25 avril 2019

Barbara Lefebvre : L’Éducation nationale est en train de détruire «la patrie charnelle» de Péguy.

Barbara Lefebvre: «C’est notre faiblesse, notre fatigue qui fait la force de minorités tyranniques»
ENTRETIEN – L’essayiste juge, dans son nouvel ouvrage*, que les jeunes Français sont devenus des voyageurs sans bagages, qui ignorent l’histoire, la géographie et la littérature de leur propre pays. Professeur d’histoire-géographie, l’auteur juge que la Rue de Grenelle a capitulé et dénonce un état d’esprit qui, affirme-t-elle, vise à discréditer l’idée de nation.
LE FIGARO. – Emmanuel Macron a choisi de se poser en opposant des «nationalismes». Mais, à vous lire, ce serait la nation elle-même qui serait dénigrée ?
Barbara LEFEBVRE. – L’Occident a inventé la nation comme construction politique et historique.
Or, depuis 1945, l’Occident la dénigre, détruisant ce qu’il avait mis des siècles à forger.
Les nations conservent pourtant de puissantes racines.

La France et l’Angleterre ont été les premières nations européennes forgées dans la longue conflictualité de la guerre de Cent Ans.
La seconde aspire aujourd’hui à retrouver sa pleine souveraineté en quittant l’Europe postnationale où elle n’était jamais totalement entrée.
Nous, Français, avons majoritairement conscience d’avoir perdu notre souveraineté, mais nos élites «progressistes» européistes nous reprochent d’aimer encore trop la patrie.
Comment expliquer ce rejet du cadre national par la majorité des élites?


«La population majoritaire s’inscrit toujours dans un cadre national enraciné, le seul qui mobilise les imaginaires pour supporter la dureté de la mondialisation technicienne»


Barbara Lefebvre

Ces dirigeants considèrent la frontière comme une hérésie.
Or la frontière fonde la nation, délimitée par une géographie et une histoire.
La frontière est au fondement de toute civilisation.
Et l’Union européenne a choisi précisément de se construire hors de toute délimitation civilisationnelle: ni racines ni limites.
Les seuls patriotismes légitimes à ses yeux sont ceux des minorités et des régionalismes.
Le néo-nomadisme qui irrigue le discours à la mode ne concerne en réalité que deux petits groupes: les très riches et les très pauvres.
Les uns sont des hédonistes partout chez eux, à Paris ou à New York.
Les autres finissent par n’être de nulle part, émigrent pour s’échouer sous le périphérique parisien, sans avenir.
Pendant ce temps, la population majoritaire s’inscrit toujours dans un cadre national enraciné, le seul qui mobilise les imaginaires pour supporter la dureté de la mondialisation technicienne.
L’aveuglement de nos élites est ici un carburant de la crise.
Peut-on échapper à l’archipélisation de la France décrite par Jérôme Fourquet?
C’est possible à condition de reprendre le fil de notre civilisation. Ce qui a été déconstruit peut être reconstruit et enrichi.
La France est une nation singulière.
Elle ne s’est pas forgée sur une base ethnique mais sur des trames politique, historique, culturelle successives qui ont fait de nous une grande civilisation.
Comme on n’apprend plus à aimer la France mais à la diffamer, le sentiment d’appartenance à la communauté nationale n’est plus nourri.
Si, depuis trois décennies au moins, l’Éducation nationale a autant appauvri l’enseignement de l’histoire, de la géographie, de la littérature, des arts, c’est pour détruire «la patrie charnelle» de Péguy.
Qui n’est plus relié aux générations précédentes devient un simple consommateur, manipulable et interchangeable.
Votre essai s’inscrit dans la lignée de Voyage au centre du malaise français(1993) de Paul Yonnet, trop tôt disparu. Il dénonçait les dangers d’un antiracisme dévoyé et d’un roman national diabolisé. Tout s’est-il joué dans les années 1980?


«Cette disqualification de la nation politique ferait le lit des identitarismes»


Barbara Lefebvre

Portée par la gauche patriotique héritière de 1789, l’idée nationale a glissé tout au long du XIXe pour finir chez la droite conservatrice au tournant du XXe siècle.
Après 1918, la gauche française l’abandonne pour le pacifisme et l’internationalisme.
On verra les retournements de ce glissement en 1940, notamment quand tant de socialistes ont rejoint Vichy.
Puis, dans les années 1980, la gauche néolibérale a élaboré, via Habermas en particulier, son idéologie postmoderne, multiculturaliste et post-nationale.
Elle se donna pour mission de nous rééduquer pour être adaptés à l’économie globalisée.
Paul Yonnet avait analysé que cette disqualification de la nation politique ferait le lit des identitarismes.
À 12 ans, vous portiez le badge Touche pas à mon pote. Vous avez perdu vos illusions depuis longtemps. N’assiste-t-on pas aux derniers feux de cette pseudo «génération morale»?
Je crains qu’elle ne se soit réincarnée.
Aujourd’hui, la dite «gauche morale» des années 1980 parle et écrit en langue inclusive, traque le blackface chez Eschyle, renomme les œuvres d’art au Musée d’Orsay, balance les porcs sous couvert d’anonymat.
L’antiracisme victimaire de la gauche des années 1990 a remis la race au centre des discours.
Ainsi est né le monstre du racialisme décolonial qui abomine toute cohésion nationale fondée sur le refus de l’ethnicisme.
La nation fait son grand retour partout dans le monde. La France peut-elle la réhabiliter à son tour?
La France est destinée à redevenir une nation forte, car elle ne peut être rien d’autre que grande.
On observe la résistance d’un imaginaire collectif malgré la déconstruction opérée par nombre d’intellectuels et de politiques.
La partition n’est pas une fatalité.
C’est notre faiblesse, notre fatigue peut-être, qui fait la force de minorités tyranniques.
Le projet progressiste multiculturaliste qui veut défaire l’union de la communauté politique (la citoyenneté) et de la communauté culturelle (l’identité nationale) échouera, car il est à contre-courant de la volonté générale.
*C’est ça la France…, Barbara Lefebvre, Albin Michel, 224 p., 18 €.

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