9 novembre 2018

A l’école, la violence contre les profs ne vient pas que des élèves

On parle enfin de la violence dont sont victimes les professeurs de la part de certains élèves. C’est bien, mais ces derniers ne sont pas les seuls à faire pression sur le personnel des écoles…
La violence est aussi le fait de l'Education nationale envers les professeurs.



Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer en visite dans un collège de Laval, le 3 septembre 2018. ©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Par Laurence David  - 8 novembre 2018

On parle enfin de la violence dont sont victimes les professeurs de la part de certains élèves. C’est bien, mais ces derniers ne sont pas les seuls à faire pression sur le personnel des écoles…

Education, la parole se libère. C’est formidable. Il y a quelques mois nous sortions du déni sur l’antisémitisme et depuis, ça va beaucoup mieux. Tous les espoirs sont donc permis d’une action efficace une fois les geysers émotionnels retombés. Tous les enseignants devraient vraisemblablement bientôt trouver dans leur boîte mail académique, une vidéo de leur ministre, qui, le regard profond et habité plongé droit dans le leur, affirmera qu’il leur fait confiance et les soutient. Que peut-il faire d’autre ? Un homme seul, ou presque, peut-t-il parvenir à changer une culture d’entreprise ? Nous voici au cœur du problème : ce sont autant les politiques successives que les pratiques managériales en vigueur dans l’Education nationale qui l’ont amenée à ce degré de délabrement. Et en matière de culture d’entreprise dévastatrice, le monde de la maternelle et de l’élémentaire, le plus silencieux, est un cas d’école.

Donne-moi ta main… et prends la mienne

Bien sûr, ici comme dans le secondaire, il y a cette omerta face aux faits de violence dont les journaux se font largement l’écho ces jours-ci, avec les mêmes origines : pression de la hiérarchie, peur du jugement des collègues, autocensure, adhésion de certains à l’idéologie de l’excuse et même peur physique des représailles. Mais il y a bien plus : en raison de l’organisation des écoles, les occasions de maltraitance envers les enseignants sont démultipliées et ne viennent pas uniquement de la part d’élèves turbulents ou agressifs, mais aussi de leur hiérarchie.



Ivan Rioufol : «En finir avec l'omerta qui abrutit la France !»
Par Ivan Rioufol
Publié le 25/10/2018 à 19h50

CHRONIQUE - Par paresse ou militantisme, les médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Encore aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter les euphémismes.

La presse est chatouilleuse: elle aime faire la leçon mais déteste en recevoir. Certes, les insanités déversées ces jours-ci par Jean-Luc Mélenchon sur les dos de Radio France et Mediapart ont dévoilé sa fièvre stalinienne. Ces outrances contre des journalistes, coupables d'avoir mis le nez dans le financement de La France insoumise, ont justifié la réplique solidaire, lundi, des sociétés de journalistes, dont celle du Figaro. Reste que les procès en superficialité, voyeurisme ou conformisme, instruits contre les médias, ne sont pas tous infondés. Nombreux sont ceux qui concourent au décervelage de l'opinion. Deux confrères du Monde, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, débarquent comme les carabiniers, ces jours-ci, pour décrire, dans un livre salué par la caste, l'islamisation de la Seine-Saint-Denis. Or cela fait plus de vingt ans que ce basculement a été identifié par quelques-uns. Mais ceux-là, à en croire Lhomme et Davet, n'étaient pas crédibles: ils faisaient de l'idéologie, tandis que les deux compères feraient du journalisme. Quand la presse se laisse ainsi aller à l'arrogance, elle montre son ridicule.

L'idéologie est bien l'écueil du journalisme. Mais, en l'espèce, c'est elle qui a incité les sentencieux limiers du Monde à ignorer la portée des révélations des premiers lanceurs d'alerte. Dès les années 90, le journaliste du Point Christian Jelen, disparu depuis, avait tout dit de la France éclatée, des casseurs de la République, de la guerre des rues. En 2002, les auteurs des Territoires perdus de la Républiquesonnaient à leur tour le tocsin. Votre serviteur a apporté son lot, avec d'autres encore. Cependant, parce qu'il ne fallait pas montrer les banlieues du doigt, ni stigmatiser des minorités, ni discriminer l'immigration, ni contrarier l'islam, ni faire le jeu du FN, une omerta a été avalisée par les autruches à carte de presse. Ceux qui ont refusé cette chape de plomb ont, tous, été marginalisés et caricaturés en fascistes et en racistes. Encore aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter ses euphémismes, comme le faisait le lecteur de l'Est sous la censure soviétique: un «jeune», une «cité sensible», une «voiture folle», un «déséquilibré», un «migrant» sont des mots flous jetés comme des voiles pudiques.

La violence à l'école et la perte d'autorité des enseignants font partie de ces sujets qui s'observent à l'œil nu depuis des décennies, sans avoir pu percer le mur du déni. «Menacer un professeur est inacceptable», a tweeté samedi soir le président de la République. Sa réaction a répondu à la diffusion d'une vidéo montrant un grand gaillard noir, élève d'un lycée de Créteil (Val-de-Marne), en train de pointer un revolver à billes sur la tempe d'une enseignante passive. «Nous allons rétablir l'ordre», a également tonné Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale. Reste que si cette scène n'avait pas été diffusée sur les réseaux sociaux, rien n'aurait été montré de ce qu'endurent des enseignants de certains établissements. Leur parole se libérerait-elle enfin des silences imposés par le politiquement correct? C'est ce que semble indiquer le succès que rencontre auprès des professeurs le hashtag #Pasdevague. Les enseignants y déplorent, sous prétexte de bienveillance, la lâcheté des hiérarchies.

