement ses propres intérêts au détriment de l'intérêt général). Il suffit pour s'en convaincre de lire les communiqués d'associations qui se présentent comme laïques, où l'on retrouve en décalque tous les ressorts de l'antisémitisme classique appliqué aux musulmans.
Mais s'il est simplement question d'«islamophobie» au sens étymologique du terme - c'est-à-dire comme forme de défiance à l'égard de la religion musulmane - il est tout aussi évident que la nature du problème est alors foncièrement différente: il s'agit alors du prolongement d'un anticléricalisme consubstantiel à notre modèle républicain, et non d'un avatar de l'antisémitisme.
En d'autres termes, si l'antisémitisme et l'islamophobie peuvent servir un objet identique - jeter le soupçon sur la «francité» d'une minorité - c'est une erreur de leur prêter une nature commune. Car là où la hantise de l'enjuivement suppose forcément la croyance en un déterminisme racial (responsable de la corruption morale et physique des Juifs dont la société doit être préservée), la peur de l'islamisation ou de l'islamisme - quand cette peur n'est pas un simple avatar du racisme anti-maghrébin - postule seulement la nocivité d'un système de valeurs. Ainsi l'antisémite formule un problème qui appelle nécessairement l'instauration d'une politique raciale, alors que «l'islamophobe ordinaire» pose une question qui n'est pas contraire en soi à la raison démocratique.
Tout ceci pour dire que le choix des comparaisons n'est pas neutre. Car ceux qui agitent de manière compulsive l'épouvantail du «retour des années trente» cherchent surtout à affirmer que la solution du «problème musulman» dépend au fond d'un examen de conscience unilatéral des «non-musulmans». Alors que s'ils acceptaient d'envisager sérieusement l'analogie historique entre l'islamophobie d'aujourd'hui et l'anticléricalisme d'hier, il leur faudrait aussi admettre que les torts sont partagés et que les musulmans ne sont pas des victimes ontologiques…
Isabelle Kersimon - De l'affirmation selon laquelle l'islamophobie est un racisme découle nécessairement une analogie avec l'antisémitisme, et c'est la raison pour laquelle des groupes de pression comme le CCIF insistent sur ce point en opérant un mimétisme analytique qu'on ne saurait raisonnablement adopter.
Pour nombre d'intellectuels et de personnalités médiatiques également, Edwy Plenel, par exemple, quand il publie son Pour les musulmans, les musulmans d'aujourd'hui sont les juifs d'hier. C'est certainement en toute bonne foi que s'exerce ce parallélisme, mais il faut comprendre cette crainte à l'aune de l'idéologie tiers-mondiste. Car dans les faits, la situation n'est absolument pas comparable, ni en terme de traitements discriminatoires, ni en terme d'appareillage juridique assurant la défense des victimes.
Là où un parallèle pourrait être établi, c'est paradoxalement non pas en France ni en Europe, mais au Moyen-Orient, où la grande majorité des victimes des régimes totalitaires et des exactions de l'État islamique, nonobstant, bien sûr, les suppliciés chrétiens ou yezidis, sont musulmanes. Et c'est ce qui, à mon sens, devrait d'ailleurs préoccuper les associations «contre l'islamophobie».
Pour certaines associations, la lutte contre l'islamophobie est-elle un moyen d'imposer certaines revendications communautaires ou religieuses?
JC Moreau - Pour ne parler que du Collectif Contre l'Islamophobie en France (CCIF), il semble assez évident que son véritable objectif n'est pas tant de faire valoir les droits des victimes de racisme anti-musulman en tant que citoyens (même s'il faut lui rendre justice du soutien juridique qu'il leur offre) que de faire naître une «conscience de classe» musulmane, c'est-à-dire d'inciter une partie des Français à se déterminer et à se mobiliser politiquement en tant que musulmans. D'où sa prédilection pour les chiffres anxyogènes, les discours catastrophistes et les analogies délirantes. En témoigne par exemple le discours du président du CCIF (Samy Debah) lors de la septième Rencontre Annuelle des Musulmans du Nord (2 mars 2013), au cours duquel il n'a pas hésité à comparer le fameux exemplaire de «Charia Hebdo» (qui dénonçait la confiscation religieuse des révolutions arabes) à un numéro de La Libre Parole de Drumont (qui réclamait l'exécution de Dreyfus), mettant ainsi sur le même plan une simple satire politique et un appel au meutre pour «éveiller les consciences» sur les dangers de «l'islamophobie»…
Isabelle Kersimon - Pour le CCIF, par exemple, la «lutte contre l'islamophobie» est un moyen de combattre les lois de 2004 (sur les signes religieux ostentatoires à l'école) et de 2010 (interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public). Le collectif ne s'en cache pas, et il a toute légitimité à affirmer ses ambitions. Mais il ne se contente pas de militer pour l'abrogation de ces lois: bien qu'il se défende de vouloir restreindre la liberté d'expression, il dénonce comme actes islamophobes certains discours critiquant l'islam de manière plus ou moins virulente, voire l'expulsion d'imams appelant aux armes contre les mécréants...
L'islamophobie considérée comme un délit, au même titre, donc, que le racisme, permettrait donc tant de clore le débat sur des revendications identitaires qu'on est légitimé à critiquer, que de faire taire toute critique de l'islam.
Enfin, et pour en revenir à Houellebecq, avoir peur du terrorisme est-il un racisme? Évidemment pas, surtout quand on vit sous protection policière permanente pour avoir tenu quelques années plus tôt des propos certes désagréables aux yeux de certains croyants, mais qui ne sont ni des menaces, ni des assassinats.


Jours fériés musulman et juif : quand Terra Nova fait le jeu des Frères musulmans

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Jours fériés musulman et juif : quand Terra Nova fait le jeu des Frères musulmans
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Gilles-William Goldnadel condamne la proposition du think tank proche du PS, qui a d'ailleurs été rejetée par les autorités juives et musulmanes. C'est cette même élite islamo-gauchiste qui n'a pas voulu reconnaître les atrocités verbales de Mehdi Meklat.

Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Il est président de l'association France-Israël. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.

«Putain je suis dégoûté, j'aurais tellement voulu qu'il soit d'extrême droite!» On se souvient sans doute de ce tweet rageur d'un journaliste de l'Obs apprenant soudainement l'origine de l'auteur des massacres de Toulouse.
Il signifiait en creux que le sort des victimes lui était moins important que la personnalité du bourreau. Qu'en réalité, le racisme inhérent à l'acte lui était indifférent.
Dans nombre de journaux soi-disant antiracistes de la semaine, à commencer par Libération, tandis qu'on abuse des circonlocutions et des circonvolutions pour tenter de minimiser l'ignominie raciste, sexiste et antisémite du discours de Mehdi Meklat, le même relent rageur déborde avec aigreur: la fachosphère exulte! Comme si, l'extrême gauche dédaignait d'utiliser les faits au service de sa cause. Comme si, Libération n'avait pas tenté de faire de Breivik le parangon du terrorisme blanc, comme si le monde n'avait pas publié une liste d'intellectuels qui auraient tenu la main du Norvégien, comme si d'autres n'avaient pas instrumentalisé, au besoin en triturant les faits, une rixe entre nervis bruns et nervis rouges pour faire de Clément Meyric un martyr du fascisme et de l'UMP réunis.


La ficelle est vieille comme Staline, usée jusqu'à la trame, d'expliquer que de révéler les crimes du goulag va faire jouir le bourgeois. Surtout ne pas désespérer Billancourt. Ou Trappe.
Et pourquoi non? Pourquoi donc serait-il défendu de tirer argument, une nouvelle fois, d'un événement aussi révélateur non seulement de la radicalité profonde d'une partie de la jeunesse islamique, mais encore et surtout de l'invraisemblable responsabilité, de l'incommensurable fatuité, et de la stupide mauvaise foi de la partie du monde médiatique qui avait fait de l'antiracisme non seulement son fonds de commerce mais encore un moyen de terroriser ses adversaires.
Il est en effet piquant de constater que ceux qui aujourd'hui tentent par tous les moyens, même les plus comiques, de minimiser l'invraisemblable racisme qu'ils avaient toléré, incarnent la caste médiatique antiraciste la plus intolérante, la plus vétilleuse, la plus fureteuse, la plus soupçonneuse, lorsque le racisme, souvent imaginaire et fantasmé, est reproché à une population autochtone à laquelle il prête depuis toujours sans barguigner un racisme consubstantiel.
Passons vite sur la mauvaise foi, glissons sur ces Inrocks qui avaient fait leur couverture sur l'icône Taubira et sur Mehdi promettant, triste ironie, «des révélations sur la jeunesse de Marine Le Pen».


