UNE
QUERELLE VAINE : MÉTHODE "GLOBALE" CONTRE MÉTHODE
"SYLLABIQUE"
Méthode « globale » ou
méthode « syllabique » ? Chacune d’elles a ses partisans, et ses partisans
convaincus, voire intransigeants. La querelle qui les oppose nous paraît assez
vaine. Quel que soit le système employé, il faut toujours qu’on en revienne aux
deux opérations fondamentales de la lecture : l’analyse (décomposer un mot en
ses syllabes), la synthèse (grouper les syllabes connues pour composer des mots
nouveaux). Peu importe que l’enfant aille d’abord de la synthèse à l’analyse ou
de l’analyse à la synthèse. Son esprit n’est pas tel qu’il répugne absolument à
l’une de ces démarches et qu’il se rallie à l’autre sans difficulté. Au reste,
toutes deux peuvent se recommander de principes indiscutables de bonne
pédagogie : « Je vais du concret à l’abstrait », proclame la méthode globale. «
Et moi, du simple au composé », rétorque la méthode syllabique.
L’essentiel est qu’on
sache intéresser l’élève, que la lecture ne soit pas pour lui la prononciation
de sons juxtaposés, mais, le plus rapidement possible, la découverte des
réalités vivantes qui se cachent sous les signes de l’écriture. Comme nous le
soulignons plus loin, il faut que l’enfant comprenne ce qu’il lit, et que la
manière dont il lit prouve qu’il comprend. Le grand secret de l’apprentissage
de la lecture est là. Donc, pas de mots étrangers au vocabulaire des petits,
pas de phrases complexes, pas de textes sévères. En revanche, ne pas tolérer
les lectures hachées en syllabes qui sont, trop souvent encore, traditionnelles
dans les petites classes.
La méthode syllabique
construit toutes ses leçons sur un plan unique : examen d’un « mot-type » ou «
mot-clé » (illustré par un dessin) qui fournit le son étudié ; puis, formation
de syllabes et, immédiatement, lectures de mots, de phrases, d’historiettes.
Cette monotonie dans le procédé employé, contrairement à ce qu’on pourrait
supposer, ne semble à l’élève ni fastidieuse, ni ennuyeuse. L’enfant — et
surtout l’enfant de 5 à 7 ans — est traditionnaliste, routinier même, très
attaché à ses habitudes. Son esprit s’accommode volontiers d’une méthode qui,
pour toute acquisition nouvelle, propose les mêmes étapes au travail de
recherche. Cette fixité du plan, cette rigidité dans l’armature de la leçon,
lui procurent un sentiment de sécurité : il sait — ou il entrevoit — que lorsqu’il
aura découvert la clé d’une page nouvelle, il pourra, par ses propres moyens, explorer
la page tout entière. Nous avons connu nombre d’enfants, et des enfants moyennement doués qui,
après avoir appris avec l’aide du maître les deux ou trois premières consonnes
du présent syllabaire, continuaient à étudier seuls la presque totalité des autres leçons : il leur suffisait d’examiner le
mot-type (correspondant à une lettre inconnue) pour trouver la valeur de cette
lettre (le son cherché se trouve presque toujours à la fin du mot-type) et,
partant, pour déchiffrer les syllabes, les mots, les phrases.
La méthode syllabique
constitue, non seulement pour le maître qui enseigne, mais encore pour les
élèves, un moyen pratique de passer d’une connaissance acquise à une
connaissance nouvelle ; elle permet de faire une large place au travail
personnel de l’enfant ; elle ne nécessite pas une intervention constante du
maître : elle se plie aisément aux conditions de la vie scolaire journalière ;
elle s’accommode plus que toute autre des rentrées tardives, des fréquentations
irrégulières si coutumières aux petits. Aussi continue-t-elle, en dépit des
attaques dont elle est l’objet, à conserver sa place dans la plupart des
écoles, et tout spécialement dans les classes à plusieurs divisions où le
maître ne peut consacrer aux petits tout le temps désirable et où, pour cette
raison, l’emploi de la méthode globale est difficile et décevant.
Toutefois la méthode
syllabique, telle que nous la concevons dans le présent manuel, ne prétend pas
ignorer la méthode globale : elle emprunte à cette dernière un certain nombre
de procédés dont la valeur est indiscutable : dès les premières leçons sur les
consonnes, elle introduit dans le texte des mots qui aideront à la rédaction
des historiettes mais qui, par leur structure, ne devraient pas figurer dans la
progression adoptée ; en outre, les mots ne sont pas séparés en syllabes, l’enfant
le voit « globalement », il n’a donc pas tendance à les morceler, ni dans ses
lectures, ni dans ses copies ; si, parfois, un maître éprouve le besoin, pour
faire lire un mot difficile, de le partager en syllabes, cette analyse devra
être suivie immédiatement d’une synthèse qui restituera au mot sa véritable
physionomie : enfin l’usage des jeux de lecture, des « lotos littéraires » et
des dictées enseigne le maniement des mots et fixe, dans les mémoires, leur
orthographe (voir les instructions à la page « Méthode proposée pour l’étude
des consonnes »).
Le pédagogue doit se
garder de l’esprit de système ; il emprunte à toutes les méthodes les
commodités qu’elles lui offrent. La vérité pédagogique, qui est fille du bon
sens, se situe toujours à quelque distance des thèses extrêmes.
A. Davesne, Nouveau syllabaire de Mamadou et Bineta, Istra, 1950.
Voir aussi :
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