Les réalités le prouvent : par paresse ou militantisme, les médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Le discours dominant persiste à occulter tout ce qui peut abîmer l'image des minorités protégées, surtout quand elles se laissent aller à la violence, au racisme, à l'antisémitisme, à l'homophobie, au sexisme. Actuellement, les mouvements LGBT s'indignent d'agressions physiques contre certains couples homosexuels. Mais les dénonciateurs restent évasifs sur le profil des brutes. Mardi, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, s'est inquiétée de la «recrudescence» des actes antisémites dans des établissements de l'enseignement supérieur, sans en dire davantage. Or, sachant que le moindre indice suffirait pour dénoncer l'extrême droite, il est loisible d'en conclure que les réflexes pavloviens ne suffisent plus pour désigner les coupables rêvés. Le courage de la vérité est l'impératif qui s'impose à ceux qui s'estiment avoir été bernés par un discours aseptisé. Le conformisme et ses œillères se révèlent être les ennemis de l'intelligence.




































































Ecole: agressez-moi s’il-vous-plaît!
S'ils veulent changer la donne, les professeurs devront parler au grand jour
 - 20 novembre 2018
Tranches de vie scolaire, en direct sur les réseaux sociaux: Gagny (Seine-Saint-Denis, octobre 2017), Laeken, région bruxelloise, février 2018), Créteil (octobre 2018)... ©DR

La diffusion de la vidéo d’un lycéen braquant sa prof a provoqué un électrochoc dans le corps enseignant. Sous le hashtag Twitter #pasdevague, d’innombrables témoignages anonymes confirment l’ensauvagement de l’école que quantité de livres avaient déjà diagnostiqué. Mais des témoignages anonymes ne sont pas une parole libre. S’ils veulent changer la donne, les professeurs devront parler au grand jour.

Depuis le 20 octobre, la vidéo tourne en boucle : dans une salle de classe, un élève braque un pistolet vers la tête de son professeur. L’attitude de celle-ci exprime non pas la peur, mais une résignation qui vient de loin. On entend le rire de celui qui filme, un autre sautille en faisant des doigts d’honneur. Dans la foulée de ces images, #pasdevague est lancé sur Twitter par des enseignants. Ce qu’ils rapportent est sans ambiguïté : la violence de leur métier provient autant des élèves, dont certains de toute évidence n’ont rien à faire à l’école, que de l’administration, qui en cas d’agression préfère le plus souvent les accuser que les soutenir.

Décennie de déni

Il y a seize ans, Les Territoires perdus de la République, de Georges Bensoussan, évoquaient sans fard une situation déjà délétère, par le prisme de l’antisémitisme qui s’exprimait dans les établissements de Seine-Saint-Denis. Bien qu’il soit constitué de faits rapportés par ceux qui les avaient directement vécus, le livre suscita la suspicion. Les témoignages recueillis n’étaient pas fiables. La méthodologie n’était pas rigoureuse. Bensoussan était partisan, prompt à dramatiser pour gagner les lecteurs à sa cause (sous-entendu, juive). Le sous-texte, c’était la ritournelle de l’extrême droite à l’affût et du danger de « stigmatisation » raciste et islamophobe. Car l’antisémitisme évoqué dans le livre étai
….


« La société multiculturelle est de plus en plus synonyme de société multiconflictuelle »
Entretien avec Georges Bensoussan, l'auteur des "Territoires perdus de la République"
 - 20 novembre 2018
Georges Bensoussan. ©LEEMAGE

Seize ans avant les journalistes du Monde, l’historien Georges Bensoussan dénonçait l’islamisation de certains quartiers de la nation dans Les Territoires perdus de la République. Dans un entretien accordé à Causeur, il confirme ses observations et rejette les procès en « idéologie » qui lui sont faits par ces médias qui dressent pourtant le même constat…

Causeur. Dans votre discours de réception du Prix national de la Laïcité, vous évoquez avec émotion et reconnaissance le souvenir de vos deux instituteurs de l’école primaire du boulevard de Belleville où vous êtes arrivé dans les dernières années de la guerre d’Algérie. Vous désignez cette école comme la « matrice morale » où une « laïcité en actes signifiait l’intégration dans le creuset de la Grande Nation de 1794 et de la République ». Quel est l’état de cette « matrice morale » ? La laïcité et l’intégration ne sont-elles pas devenues des notions quasi suspectes ? Est-il encore permis de lier la notion de République et celle de nation quand celle-ci ne cesse d’être accusée de tous les maux par le président qui pourtant la représente ?

Georges Bensoussan. C’était une matrice morale parce que nous faisions alors société. La domination de l’impératif économique n’avait pas encore marchandisé totalement la vie, gelé pour partie les relations humaines dans « les eaux froides du calcul égoïste » (Marx), ni mué toute activité en spectacle. Nous faisions société aussi parce que le choc migratoire, doublé ces vingt à trente dernières années d’une intégration poussive sinon en panne, n’avait pas encore déstructuré la société française pour la faire plonger dans un affrontement de communautarismes paradoxalement marqué par le discrédit porté à la notion d’identité.