Glissons sur Libération et sur tous les autres qui tentent de sauver la mise au Bondy Blog, paraît-il irremplaçable. Laissons là les tweets pulsionnels. Nos fins limiers ne se sont pas non plus étendus sur l'invraisemblable portrait plein d'empathie du terroriste Abdelhamid Abaaoud brossé par Mehdi Meklat et son complice Badroudine Said Abdallah le samedi 21 novembre 2015 dans le Bondy Blog (en partenariat avec Libération). J'en reproduis la chute car elle en vaut la peine, en précisant que l'article ne contient pas une ligne, un mot, une virgule de critique contre le terroriste ou son acte: «Abdelhamid, ça aurait pu être notre ami Karim, parce qu'il a le même visage d'enfant, les mêmes cernes qui se creusent timidement sous les yeux, les mêmes yeux sombres et le même regard lumineux, le même sourire facile, très grand sourire, un sourire qui n'a pas honte de lui, qui est fier de se donner aux autres, d'être beau. C'est pour ça qu'Abdelhamid aurait pu être Karim. Notre copain.»…


Après cela, Pascale Clark sa marraine à France Inter, le journal Elle, et tous les autres peuvent bien, comme toujours, continuer à pérorer, biaiser, pinailler, ou faire des phrases.
Je ne rejoindrai certains que sur un point: je considère, que d'une certaine manière, Mehdi ou certains de ses semblables, sont des victimes. Victimes d'un système médiatique et intellectuel névrotique que je ne cesse de dénoncer article après article et que j'ai nommé islamo-gauchiste. En rappelant une nouvelle fois qu'il n'a pas grand-chose à voir avec l'islam et presque tout avec le gauchisme et ses dérivés mondains.
À force de le lui répéter, on a fait croire à Mehdi que les Français, principalement les chrétiens et les juifs étaient tous des salauds racistes dont il était la première victime. Et c'est tellement facile de se penser victime.
Les névrosés narcissiques qui le lui ont fait croire, et qui passaient encore alors pour bons et intelligents, se moquaient, comme on le voit, éperdument du racisme mais étaient animés d'une haine pathologique envers leurs parents qui les avaient fait naître dans l'Europe post- hitlérienne.


Le dernier exemple en date de ce que la pensée soi-disant progressiste joue les boutefeux irresponsables de la radicalité nous est apportée sur un plateau par la fondation Terra-Nova dont on connaît la proximité avec le Parti Socialiste. Il est inutile de rappeler que cette fondation s'est fait connaître par ses propositions analytiques de voir désormais son parti orienter ses efforts de séduction vers la population immigrée plutôt que sur la classe ouvrière en déclin. On a tort d'y avoir vu uniquement du cynisme électoral. Au plus profond, il aurait fallu aussi y déceler cette désaffection pour les natifs en même temps que cette dilection pour l'altérité propre à la xénophilie du temps névrotique.
À deux mois des élections, et Monsieur Hamon aux commandes, Terra-Nova, fidèle donc à sa doctrine, a cru devoir habile de préconiser l'instauration de deux jours fériés, un musulman et un juif, à la place des lundis de Pâques et Pentecôte.


On savait qu'ils existaient des individus plus royalistes que le roi, on vient d'apprendre qu'il existait des laïcs progressistes plus musulmans que les musulmans et plus juifs que les juifs. C'est ainsi que le sage président du Conseil Français du Culte Musulman a opposé une sèche fin de non-recevoir au projet trop zélé: «Les musulmans de France n'ont jamais réclamé de telles dispositions, d'autant moins au détriment de jours fériés chrétiens. Terra-Nova se permet de faire des propositions au nom de l'islam de France alors qu'ils n'ont pas pris la peine d'auditionner les personnes et les institutions concernées», a indiqué sans trop d'aménité M. Anouar Kbibech.
L'étrange proposition n'a pas obtenu plus de succès chez les Juifs qui se satisfont pleinement de chômer pendant les fêtes chrétiennes - quand certains ne les célèbrent pas à l'instar de Noël - tout en respectant leurs propres traditions festives.
Mais ne soyons pas trop injustes envers Terra-Nova, certains musulmans ont apprécié la fleur tendrement déposée à leurs pieds par les amis de Monsieur Hamon. La proposition émise correspondait en effet à une revendication de l'UOIF, proche des Frères Musulmans. Ils devraient pouvoir s'en souvenir lors du mois du muguet.
Non, ce n'est pas Mehdi Meklat qui est le plus coupable.


Terrorisme : on sacrifie les victimes pour ne pas avoir à livrer bataille contre les bourreaux

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Terrorisme : on sacrifie les victimes pour ne pas avoir à livrer bataille contre les bourreaux
FIGAROVOX/ANALYSE - Quand des Français tuent des Français, cela s'appelle une guerre civile, explique Shmuel Trigano dans un grand décryptage. Pour le philosophe, l' «antisémitisme musulman» du début des années 2000 était un signe annonciateur de celle-ci.

Professeur émérite des Universités, Shmuel Trigano est un philosophe et sociologue, spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme contemporain.

Après l'attentat de Nice et le meurtre du prêtre de Saint Etienne du Rouvray, la France s'est retrouvée à nouveau plongée dans une atmosphère qui rappelle celle que décrit admirablement Albert Camus dans La Peste, quand un mal profond mais inommé ronge l'ambiance de la ville d'Oran. Le dispositif mis en place depuis Charlie Hebdo et dont la commémoration de la tuerie de Toulouse avait constitué un prototype ne «prend» plus.
La stratégie du déni
Je fais référence au cérémonial qui s'est mis en place pour «gérer» chaque attentat. L'effusion de compassion, qui en est la marque, est ambivalente: si elle accuse le coup de la réalité (reconnaissant qu'il y a des victimes), elle l'engloutit dans l'émotion, pour en annuler de facto le sens (en censurant la motivation que les agresseurs


donnent à leur acte, à travers le rite du «pas-d'amalgame»). Or la réalité est brutale et ne fait pas dans la dentelle. Les actes terroristes sont commis explicitement au nom de l'islam et leurs perpétrateurs ne se recrutent pas au Moyen-Orient mais parmi les musulmans, en France même, dont ils sont natifs. C'est aussi dans ce milieu qu'ils trouvent abri et refuge. Avec le djihadisme mondial «franchisé», qui se développe aujourd'hui, le voisin qui vous dit «bonjour», le fonctionnaire qui vous reçoit, pourrait sans prévenir se transformer en djihadiste armé d'un couteau, d'une hache ou d'une voiture. La réalité, c'est ce que nomme en l'occultant (là aussi) le «nous sommes en guerre»: une guerre qui ne se mène pas à partir du porte-avion Charles de Gaulle mais sur le sol national et dont témoigne la militarisation de la sécurité publique. C'est très exactement ce que l'on nommait, avant l'ère du post-modernisme , une guerre civile. Le gouvernement ne fait que le confirmer lorsqu'il annonce que, même après la défaite du Califat, cette «guerre» ne sera pas finie.
Cette guerre civile est, pour être plus précis, l'effet d'une guerre de religion planétaire. Le meurtre des non-musulmans est perpétré par les islamistes comme un sacrifice religieux offert à la divinité, un meurtre «moral», «sacré», de même que la mort recherchée du pseudo «martyr» lui ouvre la porte du paradis: un


véritable culte de la mort. Il faut comprendre cette logique d'un autre âge, profondément régressive sur le plan de l'histoire humaine (la régression de la religion au sacrifice humain!), pour comprendre le motif de tous ces massacres. Cette explication n'est pas un commentaire de ma part. Elle découle de sources coraniques et elle est confirmée par l'imam Qaradawi, qui siège au Qatar, pays ami de la France, et qui est le chef du Conseil de la Fatwa pour l'Europe, le mentor sur la plan de la Charia des Frères Musulmans (et donc de leurs émules français). Dans ses décisions juridiques , il justifie le meurtre des non musulmans, et avant tout des Juifs, comme un moyen licite de défendre et illustrer l'islam. Il va même jusqu'à estimer que, si le «martyr» le juge nécessaire, le meurtre des non-musulmans pourrait s'accompagner, pour le succès de l'opération, de la mort de musulmans (ainsi expédiés illico presto au paradis). Sur ce dernier point, celà montre parfaitement que le fait que les attentats frappent aussi des musulmans ne diminue en rien le caractère et la justification exclusivement islamiques de ces actes. À ce propos, il est pitoyable de voir journalistes et experts se perdre en conjectures sur les motifs des massacres et entraîner avec eux un public sidéré et égaré, parce qu'ils se refusent à voir la réalité en face...


Cette réalité - vécue objectivement dans l'inconnaissance -, le Pouvoir, par sa faiblesse et ses idées fausses, ne veut ni ne peut la nommer. C'est la fonction que remplit le deuxième rouage du dispositif dont la finalité est de «naturaliser» la menace. Le slogan «il faut vivre avec le terrorisme - il y aura d'autres attentats» en est l'expression. Le Pouvoir traduit sa défaite en rase campagne sous la forme d'une injonction qui conjure l'état de guerre civile potentielle par l'affirmation d'une solidarité espérée («tous ensemble/restons unis/le terrorisme veut nous diviser») mais que les attentats érodent l'un après l'autre.
Ce cérémonial est devenu inefficace. Les huées de Nice contre le gouvernement traduisent quelque chose de profond: l'échec de la doctrine sécuritaire de l'Etat. La situation que j'ai tenté de décrire démontre sa défaillance à l'épreuve de la réalité. Toutes les actions qu'elle promeut dans le domaine sécuritaire ne peuvent être que cautère sur une jambe de bois. Elle présente un vice de forme stratégique qui retentit sur la tactique.
Les valeurs légitimantes: la «morale»
Cette politique se veut «morale» et «démocratique», étayée sur des valeurs (un mot qu'invoque souvent le ministre de l'intérieur) comme: le «pas d'amalgame», l'État de droit, la démocratie. À l'examen, cependant, ces valeurs ne sont ni réalistes, ni honorées. Où est l' «état de droit» quand les «droits du citoyen» - le droit


