18 janvier 2012

Langue maternelle, par Félix Cadet (DP 1887)


Dictionnaire de Pédagogie et d’Instruction primaire, 1887. Partie I, tome 2, pages 1499-1504.
    L’enseignement de la langue nationale est évidemment l’œuvre capitale de l’école primaire. La langue n’est-elle pas le trésor où s’accumulent et se conservent tous les produits de notre civilisation, idées et sentiments, sciences et arts, institutions et découvertes ? n’est-elle pas le moyen par excellence de l’échange et de la transmission de la pensée, dès le jour où notre mère dirige, avec un instinct si sûr, nos premiers bégaiements, puis lorsque la parole vivante du maître nous initie à la science, lorsque surtout le livre, au sortir de l’école, nous permet d’entretenir un commerce suivi avec les grands esprits de tous les pays et de tous les temps? Donner à l’enfant la connaissance de sa langue, non pas seulement de cette langue usuelle qui suffit aux besoins de la vie et à nos rapports journaliers avec nos semblables, mais de cette langue littéraire, qui nous donne accès dans un monde supérieur, c’est lui mettre en mains, avec le goût de la lecture, le plus efficace instrument de l’éducation personnelle. N’est-ce pas, d’ailleurs, une œuvre de patriotisme que de faire comprendre et aimer par tous les enfants de la patrie cette belle et noble langue, « idiome principal de la civilisation qui réunit le monde moderne », dit M. Villemain, consacrée par tant de chefs-d’œuvre, la plus pure et la plus durable de nos gloires, toujours au service des grands principes de justice, de liberté, d’humanité et de progrès ?
    L’enseignement de la langue, dont la portée pourrait être si vaste et l’influence si féconde, est trop souvent, par malheur, réduit dans nos écoles primaires à l’étude des règles de la grammaire, étude ou trop abstraite ou trop superficielle, qui ne va pas au cœur de la langue et s’arrête à la forme extérieure des mots et des conventions actuelles de notre orthographe. Que d’instituteurs n’ont pas encore suffisamment entendu l’appel que leur adressait, il y a quarante ans, le P. Girard, pour mettre dans leurs sèches leçons de mots la pensée, l’âme et la vie, pour transformer des exercices purement mécaniques en gymnastique intellectuelle et en culture morale, pour ne pas se contenter d’être des grammairiens, quand ils pourraient être, de plus, des logiciens, des éducateurs et même des littérateurs! Son beau livre De l’enseignement régulier de la langue maternelle, que l’Académie française a honoré, en 1844, d’un prix extraordinaire, sur un éloquent rapport de M. Villemain, est encore trop peu connu, bien qu’il mérite une place d’honneur parmi nos meilleurs traités de pédagogie.
    Tous les exercices de la classe, nécessitant l’emploi de la langue, peuvent et doivent être utilisés, indépendamment de leur but spécial, pour étendre le vocabulaire des élèves, pour les habituer par la pratique à s’exprimer avec clarté et correction. Le maître ne doit tolérer aucune négligence ; il reprendra les expressions impropres, les tournures irrégulières, les constructions vicieuses. En variant l’ordre et la forme de ses questions, il s’assurera que les enfants comprennent bien le sens des mots, et ne sera pas dupe de leur prodigieuse mémoire. Il ne se contentera pas, dans les réponses, de mots isolés, de lambeaux de phrases : il exigera toujours une expression complète de la pensée. Rien ne vaudra l’influence de ces bonnes habitudes contractées pendant les années d’école pour familiariser les élèves avec l’usage de la langue.
    Mais il y a des exercices qui ont plus particulièrement pour objet cette partie si importante de l’enseignement primaire : ce sont la lecture, la grammaire, la dictée d’orthographe, et la composition française.