Nous faisions société parce que le bien commun gardait un sens, et que la gauche, en dépit de ses défauts et de ses divisions, prenait encore en charge les intérêts des classes populaires. Nous étions alors à mille lieues de cette gauche mondaine qui s’est épanouie dans le sillage de l’élection de François Mitterrand en 1981, et plus encore après le tournant de 1983. Ce n’était pas encore le temps du divorce consommé avec les classes populaires si bien analysé par Jacques Julliard, avec le « peuple », cette notion, galvaudée, qui fait ricaner les esprits forts mais qui demeure pourtant une réalité palpable à la condition de bouger, de voyager, de s’immerger dans le « pays profond ».


Si la laïcité et l’intégration sont vues aujourd’hui comme des surgeons du colonialisme, c’est dire que nous ne sommes jamais sortis du colonialisme. Ce schéma victimaire, cultivé chez les Indigènes de la République et leur égérie Houria Bouteldja, est entretenu par une petite partie de la gauche intellectuelle qui en a fait son fonds de commerce médiatique. Cette vision n’est pas seulement historiquement erronée, elle induit une culture de l’excuse qui, à son corps défendant, reproduit un schéma colonial selon lequel l’autre n’est pas vu comme mon égal mais comme un être diminué par la souffrance que lui infligèrent jadis mes aïeux. Aujourd’hui, la laïcité et l’intégration sont récusées au nom de l’indigénisme : nous savions depuis longtemps déjà que l’antienne du « droit à la différence » déboucherait, un jour, sur la différence des droits. Nous y sommes.

Le dévoiement idéologique d’une partie de l’antiracisme accouche donc aujourd’hui d’une régression tribale qui enferme dans une identité close et assigne à résidence, ad aeternam, du fait de la naissance : c’est là toute la rhétorique des rassemblements de « racisés », par exemple, interdits aux blancs. Cette dérive idéologique, qui rompt avec la notion d’universel, retrouve le primat de la race comme à la fin du XIXe siècle. Elle est aux antipodes du monde des Lumières.

Seize ans après la sortie des Territoires perdus de la République, quelle est la postérité et l’actualité de ce travail fondateur de description d’un réel que d’aucuns ne voulaient pas regarder en face ? La situation s’est-elle encore dégradée ou bien des enseignements ont-ils été tirés de ces travaux ? 

Si seize ans après, j’avais dû refaire aujourd’hui les Territoires perdus de la République, je les aurais intitulés les Territoires perdus de la nation. Parce que la nation est un enracinement, mais sans fermeture à la Barrès, c’est l’identité ouverte de la Révolution française qui parle en français et s’adresse aux hommes, et qui ne sépare pas les droits de l’homme des droits du citoyen, parce qu’il n’y a d’humanité que lorsque les devoirs sont accolés aux droits. La République, on l’oublie souvent, n’est qu’une forme de régime, même s’il est vrai, qu’en France, elle est portée par le souffle de 1792, de 1848, de 1870, sans oublier le rétablissement de l’été 1944. Cela posé, avoir mis sous le boisseau le mot « nation » par peur de l’identité confondue avec le nationalisme, l’exclusion et la guerre, a contribué à freiner l’intégration de millions d’étrangers arrivés depuis cinquante ans. Comment s’intégrer à une nation qui congédie sa propre histoire et s’en mortifie sans fin ? La notion d’identité nationale a été caricaturée en machine à exclure, alors qu’il s’agit d’une longue élaboration conflictuelle entamée au moins depuis la seconde moitié du XVI° siècle avec les guerres dites « de religion ». Dans ce vide, s’est glissé un émiettement identitaire vecteur de violence, une société multiculturelle (à ne pas confondre avec une société multi-ethnique) de plus en plus synonyme de société multi-conflictuelle.

Seize ans après les Territoires perdus de la République, la postérité de ce livre se résume surtout à une formule utilisée jusqu’à plus soif. Ce que nous décrivions alors, après d’autres (je pense en particulier à Christian Jelen), n’était que les premiers symptômes d’un pourrissement à venir. Et qui est advenu.

Si l’actualité nous a donné raison au-delà de ce que nous redoutions, la vraie question porte sur la responsabilité de ceux qui ont refusé de regarder ce qu’on leur montrait, qui nous ont insulté, qualifié d’ « idéologues, d’ « esprits simplistes » puisque l’intelligence, chacun le sait depuis le temps de la domination culturelle du Parti communiste français au début des années cinquante, est de leur côté.

La situation s’est-elle dégradée ? Il y a aujourd’hui en France, plus de 500 quartiers « difficiles », nommés par antiphrase « cités sensibles », ravagés par des trafics en tous genres et marqués par la progression du salafisme. Des territoires se constituent en dehors de la nation, rétifs à la loi républicaine où l’autorité de l’État tient parfois du leurre. Qui peut dire, par exemple, sans ciller, que la loi de 2010 sur l’interdiction du port du voile intégral est intégralement respectée ?