minimal à la sécurité - ne sont pas assurés? Que sont ces «droits de l'homme» s'ils assurent avant tout les avantages des terroristes et de leurs apprentis? L'Etat met en place une armada institutionnelle (jusqu'à un cadre de convalescence mentale pour les djihadistes retour de Syrie!) pour surveiller les futurs djihadistes (fichés «S» et autres) afin de ne pas attenter à leurs «droits de l'homme», quand il faudrait donner un coup de pied définitif dans la fourmilière. On attend que le meurtrier passe à l'acte pour l'arrêter au lieu de l'empêcher de commettre son acte. C'est là une moralité sans réciprocité qui prône le sacrifice des victimes. Quant à l'état de droit, il est par définition suspendu en «état de guerre» (une proclamation claironnée de toutes part). Ce que traduit bien la notion juridique d' «état d'urgence». La guerre sur le sol français n'est-elle pas évidente avec ces tueries de masse et l'insécurité de toutes parts? Quant au «pas d'amalgame», il ne devrait pas empécher de reconnaitre la


motivation religieuse islamique des terroristes, expressément proférée dans leurs actes. L'islam est aujourd'hui entré dans une guerre de religion féroce: interne (chiites-sunnites) et externe, contre l'Occident (sans négliger, sous d'autres cieux, l'indouisme et le judaïsme). Le sunnite sait parfaitement que la guerre que lui fait le chiite est motivée par une interprétation religieuse de l'islam. Pourquoi les non-musulmans s'interdiraient-ils de reconnaître que l'islam inspire aussi aux djihadistes la haine à leur égard? S'interdire de le faire, évoquer le posssible amalgame, c'est au contraire le suggérer en sourdine, de façon massive. C'est une façon de dire que, oui, l'islam est concerné. «N'en parlons pas!»... parce que tout le monde le sait.
On glisse ici d'une situation singulière, particulière (une agression) issue du monde musulman - qui, elle, est condamnable - à la généralité (l'Islam en général) dont elle relève, pour exonérer la première au nom de la préservation de la dernière. C'est ce que vient vérouiller dans la machinerie rhétorique, dont le pouvoir médiatico-politique est l'ingénieur, le concept récent, forgé de toutes pièces à cet effet, d' «islamophobie».


Comme si la critique des idées islamiques relevait d'une «phobie», d'une maladie psychique obsessionnelle . Dirait-on la même chose des critiques athées ou laïques du christianisme ou du judaïsme? Bien évidement, non. La lutte contre l' «islamophobie» identifiée à la lutte conre le racisme a pour finalité d'interdire tout débat idéologique comme politique sur l'islam, ses actions, quelles qu'elles soient, et ses présupposés. Le terme indique bien que l'islamophobie ne relève pas de la lutte contre le racisme et la discrimination mais de la défense et illustration d'une religion et de ses représentants et donc de la censure de toute critique à son égard . Le «pas d'amalgame» s'y inscrit. Il instaure un privilège en sanctuarisant une seule religion dans l'Etat.
Avec une telle morale, la réalité, et la menace, ne peuvent que se dissiper dans le brouillard: on évoque ainsi «Le terrorisme», «La radicalisation», «La barbarie»... là où il s'agit, dans la bouche même des assassins, d'une guerre de religion. Mais «la vie doit continuer» comme si de rien n'était, ce qui donne un drôle de cocktail psychique dont on se demande ce qu'il produira en bout de parcours! Aujourd'hui, c'est manifestement l'égarement, l'abandonisme, l'angoisse. Le Français moyen ne comprend rien à ce qui se passe. On a le sentiment de s'enfoncer dans une lente agonie. Le titre d'un livre écrit par l'époux d'une victime du Bataclan, Vous n'aurez pas ma haine (Antoine Leiris, Fayard 2016), exprime bien l'égarement du public. Qu'auront-ils donc? Mon amour? Mon respect? Mon dédain? Tel n'est pas le problème! Le désir de vengeance devant l'injustice et l'ignominie est au contraire un sentiment très sain. C'est la base de la justice quand elle est maitrisée par la Loi. L'étouffer, c'est nécessairement retourner contre soi la violence qu'on a reçue de l'agresseur, accepter une condition de victime née et passive face à l'ignominie: un boulevard pour le crime. Plus la défaillance de l'Etat à assurer la sécurité se répète, plus la compassion devient un sentiment et un comportement débilitants.
Le précédent de la lutte contre l'antisémitisme: 13 caractéristiques
Pour l'observateur attentif de la situation française , les éléments de ce tableau, ce «boulevard pour le crime», étaient déjà tous réunis depuis le début des années 2000, lorsque les agressions antisémites ont commencé à se multiplier pour conduire là où nous sommes présentement.
1) Entre la fin de 2000 et 2002 (quand Sarkozy devint ministre de l'intérieur, prenant la suite du socialiste Daniel Vaillant, en mai 2002) se produisirent plus de 500 agressions antisémites, sur lesquelles régna un black out total dans les médias, les pouvoirs publics et les institutions juives. La liste était pourtant très bien tenue . C'est ce black out, inexplicable alors, qui m'avait conduit à créer en 2001 l'Observatoire du monde juif dont la


finalité visait à informer l'opinion publique et la classe politique, les médias, de ce qui se passait. C'est aussi ce qui avait conduit le commissaire Sammy Ghozlan à créer à la même époque le Bureau National de Vigilance Contre l'Antisémitisme. Celà génait le judaïsme officiel que l'on parle d' «antisémitisme»... Nous en eûmes l'explication (à la fois de cette gène et surtout de ce black out) quelques années plus tard, de la bouche de Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur alors, quand nous apprîmes que l'ordre (?) en était venu du gouvernement Jospin afin de «ne pas jeter de l'huile sur le feu». L'étonnement de constater que toute une société, réputée pluraliste et libre, y compris la communauté juive, acceptèrent alors de se soumettre à cet ordre est toujours entier. On ne croyait avoir vu celà qu'en Union Soviétique .
C'était une erreur politique gravissime, aux graves implications pour la France (et la «démocratie»):
1) Il sacrifiait la sécurité des citoyens d'origine juive pour sauvegarder la «paix publique», mais laquelle? Les agressions antisémites dénotaient de facto une situation de guerre civile quand des citoyens d'origine musulmane s'attaquait à d'autres concitoyens parce qu'ils étaient d'origine juive... La paix civile, qui n'était pas encore l'inénarable «vivre ensemble» impliquait ainsi le sacrifice de la société, du moins d'une de ses parties. Le «tous ensemble» suppose toujours un «bouc émissaire»!
2) Il impliquait le refus programmatique de nommer et d'identifier les faits, ce qui n'empêcha pas l'invention d'un nouveau narratif de la réalité. Comme le révélait la liste des agressions, les agresseurs provenaient de contrevenants d'origine maghrébine ou sud-saharienne. Pour ne pas le reconnaître, les faits furent escamotés et dénaturés.
3) On cacha l'antisémitisme derrière des mots valises: «conflit inter-communautaire», «conflit importé», des formules assassines qui contribuaient à culpabiliser aussi les victimes pour ce qu'elles subissaient.
4) Comme les faits n'étaient pas reconnus comme «antisémites» on leur trouva des justifications «sociologiques» (le chômage, la pauvreté, l'»apartheid social» selon Valls) ou psychologiques (l' «humiliation» arabe , supposée héritée du colonialisme, les problèmes psychologiques) qui exonéraient systématiquement les agresseurs et culpabilisaient les victimes.
5) La faute fut plus précisément reportée sur une extrême droite pourtant presque totalement absente de cette


scène. Pendant des années, on la fustigea au lieu de combattre l'antisémitisme islamique. Rappelons nous la stupéfaction engendrée par le massacre commis par Mohamed Merah. Une manifestation «spontanée» se déroula à Paris, conspuant le Front National, supposé être la seule cause de l'antisémitisme!
6) La faute fut aussi reportée sur les Juifs et Israël. Le mythe d'une «communauté juive agressive» hanta le discours médiatique. Israël fut accusé d'être à l'origine des troubles de la société française. L'antisionisme devint le contre-récit des vérités cachées. Moins on reconnut le caractère franco-français (et islamique) des agressions, plus on accabla Israël. Le sionisme devint ainsi le nom d'une mystification obscure, le bouc émissaire logique du mensonge originel sur les faits. Les médias, avec en tête l'AFP, présentèrent systématiquement une version biaisée du djihad palestinien. Toute la société française, en tout cas ses médias, partagèrent le haro sur Israël.
7) Les islamistes et autres activistes y trouvèrent un créneau légitimant leur montée sur la scène politique. C'est la cause palestinenne qui a été la clef de l'entrée de l'islam dans la politique française, avec l'accord tacite de celle ci. Le ministre des affaires étrangères d'alors, Hubert Védrine alla même jusqu'à déclarer «comprendre» pourquoi des «jeunes de banlieue» s'attaquaient à des Juifs (leurs concitoyens!) à la lumière de «ce qui se passait» en Israël. L'antisionisme a ainsi rempli trois fonctions. Outre qu'il sert de vecteur de rapprochement aux sympathisants des islamistes, qui s'identifient ainsi à leur haine la plus forte, il procure à ces derniers une voie d'accès «consensuelle» à la scène politique française (puisqu'il est censé être politiquement moral), en même temps qu'il fournit aux deux mouvances une couverture supposée légitime à ce qui est fondamentalement de l'antisémitisme . L'antisémitisme du djihadiste est la cause de son «antisionisme», le sionisme incarnant la liberté du Juif se rebellant contre la prison sociale, politique et existentielle que lui réserve la Charia.
8) Comme le coupable de cet état de faits était Israël et ceux qui le «soutenaient», la crise fut tenue pour ne pas concerner la société française. On renvoya dos à dos «les deux communautés» (selon l'expression violente de Mitterand après la guerre du Golfe, désignant «deux communautés» dans la société française) mais ce sont les Juifs qui furent sur la sellette. Quand ils nommaient leurs victimes, ils furent qualifiés de «racistes», de «communautaristes», voire (Alain Minc) d'être les introducteurs du communautarisme en France, ce qui revenait à dénationaliser en masse des Français qui l'étaient pour la majorité (les originaires d'Algérie) depuis 1870 (bien avant Alain Minc!). Quand ils désespérèrent d'être entendus et finissaient par quitter la France, ils se virent qualifiés (Christophe Barbier dans un scandaleux éditorial de L'Express) de «Baal Zevouv» (Belzebuth!), ou comparés (par Pierre Conesa, haut fonctionnaire, auteur de Guide du petit djihadiste, (Fayard, 2016)) aux djihadistes partant en Syrie, le même spécialiste conseillant à la France d'adhérer à l'Organisation de la Conférence Islamique (dont la capitale déclarée - mais quel «expert» le sait? - est «Al Kuds», soit Jérusalem quand elle sera «libérée»).
9) En somme les victimes furent niées, désidentifiées, exclues symboliquement, vilipendées, et dans le meilleur


