La lecture, une histoire de méthodes
RÉCIT
Apprendre à lire occupe les écoliers et leurs maîtres(ses) depuis le XVIIe siècle.
Avez-vous englouti Hegel d’un trait alors qu’il vous fallut, enfant, marmonner à l’infini les mots «lune» et «hibou» de votre méthode Boscher ? Avez-vous dévoré Darwin après en avoir bavé avec le manuel Au Jardin des images et son épique Dominique qu’une «petite puce, pique, pique, et pique» ? Ou bien avez-vous péniblement ânonné Koko et Rikiki ou cent fois remâché les aventures de Rémi et Colette ? S’il est bien un livre dont nombre d’adultes se souviennent, c’est de leur premier manuel de lecture. Et «longtemps, comme le souligne Philippe Simon, journaliste à Ouest-France. Ce manuel a été le premier livre tenu entre les mains».
Alors, avec un rien de nostalgie et une belle érudition, cet ancien instituteur a décidé de remonter le temps, faisant ressurgir la foultitude de méthodes qui se sont succédé : du milieu du Moyen Age, quand une poignée d’enfants apprenaient par cœur des recueils de psaumes entourés de belles lettres comme des enluminures, aux polycopiés des années 80, en passant par la profusion du XIXe siècle et ses quelque 300 à 400 manuels. Ainsi est né son bel ouvrage : les Méthodes de lecture de notre enfance.
Charlemagne. S’y plonger revient - du moins pour les plus anciens - à fourrer son nez dans des souvenirs qui sentent la colle blanche et la sueur de ces premières heures à déchiffrer. S’y pencher permet aussi de relativiser : non, les petits CP ne savent pas tous lire à Noël, et qu’importe… Jusqu’en 1887, l’apprentissage de la lecture ne démarrait qu’au cours élémentaire. Qu’importe aussi la méthode, qu’elle soit syllabique, globale, phonétique, mixte, pourvu qu’il y ait l’envie. Même si dans un acte d’autorité, la circulaire du ministre UMP Gilles de Robien de 2005 impose le syllabique, «de toute façon, les instits mélangent», énonce Philippe Simon avant de jouer à «Il était une fois…»
Outre les tentatives moyenâgeuses à coup de psautiers, les encouragements de Charlemagne (qui ne savait pas lire) à former des lettrés ou les efforts de Luther pour que chaque fidèle puisse accéder lui-même aux textes religieux, l’enseignement de la lecture fait ses premiers pas au XVIIe. A tâtons. L’abbaye janséniste de Port-Royal ouvre alors de petites écoles dans lesquelles des maîtres font classe à cinq ou six enfants. Ils innovent avec des manuels en français et non en latin, et sans le savoir inventent une méthode phonétique, en proposant d’épeler les consonnes en ajoutant le son «e» pour que «be» et «a» fassent bien «ba». XVIIIe siècle : lumière ! Le précepteur Nicolas Adam insiste pour que l’on cesse de tourmenter les enfants avec les lettres, les syllabes et les sons «où ils ne doivent rien comprendre parce que ces éléments ne portent avec eux aucune idée qui les attache ou qui les amuse.» Il préconise de commencer par des «mots entiers» que les enfantsconnaissent (papa, maman, etc.) avant de passer à la phase décomposition (lettres, syllabes). Il façonne alors la méthode globale que moult grincheux attribuent à de fâcheux soixante-huitards.
Colette et Rémi. Puis vint le XIXe siècle et le début de la communale. «C’est l’époque du syllabique à tous crins. L’imprimerie se développe. Des centaines de manuels sont publiés. On ânonne beaucoup. Cela va être remis en cause après la Première Guerre mondiale», raconte Philippe Simon. Sous l’impulsion de Célestin Freinet, jeune instit revenu blessé du front, du psychologue genevois Edouard Claparède et de son confrère Jean Piaget, se diffuse l’idée que l’on doit s’efforcer d’intéresser l’enfant - qui n’est pas un adulte miniature.
1923, nouvelles instructions officielles : l’élève doit pouvoir construire son savoir. Les éditeurs français comme Nathan, Hachette ou Belin entendent le message. C’est alors que fleurissent des manuels à la pelle (de méthodes syllabique, globale ou mixte) avec de belles images, des personnages qui s’appellent Véronique, Colette, Rémi, mettant en scène la vie quotidienne de la famille, voire celle du chien (souvent baptisé Pipo). Le monde dessiné est clos, rassurant. Plutôt rural. Ni riche ni miséreux. Heureux. Avec des papas qui fument la pipe, et des mamans qui font fumer le repas… Quand soudain, patatras : les années 80 crient au ringard et aux stéréotypes. Les photocopieuses qui permettent à l’instit de faire sa propre sauce tournent à plein régime. «Des manuels sont encore édités. On s’en ressert un peu plus depuis quelque temps. Ce ne sont plus des enseignants qui les rédigent. On fait appel à des psychologues et à des linguistes», explique Philippe Simon. Mais longtemps sacré, soigneusement recouvert avec du papier, le manuel a pris du plomb dans le «L».
1906
Maintes fois revue, la célèbre Méthode Boscher, toujours en circulation, paraît pour la première fois en 1906. Son auteur s’appelait Mathurin Boscher, un fils de paysan devenu instituteur dans son département natal des Côtes du Nord (Côtes d’Armor depuis 1990). L’ouvrage initial, dépourvu d’illustration, se voulait unique permettant d’apprendre à lire, à écrire, à compter, et à dessiner.
1947
Rémi et Colette (et le chien Capi) apprennent à lire aux écoliers à compter de 1947. Il s’agit de l’un des manuels les plus populaires jusque dans les années 80. Initialement, Rémi portait une culotte courte, Colette une robe légère bouffante et maman une longue jupe très resserrée à la taille dans le style New Kook de l’après guerre. Les couleurs se limitaient alors au rouge et au vert. La méthode est remaniée dans les années 70: les textes demeurent, mais les illustrations changent.
1953
«Il était une fois un petit garçon de votre âge. Il s’appelait Poucet», écrivent en 1953 les deux auteurs de ce manuel. «Et pour que chacun connaisse toutes ses histoires, nous allons nous dépêcher d’apprendre à lire.» Poucet et son ami figure parmi les méthodes les plus utilisées entre 1955 et 1970. D’abord publié par les éditions Rossignol, puis par Hachette, le manuel est repris par les éditions De Borée, dans la collection «Encres violettes» en 2011.
1964
Le manuel Daniel et Valérie, publié pour la première fois en 1964, n’est plus employé dans les classes. Mais l’éditeur Fernand Nathan propose toujours des cahiers d’exercices et des albums d’histoires avec ses personnages croqués par l’artiste d’origine russe Nina Morel. De très nombreux élèves ont passé toute une année avec Daniel et Valérie, le chien Bobi, maman et papa. Daniel et Valérie sont sûrement parmi les derniers héros de méthode de lecture à vivre dans un décor champêtre.
1977
Cette double page est tirée de la méthode de lecture Au fil des mots parue en 1977. Il s’agit d’une méthode phonétique qui s’appuie sur l’étude des trente-six phonèmes ou sons que l’on emploie pour parler la langue française, et non uniquement sur les vingt-six lettres de l’alphabet. L’illustratrice de cet ouvrage, Denise Chabot, a également donné vie à un personnage vedette de la télé des années 60: l’ours Colargol.
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