Les récentes enquêtes de journalistes qui, tels Davet et Lhomme du Monde, découvrent en 2018 ce que vous évoquiez dès 2002 ne vous donnent-ils pas, un peu tard, raison ?

Vous me citez le travail de ces deux journalistes du Monde à propos de l’islamisation de la Seine-Saint-Denis et vous évoquez l’idée que leurs travaux nous donnent raison a posteriori. Vous n’obtiendrez jamais ce type de reconnaissance de la part de ces gens qui considèrent, comme ils l’ont dit à différents micros, que nous étions dans l’ « idéologie » tandis qu’ils avaient fait, eux, un « travail scientifique ». Il n’y a rien à répondre à cette mauvaise foi, sinon rappeler quelques faits : en 2002, Le Monde nous enveloppait d’un épais silence. En 2015 et plus tard, ne pouvant plus garder le silence, ils nous voyaient multiplier les « propos limites » et flirter avec les « idées nauséabondes » propres, chacun le sait, aux « heures sombres… », etc. Croyez-vous donc ces gens capables d’humilité au point de reconnaître que d’autres, avant eux, avaient perçu les craquements de cette société, alors qu’en tant que journalistes (ce que nous n’étions pas) ils auraient dû être les premiers à les voir et à les dire ? C’est leur manquement professionnel qu’ils ne sont pas prêts de nous pardonner.


Par ailleurs, la stigmatisation sous l’étiquette d’« idéologie » mérite plus ample explication. Que disent, en effet, ces deux journalistes : « L’idéologie nous est étrangère », et c’est là, justement, une posture éminemment idéologique en ce qu’elle reflète le légitimisme du pouvoir en place, lequel ne saurait accepter d’être qualifié d’idéologique sous peine de remettre en cause le magistère qu’il exerce.

Chez beaucoup demeure l’idée qu’il n’existerait qu’une seule parole légitime, celle émanant de cette incarnation du pouvoir établi qu’est le journal dit « de référence ». Car ce qui est en jeu derrière l’accusation d’ « idéologie », opposée à la « rigueur scientifique », c’est bien une querelle de légitimité. C’est à dire une lutte pour les places. Car qualifier ainsi un livre de manière générale, sans une argumentation précise, et relative à des faits déterminés, ne relève pas d’une appréciation objective mais banalement, j’allais dire trivialement, d’un procédé rhétorique visant à délégitimer in abstracto, et donc de facto à faire taire, telle ou telle voix jugée dérangeante.

Par ailleurs, et dans ce cas précis, l’opposition artificielle érigée entre « idéologie » et « travail scientifique » a l’avantage de masquer certaines des faiblesses inhérentes au travail de journaliste, qui demeure toujours, quelles qu’en soient les qualités, souvent grandes, l’expression d’un regard extérieur aux témoins immergés dans la vie qu’ils prétendent décrire. C’est ce qui faisait la force des témoignages des enseignants que j’avais rassemblés dans les Territoires perdus de la République, des professeurs travaillant parfois depuis plus de dix ans au cœur de ces quartiers dits « sensibles ». C’était là une différence majeure avec des journalistes, aussi rigoureux soient-ils, qui eux, n’étaient que de passage plusieurs mois durant.

Quel regard portez-vous sur l’action actuelle de l’exécutif quant à la question de la laïcité ? La ministre de la Justice a annoncé récemment un probable assouplissement de la loi de 1905 afin de faciliter la constitution d’un Islam de France tandis que le grand discours sur la laïcité tant attendu d’Emmanuel Macron n’est toujours pas arrivé. Que vous inspire cette tendance ?  

Toucher à la loi de 1905, c’est entrer dans la voie des accommodements et des renoncements qui, mis bout à bout, paveront le chemin d’une servitude collective. Si nous n’arrivons pas à comprendre qu’une guerre nous a été déclarée, qu’elle oppose frontalement deux visions du monde fondamentalement incompatibles, et que l’islam, dit fondamentaliste, n’a rien à voir avec l’idéal des Lumières sur lequel est bâti notre mode de vie, nous allons vers des lendemains difficiles. Et c’est là une litote…  Encore faut-il entendre ce distinguo entre l’islam comme réalité sociale, c’est à dire la multitude des pratiques de la foi musulmane, pour beaucoup pacifiées, et l’islam comme corps de doctrine théologique et surtout politique et juridique qui, lui, n’a rien à voir avec ce qu’il est convenu d’appeler les Lumières.

Vous avez cité les mots redoutablement lucides de Martin Luther-King : « A la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis mais des silences de nos amis », alors que vous sortez à peine de 30 mois de procédures ourdies par les spécialistes du djihad judiciaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces amis dont vous estimez que leur silence, leur complaisance auront été préjudiciables et coupables ?