des cas enfermées derrière des barrières de protection policière, les isolant ainsi du reste de la société française pour mieux sauvegarder «la paix publique». On sacrifia la victime pour ne pas avoir à livrer bataille contre le bourreau. Il fallut attendre «le Français Merah» (expression journalistique typique) pour que l'on accepte enfin, avec un «étonnement» illégitime, que la crise concernait la société française. Et que, peut-être, il fallait faire quelque chose!
10) Comme l'Etat et la Justice se sont avérés incapables d'identifier qui était la victime, qui était l'agresseur, comme ils ont supposé que la victime était complice de l'agresseur, ils optèrent pour une politique de «conciliation» et de «pacification» - pour de bon communautaro-religieuse cette fois-ci, là où il fallait qu'il exerce sa souveraineté. L'Etat se fit le grand ordonnateur d'un «dialogue des religions», comme s'il confiait aux religions la capacité et la responsabilité de faire la paix et comme si toutes les religions étaient en guerre. Sur le plan politique, cela revenait à reconnaître la défaillance de l'Etat et du ministère de l'intérieur.
11) Cette politique erronée ramenait, par la bande, le christianisme et le judaisme à une condition qu'ils avaient dépassée depuis Napoléon 1er et à laquelle l'islam n'a pas encore accédé pour des raisons historiques très simples . Dans le discours médiatique, l'accusation fut lancée contre toutes les religions, pour ne pas la porter contre l'islam qui, seul, pose problème aujourd'hui au regard de la démocratie sur le plan de son retard de modernisation et du fait d'une situation nouvelle où il se retrouve minoritaire, ainsi au sein de nations (si elles existent encore en Union Européenne) et non d'un empire.
11) Au lieu que l'Etat impose un ordre sécuritaire de lui même, on chargea les religions de trouver un modèle de «pacification». Plutôt que le modèle de la République, on chanta les louanges du mythe historico-politique de «l'Espagne des trois religions» (sous l'ordre de la Charia!), un mythe hissé gravement au hit parade de l'Education nationale ... Le «vivre ensemble» - traduction «républicaine» de ce mythe - devînt la scène de la défaite de l'Etat et tout spécialement de la République. Ce slogan désigne effectivement le contraire de l'»être ensemble», soit un ordre social marqué par l'existence de collectivités séparées et discriminées juridiquement sur le plan du pouvoir politique mais sous la houlette coercitive de l'ordre juridique d'une seule «communauté». On se demande comment ce modèle détestable aux yeux des valeurs modernes, sorti tout droit du haut Moyen âge, a pu inspirer tant d'activisme politico-culturel.
12) Les autorités républicaines purent même affirmer des convictions théologiques en faveur de l'islam, «soluble dans la République» (Hollande à Tunis), se faire les promoteurs de son innocence de principe, là où les autres religions étaient mises en cause de façon sourde mais omniprésente. On accrédita une mouvance politique dangereuse, les Frères musulmans, à la tête de l'UOIF, ses partisans furent chéris par les plateaux de télévision et les politiciens (tragiquement incompétents en la matière). Tout un pan de l'opinion française fut, par contre, écarté de la scène et stigmatisé.
13) Les éléments de langage journalistique achevèrent de rendre la situation incompréhensible. La première page de Libération du 16 juillet 2016, intitulée «Pourquoi?» vaut son pesant d'or, ce journal posant, après Nice, la question du pourquoi d'une situation qu'il a très fortement contribué à créer. J'ai en mémoire notamment trois pages de célébration d' un livre réputé sociologique, La tentation antisémite de Michel Wievorka (Robert Laffont, 2005), qui soutenait avec force «enquêtes» qu'il n'y avait pas d'antisémitisme en France mais qu'il y avait par contre un «communautarisme» juif qui provoquait les «banlieues populaires»... Pas besoin de dire que les faits, sur le moment même - et oh combien après! - ont démontré l'inanité de cet argument.
Le début de la fin de la stratégie du déni
Deux faits ont ébranlé la stratégie du déni: l'affaire Mérah, par laquelle les médias découvrent qu'un «Français» (l'expression «le Français Mérah» fut répétée à l'envi dans les médias), né en France, pouvait devenir meurtrier de Juifs, sans rapport direct avec Moyen Orient, ni avec la condition d'immigré et sous le prétexte fallacieux de «venger les enfants de Gaza» (justement, qu'est-ce que le discours médiatique français a pu écrire sur Gaza?) Mais la controverse autour de l'immigration en Israël, lancée à cette occasion par l'invitation de Natanyahou aux Juifs de France, montre qu'on ne comprenait toujours pas les raisons pour lesquelles des Juifs s'en allaient.
C'est alors que la stratégie de la compassion fut mise en œuvre, quoique de façon limitée. Le massacre de Charlie Hebdo fut le déclencheur de l'universalisation du danger qui ne planait jusqu'alors, croyait-on, que sur les Juifs (déjà mis à l'écart de facto de la société entière pour raison sécuritaire), et ne dépasserait pas les barrières entourant leurs lieux privilégiés. Sans Charlie Hebdo, le massacre de l''Hyper-casher serait resté dans sa petite case et derrière son cordon de sécurité qui l'isolait de la société. Charlie Hebdo vit aussi le triomphe de la compassion massive, le sentiment dominant du «vivre ensemble» ...
Alors, et de plus en plus par la suite, il est devenu clair que c'est toute la société qui est menacée et pas uniquement les Juifs - quoique toujours eux, aussi, électivement. L'enclos sécuritaire dans lequel ils avaient été enfermés (et exclus) englobe maintenant toute la société. L'idée qu'Israël est toujours coupable subsiste cependant. Il n'est que de voir le traitement discriminant que l'AFP fait, ces jours ci même, du djihadisme palestinien et du djihadisme français. L'agresseur (des Israéliens, ou plus précisément des «Juifs») , est toujours exonéré, là où, en France, il est (quoiqu'à peine) condamné mais toujours pas nommé ni ramené à son motif religieux - jusqu'au comique.
Ceci explique pourquoi le «nouvel» antisémitisme fut au cœur de la situation française, comme le laboratoire, durant 15 ans, de ce qui s'y tramait. Il en est la clef. Michel Houellebecq traduit cet état de faits, à sa manière, dans Soumission , en mettant dans la bouche de son héros que sa petite amie juive quitte pour Israël devant l'avancée islamique: «il n'y a pas d'Israël pour moi, une pensée bien pauvre; mais une pensée exacte».

Laurent Bouvet : l'islamisme, la gauche et le complexe colonial

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Laurent Bouvet
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans un entretien fleuve, Laurent Bouvet décrypte les origines et les rouages de l'islamo-gauchisme. A la recherche d'un nouveau prolétariat, cette gauche aveuglée voit dans les islamistes des damnés de la terre à défendre.

Laurent Bouvet est professeur de Science politique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié L'Insécurité culturelle chez Fayard en 2015.

