Je ne sais pas si c'est ma longue période Freinétiste ou quoi, mais je n'ai rien, mais alors
absolument rien contre la dictée à l'adulte collective ou individuelle que je
pratique assez régulièrement dans ma classe et que je pratiquerais sans doute
encore bien plus si j'avais une Petite ou Moyenne Section.
En effet, il me semble que c'est un
excellent moyen de « faire entrer dans le monde de l'écrit » un enfant qui ne
sait encore ni lire, ni écrire sans lui « pomper l'air » avec d'interminables
séquences sur l'album du trimestre et le tri de textes qui ne le concernent en
rien.
http://www.paragonfineart.com/artists/rob-gonsalves.html |
En premier lieu, parce que,
nous le savons tous, le petit enfant est encore incapable de se décentrer et
d'observer le monde à travers d'autres lunettes que les siennes. Donc, dans mes
classes maternelles, nous commencions toujours le « travail écrit » par un
moment de dessin libre (quand il a fallu que je colle des objectifs et des
compétences visées là-dessus, je marquais : motricité fine, initiation à
l'expression écrite- je sais, c'est nul, mais je n'ai jamais compris ce
morcellement de la croissance intellectuelle en petites unités de valeur).
Ensuite, chaque enfant me
racontait son dessin et mon travail de secrétaire - traducteur commençait alors
; il s'agissait de transcrire d'abord les « watu » en
voitures, les « madam' » en dames, les « changuillé » en sanglier ou cendrier, selon le contexte et
le vécu familial de chaque bambin de deux ou trois ans, et de faire répéter
patiemment le mot un peu plus correctement.
Pour les plus grands, il fallait les
pousser à faire des phrases : « Tu me dis la maison, la voiture, le soleil.
C'est bien, mais je vois tout ça. Moi, ce que je veux écrire, c'est ton
histoire, ta phrase, ce que tu veux raconter. Dans les livres, ils racontent
des histoires, ils ne nous disent pas la princesse, le roi, le loup ; tout ça,
nous le voyons sur l'image, alors ils nous racontent ce que font les
personnages. C'est ce que je veux que tu me dises et moi, je l'écrirai sur ton
dessin. ». Cela prenait généralement une semaine ou deux en fin de Petite
Section ou en début de Moyenne Section (cette année, avec mes Grandes Sections,
ça a été réglé en deux ou trois dessins).
La troisième phase de cette «
discipline » permettait de travailler deux nouveaux approfondissements : la
correction du français et la sortie du « Moi, à ma maison, j'ai... ». C'était
l'époque de la Grande Section le plus souvent, mais il arrivait que déjà, chez
les Moyens, certains enfants en arrivent à ce stade, celui où l'on corrige les
« il disa », il « faisa »,
« il faut qu'il prend » et autres « j'eurai » ; celui
où l'on encourage l'enfant à enrichir ses phrases de détails pertinents qui
permettraient de se passer du dessin pour comprendre.
Celui où l'enfant ne s'intéresse plus
seulement à lui et où il ressent la nécessité de se servir du dessin pour
relater des événements, des apprentissages ou pour résumer les contes que la
maîtresse a lus. Au besoin celle-ci poussait les moins ouverts d'entre eux vers
ces nouvelles pistes.
Une nouvelle organisation prenait alors
forme : il était nécessaire de partager le travail entre les différents élèves
car aucun dessin ne pouvait permettre de représenter toute la chronologie des
événements ; bien sûr, au début de ce stade, nous
pouvions nous contenter de la bande dessinée, chaque enfant représentait sur
une feuille partagée en trois ou quatre cases le déroulement de l'histoire.
Mais bien vite, la complexité ou la longueur du conte ne le permettait plus, il
fallait se répartir les tâches.
Ainsi
l'écrit commençait à précéder le dessin figuratif : en effet, il nous fallait
une base de travail, une mémoire qui permettrait de répartir le travail en
autant d'épisodes qu'il y avait d'enfants. La maîtresse jouait toujours son rôle
de secrétaire, souvent même les écrits restaient sur ses genoux ou son bureau
et c'était elle qui les relisait.
Il arrivait même que le dessin disparaisse,
l'écrit produit se suffisant à lui-même : lettres aux parents ou à un petit
camarade malade, articles pour la gazette communale ou le journal d'école,
liste de matériel à collecter ou à préparer.
Tous ces écrits faisaient l'objet de «
leçons » sur ce que l'on peut écrire, ce que l'on peut
dire et comment le dire, des leçons de grammaire en quelque sorte, avec leurs
révisions fréquentes, leurs règles à apprendre et à réutiliser (un cheval / des
chevaux ; nous ... ons ; il / elle). Le vocabulaire
s'enrichissait lui aussi : il fallait se débrouiller pour réemployer les mots «
rares » du conte que nous voulions raconter ou ceux qui avaient été appris
pendant la leçon de choses.