Quand l’ennemi nous a déclaré la guerre, nous n’avons pas à nous plaindre des coups qu’il nous porte. En revanche, lorsque le camp que l’on croyait ami garde le silence, voire joint ses coups à ceux de nos adversaires, c’est là la pire situation qui se puisse concevoir. Je pense à cette partie de la gauche qui a dévoyé l’antiracisme pour en faire un instrument du « politiquement correct », un concept tout sauf anodin, une machine de guerre en vérité qui finit par tuer dans l’œuf toute vie intellectuelle transformée en un tribunal permanent où dans le box des accusés s’entassent les auteurs d’innombrables « dérapages »…

Passons sur l’aberration de voir la Licra siéger en janvier 2017, contre moi, aux côtés des islamistes. Ce fut là, on le sait, la décision d’un quarteron de personnalités oscillant entre haine et bêtise. Une décision qui a profondément divisé cette organisation. Le silence des amis, ce fut plutôt la kyrielle des petites lâchetés de qui craint pour sa place, pour son poste, redoutant de s’écarter de la doxa et du conformisme qui vous dispense de penser, craignant de déplaire, et parfois même, dans le contexte professionnel du Mémorial d’où je fus évincé, étouffé par la peur de s’exprimer dans un lieu qui aurait pourtant dû être un modèle de démocratie et de liberté. Las…

Je crains d’ailleurs que, pilotée par de tels dirigeants, étroits d’esprit et à mille lieues de l’âme des pères fondateurs, la mémoire de la catastrophe juive ne vire à un moralisme des plus plats. A un projet politique et pédagogique limité au nombre de visiteurs, de scolaires et de professeurs en formation ayant franchi le seuil de l’institution. Je crains que cette gestion comptable ne favorise une réflexion des plus pauvres, un brouet mêlant « devoir de mémoire », promotion de la « tolérance » pour finir par l’éloge de la « diversité » et du « vivre-ensemble ». Un fade moralisme peu à même de déceler dans le terreau culturel de notre époque et dans nos « sociétés post-nazies » selon le mot de Pierre Legendre, les germes des politiques massivement meurtrières de demain. En perdant de vue cette seule, mais majeure, interrogation politique : comment une société évoluée a-t-elle pu concevoir Treblinka ? Car, à travers la destinée singulière du peuple juif, là demeure la question de fond.

Dans vos travaux sur la Shoah notamment, vous insistez sur la nécessité de ne pas trivialiser, banaliser ces épisodes tragiques de l’Histoire en les instrumentalisant, en multipliant les cérémonies mémorielles et les invocations moralisantes. Que vous inspirent, de ce point de vue, les recours désormais constants à la commémoration par le pouvoir politique et les multiples torsions et interprétations  de l’Histoire auxquelles se prêtent les pouvoirs publics depuis quelques années et encore davantage depuis quelques mois ? A ce titre, que vous inspire par exemple le projet de Musée-Mémorial des victimes du terrorisme alors même que le parquet n’hésite pas à poursuivre des historiens qui, comme vous, tentent de faire leur travail librement ?

Vous le faites remarquer judicieusement, le projet de « Mémorial aux victimes du terrorisme » a lieu concomitamment à la poursuite en justice d’un certain nombre d’intellectuels accusés simplement de dire ce qu’ils voient. Cela fait partie de la dichotomie d’une société qui multiplie les invocations moralisantes et les imprécations, les condamnations et les mises à l’encan en se gardant de nommer la source du mal.

Concevoir un Mémorial des victimes du terrorisme quand la guerre qui nous est faite n’est pas terminée, c’est reconnaître, à part soi, notre impuissance à agir. On se réfugie dans la mémoire quand on a renoncé (ou qu’on n’a pas pu le faire) à l’action. En rappelant que comparer n’est pas assimiler, comment oublier que le projet de Yad Vashem remonte à 1942, quand la majorité des victimes était encore en vie ? Il fallait penser la tragédie au passé parce que les jeunes sionistes du Foyer national juif étaient sans prise aucune sur le présent.

Ici, la situation est différente, mais quand on refuse de nommer un islam n’ayant toujours pas accompli une réforme de fond (le pourra-t-il  ?), et qu’au carnage on répondra toujours : « Vous n’aurez pas ma haine », c’est un boulevard qu’on ouvre à la défaite.

C’est pourquoi, il me semble qu’évoquer un Mémorial des victimes du terrorisme sans désigner la source de cette violence restera comme la manifestation de notre impuissance à affronter la guerre qu’on nous fait. Depuis plusieurs années déjà, je cite à ce propos ces quelques mots d’un sermon prononcé par Bossuet à Pâques 1662 : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets des maux dont ils chérissent les causes. » Encore faut-il noter qu’il ne s’agit même pas ici de chercher « les causes », mais seulement de garder un silence timoré devant le péril.

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Ivan Rioufol : «En finir avec l'omerta qui abrutit la France !»
Par Ivan Rioufol
Publié le 25/10/2018 à 19h50

CHRONIQUE - Par paresse ou militantisme, les médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Encore aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter les euphémismes.

La presse est chatouilleuse: elle aime faire la leçon mais déteste en recevoir. Certes, les insanités déversées ces jours-ci par Jean-Luc Mélenchon sur les dos de Radio France et Mediapart ont dévoilé sa fièvre stalinienne. Ces outrances contre des journalistes, coupables d'avoir mis le nez dans le financement de La France insoumise, ont justifié la réplique solidaire, lundi, des sociétés de journalistes, dont celle du Figaro. Reste que les procès en superficialité, voyeurisme ou conformisme, instruits contre les médias, ne sont pas tous infondés. Nombreux sont ceux qui concourent au décervelage de l'opinion. Deux confrères du Monde, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, débarquent comme les carabiniers, ces jours-ci, pour décrire, dans un livre salué par la caste, l'islamisation de la Seine-Saint-Denis. Or cela fait plus de vingt ans que ce basculement a été identifié par quelques-uns. Mais ceux-là, à en croire Lhomme et Davet, n'étaient pas crédibles: ils faisaient de l'idéologie, tandis que les deux compères feraient du journalisme. Quand la presse se laisse ainsi aller à l'arrogance, elle montre son ridicule.