FIGAROVOX. - Comment expliquez-vous la difficulté d'une partie des intellectuels de gauche à penser l'islamisme voire simplement à prononcer son nom? La communauté musulmane est-elle devenue le nouveau prolétariat d'une certaine gauche?
Il y a sans doute plusieurs explications possibles à ce qui est chez certains intellectuels, journalistes, chercheurs… de l'aveuglement, plus ou moins volontaire, et chez d'autres, peu nombreux en fait, un choix déterminé, politique voire idéologique. Je privilégierai ici comme explication structurelle ce que l'on pourrait nommer le complexe colonial.
Dans le cas français spécialement et européen plus largement, la colonisation a particulièrement concerné des populations de religion musulmane. Depuis la décolonisation d'une part et la fin des grands récits de l'émancipation nationaliste ou anti-impérialiste d'autre part, une forme de pensée, et les désormais incontournables «études» qui vont avec dans le monde universitaire, post-coloniale s'est développée. Elle est appuyée sur une idée simple: l'homme blanc, européen, occidental, chrétien (et juif aussi) est resté fondamentalement un colonisateur en raison de traits qui lui seraient propres (comme par essence): raciste, impérialiste, dominateur, etc. Par conséquent, les anciens colonisés sont restés des dominés, des victimes de cet homme blanc, européen, occidental, judéo-chrétien.
À partir des années 1970, à l'occasion de la crise économique qui commence et de l'installation de l'immigration issue des anciens pays colonisés, cette pensée postcoloniale va phagocyter en quelque sorte la pensée de l'émancipation ouvrière classique et de la lutte des classes qui s'est développée depuis la Révolution industrielle et incarnée dans le socialisme notamment. La figure du «damné de la terre» va ainsi se réduire peu à peu à l'ancien colonisé, immigré désormais, c'est-à-dire à celui qui est différent, qui est «l'autre», non plus principalement à raison de sa position dans le processus de production économique ou de sa situation sociale mais de son pays d'origine, de la couleur de sa peau, de son origine ethnique puis, plus récemment, de sa religion. Et ce, au moment même où des lectures renouvelées et radicalisées de l'islam deviennent des outils de contestation des régimes en place dans le monde arabo-musulman.
Toute une partie de la gauche, politique, associative, syndicale, intellectuelle…, orpheline du grand récit


socialiste et communiste, va trouver dans ce combat pour ces nouveaux damnés de la terre sa raison d'être alors qu'elle se convertit très largement aux différentes formes du libéralisme. Politique avec les droits de l'Homme et la démocratie libérale contre les résidus du totalitarisme communiste ; économique avec la loi du marché et le capitalisme financier contre l'étatisme et le keynésianisme ; culturel avec l'émancipation individuelle à raison de l'identité propre de chacun plutôt que collective. En France, la forme d'antiracisme qui se développe dans les années 1980 sous la gauche au pouvoir témoigne bien de cette évolution.
À partir de là, on peut aisément dérouler l'histoire des 30-40 dernières années pour arriver à la situation actuelle. Être du côté des victimes et des dominés permet de se donner une contenance morale voire un but politique alors que l'on a renoncé, dans les faits sinon dans le discours, à toute idée d'émancipation collective et de transformation de la société autrement qu'au travers de l'attribution de droits individuels aux victimes et aux dominés précisément. À partir du moment où ces victimes et ces dominés sont incarnés dans la figure de «l'autre» que soi-même, ils ne peuvent en aucun cas avoir tort et tout ce qu'ils font, disent, revendiquent, etc. est un élément de leur identité de victime et de dominé. Dans un tel cadre, l'homme blanc, européen, occidental, judéo-chrétien… ne peut donc jamais, par construction, avoir raison, quoi qu'il dise ou fasse. Il est toujours déjà coupable et dominateur.
Pour toute une partie de la gauche, chez les intellectuels notamment, tout ceci est devenu une doxa. Tout questionnement, toute remise en question, toute critique étant instantanément considérée à la fois comme une mécompréhension tragique de la société, de l'Histoire et des véritables enjeux contemporains, comme une atteinte insupportable au Bien, à la seule et unique morale, et comme le signe d'une attitude profondément réactionnaire, raciste, «islamophobe», etc. C'est pour cette raison me semble-t-il que l'on retrouve aujourd'hui dans le débat intellectuel et plus largement public, une violence que l'on avait oubliée depuis l'époque de la Guerre froide. Tout désaccord, toute nuance, tout questionnement est immédiatement disqualifié.
Cette doxa a-t-elle été ébranlée par le retour du «tragique» dans l'histoire auquel nous assistons depuis les attentats de 2001 aux Etats-Unis?
L'avènement depuis une quinzaine d'années sur le sol occidental (et son intensification en France particulièrement ces dernières années) d'un terrorisme islamiste qui prolonge le djihad mené dans les pays arabes en particulier n'a pratiquement pas entamé cette doxa. Dans un tel cadre, le terroriste est d'abord et avant tout perçu lui aussi comme une victime même si son acte est condamné en tant que tel. Victime de la situation sociale dans laquelle se trouvent les populations issues de l'immigration (ghettos urbains, chômage de masse…), victime de la manière dont il est traité comme croyant, victime de «l'islamophobie» de la «laïcité à la française», du «racisme d'État»…, victime même, comme on l'a vu après l'attentat de Nice, d'une société


occidentale pervertissant l'individu (bisexualité, divorce, alcoolisme, dépression…). Dans un tel schéma, l'islamiste n'est donc jamais responsable de sa manière de croire et de pratiquer l'islam, comme le terroriste n'est jamais pleinement responsable de ses actes. C'est la société occidentale qui est d'abord et avant tout à blâmer, c'est «nous» qui sommes les véritables responsables de ce qui nous arrive. On peut souligner, d'ailleurs, à ce propos, qu'il est pour le moins étrange pour ne pas dire cocasse que ce soient souvent les mêmes qui nient tout caractère islamiste à un acte terroriste et qui appellent à ne surtout pas faire d'amalgame entre l'auteur de l'acte et l'ensemble des musulmans.
Difficile dès lors de débattre sereinement et surtout efficacement de l'attitude à adopter face au terrorisme islamiste, des politiques à mettre en place, des changements à introduire dans nos lois comme dans nos habitudes. Ne serait-ce que puisque face à cette forme de déni du réel que pratique une partie de la gauche, se construit une force qui va jusqu'à rejeter la possibilité même de l'existence de Français musulmans et elle aussi construite sur la mise en avant d'une identité (française, européenne, blanche, occidentale, chrétienne…) revendiquée comme «seule et vraie». Dérive que l'on trouve aujourd'hui en partie à droite et à l'extrême-droite. Or on ne peut se satisfaire d'un débat opposant, comme c'est malheureusement trop souvent le cas aujourd'hui, une gauche du déni à une droite du rejet. Pas seulement parce qu'il est vicié intellectuellement mais parce qu'il ne peut conduire qu'au pire.
Comment expliquer le glissement historique d'une gauche largement anticléricale quand elle faisait face à l'Eglise à une gauche très défensive quand il s'agit d'appliquer le cadre de la laïcité à l'Islam?
Outre, très largement, pour les raisons que je viens de décrire, parce qu'une partie de cette gauche sécularisée pendant des décennies avait trouvé un substitut religieux dans la croyance idéologique communiste notamment - on peut rappeler d'ailleurs en passant que l'idéologie et la religion fonctionnent de la même marnière comme représentation inversée de la réalité chez Marx. L'effondrement des grands récits idéologiques du XXe siècle a laissé cette gauche dans le désarroi. Ne plus pouvoir opposer de Vérité au réel lui était d'une certaine manière insupportable. D'où la transformation rapide, dans les années 1990-2000, de la pensée postcoloniale en une forme idéologique autonome et surdéterminante (alors qu'auparavant elle pouvait encore être incluse dans le récit communiste global).
Le rapport de cette gauche à l'Église est resté le même que celui de la période précédente, alliant d'une forme d'anticléricalisme viscéral à la condamnation du caractère rétrograde de l'Église sur les questions de mœurs en particulier - on l'a bien vu au moment du «mariage pour tous». La laïcité n'étant ici ni discutée ni discutable


d'une certaine manière. Même si sur d'autres sujets, l'Église est plutôt considérée comme une alliée à gauche. C'est le cas en ce qui concerne l'accueil des migrants par exemple.
En revanche, le rapport à l'islam est lui nouveau historiquement. Cette religion, y compris dans ses formes les plus radicales, n'est pas considérée d'abord et avant tout comme une religion, comme un possible «opium du peuple», mais comme un des traits identitaires spécifiques des victimes et des dominés du monde postcolonial. Ce qui conduit à des choses étranges sur le plan philosophique, comme la défense du voile islamique au nom de la liberté individuelle par des responsables ou des militants politiques se réclamant du marxisme. On repense ici, par exemple, à l'épisode de la jeune candidate du NPA portant le voile aux régionales de 2010 en région PACA qui avait été défendue pour ce motif par Olivier Besancenot notamment.
On assiste donc, très largement au sein de la gauche, toutes familles politiques confondues, à ce deux poids deux mesures étonnant sur la laïcité. Comme si celle-ci était à géométrie variable selon la religion concernée. Ainsi, autre exemple, nombre d'élus de gauche sont-ils prompts à souhaiter publiquement aux musulmans de bonnes fêtes à l'occasion de la fin du Ramadan sans le faire pour d'autres religions. Or il me semble difficile d'adapter ainsi son attitude en fonction de telle ou telle religion. Il me semble difficile d'accueillir une cérémonie de rupture du jeûne dans une mairie alors qu'on n'y interdit la crèche de Noël pour prendre un autre exemple. La laïcité devrait simplement enjoindre aux élus à ne pas se mêler, dans le cadre de leurs fonctions, de religion.
Que pensez-vous des références nombreuses à la Seconde Guerre mondiale, au régime de Vichy pour parler de l'état d'urgence ou au parallèle entre les musulmans et les juifs?
Je suis toujours très circonspect sur les évocations historiques de ce genre au regard de la situation actuelle. D'autant plus qu'elles servent beaucoup, depuis quelques années, avec l'explosion de l'usage des réseaux sociaux, à disqualifier l'adversaire. C'est le fameux point Godwin qui veut que dans une conversation sur un réseau social, à un moment donné, dans le cadre d'un désaccord, on vous traite de nazi.
Concernant l'état d'urgence, nul besoin d'évoquer Vichy. Il suffit simplement de comparer ce qu'est l'état d'urgence dans un grand pays démocratique, dans un état de droit ancien et solide comme la France, à celui qui vient d'être décrété par Erdogan en Turquie. L'évocation sans plus de précaution dans le débat politique français de Vichy ces dernières semaines à propos de l'état d'urgence ou de l'usage du 49.3 par le