    Puisque lire c’est remonter de la forme et des combinaisons des lettres aux sons qu’elles représentent, et des sons aux idées qu’ils expriment, on peut dire que l’enseignement de la langue doit commencer à l’école dès les premiers exercices de lecture. A mesure que l’enfant étudie les voyelles et les consonnes et leurs divers assemblages, il est facile et intéressant de lui faire reconnaître, ou mieux encore, de lui faire trouver ces sons dans des mots à sa portée, dont l’explication égaiera et fécondera l’étude toujours aride de l’alphabet. On vient d’apprendre que B A fait BA : voilà déjà la matière d’un exercice d’application et d’invention. Les élèves, une fois mis sur la voie, trouveront à l’envi balai, balance, balançoire, bateau, batelet, batelier, bave, bavard, bavarder, bavardage, bataille, bataillon, batailleur, etc. On reconnaîtra de même les articulations composées BL, CR, etc. dans les mots blé, blouse, blanchissage, bleu, bluet, craie, crayon, crème, crier, croix, croûte, crin, cravache.
    L’émulation que ne manquera pas de produire cet appel à l’activité des enfants donnera du courage pour vaincre de nouvelles difficultés et faire de nouvelles découvertes. Il n’y a qu’une seule recommandation à faire, c’est de ne pas se laisser entraîner par l’attrait de ce travail, de ne pas s’égarer dans de longues explications qui fassent trop oublier l’objet même de la leçon.
    A mesure que les élèves, par un progrès continu, arrivent à lire intelligiblement d’abord, puis avec intelligence, enfin avec expression, l’enseignement de la langue doit trouver, dans la lecture, un instrument de plus en plus puissant. L’explication du sens des mots, des phrases, du morceau tout entier offre une mine inépuisable au maître qui s’est mis, par le développement général de son intelligence et par une préparation sérieuse, en état d’en tirer parti. Sans parler de la culture de l’esprit et du cœur, et pour nous borner à l’étude de la langue, on peut affirmer que dans le cours élémentaire surtout, où un livre spécial de grammaire serait prématuré, le texte de la lecture non seulement suffit, mais est de beaucoup préférable à tout autre genre de leçon pour initier les jeunes enfants aux premières notions grammaticales. Qu’importe, en effet, qu’ils récitent imperturbablement par cœur les définitions du nom, de l’adjectif, du verbe, s’ils ne sont capables de trouver dans la page qu’ils viennent de lire ni les verbes, ni les adjectifs, ni les noms? Le passage lu en classe et bien expliqué se prête, d’ailleurs, grâce au changement successif des temps, des genres, des nombres, des personnes, à une très grande variété d’exercices oraux, bien préférables à ceux que l’on trouve tout préparés dans les grammaires. Ce travail en commun est autrement vivant et utile que le travail individuel sur un livre dont les phrases détachées présentent moins d’intérêt et de clarté.
    Dans le cours moyen, surtout dans le cours supérieur, où la grammaire est l’objet de leçons spéciales, les explications grammaticales ne doivent plus que par exception trouver place dans la lecture. La leçon de lecture ne doit pas plus être une leçon de grammaire qu’une leçon d’histoire, de géographie, etc. Le but de cet exercice est avant tout l’étude générale de la langue, du vocabulaire, du sens des mots, soit propre, soit dérivé, soit figuré. Toute explication qui ne sert pas à mieux faire comprendre le morceau est un hors-d’œuvre : voilà le principe pédagogique dont nos maîtres doivent bien se pénétrer pour éviter tout bavardage inutile et ne pas jeter la confusion dans l’esprit de leurs élèves, en leur parlant de tout à propos d’un sujet particulier. Dans leur ardeur à se conformer aux recommandations instantes qu’on leur a adressées de bien expliquer les mots, quelques-uns n’attendent même pas que la phrase soit terminée et se lancent dans d’interminables questions, dont le tort le plus grave est assurément de faire oublier le sujet de la lecture. « Un jour, dans un hameau... » Qu’est-ce qu’un hameau? Et un village ? un canton? un arrondissement? un département? Toute la géographie administrative y passe et entraîne une incursion dans le domaine de l’histoire. Est-ce que la France a toujours été divisée en départements? quelle est l’assemblée qui a opéré ce changement, et pour quelles raisons? etc. Nous voici bien loin de notre texte et fort inutilement.