L'idéologie est bien l'écueil du journalisme. Mais, en l'espèce, c'est elle qui a incité les sentencieux limiers du Monde à ignorer la portée des révélations des premiers lanceurs d'alerte. Dès les années 90, le journaliste du Point Christian Jelen, disparu depuis, avait tout dit de la France éclatée, des casseurs de la République, de la guerre des rues. En 2002, les auteurs des Territoires perdus de la Républiquesonnaient à leur tour le tocsin. Votre serviteur a apporté son lot, avec d'autres encore. Cependant, parce qu'il ne fallait pas montrer les banlieues du doigt, ni stigmatiser des minorités, ni discriminer l'immigration, ni contrarier l'islam, ni faire le jeu du FN, une omerta a été avalisée par les autruches à carte de presse. Ceux qui ont refusé cette chape de plomb ont, tous, été marginalisés et caricaturés en fascistes et en racistes. Encore aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter ses euphémismes, comme le faisait le lecteur de l'Est sous la censure soviétique: un «jeune», une «cité sensible», une «voiture folle», un «déséquilibré», un «migrant» sont des mots flous jetés comme des voiles pudiques.

La violence à l'école et la perte d'autorité des enseignants font partie de ces sujets qui s'observent à l'œil nu depuis des décennies, sans avoir pu percer le mur du déni. «Menacer un professeur est inacceptable», a tweeté samedi soir le président de la République. Sa réaction a répondu à la diffusion d'une vidéo montrant un grand gaillard noir, élève d'un lycée de Créteil (Val-de-Marne), en train de pointer un revolver à billes sur la tempe d'une enseignante passive. «Nous allons rétablir l'ordre», a également tonné Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale. Reste que si cette scène n'avait pas été diffusée sur les réseaux sociaux, rien n'aurait été montré de ce qu'endurent des enseignants de certains établissements. Leur parole se libérerait-elle enfin des silences imposés par le politiquement correct? C'est ce que semble indiquer le succès que rencontre auprès des professeurs le hashtag #Pasdevague. Les enseignants y déplorent, sous prétexte de bienveillance, la lâcheté des hiérarchies.

Les réalités le prouvent: par paresse ou militantisme, les médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Le discours dominant persiste à occulter tout ce qui peut abîmer l'image des minorités protégées, surtout quand elles se laissent aller à la violence, au racisme, à l'antisémitisme, à l'homophobie, au sexisme. Actuellement, les mouvements LGBT s'indignent d'agressions physiques contre certains couples homosexuels. Mais les dénonciateurs restent évasifs sur le profil des brutes. Mardi, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, s'est inquiétée de la «recrudescence» des actes antisémites dans des établissements de l'enseignement supérieur, sans en dire davantage. Or, sachant que le moindre indice suffirait pour dénoncer l'extrême droite, il est loisible d'en conclure que les réflexes pavloviens ne suffisent plus pour désigner les coupables rêvés. Le courage de la vérité est l'impératif qui s'impose à ceux qui s'estiment avoir été bernés par un discours aseptisé. Le conformisme et ses œillères se révèlent être les ennemis de l'intelligence.


Écouter la sagesse collective

Les partis politiques sont les victimes de l'infantilisation des discours. Ce petit monde roupille sur des idées dépassées. Elles sont de moins en moins comprises par la société civile: elle n'a jamais rencontré l'univers cotonneux du vivre-ensemble. Les plus lucides des militants commencent, comme à La République en marche, à prendre conscience du vide qu'il leur faut remplir. Tous ont à s'extraire des idées fausses colportées depuis trente ans. L'audience que rencontre #Pasdevague n'est autre que le besoin des gens de témoigner sans interdits de ce qu'ils vivent dans le monde réel. L'Internet offre cette liberté. La macrocrature a raison de craindre cette glasnost: elle annonce le bouleversement du jeu politique, confisqué aux mains des professionnels, des technocrates, des experts. Les Français en colère ne se laisseront plus museler. Actuellement, des automobilistes, assommés de taxes, se mobilisent sur le Net pour manifester le 17 novembre.

Ce réveil de la société civile est une aubaine. L'utilisation du Web a réussi à déstabiliser les citadelles médiatiques, souvent contraintes de suivre les révélations des réseaux sociaux. Donald Trump, honni des médias, a construit sa stratégie en s'appuyant sur cette démocratie directe. La mise en valeur de cette intelligence collective, qui alimente Google et Wikipédia, reste une perspective politique à exploiter. Émile Servan-Schreiber a parié depuis longtemps sur ce bon sens collectif qu'il utilise dans les marchés prédictifs. Il invite à aller plus loin (1) afin de rendre plus intelligentes nos démocraties fatiguées. L'auteur écrit: «Les responsables politiques pourraient interroger systématiquement la sagesse collective des Français, via un marché prédictif moyen.» Il propose la mise en place d'un ministère des pronostics. L'heure est venue, pour le peuple raisonnable, de reprendre son destin en main.