gouvernement est tout simplement ridicule. Elles témoignent, plus profondément, me semble-t-il, du désarroi d'une partie, réduire et extrême, de la gauche qui n'a plus que ça pour tenter de se faire entendre parce que son poids politique est tellement réduit qu'elle est tout simplement inaudible. C'est la même logique que la violence symbolique et parfois physique qui sourd régulièrement de cette extrême-gauche, sur les réseaux sociaux, dans les manifestations…
Quant au parallèle entre juifs et musulmans comme boucs émissaires, là aussi, attention. Outre la comparaison historique oiseuse qui consiste à faire des musulmans d'aujourd'hui ce qu'étaient les juifs hier à l'époque nazie, la situation n'est pas du tout comparable. Personne n'extermine en masse les musulmans ou n'a même décidé de le faire. Et les morts musulmans aujourd'hui dans le monde en raison de la guerre ou du terrorisme le sont d'abord sous les coups d'autres musulmans. Je ne suis pas certain qu'une telle comparaison serve le propos de ceux qui s'y risquent.
En France, aujourd'hui, s'il y a bien des formes de racisme anti-musulman qui s'expriment, et parfois des actes qui se commettent, outre qu'ils sont répréhensibles et réprimés - je pense notamment aux outils mis en place avec la DILCRA notamment depuis 4 ans pour améliorer les signalements et conduire à des poursuites pénales -, il n'y a pas eu de musulman qui ait été assassiné à raison de sa religion en France - à l'exception des militaires tués par Merah en 2012 et du policier abattu boulevard Richard-Lenoir par les frères Kouachi en janvier 2015. Encore ont-ils été tués sans doute davantage parce qu'ils portaient l'uniforme qu'à raison de leur confession supposée. Et en tout cas, il ne s'agit pas de crimes «islamophobes». Tous les musulmans morts dans l'attentat de Nice par exemple n'ont pas été visés en tant que tels. Dans le cas de l'antisémitisme, outre les paroles et les actes, nombreux, les victimes de Merah dans l'école juive en 2012 ou de Coulibaly à l'Hyper Cacher en janvier 2015 l'ont été parce qu'elles étaient juives et visées comme telles.
Le conflit israélo-palestinien ou les traces de la Guerre d'Algérie entretiennent-ils cette islamo-gauchisme? La concurrence victimaire est-elle devenue le moteur de celui-ci?
Il y a, incontestablement, au sein de cette gauche extrême dont on parlait plus haut, la tentation de rejouer en permanence les conflits coloniaux ou d'importer en France des conflits extérieurs, comme celui entre Israël et les Palestiniens. On le voit à l'occasion des manifestations comme celles de l'été 2014 en faveur de Gaza ou dans les campagnes de boycott des produits israéliens par exemple. C'est heureusement limité. Et s'il ne se trouvait pas toujours des responsables médiatiques, politiques ou syndicaux pour donner du crédit ou soutenir ces actions gauchistes, elles n'auraient aucun écho.


Disons, pour simplifier, qu'il existe une forme de gauchisme culturel qui dépasse de loin les frontières du gauchisme politique. Ce ne serait pas plus gênant que ça si le folklore auquel ça conduit ne débouchait pas aujourd'hui, alors que les circonstances historiques sont particulièrement graves, sur une dégradation du débat public, sur une violence verbale et symbolique souvent odieuse, en tout cas hors de proportion avec la réalité des faits. Il faut donc y être attentif et ne pas s'y laisser prendre, ce qui n'est pas toujours facile, sur les réseaux sociaux notamment.
La concurrence victimaire renvoie à ce que j'ai dit plus haut en rapport avec la pensée post-coloniale. Dans une telle conception où l'on ne voit l'autre que comme une victime de ce que l'on est soi-même, alors il ne peut y avoir que de la concurrence entre victimes pour obtenir telle visibilité médiatique, telle reconnaissance publique, tel droit particulier, telle subvention, etc. Le libéralisme ne s'arrête pas au post-colonialisme. La loi du marché s'applique aussi à la concurrence victimaire. C'est ce qui échappe visiblement à toute cette gauche qui se prétend fortement antilibérale parce qu'elle conteste la mondialisation économique ou la déréglementation du travail mais qui est très libérale dès lors qu'il s'agit des questions identitaires et culturelles.
Face à la question de l'islamisme mais aussi de l'immigration musulmane, la dimension culturelle de l'Islam est-elle un impensé?
C'est une question fondamentale mais à laquelle je ne peux pas répondre car je n'ai pas la connaissance nécessaire pour le faire.
Je ne peux que formuler une hypothèse. Pour moi, de ce que j'en sais et de ce que je peux en comprendre, l'islam comme religion (au sens donc cultuel et culturel), n'est pas a priori incompatible avec ce que l'on peut


appeler la modernité occidentale - celle qui s'est déployée depuis cinq siècles sur le socle de la société judéo-chrétienne qu'on trouvait en Europe. C'est-à-dire avec la liberté individuelle (y compris de ne pas croire), l'égalité de droits, en particulier entre hommes et femmes, la démocratie, l'état de droit, etc. Il n'y a donc pas de fatalité et pas de «choc de civilisation» en soi.
Évidemment, aujourd'hui, dans toute une partie de l'islam, cette modernité occidentale est condamnée et attaquée pour ce qu'elle véhicule de valeurs et comme modèle de société. Il me semble donc que la partie qui se joue aujourd'hui n'est pas entre l'islam et l'Occident mais entre l'islamisme et le refus de l'islamisme, aussi bien au sein des populations musulmanes que non musulmanes, en Occident comme dans le monde arabo-musulman.
Dans votre livre L'insécurité culturelle, vous défendez la notion de «commun» pour que la communauté nationale se retrouve autour de valeurs partagées. Concrètement, une proximité culturelle minimale n'est-elle pas aussi une condition nécessaire de cette communauté de valeurs?
Oui, pour qu'il y ait du commun, il faut qu'il y ait une proximité culturelle et pas seulement principielle ou institutionnelle. C'est une évidence.


La question étant ce que l'on met dans le terme «culturel». Une culture n'est pas quelque chose de figé, ce n'est pas une essence. C'est un ensemble de références, de valeurs, d'habitudes, etc. mouvant et cumulatif. C'est un lien entre ceux qui en partagent l'essentiel mais c'est aussi un lieu de débat ou d'affrontement sur le sens qu'on peut lui donner.
On parlait à l'instant de l'islam. Or ce qui le caractérise, au-delà du fait que c'est une religion, un lien entre les croyants dans le même dieu, c'est aussi son extraordinaire diversité culturelle à travers le monde. C'est d'ailleurs ce que veulent réduire les islamistes en imposant une seule vision de l'islam.
Au-delà encore, pour moi, une culture, la culture, c'est précisément le mouvement et la mixité, le contraire même de la fixité et de l'essence. C'est d'ailleurs ce que nous enseigne notre propre histoire, occidentale, européenne, puisqu'on a commencé par ça. La possibilité du désaccord et de la vie en commun malgré ce désaccord, puis de son dépassement à travers une nouvelle forme culturelle qui inclut les anciens désaccords, c'est toute l'histoire de notre culture occidentale.
Le commun permet précisément l'existence de différences parce qu'on accepte le cadre d'ensemble dans lequel elles peuvent s'exprimer. C'est donc à la fois le fruit d'un effort, d'une volonté, je n'ose dire générale, et en même temps le résultat d'un long processus historique fait de heurts et d'affrontements. Il faut à la fois le vouloir, et faire ce qu'il faut pour, et en même temps ne pas l'envisager comme quelque chose de figé et de fixé une fois pour toutes. C'est pourquoi d'ailleurs, en France, la République est l'expression historique la plus achevée de ce commun, englobant et dépassant à la fois l'Histoire longue de la France qui l'a précédée. On peut citer Péguy quand il intitulait un de ses Cahiers: «La République, une et indivisible, notre royaume de France».

Des territoires perdus de la République aux territoires perdus de la nation

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Des territoires perdus de la République aux territoires perdus de la nation
FIGAROVOX/COLLECTION - Jusqu'à la fin de l'année, nous republions exceptionnellement nos meilleurs entretiens. Georges Bensoussan analyse le phénomène de déliquescence de la nation que des politiques, conscients mais impuissants, ne réussisent pas à endiguer.

Georges Bensoussan est historien, spécialiste d'histoire culturelle de l'Europe des XIXe et XXe siècles, et en particulier des mondes juifs. Il a dirigé l'ouvrage Les Territoires perdus de la République (Mille et une nuits, 2002) rassemblant les témoignages d'enseignants et chefs d'établissements scolaires.

Cet entretien est paru sur le site FigaroVox le 14 août 2015.

PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO @AlexDevecchio

LE FIGARO. - La première édition des Territoires perdus de la République date de septembre 2002. Vous y dénonciez les maux qui rongent l'école, mais aussi la société française: la violence, l'islamisme, l'antisémitisme. A l'époque, le livre avait été accueilli par un long silence médiatique. Rétrospectivement, comment expliquez-vous cette omerta?
Georges BENSOUSSAN. - L'omerta fait partie des problèmes dénoncés dans le livre. Il y a peur de dire ce que l'on voit comme si dire le réel, c'était le faire exister. A l'époque, nous constations que l'intégration d'une partie des populations de banlieues, progressivement reléguée dans des cités et frappée par le chômage de masse, était en panne. Après avoir fonctionné jusque dans les années 80, l'intégration s'est bloquée à la fin des années 90, ce que l'on constate aujourd'hui avec la hausse des unions endogames. Or, il semblait difficile en France de faire ce simple constat car on risquait d'être accusé de racisme, de stigmatiser et d'amalgamer des populations. C'est d'ailleurs l'accusation qui nous fut d'emblée imputée. Une culture d'une partie de la gauche dominante (à distinguer de la gauche antitotalitaire dans la lignée d'Orwell) nous a enfermés dans la frilosité. Il est devenu presque impossible de dénoncer certains périls sans être accusé d'appartenir au camp du mal. Pourtant, les sept auteurs de la première édition, tout comme les treize de la seconde, venaient tous, quasiment sans exception, des rangs de la gauche. Le silence médiatique autour de ce livre, puis sa stigmatisation, était révélateur d'un climat de terrorisme intellectuel qui n'a d'ailleurs rien de nouveau. Les réactions qui ont entouré Les territoires perdus de la République sont de même nature que celles qui ont entourées les débats politiques français des années 50-60, quand une pensée antitotalitaire était accusée de faire le jeu de la bourgeoisie. Pour s'en convaincre, il faut relire les joutes qui opposèrent Albert Camus, Raymond Aron ou Arthur Koestler à toute une partie de la gauche. Une gauche qui était à l'époque dominée culturellement par le Parti communiste. Nombre d'intellectuels se posaient moins la question de la vérité que celle de savoir de qui «on faisait le jeu». Aujourd'hui, certains intellectuels de gauche n'entendent pas, disent-ils, pas faire le jeu du FN, comme leurs aïeux autrefois, communistes ou proches du PC (les «compagnons de route»), ne voulaient pas faire le jeu du grand capital. Pour un intellectuel, une seule question devrait se poser: les faits sont-ils avérés ou non? Dans les années 1940 en Angleterre, Orwell avait été confronté au même problème. Bien que venant des rangs de la gauche travailliste, il se voyait reprocher de faire le jeu des conservateurs anglais. Les blocages auxquels nous nous sommes heurtés avec ce livre sont les mêmes que ceux qui ont marqué le XXe siècle, c'est le débat entre totalitarisme et antitotalitarisme.
Vous écrivez que nous sommes passés des territoires perdus de la République aux territoires perdus de la nation … De septembre 2002 aux attentats de janvier 2015, avons-nous perdu une décennie?
En 2002, nous étions encore habités par le mot «République», agité comme un talisman, comme un sésame salvateur. Or, la République est d'abord une forme de régime. Elle ne désigne pas un ancrage culturel ou historique. La nation, elle, est l'adhésion à un ensemble de valeurs et rien d'autre. Ce n'est pas le sang, pas le sol, pas la race. Peut être Français, quelle que soit sa couleur de peau ou sa religion, celui qui adhère au roman national selon la définition bien connue d'Ernest Renan: «Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis.» Nous avions un peu délaissé cette définition pour mettre en avant les valeurs de la République. Nous avons fait une erreur de diagnostic. Nous n'avions pas vu que la nation, et non seulement la République, était en train de se déliter. Une partie de la population française, née en France, souvent de parents eux-mêmes nés en France, a le sentiment de ne pas appartenir à celle-ci. Alors qu'ils sont français depuis deux générations pour beaucoup, certains adolescents dans les collèges et lycées, comme aussi certains adultes, n'hésitent plus à affirmer que la France n'est pas leur pays. Ajoutant: «Mon pays c'est l'Algérie…» (ou la Tunisie, etc…). Les incidents lors de la minute de silence pour les assassinés de Merah comme pour ceux de janvier 2015 furent extrêmement nombreux. On a cherché comme toujours à masquer, à minimiser, à ne pas nommer. Dans la longue histoire de l'immigration en France, cet échec à la 3° génération est un fait historique inédit. Certains historiens de l'immigration font remarquer, à juste titre, qu'il y eut toujours des problèmes d'intégration, même avec l'immigration européenne. Mais pour la première fois dans l'Histoire nous assistons à un phénomène de désintégration, voire de désassimilation. C'est pourquoi, ce n'est pas la République seule qui est en cause, mais bien la nation française: notre ancrage historique, nos valeurs, notre langue, notre littérature et notre Histoire. Toute une partie de la jeunesse de notre pays se reconnaît de moins en moins dans notre culture. Elle lui devient un code culturel étranger, une langue morte et pas seulement pour des raisons sociales.


Nous sommes en train d'assister en France à l'émergence de deux peuples au point que certains évoquent des germes de guerre civile. Dans le cadre de la préparation d'un nouvel ouvrage, j'ai été frappé en écoutant plusieurs de mes interlocuteurs de voir que l'expression «guerre civile», qui aurait fait ricaner il y a dix ans ou surpris il y a cinq ans, est aujourd'hui dans les bouches d'un grand nombre, tant d'élus de terrain, de policiers, de médecins hospitaliers (service des urgences par exemple) ou de banlieue. Le sentiment que deux peuples sont en train de se former, côte à côte, et qui se regardent souvent avec hostilité, ce sentiment-là est aujourd'hui partagé par beaucoup.
Pourquoi, selon vous, personne n'est descendu dans la rue au moment de l'affaire Merah?
En mai 1990, après la profanation du cimetière juif de Carpentras, des centaines de milliers de Français étaient descendus dans la rue, y compris le président de la République. En 2012, une génération plus tard, pour Ilan Halimi en 2006, en mémoire aux victimes de Merah en 2012, de Nemmouche en 2014, il n'y avait plus personne, sauf des juifs. La montée du communautarisme, du repli sur soi et de l'indifférence sont patents, signe d'un morcellement de la société française, d'un repli sur soi moins hédoniste que désespéré est en train de l'emporter qui multiplie les gestes et les mots du découragement: «on ne peut rien y faire», «ça ne changera jamais», «c'est trop tard», etc…. Mais aussi, hélas, et le fait n'est pas nouveau, le massif «ce n'est pas notre affaire». Cela posé, la raison essentielle de cette désaffection est peut être ailleurs: l'affaire Merah témoignait d'un antisémitisme qui ne venait pas d'où on l'attendait, l'extrême droite. De là un malaise général. Souvenons-nous de la période qui sépare les meurtres de la mort de Merah sous les balles du GIGN. Il s'est écoulé une semaine durant laquelle un grand nombre des bien-pensants de ce pays, et en particulier les spécialistes du déni de réalité, étaient convaincus que l'assassin était un néo-nazi, un Breivik à la française. Le fait que Mohammed Merah fût musulman en a gêné plus d'un. Ainsi, l'ennemi n'était pas le bon. Pour descendre dans la rue, il fallait qu'il soit conforme, breveté d'extrême droite et blanc. Une certaine instrumentalisation de l'histoire, mais pas cette histoire elle-même évidemment, a paralysé la réflexion politique. On n'a cessé de rejouer les années noires en télescopant les situations jusqu'à voir dans tout immigré clandestin un Juif du Vel d'Hiv en 1942, comme s'il fallait racheter la mollesse et l'indifférence des aïeux. De surcroît, troublant était le fait que Merah était français, né en France… et qu'il était au collège au moment de la première édition des Territoires perdus de la République. Je veux dire par là que cela interroge l'Education nationale, et notamment cette idée un peu simple selon laquelle un bon enseignement de la Shoah ( ce qui est le cas en France) suffirait à endiguer racisme et antisémitisme.
Aujourd'hui, les politiques et les médias ont-ils suffisamment ouvert les yeux?
Les élus de terrain, tant de droite que de gauche, sont conscients des réalités. Mais beaucoup ont peur de parler. Afortiori du coté des hommes politiques dont le courage n'est pas la qualité première à l'exception de quelques-uns. Comme s'ils craignaient, en parlant, de faire sauter un baril de poudre tant la situation leur parait (et ici ils ont raison) dangereuse. La France est en effet l'un des pays d'Europe parmi les plus exposés au risque de conflits internes.