    D’ailleurs les explications ne doivent jamais ainsi couper et morceler un texte. La lecture de l’ensemble du morceau ne doit pas être interrompue, ou le plus rarement possible par la traduction brève et sans commentaire de quelques mots plus difficiles. Toutes les explications de détail doivent être ajournées à la fin de l’exercice. Mais il serait bon, pour faciliter aux enfants l’intelligence du texte, de leur présenter tout d’abord un résumé rapide de ce qu’ils vont avoir à lire.
    On ne saurait trop recommander aux maîtres d’expliquer le sens des mots par l’analyse de leur formation et de leur composition, par l’étude comparative des mots appartenant à la même famille. Il est très facile et très intéressant de montrer comment un radical successivement modifié par des préfixes et des suffixes donne une série de mots où l’idée mère se complète par des idées accessoires. Il n’est heureusement pas nécessaire de remonter à l’origine, soit grecque, soit latine, des mots. Un habile rapprochement des mots français permet de rendre sensible aux élèves cet intéressant mécanisme de notre langue, sans la connaissance duquel il est vraiment impossible de comprendre nettement le sens exact des mots quand on lit, et d’employer l’expression propre quand on écrit. J’ai, par exemple, à expliquer en classe le mot circonspection : je me garderai bien d’avoir recours au latin (circum spectare); il suffira d’appeler l’attention des enfants sur les mots cir¬que, circuit, cercle, circonférence, etc., spectateur, spectacle, inspecteur, etc., pour mettre en lumière les deux idées de autour et regarder qui rendent parfaitement compte du mot en question. Le livre de M. Michel, Etude sur la formation et la composition des mots, nous semble devoir être recommandé aux instituteurs comme le mieux approprié aux besoins de l’enseignement primaire.
    Pour l’orthographe d’usage, plus difficile à apprendre que l’orthographe de règles, la dérivation est le guide le plus sûr dans la majorité des cas. Quel autre moyen de sortir des difficultés que créent l’imperfection de notre alphabet, les lettres muettes, les sons équivalents ? Il est facile de faire comparer aux enfants champ et champêtre, chant et chanter — sens et sensé, sang et sanguin, cent et centaine legs et léguer, lait et laitière, laid et laideur dos et dossier, dot et doter mort et mortel, mors et morsure faim et famine, fin et final. — bois et boiserie, toit et toiture verre et verrier, vers et versification, vert et verte temps et tempête, tan et tanner, tant et tantinet, il tend et tendre vin et vineux, vingt et vingtième, vain et vanité, etc. etc.
    Pour le doublement des consonnes, le rapprochement des mots suivants : balle et Bâle, trompette et tempête, ville et vile, rosse et rose, homme et dôme, cotte et côte, russe et ruse, butte et chûte, rendra sensible cette règle générale que la consonne est double quand la syllabe est brève, et simple quand la syllabe est longue.
    Voici un exercice qui nous a toujours complètement réussi, même avec des enfants qui n’avaient jamais fait de dictée, et que nous croyons infaillible pour les familiariser promptement avec l’orthographe d’usage tout aussi bien qu’avec l’orthographe des règles. C’est ce qu’on peut appeller la dictée de mémoire. On choisit dans la lecture une phrase simple et facile, de quelques lignes seulement. Par une série de questions on fait reconnaître toutes les idées, tous les détails du passage, et aussitôt plusieurs enfants sont en état de le réciter par coeur. On reprend chaque mot en particulier, on le syllabe exactement pour faire remarquer, puisque c’est là presque la seule difficulté de l’orthographe, les lettres qui ne se prononcent pas. Là où l’écriture et la prononciation sont parfaitement d’accord, aucune faute n’est vraiment possible. Alors on invite plusieurs élèves à réciter de nouveau ces quelques lignes, et on les envoie au tableau noir les écrire de mémoire, au milieu de l’attention générale de leurs camarades. Quand le travail est terminé et corrigé par la classe elle-même, pour bien assurer les résultats acquis, on appelle un dernier élève qui doit barrer d’une ligne transversale les lettres signalées comme ne se prononçant pas. Cet exercice fréquemment répété amènerait, et de très bonne heure, les progrès les plus rapides dans la connaissance de la langue.