La Commission européenne, qui a rejeté mercredi le projet de budget de l'Italie pour 2019, n'entend visiblement rien de l'aspiration des peuples à leur souveraineté. Le dogmatisme dont Bruxelles fait preuve accélère sa séparation d'avec la démocratie.
(1) Supercollectif, Fayard.

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A l’école, la violence contre les profs ne vient pas que des élèves
Elle est aussi le fait de l'Education nationale envers les professeurs



Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer en visite dans un collège de Laval, le 3 septembre 2018. ©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Par Laurence David  - 8 novembre 2018

On parle enfin de la violence dont sont victimes les professeurs de la part de certains élèves. C’est bien, mais ces derniers ne sont pas les seuls à faire pression sur le personnel des écoles…

Education, la parole se libère. C’est formidable. Il y a quelques mois nous sortions du déni sur l’antisémitisme et depuis, ça va beaucoup mieux. Tous les espoirs sont donc permis d’une action efficace une fois les geysers émotionnels retombés. Tous les enseignants devraient vraisemblablement bientôt trouver dans leur boîte mail académique, une vidéo de leur ministre, qui, le regard profond et habité plongé droit dans le leur, affirmera qu’il leur fait confiance et les soutient. Que peut-il faire d’autre ? Un homme seul, ou presque, peut-t-il parvenir à changer une culture d’entreprise ? Nous voici au cœur du problème : ce sont autant les politiques successives que les pratiques managériales en vigueur dans l’Education nationale qui l’ont amenée à ce degré de délabrement. Et en matière de culture d’entreprise dévastatrice, le monde de la maternelle et de l’élémentaire, le plus silencieux, est un cas d’école.

Donne-moi ta main… et prends la mienne

Bien sûr, ici comme dans le secondaire, il y a cette omerta face aux faits de violence dont les journaux se font largement l’écho ces jours-ci, avec les mêmes origines : pression de la hiérarchie, peur du jugement des collègues, autocensure, adhésion de certains à l’idéologie de l’excuse et même peur physique des représailles. Mais il y a bien plus : en raison de l’organisation des écoles, les occasions de maltraitance envers les enseignants sont démultipliées et ne viennent pas uniquement de la part d’élèves turbulents ou agressifs, mais aussi de leur hiérarchie.

Education, la parole se libère. C’est formidable. Il y a quelques mois nous sortions du déni sur l’antisémitisme et depuis, ça va beaucoup mieux. Tous les espoirs sont donc permis d’une action efficace une fois les geysers émotionnels retombés. Tous les enseignants devraient vraisemblablement bientôt trouver dans leur boîte mail académique, une vidéo de leur ministre, qui, le regard profond et habité plongé droit dans le leur, affirmera qu’il leur fait confiance et les soutient. Que peut-il faire d’autre ? Un homme seul, ou presque, peut-t-il parvenir à changer une culture d’entreprise ? Nous voici au cœur du problème : ce sont autant les politiques successives que les pratiques managériales en vigueur dans l’Education nationale qui l’ont amenée à ce degré de délabrement. Et en matière de culture d’entreprise dévastatrice, le monde de la maternelle et de l’élémentaire, le plus silencieux, est un cas d’école.

Donne-moi ta main… et prends la mienne

Bien sûr, ici comme dans le secondaire, il y a cette omerta face aux faits de violence dont les journaux se font largement l’écho ces jours-ci, avec les mêmes origines : pression de la hiérarchie, peur du jugement des collègues, autocensure, adhésion de certains à l’idéologie de l’excuse et même peur physique des représailles. Mais il y a bien plus : en raison de l’organisation des écoles, les occasions de maltraitance envers les enseignants sont démultipliées et ne viennent pas uniquement de la part d’élèves turbulents ou agressifs, mais aussi de leur hiérarchie.


Pour comprendre la situation, il faut savoir qu’un directeur n’est pas, comme un proviseur ou un principal de collège, un chef d’établissement. Il n’a donc aucun pouvoir hiérarchique sur les membres de son équipe, il n’est que l’un d’entre eux et assume souvent un temps de classe en plus de sa fonction de direction. Il ne dispose d’aucune aide administrative, puisqu’en ces temps de vaches maigres, les rares contrats aidés ont été supprimés à la rentrée 2017, au motif que, selon le ministère « des actions sont menées pour alléger les tâches administratives des directeurs. Le recours à l’informatique y contribue » (Réponse ministérielle à Dimitri Houbron, député LREM du Nord)L’intégralité des consignes ministérielles doit donc être absorbée par le directeur et les enseignants.

C’est cette spécificité qui va permettre de maximiser l’impact de deux techniques  de management dévastatrices, maniées avec art par la hiérarchie : l’injonction paradoxale et le principe de l’avalanche.