La peur d'être taxé de racisme joue son rôle dans la paralysie française. Et la désespérance du plus grand nombre dont la parole est d'emblée invalidée au nom d'un antiracisme dévoyé. Cette crainte va jusqu'à reprendre un discours concocté par l'adversaire sans s'interroger sur la pertinence des «mots». Ainsi du mot «islamophobie», un terme particulièrement inepte en effet qui réintroduit en France la notion de blasphème. On peut s'opposer à la religion, qu'elle soit juive, catholique ou musulmane, sans être raciste. Le combat laïque c'est le refus qu'une religion quelle qu'elle soit prévale sur la loi civile. Ce combat difficile a finalement été gagné en France entre 1880 et 1905. Céder sur ce plan c'est détricoter deux siècles de Révolution française pour parler comme François Furet et plus d'un siècle d'une histoire de France qui a fait de la République non seulement un régime mais une culture. Il nous faut comprendre que le mot islamophobie, forgé par des associations musulmanes, crée à dessein de la confusion pour culpabiliser les tenants du combat républicain. Pour faire entendre, en bref, que ce seraient des racistes à peine dissimulés. En invoquant à contre-emploi le racisme et en usant d'un antiracisme défiguré ( celui-là même qu'on a vu à Durban en 2001 où l'on entendait le cri de «One Jew, one bullett»), il s'agit de faire taire toute voix dissidente. En instrumentalisant l'histoire au passage, c'est ce que Leo Strauss appelait la Reductio ad Hitlerum.
L'un des premiers soucis de la classe médiatique et politique après les crimes de Merah et les attentats de janvier 2015 fut d'éviter les «amalgames». Comme si les premières victimes des violences étaient les Français d'origine maghrébine ou les musulmans. Près de soixante-dix ans plus tôt, en novembre 1945, après les terribles pogroms qui venaient d'ensanglanter la communauté juive de Tripoli en Libye (plus de quarante assassinats dans des conditions atroces), les dignitaires musulmans de la ville estimaient que les premières victimes étaient moins les juifs qu'eux-mêmes, car disaient-ils, ils risquaient d'être désormais «montrés du doigt». En revanche, il n'y eut pas condamnation publique de ces actes. Comme aujourd'hui. Quand en avril 2012 l'imam Chalghoumi organisa une manifestation de protestation contre les agissements de Merah, il ne réunit qu'une cinquantaine de personnes.
Vous faites référence au monde imaginé par Orwell dans son roman d'anticipation 1984. Notre système peut-il vraiment être qualifié de totalitaire?
Nous ne sommes pas dans un système totalitaire, mais dans un système d'avachissement de la démocratie que Tocqueville avait annoncé. Cet avachissement est marqué par le triomphe de l'intérêt individuel et le désintérêt pour la chose publique. Dans le contexte historique particulier qui est celui de la France, cela se traduit par une pensée a-critique et frileuse, même si cette frilosité, voire cette lâcheté ne sont pas chose nouvelle. On n'en finirait pas de faire la généalogie du déclin de ce qui fut jadis la «Grande Nation». Nul doute qu'à cet égard le XX° siècle français, jusqu'à nos jours même, paie l'énorme saignée de la Grande Guerre. De ce désastre-là, la France ne s'est jamais remise. Elle avait gagné la guerre mais perdu ses hommes et à long terme son vouloir vivre national. Toutes les campagnes françaises se font l'écho d'une tragédie qui naturellement appelait dans son sillage une immigration de peuplement qui, chaque jour plus nombreuse, a atteint un seuil tel que la machine à intégrer s'est finalement enrayée. Un pays est capable d'intégrer des minorités par capillarité. C'est moins vrai quand il s'agit depuis 40 ans de flux démographiques de masse.
Vous reprochez à l'Etat et notamment à l'école d'avoir fait trop de concession aux revendications communautaires. Que pensez-vous du débat actuel sur les menus de substitution?
Il est posé de manière caricaturale car on voit bien la volonté de certains politiques de surfer sur la polémique. Il pose cependant une question de fond comme il est symptomatique aussi d'un danger qui guette la société française. Il faut rappeler d'abord que la cantine n'est pas obligatoire. Introduire les menus de substitution dans les écoles, c'est donner prise à des pratiques communautaires qui n'auront dès lors aucune raison de s'arrêter. Là est le risque, c'est ce premier pas qui permettra tous les autres et qui conduira à détricoter le tissu laïque et à nous engager sur un chemin contraire à celui qui depuis deux siècles a fait la nation française.
Le terreau des réalités que vous décrivez est-il social ou culturel?
Les deux. Les causes sociales sont une évidence. Mais celui qui y réduirait son analyse se condamnerait à ne rien entendre à la complexité de la situation comme l'a bien montré Hugues Lagrange. En banlieue, le taux de chômage des moins de 25 ans avoisine parfois les 40- 50%. L'arrivée d'une immigration de masse à partir de 1975, au moment où les Trente Glorieuses s'achevaient, est un premier jalon dans cette histoire. On peut d'ailleurs se demander pourquoi, sept ans seulement après Mai 1968, la bourgeoisie française a favorisé cette immigration de masse à laquelle le PCF s'opposait dès 1980, ce qu'on a souvent oublié. Pourquoi est-ce sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, l'homme du retour au pouvoir de la droite libérale non gaulliste, qu'a été mis en place le regroupement familial alors que les emplois se faisaient de plus en plus rares? Dès lors qu'il ne s'agissait plus d'une immigration de travail, mais d'immigration familiale progressivement reléguée dans des cités, l'intégration était compromise. Conjugué au chômage, à la pauvreté, au confinement géographique des mêmes cultures et des mêmes nationalités, le facteur culturel, dégradé en repli identitaire, ne pouvait que jouer sur fond de frustration et de ressentiment.


Un repli identitaire qui a d'abord concerné des populations jeunes et nombreuses, venues d'un monde musulman en expansion et qui, au même moment, trouvait son expression politique dans l'islamisme et non plus dans le nationalisme arabe qui avait échoué. Ajoutez à cela l'environnement médiatique, la télévision par câble, satellite et internet qui a favorisé la diffusion des thèses islamistes et d'un antisémitisme virulent qui viennent du Moyen-Orient. La conjonction de ces facteurs, démographiques, sociaux, culturels et médiatiques a divisé le pays. La réaction aux attentats de janvier 2015, loin de montrer une nation unie, a mis en lumière deux pays cote a cote mais qui ne font plus nation. Ce phénomène, je le redis, est nouveau dans la longue histoire de l'immigration en France. Pour certains, ce fossé pourra se combler demain. J'en suis moins convaincu, il semble que la situation ait atteint un seuil d'irréversibilité.
Le risque n'est-il pas de sombrer dans une forme d'essentialisation?
C'est effectivement le principal reproche qui nous est fait. Cependant, la culture est tout sauf une essence. Ce qui est essence s'appelle «la race». Lorsqu'on est né dans un groupe ethnique, on n'en sort pas. On restera toujours ethniquement parlant Juif du Maroc ou Sénégalais peul. En revanche, la culture s'acquiert. Elle est dynamique. On peut être Juif du Maroc ou Sénégalais peul, lorsqu'on vit en France et qu'on finit par aimer ce pays, on devient français. La culture est le contraire absolu de l'essence. L'histoire culturelle, c'est l'histoire des mentalités, des croyances, de la mythologie, des valeurs d'une société qui permet de comprendre l'imaginaire des hommes d'un temps donné. Cette histoire n'est pas fixe. Il suffit pour s'en convaincre de réfléchir à la conception de l'enfant dans la culture occidentale, à l'image qu'on s'en faisait au Moyen-Age, au XVIIIe siècle, au XXe siècle. Il s'agit là d'un processus dynamique, rien d'un fixisme.
Mais si la culture est le contraire de la race, pourquoi une telle frilosité à faire de l'histoire culturelle, une telle peur de nommer les problèmes culturels par leurs noms? Dans un domaine moins polémique, pourquoi certains ont-ils encore peur de dire que le nazisme est un enfant de l'Allemagne et pas seulement de l'Europe? Qu'il y a dans le nazisme des éléments qui n'appartiennent qu'à la culture allemande traditionnelle depuis Luther et même bien avant. Les grands germanistes français du XX° siècle le savaient, depuis Edmond Vermeil jusqu'à Rita Thalmann et plus près de nous Edouard Husson. Est-ce faire du racisme anti-allemand que le dire? Est-ce faire du racisme que constater dans la culture musulmane, le Coran et les hadiths sont présents des éléments qui rendent impossible la coexistence sur un pied d'égalité avec les non musulmans. Je ne parle pas de la tolérance du dhimmi. Je parle d'égalité et de culture du compromis et de la négociation. Travaillant plusieurs années sur l'histoire des juifs dans le monde arabe aux XIXe et au XXe siècle (pour juifs en pays arabes. Le grand déracinement, 1850-1975, Tallandier, 2012), j'avais constaté l'existence d'une culture arabo-musulmane, du Maroc à l'Irak, entachée d'un puissant antijudaïsme, et ce bien avant le sionisme et la question d'Israël et de la Palestine. Il existe en effet, et de longue date, une culture arabo-musulmane anti-juive, souvent exacerbée par la colonisation ( mais qui n'en fut toutefois jamais à l'origine). Il fallait faire de l'histoire culturelle pour comprendre comment, pourquoi et quand la minorité juive qui s'était progressivement émancipée grâce à l'école, s'était heurtée à une majorité arabo-musulmane aux yeux de laquelle l'émancipation des juifs était inconcevable et irrecevable. Il n'était question alors ni de sionisme, ni d'Israël ni de Gaza. Et encore moins de «territoires occupés» qui, pour les ignorants et les naïfs, constituent le cœur du problème actuel. Ce conflit entre une majorité qui ne supporte pas que le dominé de toujours s'émancipe, et le dominé de toujours qui ne supporte plus la domination d'autrefois, se traduit par un divorce, et donc un départ. Il s'agit là d'histoire culturelle. Où est le racisme?
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