    Pour l’enseignement grammatical proprement dit, il est toujours à propos de rappeler les sages recommandations de Fénelon : pas de « grammaire trop curieuse et trop remplie de préceptes. Il faut se borner à une méthode courte et facile, ne donner d’abord que les règles les plus générales; les exceptions viendront peu à peu. Le grand point est de mettre une personne le plus tôt qu’on peut dans l’application sensible des règles par un fréquent usage. »
    La métaphysique ne convient pas aux enfants. Epargnons-leur les théories abstraites; n’employons pas le temps si précieux de la classe à disserter sur d’inutiles subtilités. Au formalisme sec et aride substituons une étude vivante et concrète de la langue, et, selon l’expression du P. Girard, à la grammaire de mots une grammaire d’idées. En général, pas de définition imposée a priori; c’est aux élèves à la trouver avec l’aide du maître, sur des exemples donnés. Par cette activité donnée aux facultés de l’enfance, 1a grammaire devient une véritable logique, au lieu d’un ennui et d’un tourment. N’est-il pas lamentable d’entendre de pauvres enfants réciter mécaniquement une suite de mots qu’ils ne comprennent pas? par exemple « les noms en al font le pluriel en aux, excepté cal, chacal, nopal, pal, etc. » Que signifient ces mots ? ils l’ignorent : ils ont seulement à apprendre qu’on ne dit pas : des caux, des chacaux, des nopaux, des paux! Passent-ils aux exercices d’application ? c’est le même formalisme inintelligent. Le devoir est indiqué par un numéro ; ils copient un texte et se livrent an travail tout matériel de changer les lettres finales. Puisqu’il s’agit d’apprendre la langue, il faut que le maître fasse d’abord lire l’exercice et qu’il donne une rapide explication des mots. Ces noms doivent être mis au pluriel, ces adjectifs doivent être mis au féminin, etc. Mais que signifient les uns et les autres ? Voilà ce qu’il importe de savoir. Le reste est vraiment secondaire, et d’ailleurs ne présente aucune difficulté. Ce n’est pas certes pour un si piètre résultat que la France prodigue les millions.
    Les formules grammaticales doivent être bien plutôt le résumé des faits constatés par l’observation du langage, par l’analyse des lectures, que l’objet d’un enseignement dogmatique, pour lequel l’enfant n’est pas préparé, surtout dans le cours élémentaire et le cours moyen. Pourquoi, suivant la judicieuse remarque du P. Girard, la théorie précéderait-elle les faits d’où elle a été prise et qui seuls peuvent la faire saisir plus ou moins par de jeunes intelligences ? Par exemple, il n’est pas bon, à notre avis, de commencer par leur révéler, comme un article de foi, qu’il y a neuf ou dix parties du discours. Cette classification n’est-elle pas bien plutôt la conclusion de toutes les leçons ? ne doit-elle pas s’établir et se compléter successivement, à mesure que l’en¬fant remarque que certains mots servent à nommer les personnes et les choses, d’autres à désigner leur qualité, d’autres à affirmer, d’autres à préciser les circonstances de temps, de lieu, de manière, de quantité, d’autres encore à lier les mots ou les propositions ? « Que font ces listes hâtives de prépositions et de conjonctions, remarque avec bon sens le P. Girard, en dehors des propositions et des phrases où elles commencent à paraître dans le langage, et où elles doivent nécessairement être placées pour aiguiller quelque chose?, Pourquoi encore donner les paradigmes des verbes tout à la fois, et les faire réciter en entier comme d’une seule haleine, quand leurs formes si variées ne paraîtront que successivement dans la syntaxe, et que ce n’est que par leur accompagnement qu’elles peuvent obtenir le sens qu’elles expriment à leur manière ? »