Les bonnes années, en fin de GS, la plupart
des enfants étaient suffisamment prêts pour que ces textes, écrits au tableau,
soient composés collectivement au point de vue orthographique, au moins au
niveau des mots simples et des règles de base (le « s » du pluriel, le « e » du
féminin, le « est » du verbe être ou la conjonction de coordination « et »,
etc.).
Ces exercices ne prenaient jamais plus
d'une demi-heure dans la journée, le reste du temps, ils apprenaient à écrire,
à compter, à s'orienter, à s'exercer en sport, en musique, en travaux manuels,
écoutaient des histoires, en retenaient le vocabulaire, jouaient avec leurs
camarades, construisaient et démontaient des jeux, des objets, écoutaient de la
musique, observaient des images ou des objets, enfin, tout ce que l'on peut
faire lorsque l'on est en classe et que l'on a tout à apprendre.
Actuellement, je reçois en GS des élèves
qui ont fréquenté pendant deux ou trois ans une classe maternelle.
Souvent, ils savent à peine dessiner,
certains ne savent même pas du tout, ils ont beaucoup de peine à m'écouter et
ignorent totalement qu'ils sont aussi censés écouter leurs camarades. Il m'est
donc impossible de commencer la dictée à l'adulte au stade où je la débutais
lorsque la maternelle savait les faire sortir de leur égocentrisme et exercer
leurs capacités d'observation et d'expression graphique et orale.
Je combine donc un résumé des activités
citées plus haut avec une imprégnation à la rédaction plus formelle. Cette
année, c'est allé assez vite, les enfants sont vifs et volontaires. L'année
dernière, le groupe était moins homogène, plus « poupouce-canapé
», certains petits garçons avaient déjà conclu que le temps scolaire était une
immense mi-temps aride et insipide entre deux moments de récréation et il a
vraiment fallu que je déploie des trésors d'imagination, de contrainte et de
récompenses pour obtenir des futurs élèves de CP, prêts à sortir de leur « berceau
mental » pour enfin profiter des lumières de la Culture.
Dans mes classes, il n'a jamais été
question de remplir les petites cases d'un quelconque livret d'évaluation afin
de statuer sur la compétence de Pierre ou de Paul à « restaurer la structure
syntaxique d'une phrase non grammaticale » ou à « proposer une amélioration de
la cohésion du texte (pronominalisation, lien de connexion) ».
Je n'y ai jamais pensé ou alors j'y ai
toujours tellement pensé, à chaque nouveau texte, que je considérais qu'il n'y
avait rien à évaluer ; sans doute suis-je une très mauvaise « médiatrice »
entre l'enfant et les apprentissages et imposé-je un « modèle adulte trop
prégnant » !
Lorsqu'un tout petit me dit pour raconter
son dessin : « Papa... Changuillé... a fusil... Pan !
», je ne me précipite pas sur son cahier d'évaluation
pour cocher la case « non acquis » et je me contente bêtement de prendre mon
stylo et d'écrire sur sa feuille sous son dessin en lui disant (trois fois :
oral, écriture, relecture) : « Papa a pris son fusil et il a tiré sur le
sanglier ! Pan ! », j'en rajoute même une couche dans
l'intrusion voulue et calculée au cœur de son processus de construction des
savoirs en demandant : « Et alors, l'a-t-il tué ce sanglier ? Est-il mort ? » et j'insiste lourdement pour que l'enfant apprenne qu'après
la situation initiale, la force perturbatrice et l'action, on finit forcément
par énoncer la force rééquilibrante et la situation
finale, non mais !
Ecrit par : catmano | 14 novembre 2007
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D'autres textes de Catherine Huby :
Constructivisme vs. "tu le sais, toi, maîtresse ? alors t'y as qu'à nous le dire, ça ira plus vite ?
Le
constructivisme et la main à la pâte sont les deux mamelles de l'échec
scolaire en science, telle est la thèse défendue par Catherine Huby dans
ce texte polémiquement jouissif.
Pauvre Shéhérazade ! A
propos de l'article "L’écrit douloureux de Shéhérazade, candidate à
l’enseignement" (blog Interro écrite) qui montre les difficultés de
maîtrise de la langue française d'une étudiante préparant les concours
de professeur des écoles, Catherine Huby propose un commentaire
passionnant.
Lecture en grande section : présentation du manuel de Thierry Venot, De l'écoute des sons à la lecture (GS).
L'école maternelle : une proposition de programme d'enseignement ambitieux pour l'école maternelle.
Se Repérer, Compter, Calculer en grande section (fiches et livre du maître pour la grande section)
Manuel Compter, Calculer au CE1
Manuel Compter, Calculer au CE1
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Borel-Maisonny sur le blog :
Littérature au primaire :
Certains ouvrages, contes, histoires mentionnés dans l'article supra peuvent être consultés sur :
des extraits d'oeuvres classiques de la Littérature, adaptés aux différents niveaux de l'école élémentaire. |
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