Va à droite et en même temps à gauche

L’injonction paradoxale consiste à transmettre deux obligations ou injonctions contradictoires, qui, s’interdisant mutuellement, induisent une impossibilité logique à les exécuter. Les exemples foisonnent. Exiger que l’on aille ouvrir un portail, situé à l’autre bout de l’école, à tout parent emmenant son enfant en retard, tout en interdisant de laisser sa classe sans surveillance. Demander d’organiser des cachettes pour le confinement en cas d’attaque terroriste mais exiger l’approbation du texte qui explique où elles se trouvent en conseil d’école, devant des parents élus dont on ignore si, investis d’une mission de transmission, ils ne diffuseront pas l’information via les outils numériques. Donner la consigne de s’entraîner aux évacuations incendie, mais ne pas former les enseignants au maniement des extincteurs. Prévoir dans les textes un coin-parents ouvert à tous, même à ceux éventuellement fichés S et faire respecter le plan Vigipirate…

Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas…

A cela s’ajoute le principe pervers de l’avalanche. Les cadres de l’institution sont parfaitement conscients que bien des missions demandées au personnel des écoles sont irréalisables. Leur souci est donc double : assurer malgré tout la transmission de l’ordre qui vient d’en haut mais éviter qu’une question embarrassante ne remonte, où que parfois, un outil utile à sa défense ne tombe aux mains d’un fonctionnaire et qu’il n’en fasse usage. L’avalanche est alors la solution. Il faut avoir, une fois, ouvert un courrier venant d’une inspection académique pour prendre la mesure de la perversité de l’acte : multiples pièces jointes, contenant des liens, ouvrant sur d’autres liens. Erratum. Envoi différé de pièces complémentaires. Désinhibée par l’absence de frais de port, l’administration se lâche. Tout est bon pour submerger le destinataire et lui faire endosser toutes les responsabilités en douce : il est informé, il sait. S’il faillit, c’est qu’il n’a pas accompli correctement la mission dont on l’avait chargé, il est donc le seul fautif car nul n’est censé ignorer la parole de la hiérarchie.

Enseignants sans défense

C’est aussi grâce à cette méthode que les cadres sont parvenus, jusqu’à ce jour, à priver les enseignants d’un important moyen de défense : le C.H.S.C.T. et le registre santé et sécurité au travail. Les missions du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (C.H.S.C.T.) sont de contribuer à la protection de la santé physique et mentale, à la sécurité des salariés, à la prévention, à l’amélioration des conditions de travail et d’assurer une veille sur l’observation des prescriptions légales prises dans ce domaine par l’employeur. Le registre santé et sécurité permet à tout personnel ou usager de signaler une situation qu’il considère comme anormale ou dangereuse, il assure la traçabilité de la prise en compte du problème, conserve l’historique et permet éventuellement sa remontée au C.H.S.C.T.


La place des incidents recensés par le hashtag #PasDeVague est avant tout dans ces registres dont la plupart des professeurs des écoles ignorent l’existence. Tout comme l’est celle de tous les faits qui sont de nature à mettre en danger la santé physique et mentale du personnel : agressions et violences des élèves ou des parents, agressivité verbale répétée d’un inspecteur, manque de personnel formé aux gestes de premiers secours, risques psychosociaux liés aux mauvaises conditions de travail, inadaptation des locaux à la mise en œuvre du Plan particulier de Mise en Sécurité face aux risques d’intempérie ou d’intrusion… L’Education nationale n’a pas su ou voulu mener une campagne volontariste concernant l’accès à ce moyen d’institutionnalisation de la demande d’aide face aux difficultés. Les syndicats, englués dans une culture de la cogestion, n’ont pas su se saisir de cet outil dont leurs homologues des grandes entreprises, plus combatifs et innovants dans les moyens de lutte,  font usage depuis longtemps.

Des paroles et des actes ?

L’effet lampe torche du hashtag #PasDeVague ne doit pas rejeter dans l’obscurité qui règne en dehors du halo, le fait que la violence n’est  pas seulement celle des élèves mais aussi celle de l’institution qui refuse de donner les moyens d’agir et de se protéger à son personnel et le bâillonne. L’action de Jean-Michel Blanquer ne sera complète et crédible que si, au-delà de sa volonté de rétablir l’ordre dans les établissements, il manifeste, par des actions concrètes, celle de redonner la parole sur leurs difficultés aux enseignants.  L’instauration d’une médecine du travail et la mise en fonctionnement effective d’outils institutionnels de dialogue tels que le C.H.S.C.T. seraient un minimum.

Enfin, une rupture dans l’usage dévastateur de la communication et des éléments de langage à double tranchant serait aussi un signe fort. Le ministre ne peut ignorer que les visites Potemkine dans des établissements soigneusement sélectionnés par ses équipes ont autant vocation à redorer le blason de l’Education nationale qu’à faire la leçon à l’ensemble de la profession. Cette méthode du « Regardez, eux ils y arrivent », déconnectée de toute analyse d’une réussite qui n’est peut-être due qu’à des paramètres conjoncturellement favorables, relevant de l’exception, est, elle aussi, destructrice. Tout comme l’est l’insidieuse injonction du slogan ministériel « école de la confiance » qui comporte sa part de « Ne trahissez pas celle que je mets en vous » et de « Débrouillez-vous, je ne veux rien savoir ».

Il y a donc beaucoup à faire. Au fil des décennies, management pathogène et plan de communication sont venus s’ajouter à une gestion comptable de l’Education nationale. Le hashtag #PasDeVague est une soupape éphémère et les solutions proposées par Jean-Michel Blanquer, contraint par un contexte gouvernemental très « start up nation », se limitent à la question de la violence des élèves. Mais ne soyons pas dupes, le mal est plus profond.



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