    Empruntons encore à l’éminent auteur de l’Enseignement régulier de la langue maternelle ces excellentes prescriptions relatives à l’étude du verbe, qu’il importe de commencer de bonne heure, pratiquement et avec une sage mesure. Tout d’abord, l’élève ne conjuguera jamais le verbe seul. « Ce sont là de véritables squelettes qu’il faut enfin mettre à l’écart. Ayez la complaisance de faire conjuguer par propositions, puis par phrases, tels et tels temps du même verbe, vous ferez plaisir à vos élèves, parce qu’ils auront une pensée et une pensée à varier, et qu’ils auront le sentiment de l’utilité de leur travail. Vous augmenterez cette jouissance, si, pour devenir plus pratique encore, vous ne donnez que le verbe, laissant aux élèves le soin de trouver la pensée qui doit l’accompagner. » On n’apprendra pas de suite tous les temps et tous les modes. On se familiarisera avec tous les principaux, avant d’aborder les temps secondaires, avec les temps simples avant les temps composés. Même progression pour les modes. L’indicatif et l’impératif, par exemple, suffisent pour former des propositions. Pour les autres formes, comme le conditionnel et surtout le subjonctif, « qui ne paraissent que dans la phrase et qui nécessitent ce que nous appelons la concordance des temps, il faut les réserver pour le temps où, mises à leur place dans la phrase, elles pourront être comprises par les élèves. Il serait non seulement inutile, mais nuisible, de vouloir les faire entrer avant ce temps dans l’instruction, parce qu’on habitue ainsi l’enfant à se payer de mots, et à étouffer l’intelligence par la mémoire. Dans tous les cas, les enfants auront à prouver qu’ils comprennent ce qu’ils disent en conjuguant ainsi, soit par proposition, soit par phrase, et, toutes les fois qu’il y aura lieu, à se prononcer sur la justesse de la pensée ou la moralité de l’action. Le seul écueil à éviter, nous insistons sur cette recommandation, c’est de se garder de longs bavardages ; il ne faut pas transformer une leçon de grammaire en leçon de logique ou de morale. Qui ne sait se borner ne sait pas professer.
    On croit trop généralement faciliter aux enfants l’étude de la grammaire par des procédés matériels. S’agit-il de reconnaître un nom ? Voyez si on peut mettre devant le, la, les. S’agit-il du pronom personnel de la 3e personne, qui se confond avec l’article ? Voyez s’il est devant un verbe ? S’agit-il du verbe ? Peut-on mettre devant je, tu, il? Ce sont là des moyens mécaniques, qui n’apprennent rien au fond, et qui trompent le plus souvent. Le seul moyen de savoir, c’est de recourir le la définition bien comprise : Ce mot est un nom, puisqu’il désigne une personne ou une chose ; ce mot est un pronom, puisqu’il tient la place de tel nom ; ce mot est un verbe, puisqu’il affirme une action, un état, etc.
    L’analyse grammaticale, faite ainsi avec méthode, presque toujours oralement, et sans l’abus justement condamné de ces interminables et monotones devoirs écrits, dont le plus clair résultat était d’inspirer le dégoût de l’étude, est indispensable pour bien asseoir les notions fondamentales de la grammaire sur la nature des mots, leurs propriétés particulières et leur fonction.
    L’analyse logique, à la condition de ne pas s’embarrasser dans une terminologie compliquée et savante, est plus utile encore pour bien distinguer les propositions, saisir leurs rapports et se rendre compte de la construction de la phrase. Les grammairiens sont malheureusement loin de s’accorder sur la dénomination et le classement des diverses sortes de propositions. La plus courte et la plus simple sera la meilleure. Les enfants de l’école primaire n’ont que faire de distinctions scolastiques. Pour compter le nombre des propositions que renferme une phrase, on se borne à souligner les verbes à un mode personnel. L’analyse sera bien plus précise et phis exacte, si l’on sépare par un trait vertical chaque proposition, en ayant soin de grouper sous un même numéro les éléments quelquefois épars d’une même proposition. Prenons pour exemple ces vers de La Fontaine :

    L’enseignement grammatical, sans rompre brusquement avec la tradition, doit se rajeunir en profitant des savants travaux dont la langue française a été l’objet et que l’on a commencé à mettre à la portée de tous. L’école primaire ne comporte pas de théories philologiques. Cependant, quand des résultats certains sont bien acquis, quand l’histoire de la langue permet de substituer aux explications artificielles et fausses des solutions simples et vraies, il nous paraît très regrettable et très fâcheux de s’en tenir aux errements du passé. Sans faire de science proprement dite, on pourrait, au moins, — c’est une excellente observation de M. Chassang, — « ne dire rien qui doive être contredit par une étude plus approfondie de la langue et de la grammaire. »
    L’exercice de la dictée, tel qu’il est généralement pratiqué dans l’école, donne encore lieu à de nombreuses critiques.
    Appelons d’abord l’attention des maîtres sur le choix des dictées. Elles sont trop prises au hasard, plus ou moins appropriées à l’âge, à la condition, aux besoins des enfants. Peu importe, en effet, s’il ne s’agit que de « regratter des mots et éplucher des syllabes. » Il en est tout autrement si la dictée doit concourir, avec les autres exercices de la classe, à l’éducation intellectuelle, professionnelle et morale de l’enfant. Une pensée supérieure doit présider au choix des textes; leur ensemble doit constituer un corps suivi de doctrines et comme l’encyclopédie populaire des notions indispensables. Du chapitre de l’Education où M. Herbert Spencer a essayé de classer les connaissances par ordre d’utilité, on pourrait tirer cette conséquence pédagogique que les dictées devraient alternativement rouler sur l’hygiène, sur les notions professionnelles d’industrie ou d’agriculture, sur la morale, les devoirs de l’homme et du citoyen, sur l’histoire nationale, enfin donner satisfaction à ce besoin d’idéal, et contribuer à ces plaisirs de l’imagination et du goût, sans lesquels l’éducation, même primaire, resterait imparfaite. Un instituteur qui comprendrait la beauté de ce programme mettrait à profit toutes ses lectures pour se faire lui-même une riche collection de textes choisis, concourant tous, indépendamment de leur utilité grammaticale, à l’œuvre par excellence, celle de l’éducation. Ce serait, d’une manière encore plus large et plus complète que le P. Girard, rester fidèle à la devise de celui-ci : « Les mots pour les pensées ; les pensées pour le cœur et la vie. »
    Il est urgent de renouveler la recommandation, toujours négligée dans la pratique, de lire préalablement le texte de la dictée pour faire appel à l’intelligence des élèves et ne pas réduire l’étude de la langue à un simple exercice d’orthographe. Je conseillerai seulement, pour ne pas perdre une excellente occasion d’exercer le jugement des élèves, de ne pas lire le titre de la dictée et de leur laisser le soin de le trouver. Il n’y a pas de plus efficace moyen de s’assurer qu’ils ont bien compris le morceau. L’habitude de ce travail d’analyse nécessaire pour dégager l’idée générale des idées particulières serait un puissant auxiliaire pour les compositions françaises.
    La correction de la dictée ne doit pas se faire au moyen de l’épellation de toutes les lettres. On ménagera le temps et l’attention des élèves en s’arrêtant seulement sur les réelles difficultés, à savoir les lettres muettes et les sons équivalents. Une prononciation très distincte des mots, presque syllabe par syllabe, est nécessaire pour bien faire remarquer les différences entre l’écriture et la parole. L’énoncé des règles accompagnera la correction des fautes.
    Vient enfin, comme couronnement de l’étude de la langue, la composition française. Si, au sortir de l’école, les enfants ne sont pas en état de mettre sur pied quelques phrases claires, correctes, convenablement enchaînées, l’enseignement du maître est jugé : il s’est arrêté à la surface des choses, il a cultivé la mémoire des élèves, il n’a pas fait vraiment leur éducation intellectuelle ; il leur a plus ou moins appris la grammaire, il ne leur a pas donné l’intelligence de la langue. Cet exercice est celui qui laisse le plus à désirer dans nos écoles pour plusieurs raisons : la culture littéraire n’a pas jusqu’à ces derniers temps tenu une assez grande place dans la préparation de nos maîtres ; les livres appropriés font défaut, les principes essentiels de l’art d’écrire ne sont pas connus.
    Ce qu’il y a de plus utile et de plus pratique à dire aux instituteurs généralement embarrassés en cette matière, c’est que composer se réduit à deux points principaux : l’ordre dans les idées, la convenance de l’expression. Or il n’y a pas une seule partie du programme, pas un seul exercice de la classe où le maître ne puisse observer lui-même et faire observer par ses élèves ces deux préceptes. La lecture surtout et la dictée offrent les plus précieuses ressources. C’est en étudiant avec soin les bons modèles que l’on apprendra à bien enchaîner les idées, à choisir les expressions, à donner aux mots leur place et à la phrase sa construction et son mouvement. Quand un morceau a été bien analysé, il y a tout profit à exercer les élèves à s’essayer à le reproduire, d’abord de vive voix, puis par écrit. Une seconde lecture du passage sert de corrigé. Franklin n’a pas eu d’autre professeur de rhétorique.
    Dans le choix des sujets de rédaction, il importe de ne rien demander aux enfants que ce qu’ils peuvent donner. Expliquer une image ou un objet que l’on place sous leurs yeux, rendre compte d’une promenade, d’un fait qui s’est passé dans la localité, d’un incident de l’école ou de la vie de famille, expliquer un proverbe, écrire une lettre familière, voilà à peu près le cercle dans lequel il est sage de se maintenir pour ne pas dépasser le niveau et les besoins de l’enseignement primaire, pour ne pas décourager les efforts et pour ne pas habituer l’enfant à se payer de mots. La traduction en prose d’une fable en vers peut au moins rendre le service de faire distinguer la langue poétique de la langue ordinaire dans l’emploi des mots et la construction des phrases. Ce serait un détestable exercice si on exigeait de l’élève qu’il remplaçât par des synonymes les expressions du poète. Quel que soit le sujet, il est bon, surtout pour les débutants, de le discuter en classe dans un entretien général auquel prennent part tous les élèves. Les diverses pensées sont recueillies sur le tableau noir, puis on détermine l’ordre le plus naturel à établir entre elles, et, après cette préparation, chacun se met à l’œuvre, soit sur l’ardoise, soit sur le cahier, pour rédiger le sujet donné.
    La conclusion la plus évidente de toutes ces considérations, c’est que l’enseignement de la langue nationale, ainsi compris, exige de nos instituteurs, non pas seulement une préparation sérieuse pour chaque leçon, mais une large culture intellectuelle.
                                                                                                      [Félix Cadet.]


    Nous consacrons, dans la IIe PARTIE de ce Dictionnaire, des articles spéciaux aux différentes branches dont l’ensemble constitue l’enseignement de la langue maternelle : le lecteur pourra consulter en conséquence les articles Analyse, Composition et style, Dictée, Ecriture, Ecriture-lecture, Etymologie, Grammaire, Lecture, Lexicologie, Littérature, Orthographe, Rédaction, Vocabulaire, et ceux auxquels ils renvoient.
    Dans la IIe Partie, outre les articles Langue maternelle et Langage, où la question est traitée d’une manière générale et au point de vue psychologique, le lecteur trouvera un cours complet de langue et de littérature française dans les nombreux articles classés sous les diverses rubriques Lecture, Ecriture, Grammaire française, Littérature et style, Littérature française.
   
    Législation. — Dans le projet présenté par Talleyrand à l’Assemblée constituante (1791), l’enseignement de la langue maternelle figure en tête du programme de l’école primaire : « On y enseignera aux enfants : 1° à lire tant dans les livres imprimés que dans les manuscrits ; 2° à écrire, et les exemples d’écriture rappelleront leurs droits et leurs devoirs; 3° les premiers éléments de la langue française, soit parlée, soit écrite. » Le projet de Condorcet (1792) dit plus simplement: « Dans les écoles primaires on apprendra à lire et à écrire ; » les écoles secondaires (écoles primaires supérieures) devaient enseigner en outre « les notions grammaticales nécessaires pour parier et écrire correctement ». Le décret du 3 brumaire an IV réduit également l’enseignement de la langue maternelle à celui de la lecture et de l’écriture. La loi consulaire du 11 floréal an X ne contient pas même de programme d’enseignement pour l’école primaire. La loi de 1833 dit : « L’instruction primaire élémentaire comprend nécessairement... la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française; » le programme de l’instruction primaire supérieure n’ajoute pas à cet ordre d’enseignement des développements nouveaux. La loi de 1850 définit l’enseignement de la langue maternelle dans les mêmes termes. Enfin la loi du 28 mars 1882  lui donne une extension qui en transforme le caractère : « L’enseignement primaire, dit l’art. Ier, comprend... la lecture et l’écriture, la langue et les éléments de la littérature française. »
    Ainsi l’école primaire contemporaine ne doit pas se borner, comme celle d’autrefois, à mettre entre les mains de l’enfant ces deux instruments indispensables, la lecture et l’écriture ; la loi de 1882 y ajoute, non plus seulement « les éléments de la langue », ainsi que le voulait la loi de 1833, mais « la langue française » dans toute son étendue; elle veut que les élèves de l’école primaire soient initiés à la connaissance des grandes œuvres littéraires, sans laquelle l’étude de la langue reste stérile et se réduit à un simple exercice grammatical ; et pour le faire bien entendre, elle mentionne expressément, comme partie intégrante du programme obligatoire, « les éléments de la littérature française ».
    Dans les écoles normales d’instituteurs et d’institutrices , l’enseignement de la langue française est réglé par le programme de 3 août 1881, dont nous reproduisons le texte ci-dessous :

LANGUE FRANÇAISE.

1re année     6 heures par semaine.
2e année     5 heures par semaine.
3e année     4 heures par semaine.

    L’enseignement de la langue française comprend :
    1° Des exercices de lecture et de récitation ;
    2° Un cours de grammaire, avec des exercices pratiques, tels que : dictées, analyses, exercices d’étymologie et de dérivation ;
    3° Des exercices de composition et de style auxquels se rattachent des notions d’histoire littéraire.

1° Lecture et récitation.

    DANS LES TROIS ANNÉES. — Lecture à haute voix de morceaux classiques. — Les passages les plus importants sont appris par cœur.
    Lectures personnelles, indiquées par le maître ou choisies, sous sa direction, par l’élève. ¬Analyse écrite ou orale de ces lectures.

2° Grammaire et exercices grammaticaux.

    PREMIÈRE ANNÉE. — Étude de la grammaire française.
    DEUXIÈME ET TROISIÈME ANNÉES. — Révision approfondie des parties les plus importantes du cours de première année, en y ajoutant des notions historiques sur l’origine de certaines règles. — Suffixes et préfixes actuellement en usage pour la formation des mots. — Différentes manières dont sont formés les mots composés.
    Notions d’étymologie. — Mots d’origine populaire et mots d’origine savante. — Doublets. — Mots d’origine étrangère.
    Notions historiques sur la formation de la langue française. — Les anciens dialectes; ce qui en reste dans les patois. — Parenté du français avec les autres langues néo-latines.
    Exercices sur le vocabulaire. — Dictées servant d’application aux règles de la grammaire. — Analyses grammaticales et analyses logiques (orales).

3° Exercices de composition et de style.
Notions d’histoire littéraire.

    Dans les trois années : Récits, descriptions, lettres. — Explication d’une pensée morale, d’un proverbe.
    Étude des règles essentielles de la composition.
    En troisième année : Notions d’histoire littéraire. — Origines ; chansons de gestes, trouvères et troubadours, fabliaux, chroniques. — La Renaissance au XVIe siècle. — Malherbe, Descartes, Corneille, Pascal. — Le siècle de Louis XIV. — ¬Le XVIIe siècle : Voltaire, Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau.— Le XIXe siècle; grand développement de l’éloquence politique, de l’histoire, de la poésie lyrique, du roman, de la critique littéraire.
    Notions de versification française.
    Étude des auteurs indiquée sur la liste triennale pour les examens du brevet supérieur. »

    La législation des pays étrangers n’offre pas de particularités à signaler relativement à l’enseignement de la langue maternelle. Partout, comme il est naturel, cet enseignement occupe la place essentielle dans le programme de l’école primaire. Toutefois, des dispositions spéciales ont dû être prises dans les pays qui ne possèdent pas une langue nationale unique, et où plusieurs idiomes sont reconnus par l’État comme langues officielles possédant des droits égaux.
    En Autriche (Cisleithanie), la loi constitutionnelle du 21 décembre 1867 dit, art. 19 : « Toutes les nations de l’empire possèdent des droits égaux, et chacune d’elles a le droit inviolable de conserver et de cultiver sa nationalité et sa langue. L’État reconnaît, dans l’école et dans l’administration publique, un droit égal à toutes les langues parlées dans les diverses provinces de l’empire. Dans les provinces où se trouvent des populations de langues différentes, les établissements publics d’instruction doivent être organisés de telle sorte que chaque nationalité reçoive le moyen de cultiver sa propre langue, sans toutefois que l’enseignement d’une seconde langue à l’école soit rendu obligatoire. » La loi organique du 14 mai 1869 dit : « L’autorité scolaire de chaque province décide, dans les limites déterminées par les lois, quelle doit être la langue employée pour l’enseignement à l’école primaire, et quelle place doit être faite à l’enseignement d’une seconde langue. »
    En Belgique, où trois langues nationales, le français, le flamand et l’allemand, sont également reconnues par la loi, l’art. 5 de la loi organique du 1er juillet 1879 dit que « l’enseignement primaire comprend nécessairement les éléments de la langue française, flamande ou allemande, selon les besoins des localités. »
    En Suisse, la constitution fédérale de 1874 dit, à l’art. 116 : « Les trois principales langues parlées en Suisse, l’allemand, le français et l’italien, sont langues nationales de la Confédération. L’instruction primaire étant du domaine des cantons, ce sont les autorités cantonales qui déterminent, selon les convenances locales, la langue qui doit être employée pour l’enseignement dans l’école primaire.

source de l'image : http://www.enjeux.org/index.php?entry=entry110224-144042

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